Avant qu'Henry ne revienne

Chapitre 2 : Price (prix, dans le sens de prix à payer)

780 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2022 15:42

1964

Il y avait des nuits où Joey était incapable de rester allongé dans l'obscurité et le silence. Les souvenirs, les échecs, les disparus étaient trop bruyants. Alors il se levait, mais ne s'approchait jamais de la machine ou de la porte. Il restait dans la salle de bain, à regarder anxieusement par-dessus son épaule au moindre bruit. Le jour n'arrivait jamais assez rapidement.

Il y avait de plus en plus de nuits comme cela.

La première avait été celle suivant le jour de l'invocation. Sur le moment, il ne s'était pas inquiété des conséquences de ce qu'il venait de faire, ni du prix qu'il avait dû payer. Mais la nuit... Il s'était tourné et retourné dans ses draps trempés de sueur sans pouvoir dormir. Le matin suivant, à la lumière rassurante du soleil, il avait eu honte de s'être laissé dominer par la peur. Il savait qu'il y avait un prix à payer, pour tout. Pour un sourire, pour de l'aide, pour avoir le meilleur. À combien de capricieuses avait-il dû offrir des choses qu'il ne pouvait pas se permettre, à combien de fils de pute avait-il dû faire du charme même s'il avait envie de les cogner, à combien de naïfs avait-il fait des promesses qu'il n'avait aucune intention de tenir? Oui, tout se payait et il n'avait pas été surpris quand le démon lui avait dit ce qu'il voulait. Il avait signé avec son sang, persuadé qu'il faisait une bonne affaire. Comment aurait-il pu sentir le manque de quelque chose qu'il ne voyait pas et qui ne lui se servait à rien ?

Mais malgré le contrat qu'ils avaient établis et l'ingéniosité de Connor, rien n'avait tourné comme il avait voulu.

Il était hors de question qu'il abandonne son rêve : il donnerait vie à ses personnages de cartoons. Personne ne l'avait fait, et lui, Joey Drew, deviendrait l'homme le plus connu de toute l'Amérique. Alors il était allé de plus en plus loin. Rien n'était trop cher pour réussir, rien n'avait suffisamment de valeur pour ne pas être sacrifié. Le démon restait silencieux, mais le Livre le guidait dans ses expériences et les quelques personnes qui l'assistaient étaient aussi passionnées et impitoyables que lui. Ils en arrivèrent à tuer. C'était affreux, oui, mais aussi étonnement facile. Et si utile qu'ils n'hésitèrent pas à recommencer.

Les nuits sans sommeil s'étaient multipliées.

Il savait que cela arriverait. Il avait beau être brave, il était humain. Bien sûr qu'il ressentait des remords et de la tristesse. Mais c'était le prix à payer. Il pensait qu'il arriverait toujours à ne pas se laisser dévorer par la culpabilité. Ce n'était pas son genre.

Mais le temps avait passé... Et l'enthousiasme des débuts s'était changé en acharnement désespéré. Il ne pouvait avoir fait tout ça en vain ! Il ne pouvait pas avoir payé si cher pour... Pour en arriver à perdre le Studio, sa réputation, son argent, sa place durement gagnée dans la société jusqu'à tous ses "amis" qui subitement ne décrochaient plus au téléphone et ne trouvaient plus le temps de rappeler. Peu importait ! Il continuerait, seul ou presque. Parce qu'il était plus coriace que ça. Mais surtout parce qu'il avait perdu le droit de tenter autre chose. Il ne pouvait pas. Il avait payé.

Aujourd'hui, il a plus de soixante ans et il sait qu'il n'y arrivera jamais. La vie quotidienne est morne, frustrante mais surtout douloureuse à cause du manque de sommeil. La vieillesse l'abîme. Il n'arrive plus à écarter ses peurs et les fantômes se font de plus en plus vindicatifs. Les nuits sont devenues terrifiantes, car il ne peut que penser à la mort, mais surtout à ce qui l'attend après. Curieusement, il lui arrive aussi d'oublier pourquoi il se sent si désespéré. Quand c'est le cas, il se lève, prêt a quitter cet endroit qu'il a en horreur maintenant pour recommencer ailleurs... Et puis son regard tombe sur le Livre. Il lui semble qu'il est dans chaque pièce qu'il traverse, comme un œil noir qui le surveillerai. Joey se rassoit, un peu plus voûté qu'avant, pour recommencer à attendre. Il ne peut qu'attendre, et espérer que sa dernière pirouette fonctionne.

Il avait cru ne donner que son âme pour assouvir son besoin d'être reconnu. Finalement, ça lui avait coûté son temps, son argent, son énergie et tous ses espoirs, mais aussi la chance de fonder une famille et de laisser quelque chose derrière lui. Et surtout... La paix.

C'était ça le vrai prix.


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