Version d'attente de Laocoon
Le cœur de Fenby bondit dans sa poitrine sous l’effet d’une bombe d’adrénaline. Quelqu’un tambourinait à la porte… Il n’était donc pas mort. Il eut le réflexe de se lever mais… Il était incapable de bouger. Même mouvoir ses paupières lui semblait impossible. Il avait déjà fait ce rêve quelque fois, il décida de prendre son mal en patience et attendre d’être réellement réveillé. Il y eut un craquement effroyable et puis un cri tonitruant. Que ce rêve était donc bruyant ! Il essaya de nouveau d’ouvrir les yeux. Deux personnes conversaient proche de lui : un homme et une femme… Mme Marcelle !
- Mais qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? J’me barre d’ici !
Enfoncer une porte, j’dis pas mais ça !
- Albert ?! Vous n’allez quand même pas avoir peur de quelques racines et quelques feuilles ?
- Mais c’est la forêt vierge ici ! En plus le macchabé sur le lit c’est pas net ! Et puis ça cocotte ici.
Fenby sentit un courant d’air printanier qui le fit frémir d’aise. En même temps que l’air, le soleil s’invita jusqu’au- dessus des genoux, lui procurant une douce léthargie dans laquelle il se laissa glisser de nouveau.
- Non ! Il respire, approchez-vous.
- Surement pas.
Mais qu’ils se taisent ces deux-là.
- Passez-moi votre opinel.
- Qui vous dit que j’en ai un ?
- Ne faites pas l’enfant !
On lui picorait les yeux. C’était très agréable cette sensation, comme la claque d’un bon barbier. Il ouvrit les yeux sur deux gros yeux fardés, ronds et plutôt exorbités à bien y regarder. Un grand type se précipita par derrière la damoiselle âgée pour la soutenir. - Ben c’est vous-même qui avez dit qu’il était vivant, faut pas vous étonner, qu’il ouvre les yeux ! Donnez, j’vais continuer l’ouvrage, on va le sortir de là votre bonhomme. L’élagage se poursuivit pendant une petite heure, le gars suait à grosses goûtes qui tombaient tantôt sur le plastron, tantôt sur le pantalon et s’insinuaient jusqu’à son épiderme par les centaines de petits trous qu’avait percé les racines à travers les vêtements. Quand Fenby pu bouger la tête, il constat piteusement qu’il ne mettrait plus jamais son magnifique costume à aucun mariage. Madame Marcelle était assise sur une chaise dans un coin pleurant silencieusement dans un mouchoir de Dame. Fenby ne savait pas quoi dire alors il ne dit rien.
Quand tout fut fini il tenta tout de même.
- Merci, je vous dois une fière chandelle à tous les deux. Albert se gratta le crâne manquant de faire tomber sa casquette.
- Pas de quoi. Z’avez quelque chose à boire dans votre tôle ?
C’est que j’ai donné de ma personne.
Fenby se leva un peu pataud pour faire du thé. Quand il se rendit compte de la manœuvre Albert fit la moue.
- C’est pas pour être mal poli mais j’bois pas d’eau chaude m’sieur.
Fenby essuya machinalement ses mains sur sa veste, un peu ennuyé.
- Je peux vous donner de quoi prendre un verre dans le troquet du coin de la rue ?
- C’est pas de refus ! J’rapporte un ballon pour m’dame Marcelle parce que vous lui avez fait une frayeur de tous les diables. Et vous, vous restez à l’eau chaude ?
- Mmh, je pense que ça ira merci.
Fenby sortit quelques billets d’une théière posée dans l’étagère et les lui tendit. Quand ils furent seuls, Madame Marcelle se leva et passa sa main doucement, craintivement sur le ventre de Fenby.
- Comment est-ce arrivé ?
- Plaît-il ?
- Vous attendez un enfant Fenby, ça bouge, là-dedans. Je suis faiseuse d’anges mais j’ai été sage-femme quelque fois… Il arrive à son terme.
Fenby fixa son ventre rebondi avec horreur. Sa bouche devint caoutchouteuse. Il appuya légèrement sur la surface bombée, il y eu une réponse de l’autre côté. Il aurait voulu paniquer, s’enfuir très loin mais l’irrationalité le cloua sur place. - Mais comment est-ce arrivé ?
- Comment voulez-vous que je le sache. Je me suis endormi, hier matin… et puis là… Moi qui pensais qu’aucune Saint Sylvestre ne pourrait surpasser celle de 1905 !
- Fenby ? Quand dites-vous vous être endormi ?
- Et bien hier ! Le premier janvier ! Enfin, vous allez me rendre fou.
- Cela fait des mois que je ne vous ai pas vu, je m’inquiétais… Nous sommes le 20 avril Fenby !
- Bubatis !
- Bubatis est chez moi. Le pauvre est arrivé… au mois de janvier, il traînait de l’arrière train le pauvre, il ne peut plus marcher. J’ai bien essayé de venir vous le rendre, mais il n’y avait jamais personne pour m’ouvrir en bas.
Fenby se pencha à la fenêtre, jaugeant l’exploit que le chien avait dû réaliser pour sauter par là. - Etes-vous gamin Fenby, la porte était ouverte, le chien n’a pas sauté par là.
- La porte ? Ouverte ? Et le fracas qui m’a réveillé ?
- La porte de la chambre était bloquée par toutes ces racines qui ont envahi la pièce. Sans Albert je ne vous aurais jamais sorti de là !
Albert arriva sur ces entre-faits avec au final une bouteille entière de rouge, trois verres, une miche de pain et un saucisson de bonne taille.
- J’m’suis dit que vous changeriez p’t’être d’avis. Ça m’a donné faim toute cette mascarade ! Allez l’homme plante, on trinque.