Ce qu'ils méritent

Chapitre 6 : 6 - Des révélations incontournables

7242 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/03/2022 21:13

Alors que je ruminais ce qu'il venait de se passer, Sammy trouva un moyen très efficace pour me sortir de mes pensées effrayantes.

Il se réveilla en sursaut et se mit à hurler comme un damné.

Bendy eut si peur qu'il trébucha et alla percuter lourdement sur le mur à sa gauche pour s'écraser ensuite par terre. Sammy tomba près de lui sans arrêter de crier. Je me suis retourné précipitamment et j'ai rejoint Ben, qui s'était relevé et secouait frénétiquement l'ex-musicien par l'épaule, les yeux agrandis par la peur.

- Qu'est-ce que tu as ? Bon sang, Sammy, qu'est-ce qu'il y a ?

Mais il ne s'arrêta de hurler qu'une seconde à peine, le temps d'avaler précipitamment une goulée d'air, les mains plaquées sur son visage. Bendy et moi avions beau l'appeler, tenter de le consoler ou le remuer comme un prunier, il ne réagissait pas. J'ai fini par relever la tête. Il n'y a rien dans le couloir, ni devant, ni derrière. Je ne pense pas qu'il a vu quoi que ce soit qui puisse lui faire peur à ce point. Mais plus les secondes passaient et plus le risque que quelque chose ne l'entende se transformait en certitude. Nous n'avions pas le temps de le calmer. J'ai fait signe à Bendy de le reprendre dans ses bras. Nous devions continuer et rejoindre la sécurité des Archives au plus vite. Heureusement, Sammy ne s'est pas débattu quand mon petit diable s'est penché sur lui. Il a seulement continué à s'époumoner comme s'il n'était plus capable que de ça.

Je suis passé devant eux en repoussant le sac dans mon dos et en agrippant plus fermement la hache. Et nous avons repris la marche.

À peine une minute plus tard, une horde de chercheurs gémissants a jailli des flaques noires qui nous cernaient. Ni la vue de leur prophète en pleine crise ni celle de leur star parfaitement formée ne les a incités à nous éviter.

Je l'espérais. Un petit peu. Les dents serrées, j'ai dû les combattre en regrettant chaque coup de hache. Je sais que je ne les tue pas. Pas vraiment. Mais je n'aime pas l'idée de blesser des personnes, même sur un court moment, même si elles ressemblent maintenant à des tas de gelée sans cervelle.

Je n'ai jamais été un bon soldat.

Quand c'est fini, je suis éclaboussé de noir des pieds à la tête. Et Sammy crie encore. Alors je hurle moi aussi à Bendy, par-dessus sa voix qui commence à s'érailler :

- Cours !

Et nous dévalons les couloirs aussi vite que possible. Les muscles de mes jambes et de mes bras me brûlent, le sac est comme rempli de pierres. Même la hache devient plus lourde à chaque pas. Mais je ne peux pas ralentir. Je les vois derrière nous à chaque fois que je tourne la tête.

J'en vois de plus en plus.

Les cris de Sammy se transforment petit à petit en sanglots déchirants. Ben s'exclame soudain d'une voix trop aiguë.

- Henry, je n'arrive plus à le tenir ! Il bouge trop.

Je m'arrête brusquement, m'écrasant à moitié contre une porte. Je jette la hache et me retourne, pour voir Bendy bien trop en arrière, luttant à chaque pas pour retenir Lawrence qui pleure en se tordant dans ses bras. Dans l'obscurité derrière lui, je ne les vois pas, mais il me semble entendre déjà le raclement de membres maladroits sur le bois. Ils sont en danger. Sammy est si loin dans sa douleur qu'il semble avoir tout oublié. Je cours vers eux et sans retenir mon geste, je gifle l'ex-musicien si fort que le bruit éclate étrangement dans le couloir. Il se tait d'un coup et lève vers moi ses orbites noyées de larmes noires.

- Je suis désolé, Lawrence, mais si tu continues comme ça, tu vas tous nous faire tuer. Arrête de te débattre.

Je scrute les ténèbres derrière mon Bendy en plissant les yeux. Un courant d'air désagréable souffle sur mon front et mes épaules couvertes de sueur. Il règne ici un froid humide, comme dans les caves et les grottes. Je frissonne en reportant mon attention sur eux. Sammy ne bouge plus, bouche close et yeux baissés. Ben a l'air d'être secoué. Il dégouline de partout et ses bras maigres tremblent. Je lève la tête vers lui.

- Ça va, mon doux ? Tu vas tenir ?

- Ouais. Mais pas toute la journée. On y va ?

J'opine, jetant de nouveau un coup d'œil en arrière. Les contours d'un corps tordu se dessinent dans l'angle du couloir. Je fais signe à Ben de passer devant. Immédiatement après, je me remets difficilement à courir, ramassant la hache au passage et en remerciant brièvement toutes les divinités du monde ca les créatures du Studio ne se déplacent pas bien vite. Même un vieil homme fatigué comme moi parvint à les reste du trajet se passe dans un brouillard fait de gestes de défense automatiques, d'ombres mouvantes et de bruits sourds. Mais nous y arrivons avant que je ne sois plus capable de lever ma hache. Et quand la lourde porte se referme derrière nous, amputant au passage une pauvre réplique d'Edgard de son bras en bois, nous nous effondrons tous.

