Version d'attente de Laocoon

Chapitre 7 : Ficus ruminalis

2445 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/11/2021 22:35

Une pluie tropicale s’abattait sur la cité du Lacydon. Fenby était euphorique en s’éveillant au son des gouttes tambourinant sur le carreau, il sentait l’appel de l’onde. Il descendit les escaliers avec empressement, manquant de chavirer à chaque palier. Il pensa à l’être qu’il portait et ralentit après trois étages de descente effrénée. Trop enthousiaste en ouvrant la lourde porte d’entrée, il se déversa dans la rue. Il n’y avait personne pour rire de sa chute. Il resta un moment assis dans le torrent canival et puis, joyeux comme un enfant prenant son premier bain de mer de l’année, il descendit la Canebière ivre de joie. Il ne savait pas d’où lui venaient ces bouffées de bonheur mais il les accueillait comme la nativité. Ne sachant où aller, il dirigea ses pas vers le Panier. Mme Marcelle était toute indiquée pour partager sa joie. Il ressentit un drôle de tremblement qui calma instantanément toutes ses ardeurs. Il saisit son ventre rond et se hâta.

Quand elle le vit arriver, la prostitué compris sans mot la situation. Elle congédia son client matianal et installa le parturiant sur son lit. Alors qu’elle faisait chauffer de l’eau, le ventre de Fenby émit un léger « pof » suivit d’un cri de nouveau-né. Fenby avait enlevé sa chemise, son corps ressemblait à une tête d’ail dont on aurait ôté une gousse. Il ne semblait pas souffrir de son état, il semblait cependant épuisé. L’enfant était recouvert d’un vernix tirant sur le vert pâle. Il le tenait tout contre lui, parmi les pelures de lui- même. Marcelle sentait une tension monter en elle, entre jalousie et compassion elle évacua ses sentiments en commençant à badiner.

-                      Alors, comment vous allez l’appeler ce moufflet ?

-                      Eric… Il y a eu des grands maîtres, des petits maîtres. Il sera le maître de tout.

-                      Et vous avez de quoi le faire manger se gosse ? Des habits ? Il lui faut une nourrice !

-                      Je pourrais l’envoyer dans ma famille à Scarborough. Il me semble que ma belle-sœur à eut un petit cette année.

-                      Vous allez l’envoyer à l’autre bout du monde ? Loin du soleil.

-                      Vous pouvez parler, avec ce qu’il tombe, si ce n’est pas un signe ! Il est à moitié anglais ce gamin.

-                      A moitié ? Alors c’est quoi l’autre moitié ?

-                      …

Fenby matérialisa l’image de Noriko fondant entre ses doigts.

-                      Sirène.

Mme Marcelle se forçat à sourire et fut bien aise de s’occuper de la bouilloire qui sifflait.

-                      Je fais un thé à l’anglais ?

-                      Merci, je crois que je vais rentrer.

-                      Dans votre état ? Je n’ai même pas lavé Eric ! Vous voulez que j’aille lui chercher du lait ?

-                      Je vais passer chez la Poujade, je ne suis pas sûr de ce dont ce petit a besoin.

Marcelle l’aida à se lever et accepta d’une main preste la liasse de billets que lui tendit Fenby. En fermant la porte, elle se signa. Elle ne l’avait pas fait depuis… sa confirmation. Les souvenirs du patronage où elle avait rencontré le garçon qui avait fait basculer sa vie lui remontèrent comme un ouragan. Elle attrapa son parapluie et se rendit aux Accoules. La pluie cessa lorsqu’il posa un pied au dehors, le nourrisson suçotait sa chemise. Il était si petit qu’il l’enserrait sans difficulté d’un seul bras. Il rajusta son feutre sur sa tête et descendit la rue sourire aux lèvres. Un rayon de soleil vainquit les nuages et vint donner aux rues des couleurs vivantes. De la vapeur s’élevait des pavés. Fenby voyait tout d’un regard neuf. Il lui semblait de nouveau arpenter Marseille pour la première fois. La Poujade était à une demi-heure  de marche de là. Il les parcourut en chantonnant des berceuses et quelques chansons à boire. De retour chez lui il sortirait le grand baquet et ils prendraient tous les deux un bon bain. Ils en avaient besoin. Il se sentait poisseux et avait envie de se débarrasser de toutes ses peaux mortes.

La Poujade ouvrait le dimanche matin mais il était déjà tard et il dû jouer du heurtoir. Lorsqu’elle le vit elle resta interdite et puis comme si elle savait tout, sans un mot, elle le fit asseoir et sortit son DeCandolle et quelques volumes de son encyclopédie des sciences. Quand elle eut trouvé ce qu’elle cherchait elle lança.

-                      Bonjour Mr Fenby, toujours pas de nouvelle de Bertrand ?

-                      Non, il me manque encore plus aujourd’hui. J’ai écrit à Moira à Noël, mais elle ne m’a pas répondu. J’avais espoir que peut-être, il l’avait rejointe… - C’est un bien bel enfant que vous tenez là. Comment est-ce arrivé ?

-                      Je ne saurais vous dire, il est là. Et je viens vers vous car je pense qu’il a des besoins… particuliers !

-                      En effet. Elle attrapa l’enfant avec une douceur toute médicale. Soudainement bien réveillé, il donna de la voix. Sans en faire cas, elle le mesura, long de 46 cm, observa ses oreilles alternes et coriaces, froissa ses cheveux ondulés et odorants puis le rendit à son géniteur.

