Avant qu'Henry ne revienne
Avant 1920
Il ne comprenait pas qu'on puisse perdre son temps - et son argent ! - dans ses stupidités. Comment des personnes comme Nathan et ses riches amis, qui avaient eu la chance de recevoir une éducation, pouvaient croire à ça ?
Joey avait beau s'ennuyer profondément depuis deux heures, il continuait à sourire et à annoner des phrases en latin, langue qu'il était le seul à ne pas comprendre, sans se plaindre. Pouvoir fréquenter Nathan Arch était à ce prix-là. Il savait la chance qu'il avait que le jeune homme se soit entiché de lui bien qu'il n'a ni fortune ni protecteur influent et qu'il ne fasse clairement pas partie de son monde. Alors il le suivait à toutes ses réunions secrètes en faisant mine d'être aussi passionné que lui, en espérant que cet "intérêt commun" pour les arts occultes débouche sur une véritable amitié.
Joey était aussi jeune qu'eux, mais il avait déjà des projets. Il avait la motivation, l'assurance inébranlable qu'il réussirait, et un don pour repérer le talent. Et surtout, il était prêt à tout. Il n'avait pas été dans de grandes écoles, loin de là, mais si la pauvreté lui avait appris quelque chose, c'est que tous les rêves, aussi beaux soient-ils, avaient besoin de financement.
Et c'était pour ça qu'il portait cette robe ridicule, dans cette cave glaciale, au lieu de s'amuser comme il l'aurait voulu. Il plissa les lèvres. Il fallait se mettre dans l'ambiance, n'est-ce pas ? Se donner des frissons sans rien risquer... Eux qui n'avaient jamais rien eu à redouter de pire que le refus de leur père pour un de leurs caprices. Il s'empêcha de laisser apparaître sur son visage le mépris que ces coqs gras et blancs lui inspiraient, assis en cercle autour de lui. L'incantation touchait enfin à sa fin, il pourrait s'en aller bientôt. Et bien sûr, il ne se passa rien. Il écouta distraitement les débats qui s'élevèrent autour de lui, parlant d'offrandes insuffisantes, ou de directives pas assez claires. L'un d'eux avança qu'ils auraient dû scander un nom précis, au lieu de lancer un appel vague dans la dimension démoniaque. Joey retint un ricanement. Mais bien sûr. Comme si l'enfer existait vraiment. La vie pouvait être suffisamment horrible sans avoir besoin de s'inventer un au-delà, et il n'était plus un enfant pour avoir besoin de croire que ceux qui lui faisaient du mal paieraient ensuite. Personne ne serait puni, personne ne le sauverait. Alors pourquoi s'encombrer de morale pour obtenir ce que l'on voulait ? Il avait déjà compris que pour avoir ce qu'il méritait, il devait s'inspirer des pires et ne pas hésiter à se salir.
Il sursauta quand Nathan lui posa la main sur l'épaule. Les autres le regardaient tous. Le jeune homme lui tendait un livre, fin et noir, à la couverture étonnement sobre. Il le prit et l'examina poliment, puis releva la tête avec un regard interrogateur.
- J'ai vu combien tu prenais plaisir à nos réunions, Drew. C'est assez inhabituel pour un pl... Pour un jeune homme comme toi, alors la fraternité et moi avons décidé de te récompenser. C'est un manuel d'invocation très simple, à ta portée. Tu pourras ainsi augmenter tes connaissances dans l'occulte, et être d'autant plus utile à tes frères.
C'était offert avec tellement de condescendance que Joey eut envie de lui jeter le livre à la figure plutôt que de l'accepter. À la place, il hocha la tête et remercia tout le monde, en se promettant de le foutre la poubelle dès qu'il le pourrait.
Pourtant, le livre était toujours dans sa main quand il rentra chez lui. Il le laissa sur sa table de nuit en se disant qu'il s'en débarrasserait le lendemain. Mais sans vraiment savoir pourquoi il se retrouva à le ranger sur son étagère, parmi tous les livres qu'il avait laborieusement achetés. Et le livre resta avec lui, résistant à ses fréquents déménagements et au manque d'argent. Il ne pouvait passer devant sans avoir envie de le jeter et de le prendre pour le faire. Mais il n'achevait jamais son geste, bizarrement.
Quinze ans plus tard, il l'avait toujours.
Petite précision : je n'ai lu aucun livre et j'ai juste utilisé le premier jeu, BendiWiki et mon imagination pour ces histoires. Il faut savoir aussi que chaque texte a été écrit en moins de deux heures, a raison d'un texte par jour tous les jours ou tous les deux jours sur un mois et demi ( challenge oblige), ils sont donc moins aboutis que ce que je fais habituellement ;)
Pour plus de clarté, j'ai daté les textes.
-> les périodes principales :
Avant 1920 : jeunesse de Joey
1929 - 1939 : ouverture du Studio, départ d'Henri en 1930, production "normale" de cartoons et de bandes-dessinées.
1940 - 1959 : essais avec l'encre, production de la machine à encre et déclin du Studio jusqu'à sa banqueroute, puis sa fermeture.
1960 - 1963 : Joey a encore de l'espoir et continue ses expériences.
1964: il sait qu'il ne sera jamais célèbre et il veut juste sauver sa peau.