Avachi contre la porte, je tourne la tête pour voir Bendy. Il a retrouvé sa petite taille et est allongé par terre. Il reprend son souffle. Sammy est assis plus loin, les bras autour des genoux. Il ne pleure plus, mais tremble dans la semi-pénombre de la grande salle qui précède les archives.

Nous sommes en sécurité pour le moment.

Mon regard revient sur Lawrence et la colère m'envahit. J'avale en quelques pas la distance qui me sépare de l'ex-musicien et je l'attrape sans ménagement par une bretelle pour le faire lever.

- Qu'est-ce qui c'est passé ? Je lui crie au visage en parvenant de justesse à rester poli, en le secouant par sa salopette.

- Je... Je ne s...

Il me dépasse d'une demi-tête et me rend bien quinze kilos de muscles, et pourtant, il commence à bafouiller. Je me rends compte qu'il est encore secoué et je baisse le ton.

- Je ne te garderai pas avec nous si tu représentes un tel un danger, Lawrence, je le préviens d'un ton cassant en le lâchant. Tu as intérêt à m'expliquer clairement pourquoi tu nous as mis dans la merde comme ç s'est relevé et m'a rejoint en trottinant. Je sens soudain son poids sur mon dos, alors qu'il grippe sur moi. Il entoure mon cou de ses bras et met son menton sur mon épaule, sa joue posée sur la mienne. Son contact m'aide à chasser les restes de ma colère.

Je relève alors ce qui me titillait l'esprit depuis notre cavalcade jusqu'aux archives : Sammy a perdu son masque dans l'encre. Je peux clairement voir les ravages de la corruption sur son visage pour la première fois. Il n'est que pommettes saillantes, menton pointu et orbites vides. Il ne lui reste qu'à peine l'ébauche d'un nez et il n'a pas de bouche à proprement parler. On dirait un crâne recouvert d'un tissu noir.

Le souvenir du jeune homme aux traits fins et la queue-de-cheval blonde que je croisais parfois dans les couloirs me frappe comme un coup de poing.

- Dans l'escalier, la Voix... réponds Sammy me ramenant au présent. Elle s'est mise à hurler dans ma tête et plus rien n'existait. Elle m'a forcé à me jeter dans l'encre. Jamais je n'aurais sauté dedans de moi-même, j'ai... Ça me terrifie.

Oui, je me doutais bien qu'il s'était passé quelque chose comme ça. C'est une preuve supplémentaire de l'influence que peut avoir la Voix, et sa force me donne des sueurs froides.

- Et après ? Tes hurlements ont attiré vers nous la moitié du Studio !

Il se défait devant moi, baissant la tête, la bouche tordue et les mains tremblantes.

- Elle... Elle m'a relâché. Je ne La sens plus en moi. Mais quand Elle est partie... Elle a arrêté de déformer ma réalité et mes souvenirs.

Il croise les bras et les plaque contre lui.

- Je me souviens de tout ce que j'ai fait.

Il se remet à trembler violemment.

- J'ai trahi et...J'ai tué ceux que la Voix me désignait. J'ai fait des choses dans le noir, des choses... Mon équipe... Tous mes musiciens, un par un, je... Jack. Et les autres. Il y a en dont je ne connais même pas le nom. D'autres qui ne sont que des corps, je ne me souviens même plus de leurs visages...

Je tends la main pour lui serrer le bras, mais il recule en secouant la tête.

- Je n'ai droit à aucune pitié, M. Stein.

Il commence à se détourner de nous.

- Ce n'était pas ta faute.

La voix de mon petit diable parvient à le retenir. J'imagine qu'après toutes ses années à l'adorer, Sammy ne peut pas s'empêcher de continuer à lui obéir un peu. Bendy se laisse tomber de mon épaule et le rejoints. Je le laisse faire, car je sens son envie de le réconforter. Je me dis qu'il se sentira mieux lui-même s'il parvient à aider quelqu'un d'autre à porter ce fardeau.

Mais un vertige me fait vaciller d'un seul coup et je met ma main devant mes yeux. Mon rythme cardiaque est trop rapide depuis un moment sans que je ne l'ai remarqué. Mais maintenant, je sens une mauvaise faiblesse faire trembler mes jambes. Ma blessure commence à pulser de douleur au rythme de mes battements de coeur. Je n'arrive pas à parler, ni à entendre ce qu'ils se disent alors qu'ils sont a peine à un mètre de moi. Merde! Ce n'est vraiment pas le moment de m'évanouir. Je ne peux pas laisser Ben seul... Je dois l'aid...

Je m'effondre en avant comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.


Je me réveille en sursaut et me redresse immédiatement. Quelque chose ne va pas. Je me relève aussi vite que possible en titubant. La pièce est vide et la peur m'envahit. Que s'est-il passé pendant que j'étais inconscient ? Je vais pour appeler Bendy quand une voix résonne de l'autre côté de la porte.

- Ouvre-moi !

Cette voix, je ne l'ai pas entendue depuis des années. Mes mains tremblent quand je les pose sur le battant de fer, mais je n'hésite pas une seconde malgré le danger. La porte s'ouvre lentement. Et derrière, il y a...

- Linda.

Ma femme. L'air fatigué, échevelée et couverte d'un mélange répugnant d'encre et de poussière.