-                      Il lui faudra du lait de Ficus Rumina… Je crois me rappeler qu’un texte d’Elzéard Rougier m’avait interpellé il y a de cela quelques années…, c’est dans un bulletin de la Société des excursionnistes marseillais. Attendez, je dois encore l’avoir.

Après s’être absentée quelques minutes, elle revient triomphale et dis son texte tel Rodrigue triomphant : « En redescendant de l’oppidum de Verduron, nous nous sommes frayés un chemin parmi les genêts coruscants et nous sommes reposés près du ruisseau qui avait accompagné notre descente. Il y avait là un majestueux figuier qui nous a gracieusement offert son ombre. Fait étrange, il coulait une sève blanche de son tronc lorsqu’on l’entailla pour y laisser une trace de notre passage. » Je n’ai pas été vérifier, peut- être n’est-ce pas un indice suffisant. Je ne suis pas une marcheuse et puis ses quartiers populaires m’effrayent un peu… Enfin voilà tout ce que je sais.

Fenby pris congé rapidement n’ayant plus à l’esprit qu’un bon baquet d’eau fumante.

En arrivant, il lava délicatement Eric puis il le posa emmitouflé dans des draps frais à l’abri dans une caisse de vin qui dormait depuis des lustres sous l’armoire. Enfin, il put voluptueusement se laisser aller dans l’eau. Il lui sembla retrouver son élément. Son corps muait lentement, languissant. Il massa son corps mais ne put se retrouver malgré ses efforts. Il restait déformé par sa récente paternité. Au sortir de l’eau, un peu déçu, il s’observa dans le miroir de l’entrée. Il était parfaitement asymétrique ! Son ventre était encore tout gonflé à droite et en forme de creux à gauche. Eric s’agita dans son sommeil émettant de petits grognements plaintifs. Il le prit contre lui et s’allongea sur le lit. Il faisait chaud mais le couvre-lit était frais. L’enfant se logea dans la cavité que formait le ventre de Fenby et s’y rendormit tout à fait. Fenby pris alors conscience qu’il n’avait fait qu’un pendant de long mois et que ce lien existait encore aujourd’hui. Il ferma les yeux, serein, se demandant sans appréhension s’il se réveillerait bientôt.

Mme Marcelle était quelqu’un de pragmatique, elle avait toujours su ce qu’elle pouvait attendre de la vie. Lacejambe et Fenby y étaient pourtant entrés ; le clown triste et l’Auguste. Ces figures originales et pittoresques la distrayaient, apparaissant et disparaissant de sa vie comme d’une scène de théâtre. Elle avait tissé un lien presque maternel avec Fenby toute cette dernière année et le voir dans cet état l’avait bouleversée.

Elle trottina en froissant ses jupons jusqu’à Notre Dame des Accoules. Celle-ci était fermée mais elle avait eu ses habitudes fut un temps avec le curé qui la confessait à toute heure. Elle entra donc par une porte dérobée et se rendit directement dans la crypte où elle savait pouvoir se recueillir et peut-être dormir. Elle avait besoin de plus que de recueillement. Elle s’accroupit au pied de la source qui jaillissait au-dessus d’une vasque moussue. Elle recueillit un peu d’eau fraîche sur ses doigts pour s’en humecter le front. Elle se lova autour du bassin arrondi et tel un chat faisant sa place mis un peu de temps à se sentir bien. Elle s’apprêtait à fermer les yeux. Mais un sentiment de sainte terreur s’emparant d’elle, elle étouffa un cri. Une femme se tenait droite et fière en face d’elle sans qu’elle eut pu dire depuis combien de temps. Elle était drapée dans une étole blanche luminescente. Persuadée qu’elle était face à une apparition de la Vierge elle se prosterna par réflexe.

-            Relève-toi !

-            Pourquoi, oh sainte femme, pourquoi-moi ?

-            Tu dois préserver les jumeaux. Un nouveau cycle a commencé, c’est à toi qu’il incombe de leur trouver un toit jusqu’à la première échéance.

-            Amen.

La femme avança sa main d’albâtre sur sa tête et l’effleura avec douceur.

-            Garde ton cœur vierge. Il n’y aura pas de place pour toi aux nues mais ta récompense viendra. Sache garder espoir et obéir. Revient me voir souvent. J’habite peu de lieux en cette ville mais cela changera et tu me reconnaîtras quand se hâtera le héros. Tu lui donneras ça quand il viendra te voir.

Garde-la en contact avec ta peau, elle en a besoin pour rester en vie.

Tremblante, elle mit ses mains en coupelle face à la déesse pour recevoir l’offrande. Celle-ci y déposa une sphère transparente incrustée d’une fleur ayant la forme d’une petite main. Sa couleur jaune pâle se teintait de vert tendre aux extrémités. Elle lui fit penser à une fleur exotique dont elle avait vu un dessin lors de la dernière exposition coloniale.

-            Qu’est-ce que c’est ?

Elle leva la tête vers l’apparition mais il n’y avait plus qu’un courant d’air hyperboréen émanant de l’orifice de la source. Son sang se glaça dans ses veines et lui bleuit les lèvres.Elle serra la bille dans sa main manquant déjà de sensation et sortie avant d’être totalement pétrifiée. Elle entendit le tintement de crics et de cracs provenant de l’eau de la source entrain de geler. Elle s’empêtra dans son jupon qu’elle avait oublié de relever, se releva prestement manquant de glisser sur les marches usée par le temps qui se couvraient hâtivement d’une couche de givre neigeuse. Quelques flocons s’échappèrent en bourrasque de l’ouverture de la crypte lorsqu’elle referma précipitamment la porte de celle- ci derrière elle. 

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