Ma femme.

Mon trésor, ma lumière, la moitié de mon coeur. Elle se jette dans mes bras et je la serre à l'étouffer. Je respire l'odeur de ses cheveux profondément. Mes doigts, mon corps tout entier la reconnaît. Je sens les larmes inonder mon visage, que j'enfouis dans son cou avec reconnaissance.

-Oh mon dieu, merci. Merci infiniment. Merci, merci, merci...

Elle pleure aussi contre moi. Je lui caresse doucement la tête pour l'apaiser, comme je l'ai fait tant de fois. Nous restons longtemps comme cela, sans penser, sans parler ou vouloir faire quoi que ce soit. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureux depuis que je suis dans cet enfer.

Je rouvre les yeux pour scruter anxieusement les ténèbres qui noient le couloir derrière elle. L'obscurité semble me rendre mon regard. Je frissonne, saisi jusqu'au cœur par l'angoisse. Doucement, je me détache d'elle alors que ses bras me retiennent encore et je la tire à l'intérieur. La porte claque, le bruit semble disproportionné dans le silence total qui nous entoure. Mais je ne suis capable que de la manger avidement des yeux. J'étais certain de ne jamais la revoir... Et elle est devant moi.

- Comment..?

Linda cesse de sourire. C'est comme si toute la lumière se retirait de son visage.

- Tu as disparu pendant des semaines. Je suis allée voir M. Drew, puisque tu étais parti chez lui. Il m'as dit que tu étais ici. Je suis entrée dans son Studio en ruines pour te chercher et...

L'obscurité grandit autour d'elle.

- Au deuxième étage, j'ai été poursuivie par des monstres. Je crois que... Je crois qu'ils m'ont coincée dans un bureau...

Les ombres s'étendent sur elle et gomment les couleurs de sa peau. Seule celle de sa bouche reste éclatante. Rouge.

Trop rouge.

- Après... Ils m'ont dévorée vivante.

Alors qu'elle prononce ces mots, son corps se dégrade devant moi. C'est un cadavre qui me regarde à présent, les os rongés, les tripes pendantes, noires et gluantes sous les rares lambeaux de vêtements qui les retiennent encore.

- Pourquoi es-tu parti ? demande-t-elle, la voix étonnamment claire malgré sa gorge arrachée. Tu m'as laissée. Tu nous as tous laissés derrière toi. Pourquoi ? Pour faire la paix trente ans trop tard avec un homme qui ne t'as jamais aimé ?

À chaque mot, elle fait un pas vers moi. Mais je n'ai pas peur. Je ne suis pas dégoûté. Je ne ressens qu'une immense tristesse, un sentiment si lourd que je ne peux ni bouger ni respirer. Sa mâchoire se décroche et lui tombe sur la poitrine. Je sais qu'elle va me dévorer aussi. Je ne bouge pas. Je le mérite. Mais avant qu'elle ne parvienne jusqu'à moi pour me mordre, elle bascule en avant et se transforme soudain en une vague d'encre. L'encre devient un vrai mur de ténèbres qui fond sur moi. Je m'y noie.

Et tout disparaît.


- ... Ry? Henry? Bordel de merde, tu vas te réveiller, oui ? HENRY !

On me secoue. Il y a de la peur dans la voix perçante qui me hurle des gros mots aux oreilles. Je veux lui dire que tout va bien et qu'il peut arrêter de me remuer dans tous les sens, mais je n'arrive qu'à grogner piteusement.

- Sammy ! Il revient à lui ! Ça y est !

Bendy me secoue encore plus vigoureusement. Je lève une main pour la poser sur son gant et le dissuader de continuer. Sans succès. Heureusement pour moi, Sammy intervient doucement.

- Je pense que vous pouvez arrêter, maintenant. Il est réveillé.

J'ouvre les yeux pour confirmer et Ben me repose enfin par terre. Le monde cesse de tressauter, mon estomac sensible avec lui. J'arrive à réfléchir. Pourquoi ont-ils l'air si préoccupés ?J'ai la bouche tellement pâteuse que je ne parviens qu'à bafouiller :

- Quessquiyia?

C'est Ben, toujours penché sur moi, qui me réponds.

-Tu t'es écroulé par terre. On n'a pas réussi à te réveiller jusqu'à maintenant.

-Oh.. Je suis... Je suis resté inconscient combien de temps ?

Sammy prends la parole.

-Une heure, une heure et demie peut-être. Vous êtes très pâle. Ce devait être l'épuisement.

Je n'en crois pas un mot, et lui non plus visiblement. Mais Bendy a retrouvé le sourire et je peux sentir son soulagement. J'en remercie mentalement l'ex-musicien.

- Pourriez-vous regarder dans la pièce voisine et lui ramener de l'eau, s'il vous plaît ?Je suis presque sûr qu'il y a une tasse en fer dans les toilettes.

-Oui, j'y vais !

Mon petit diable bondit sur ses pieds et fonce en direction de la porte au fond de la pièce.

Presque aussitôt, Sammy se penche vers moi et me chuchote d'une voix pressante :

- Comment avez-vous été empoisonné ?

Son regard vide est étonnamment impérieux.

- Je me suis blessé à la jambe gauche. L'encre a pénétré dedans quand l'artère a été sectionnée.

Il a beau n'avoir plus que de vagues traits sur son pauvre visage, je peux y voir passer de l'inquiétude.

- C'est mauvais. La corruption sera plus rapide que si vous aviez été seulement touché par l'encre. Il faudra me laisser regarder.

Une idée me traverse l'esprit.

- Est-ce j'éviterai de devenir un Chercheur si je coupe la jambe infectée ?

Sammy prend quelques secondes avant de répondre. Un moment terrible pour moi, pendant lequel j'oscille entre l'espoir et la peur. Mais il soupire et répond lentement :

- Non. D'autres ont essayés et n'ont pas été sauvés pour autant.

Je suis toujours allongé et je ne bouge pas, mais j'ai pourtant l'impression de tomber au fond d'un trou. Je ferme les yeux. Je l'entends de très loin me dire :

- Désolé.

J'ai envie de lui dire qu'il n'y est pour rien. Je n'arrive qu'à secouer vaguement la tête. Il vaut mieux changer de sujet si je veux éviter de paniquer devant lui. Et en parlant de crise...

- Tu... Ça va mieux ? Je demande gauchement.

Il a l'air d'abord surpris, puis je le vois se verrouiller comme un coffre-fort.

- Oui. Ça ne se reproduira plus.

- Ce n'est pas ce que je voulais savoir, je lui réponds d'un ton aussi compréhensif que possible.

Mais j'entends Bendy revenir à toutes jambes et je suis forcé de laisser là ce sujet. Je me redresse sur un coude et l'accueille d'un petit mouvement de menton. Il a entre les mains une tasse en fer, remplie d'une eau maronnasse qu'il me tend si vivement qu'une bonne partie saute sur ma chemise.

Bah. Je suis tellement imbibé d'encre, de crasse et de sueur qu'un peu d'eau ne peux me faire que du bien. Même si elle est probablement aussi sale que moi.

- Merci, dis-je en la prenant.

Je sens irradier son plaisir de me voir mieux. C'est si vif que cela m'aide à lui sourire. Et à prendre courageusement une gorgée. Elle est infecte, mais l'eau est tellement rare ici que je ne dis rien et je finis ma tasse.

En relevant la tête, je les vois qui me dévisagent. Bendy a l'air simplement heureux. Mais Sammy, lui, semble chercher sur moi les traces de ce qui me ronge. L'inquiétude qu'il dégage me serre la gorge. Je me force à me lever. J'ai envie de passer à autre chose. Non. J'en ai besoin.

Je fais nerveusement quelques pas en massant mon bras droit. La blessure de ma jambe me lance à chaque pas, mais je fais comme si de rien. Je ne veux pas les inquiéter davantage. Et c'est supportable. Parcourant la pièce du regard, j'essaye de repérer ce qui pourrait nous n'ai pas vraiment eu le temps d'envisager notre séjour ici. Je crois que je n'ai même pas expliqué à Sammy et Bendy ce que nous venions y faire. Mais nous allons certainement rester quelque temps. Mais pas dans cette pièce. Elle est trop sombre, trop encombrée... Et je ne veux pas rester plus longtemps près de la porte d'entrée.

- Sammy, Bendy. Venez m'aider. Je veux déplacer l'estrade. On va condamner la porte avec.

- Pourquoi ? demande Ben en levant des yeux curieux vers moi .

- Nous allons rester ici pour chercher des informations. Je pense... Enfin, j'espère ! Que Joey a laissé des traces écrites de ce qu'il a fait. Je ne demande pas un journal détaillé, mais des documents, des résumés de recherches, des titres de bouquins... Tout ce qui pourrait nous aider à comprendre.

Sammy se fige alors qu'il avançait déjà vers l'estrade et la gigantesque statue de Bendy.

- Vous croyez vraiment trouver quelque chose ici ?

Je hausse les épaules.

- C'est le seul endroit que je n'ai pas exploré à fond et il est plein de livres et de rapports.

Mais je me souviens soudainement qu'il est là depuis presque vingt ans et ma confiance vacille.

-Tu l'as fait, toi ?

Il se retourne.

- Non. J'étais déjà sous l'emprise de la Voix quand j'ai été enfermé dans le Studio, continue-t-il d'une voix amère. Je n'ai rien fait de vraiment "logique" pour m'en sortir. Elle ne me laissait pas assez de conscience pour ça.

Je remarque une chose, aiguillonné par la franchise de son aveu.

Sammy n'est plus le même depuis que je l'ai sorti de l'encre. Il a l'air davantage sain d'esprit. Je décide de rester sur mes gardes, car je trouve ce revirement bien rapide. Je ne peux pas avoir confiance en lui tout de suite. Mais je n'oublie pas non plus ses hurlements de souffrance dans le couloir.

- D'accord, me relance Bendy en nous rejoignant de l'autre côté de l'estrade. Mais pourquoi condamner la porte ?

Il a grandi brusquement comme si une main invisible l'avait saisi par la tête et l'avait tiré vers le haut. Il fait maintenant près de deux mètres et nous surplombe, son éternel sourire légèrement teinté d'auto-satisfaction.

- Parce que je veux que cet endroit soit sûr. La deuxième issue donne sur une espèce de gouffre. Mais celle-là s'ouvre et se ferme de l'autre côté. Alors autant s'assurer que rien ne puisse entrer par-là.

Pendant que nous parlons, Sammy a jeté les projecteurs par terre. Je le vois du coin de l'œil essayer de faire basculer la statue de Bendy en s'arc-boutant contre elle de toutes ses forces. Avec un soupir, je fais signe à Ben de monter avec moi pour aider l'ex-musicien à nous débarrasser de ce poids supplémentaire. Mais nous entendons soudain une exclamation étouffée, qui ressemble beaucoup à "Putain!", et tournons la tête juste à temps pour voir Sammy et la statue basculer par-dessus le bord de l'estrade.

Bendy ricane et j'ai du mal à ne pas l'imiter. Quand nous le rejoignons, c'est pour le trouver empêtré dans des débris noirs et l'air furieux.

- Cette saloperie était en carton ! nous jette-t-il hargneusement comme si c'était nous qui l'avions fabriquée.

Je lui tends la main pour le relever. Après un instant d'hésitation, il s'en saisit et se redresse en me lâchant dès qu'il le peut. Il balaie ensuite son pantalon du plat de la main en évitant de nous regarder. Et particulièrement Bendy. Dans son attitude, je reconnais un peu l'homme brusque mais attaché aux bonnes manières dont je me souvenais.

- Excusez-moi. Mes mots ont dépassé ma pensée, finit-il par lâcher d'un ton gêné.

Ben rit, un petit éclat joyeux beau comme un chant d'oiseau dans cette pénombre oppressante.

- T'en fait pas. J'aurais fait pareil.

- Ce n'est pas ce que je voulais...

- Arrête, le coupe gentiment Bendy. T'as le droit de dire ce que tu veux, tu te souviens ?

Sur le visage de Sammy, je peux lire toute sa reconnaissance pour ces simples mots... Mais plus cette admiration sans bornes dont il débordait auparavant. Il hoche simplement la tête et pendant un instant, il a l'air de vouloir rajouter quelque chose, mais y descendons donc et nous mettons les uns à côté des autres pour pousser l'estrade. Les tapis lourds de poussières nous gênent dans notre progression et le bois hérissé d'échardes est une horreur à saisir. Je suis évidemment le seul à peiner, Sammy ne souffle même pas et Ben pousse cela comme si de rien. Alors j'essaye de ne pas grogner ou gémir quand mes bras se mettent à trembler de fatigue. Nous parvenons quand même à bloquer l'entrée. Mais il reste de l'espace, car la porte d'entrée est au fond d'un petit renfoncement. Je me rends compte avec un pincement au cœur que mon idée est bien moins protectrice que prévue.

Nous allons devoir rester vigilant.

Je leur demande d'empiler sur l'estrade tout ce qu'ils peuvent pour faire du poids, alors que j'arrache les rideaux des murs. Ça nous permettra de nous mettre à l'aise autant que possible. Sammy ramasse également deux tapis et Ben, les bras aussi larges que des paniers, rafle tous les livres qu'il reste sur les étagères. Je les entraîne ensuite dans la pièce ronde des Archives elles-mêmes.

La soudaine lumière vive du plafonnier est un bonheur. Ben laisse tomber ses livres en pluie sur - mais surtout à côté - de la table au centre et reprends sa taille normale avec un "pop!" retentissant. Je jette les rideaux qui m'encombrent près de l'entrée et Sammy fait la même chose avec les tapis.

Le corps lourd, je me mets sans y penser à arranger une sorte de lit en posant un des rideaux sur le tapis le plus é commence a sentir le contrecoup de tout ce que j'ai fait ses dernières heures et j'ai horriblement besoin de m'y allonger. Mais j'essaye de résister. Je pourrais cauchemarder à nouveau et rien que l'idée me terrifie. Celui avec Linda... Ne ressemblait pas à un rêve. Même éveillé, je dois lutter pour me convaincre que ce n'est pas réellement arrivé. Alors je farfouille dans le sac pour prendre une boite de soupe. Je leur propose de partager, mais Sammy refuse poliment alors que Ben lâche un "berk!" que je comprends que trop bien. Si je n'y étais pas forcé, je n'y toucherais pas non plus. Je crois que je pourrais tout faire pour pouvoir manger une mandarine... Ou n'importe quoi d'autre, du moment que ce n'est pas fait avec du bacon.

Je soupire et avale en grimaçant. Mais la nourriture ne me requinque pas, au contraire, et je n'arrive bientôt plus à garder les yeux ouverts. J'aurais voulu commencer à faire des recherches ou ne serait-ce que nous organiser un minimum, mais je vais devoir laisser cela pour plus tard. J'appelle Bendy. Quand il est près de moi, je l'attire doucement contre mon épaule pour pouvoir lui parler à l'oreille... Enfin, là où elle serait s'il en avait.

- Je vais dormir, mon doux. Je te fais confiance pour surveiller que tout se passe bien ?

Il chuchote aussi avec un ton de conspirateur.

- Oui, ne t'inquiète pas.

Je lui serre brièvement le bras puis je m'allonge, trop fatigué pour m'assurer qu'il a réellement compris ce que je voulais dire. De toute façon, si l'ex-musicien avait voulu faire quoi que ce soit contre nous, il aurait profité de mon évanouissement. Sans compter que Bendy est loin d'être aussi vulnérable que sa jolie apparence laisse à penser, alors... J'imagine que ça ira.

Bendy s'assoit près de moi et se met à fixer Sammy, qui s'est installé au bureau et a déjà ouvert un livre. Je me détends un peu.

Je ne sais pas comment nous allons faire pour la suite, ni Sammy est toujours une menace. Mais la plus angoissante des idées est incapable de me tenir éveillé. Je m'endors comme une masse quelques minutes après avoir fermé les yeux, bercé par le bruit des pages que l'on tourne.


Je me réveille par moi-même après un sommeil heureusement sans rêves. Bendy et Sammy n'ont pas bougés, même si je vois que mon petit diable accueille mon réveil avec soulagement.

- Super. Il n'est rien arrivé d'intéressant. Sam lit et ne moufte pas depuis deux heures. Qu'est-ce ce que j'me suis embêté ! me répondit-il quand je lui demande ce qui s'est passé.

Je lui souris.

- C'est bien. Allez, encore quelques minutes, je dois aller aux W.C.

Comme nous avons le luxe d'avoir un point d'eau ici, je vais me faire un plaisir de me nettoyer aussi bien qu'il est possible sans salle de bain, sans savon et sans serviette.

- Oh non Henry ! J'en ai marre, moi ! Et je suis super fatigué, ronchonne-t-il en me prenant le bras. Reste !

- Je dois y aller, Ben. J'ai vraiment besoin de me laver.

Sammy intervint d'une voix calme.

- Vous n'avez qu'à m'attacher sur la chaise. Il faut seulement me laisser une main libre pour que je puisse continuer à tourner les pages.

Ben et moi nous tournons vers lui.

- Tu es sûr ?

- Puisque je vous le propose. Mon seign... Hum. Bendy a besoin de se reposer.

Je note la rectification et le " Merci, Sam !" enjoué de Ben. J'ai l'impression que quelques petites choses ont changées entre eux quand j'étais dans les vapes.

- Bon.

Je me lève en regardant autour de moi pour trouver de quoi l'attacher. Et puis je me rappelle ces grosses cordes avec lesquelles les rideaux se nouent et je vais rapidement en chercher deux. Je les accroche à la chaise sur laquelle Sammy est toujours assis et les fait passer plusieurs fois autour de ses jambes et de son torse. Je termine en lui attachant les coudes sur les accoudoirs en bois, puis lui pose - à sa demande - le livre sur les genoux. Il me remercie d'un signe de tête et reprend sa lecture comme si de rien n'était. Je n'aime vraiment pas devoir faire ça. Je regarde Ben s'installer, puis je le quitte avec une dernière caresse et passe derrière Sammy attablé devant son livre pour me diriger vers les WC. J'ai pris le sac avec moi. Une fois la porte refermée, je roule mes manches sur mes avant-bras, range mes lunettes dans ma poche de poitrine et m'asperge le visage. La fraîcheur de l'eau sur ma peau est un petit réconfort.

Ici aussi, le miroir est cassé. Une des deux vasques est brisée, son robinet arraché pend pitoyablement alors qu'un peu d'eau continue à s'en échapper, faisant grossir goutte après goutte une flaque brillante sur le sol. Il y a plusieurs W.C. séparés par des portes en bois contre le mur opposé. Deux seulement ont l'air de fonctionner. Je m'enferme dans celui de gauche. Le fait de me rincer la figure m'as fait penser à quelque chose. La gorge nouée, je commence à déboutonner ma chemise. J'enlève aussi mon maillot de corps et mon pantalon, que je jette en travers de la cloison de séparation. Mes vêtements sont plein d'encre...

Et je me rends compte que ma peau aussi.

Je me regarde sans parvenir à y croire, les mains tendues devant moi. Toutes les parties de mon corps aillant été en contact avec l'encre sont devenues grises. Seul mon visage, mon cou et mon épaule gauche sont épargnés. Mon cœur s'accélère douloureusement. Je savais que je prenais le risque d'être corrompu plus vite en sauvant Sammy, mais anticiper quelque chose dans l'urgence et en voir effectivement les marques sur son corps sont deux choses différentes.

Je sens monter une bouffée de panique glacée alors que je me met à trembler. Je n'arrive plus à contrôler ma peur et je dois me mordre les lèvres pour ne pas gémir.

Je dois me reprendre. Je dois...

Tout ce qui s'est passé me balaie et je tombe à genoux, me recroquevillant contre la porte des toilettes. Je respire trop fort, tremblant, le poing plaqué sur la bouche pour qu'ils ne m'entendent pas. Je sais que je dois être fort pour eux et que Bendy va être impacté par ma détresse. Je le sais.

Mais je revois Linda se décomposer devant mes yeux.

J'entends de nouveau hurler Sammy comme si tous ceux qui souffrent ici s'étaient incarnés dans sa ne peux plus penser qu'à l'encre dans mon corps, à la peur de devenir comme ceux qui errent ici et de finir emprisonné avec eux.

Je me laisse sombrer un moment, incapable de me raccrocher à quoi que ce soit.

Et puis tout cela ce calme, plus rapidement que les autres fois. Merci mon Dieu. Je me relève lentement, avec l'impression d'avoir été rincé. La peur est toujours là. La souffrance morale aussi. Elles ne me quitteront plus tant que je resterai ici. Mais je ne peux ni y échapper, ni y succomber. Je suis obligé de faire avec.

Ça va aller.

Il le faut.

Je ne regarde pas la blessure de ma jambe, dont j'ai fait tomber le bandage en me déshabillant et qui recommence à me lancer sournoisement.

Je ne pourrais pas supporter une nouvelle manifestation de ma corruption.

J'enjambe mes chaussures et je ressors des toilettes pour tenter de me laver. Mais sans surprise, ma peau reste teintée même avec plusieurs rinçages vigoureux.

Si je ne m'effondre pas de nouveau, englouti par la peur, c'est uniquement parce que je sais qu'ils doivent m'attendre dans les Archives. Alors je m'oblige à respirer profondément plusieurs fois en évitant absolument de réfléchir. Mes mains sont serrées sur la céramique de l'évier à en avoir mal et je ferme les yeux pour chercher davantage de je le peux enfin, je vais récupérer la sacoche de Sammy que j'ai posé près de l'entrée. J'y plonge la main pour prendre le costume bleu roulé en boule au fond. Je ne trouve finalement qu'un pantalon et une chemise trop grands qui sentent la poussière, mais ce sera mieux que de devoir remettre mon propre costume plein d'encre. Je les enfile rapidement. Habillé, la couleur maladive de ma peau saute moins aux yeux. Bien ! J'essaye de sourire... Mais mon regard reste fixé sur mes mains grises et je crispe les paupières. Le silence qui m'enveloppe transforme mes pensées angoissées en hurlements.

Du calme, Henry ! Du calme...

J'arrange ma chemise et je ramasse mes affaires. La simplicité de ces gestes m'aide à refouler ma terreur et quand je pose mes lunettes sur mon nez, je me sens prêt à les rejoindre. Je pousse la porte en aillant seulement envie de me rasseoir par terre. Je redresse le dos et je reviens dans la pièce ronde en me forçant à respirer seul Sammy m'acceuille en levant la tête. Bendy dors déjà, enroulé sur lui même comme un chat sur le tas de rideaux qui m'as servi de lit. Je vais immédiatement détacher l'ex-musicien - il n'y a aucune raison de le laisser ficelé si je suis là - puis je me laisse tomber assis près de Ben en me callant contre le mur. Je pose ma main sur son dos. Je le sens respirer doucement. Cela m'apaise.

- Tout va bien, M. Stein?

Je soupire en posant ma tête contre le parement. Je ne veux pas lui mentir mais je n'ai aucune intention de lui parler de ce qui est arrivé dans les toilettes. Je préfère changer de sujet.

- Si tu appelles Bendy par son prénom, tu peux m'appeler Henry. On a peu près le même âge.

Il se tends.

- Je ne sais pas...

- J'insiste.

Il hoche la tête sèchement et détourne les yeux.

- Vous n'avez pas l'air bien.

Je souris, la tête toujours en arrière.

- Je ne me souvenais pas que tu était aussi têtu.

- Vous avez dit qu'on ne se connaissait pas, rétorque-t-il acidement.

- C'est vrai. Mais Joey m'a un peu parlé de toi après qu'il t'ait embauché. Il...

- Je ne suis plus cet homme depuis longtemps, me coupe-t-il. Ne me comparez pas à lui s'il vous plaît.

Je me redresse pour chercher son regard et le soutenir.

- Escuse-moi.

Il hausse les épaules et la conversation retombe quelques instants.- Est-ce que vous voulez que l'on regarde votre jambe pendant qu'il dort ? demande-t-il encore.

- Non, merci.

J'entends sa désapprobation dans son silence. Je lui réponds calmement.

- Je ne peux rien y faire, Sammy. Alors je préfère me concentrer sur le reste.

- Vous ne devriez pas prendre cela à la légère. Vous allez...

Cette fois, c'est moi qui l'interromps.

- Je sais ce qu'il va se passer. Je l'imagine très bien, en tout cas. Mais il n'y a aucune façon d'échapper à la corruption de l'encre, sauf si je meurs avant d'être complètement consumé. Ma mort relancera probablement la boucle temporelle habituelle et je ne sais pas si je pourrais encore faire dévier l'histoire. C'était un accident cette fois.

- De quoi est-ce que vous parlez ?

J'ai complètement oublié qu'il ignorait l'existence de la boucle. Je prends donc quelques minutes pour lui expliquer le peu que je sais.

À la fin, il laisse tomber sa tête dans une de ses mains, le coude sur le bureau, en me regardant de ses orbites vides.

- Vous... Vous êtes sûr de ça ?

- Autant qu'il est possible de l'être ici, oui. Je sais que l'encre ou la Voix peuvent provoquer des hallucinations, et même la folie, mais... J'ai des centaines de copies conformes des mêmes souvenirs, des même actions et des même conversations. Je sais que j'ai vécu encore et encore la même histoire : j'allume la machine à encre, ce qui réveille Bendy. Je m'enfonce ensuite dans le Studio, je trouve comment détruire le monstre de l'encre avec Tom et Alice, mais finalement, même après la mort de Bendy, tout recommence. Personne n'est libéré. Ça fait plus de cinq cents fois maintenant.

Il se crispe un peu plus et je comprends que ça doit être difficile à encaisser. J'essaie d'être optimiste.

- Mais celle que l'on vit n'est jamais arrivé avant. Je n'ai jamais parlé avec Bendy ou même à échappé à ta tentative de sacrifice.

Je l'entends murmurer " quel sacrifice ?" avec une légère amertume. J'ai reçu trop de coups de pelle sur la tête pour ne pas lui en vouloir un peu de son air effaré.

- Oui mon vieux. Tu aimais bien m'assommer et me ficeler comme un poulet pour me donner en patûre à Bendy.

Il a soudain l'air très gêné et s'il avait été encore humain, il aurait probablement rougi.

- Vous êtes sûr ?

- Oh que oui !

- Je... Je ne m'en souviens pas.

- Je sais. La boucle temporelle. Ne t'en fais pas. Malgré les apparences, je ne suis pas rancunier.

Un vague sourire joue sur son visage et cela me fait plaisir. Depuis combien de temps n'a-t-il pas simplement rit à une plaisanterie idiote ?

J'aimerais qu'il me raconte comment il est devenu ce qu'il est, et ce qu'il a fait pendant toutes ces années ici. Mais je ne veux pas le lui rappeler maintenant. Nous aurons d'autres occasions. Alors je souris aussi et m'autorise quelques minutes avant de me lever pour entamer l'immense travail de recherches qui nous attend.

Mais sa voix pensive résonne à nouveau dans la pièce ronde.

- Mais... Si l'histoire habituelle s'est répété autant de fois sans aucune variation, comme vous me l'avez dit, on peut penser que son déroulement est lié à la boucle temporelle elle-même. L'une pourrait dépendre de l'autre... Alors comment êtes-vous parvenu à la faire dévier cette fois ?

Je hoche la tête. Je me suis tellement posé la question depuis que je me suis réveillé auprès d'un Bendy soudainement amical et bavard que j'ai plus ou moins une réponse à lui donner.

- Lors de cette boucle, j'ai été mortellement blessé avant de mettre les pieds dans le premier pentacle. Je suis persuadé que c'est ce pentacle qui m'a initialement emprisonné dans le Studio. Il faut que quelque chose de surnaturel entre en jeu, car je ne vois pas comment expliquer que même le fait de mourir ne me permet pas de sortir d'ici.

Je le vois ouvrir la bouche.

- Non, je ne sais pas exactement comment ça marche. C'est bien pour ça qu'on est là. Si on sait ce qui nous retient ici, nous aurons une vraie chance de nous échapper.

Il opine et je continue. Expliquer mon raisonnement à quelqu'un d'autre permet aussi de l'éprouver, même si je ne peux m'empêcher de me sentir un peu stupide. Ce que je raconte a l'air dément. Mais je parle quand même à un de mes anciens collègues transformé en abomination liquide, alors que mon personnage-phare dort en ronflant près de mes genoux...

- Je crois que c'est la machine à encre qui déclenche l'histoire et la boucle. Tout est lié à cette machine et aux pentacles, d'une façon qu'il nous faut découvrir. Quand je suis me suis blessé, j'avais démarré la machine, mais je n'étais pas encore entré dans le pentacle. Peut-être... Peut-être qu'après toutes ces boucles, le processus s'est enraillé cette fois. Je ne sais pas. Mais ce qui est certain, c'est que j'allais mourir sans avoir terminé le procédé habituel : mettre en marche la machine et marcher dans ce fichu pentacle. Et tous les souvenirs des boucles précédentes me sont revenu. J'ai appelé Bendy. Je voulais m'excuser. Pendant tout ce temps, je n'ai jamais pensé à l'aider, ou à aider qui que ce soit d'autre. Alors que lui...

Je baisse les yeux vers mon petit diable toujours endormi et passe tendrement la main sur sa tête ronde, un sourire aux lèvres.

- C'est l'une des premières décisions qu'il a prises. Il est bien plus gentil et courageux que moi, qui suis pourtant censé être le "vrai" humain.

Je secoue la tête et relève les yeux vers Sammy, dont le regard doux me surprend.

- Vous l'aimez, affirme-t-il tranquillement.

On dirait que cela le rassure.

- Oui, bien sûr. Je ne peux pas faire autrement. Il est tellement attachant. Il... Il est aussi la raison pour laquelle je continue à me battre. Ma famille, ma femme et mes enfants me manquent. Affreusement. Mais ils ne sont que des souvenirs à présent. Quand j'ai compris pour la boucle, j'ai vraiment perdu espoir. Je ne voulais pas continuer.

Ma voix est lointaine.

- Mais Bendy est resté avec moi. Il a changé. Il compte sur moi. Je ne peux pas l'abandonner. Je vais sortir du Studio, et je veux qu'il vienne avec moi.

Je le regarde dans les yeux.

- Je veux tous vous faire sortir d'ici. Je suis prêt à faire tous les sacrifices qu'il faudra pour y parvenir.

Sammy ne dit rien. Il évite mon regard. Je ne suis pas sûr qu'il me croit, qu'il ose me faire confiance ou prendre le risque d'espérer.

Je ne peux pas lui en vouloir.

Il préfère retourner à son livre, raide comme un cierge. Le silence revient.

Des sacrifices... Mon regard tombe sur mes mains grises, je pense au trou plein d'encre dans ma jambe et je me dis que j'ai déjà commencé à en faire.

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