Ce qu'ils méritent

Chapitre 3 : 3- Une rencontre inévitable

4363 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/01/2022 10:47

Évidemment, rejoindre l'entrée du département de musique où se trouve les escaliers nous prends plus de temps que prévu, ne serait-ce que parce que nous devons sans arrêt rediriger l'électricité à droite à gauche pour ouvrir la moindre porte.

Ce pauvre Grant en était-il réduit à faire des économies à ce point-là?

Lorsque nous y sommes enfin, je m'arrête un instant devant la fameuse "sortie". Depuis que l'on est là, j'ai la désagréable impression que quelque chose est à l'affût. Je regarde Bendy, qui s'est immobilisé lui aussi. Mais il secoue la tête. Nous n'entendons rien. Ce ne doit être qu'un peu de nervosité de ma part.

J'ai toujours été effrayé ici (et c'est peu de le dire) mais depuis que Bendy est avec moi, cela a doublé. Je ne sais pas ce qu'il risque s'il prend un coup, je ne sais pas s'il peut mourir et si c'est le cas, s'il reviendra (s'il revient !) en démon ou en petit diable souriant. J'ai l'impression de me retrouver dans cet enfer avec un enfant à protéger et cela crispe mes mains autour de la hache.

Je me force à inspirer profondément, pour me concentrer sur ce qui m'attend, une fois que nous avons enfin vidés l'encre des escaliers. Il va falloir être rapide ET efficace. Bon. Je lui fais signe de me suivre.

En descendant les marches encore ruisselantes d'encre, mon cœur se met à battre plus vite. Et si ses escaliers menaient vraiment à l'extérieur ? Si nous pouvions sortir du Studio aussi facilement... Je pousse la porte en imaginant déjà la chaleur du soleil m'éclabousser.

Mais il n'y a que de l'obscurité derrière.

Je relâche le souffle que je retenais. Devant moi s'enroulent de grands escaliers de fer, sans la moindre fenêtre pour y jeter un peu de lumière. En me penchant par-dessus la rambarde piquée de rouille, je peux voir les paliers des étages supérieurs et inférieurs noyés dans l'obscurité. Mais nous sommes toujours dans le Studio. Je suis déçu, bien sûr. Je m'en doutais aussi un peu. Alors je carre les épaules et j'avance en posant la main sur le métal froid pour ne pas tomber.

- Bendy, laisse la porte ouverte s'il te plaît. On n'y voit rien.

Il passe le bras en travers du battant pour la retenir.

- Reste derrière et regarde si personne ne vient. Je fais vite.

- Okay.

Noir comme il est, il se fond dans l'ombre, d'autant qu'il tourne le dos à un grand trou dans le mur. On ne le verra pas d'en haut normalement. Je lui jette un dernier regard puis le laisse derrière moi à contre-cœur.

Sans grande surprise, je constate en montant quelques marches que les escaliers qui mènent aux étages supérieurs sont complètement effondrés. Aucune chance donc de pouvoir sortir du Studio par là.

Je n'ai même pas un haussement d'épaules.

Je reviens à l'étage du département de musique puis je m'engage dans l'escalier qui descend. Je suis content de voir que les trois paliers inférieurs ne sont plus inondés. C'est déjà ça. Je descends un étage pour arriver devant la porte du département des jouets, d'où je pourrais voir plus bas. Et là, je déchante un peu. Les escaliers menant aux étages 9 et 14, que l'on doit emprunter pour arriver à celui des Archives, sont toujours plein d'encre.

Évidemment. Ce serait trop simple.

Je parviens à la mer noire qui clapote doucement devant le 9. Heureusement, quelques-une des ampoules d'urgence fonctionnent encore et projettent difficilement un pauvre halo orangé sur les murs. En relevant la tête, je vois à peine le visage de Bendy par-dessus la rambarde du département de musique. Je lui fais signe que tout va bien, puis je baisse à nouveau le regard sur la cage d'escalier inondée. Mon sourire s'efface. Je ne sais pas combien de litres je vais avoir à évacuer. Mais je peux voir que les cloisons ici sont ainsi également en bois. Il devrait y avoir un espace entre le mur en béton et le parement. Espace qui, je l'espère, pourra faire sortir l'excédent de liquide sans que nous aillions à ouvrir les portes des étages.

Je ne peux m'empêcher de regarder l'encre avec une certaine rancœur. Je vais devoir m'enfoncer là-dedans jusqu'à la taille si je veux avoir une chance de faire des trous suffisamment grands pour la drainer jusqu'au niveau suivant. Et ça va en faire, des coups de haches... Les boucles précédentes n'ayant malheureusement pas gonflé mes muscles, j'ai toujours cinquante-six ans et ce que je faisais de plus sportif avant d'être enfermé ici était de passer le balai pour Linda. Mais je ne vais quand même pas demander à Bendy. D'une part, parce que ces bras sont aussi épais que des tuyaux d'arrosage... Et que je ne veux pas qu'il entre en contact avec l'encre. J'ai peur de ce qu'elle pourrait lui faire.

- Pas le choix, mon vieux. Quand faut y aller...

Je descends donc, en sifflant quand l'encre glacée entre dans mes chaussures puis dans mon pantalon. Comme Ben est resté en haut, je jure de bon cœur en chuchotant comme un furieux. Quand je suis suffisamment bas, je me cale aussi bien que possible sur une marche pour m'attaquer à la cloison. J'essaye de fragiliser les planches qui dépassent de l'encre, pour les déloger ensuite plus ou moins facilement. Au bout de quelques minutes, je suis en nage malgré la fraîcheur qui règne ici, mais j'entends clairement l'encre s'écouler dans la brèche que je viens d'ouvrir. Le niveau baisse.

- Super. Plus que deux étages et demi à vider.

Je continue alors mon travail de sape, ouvrant de nouveaux trous quand l'encre cesse de couler dans le précédent. Le bruit que cela fait me semble tonitruant, mais je me dis qu'on ne devrait pas l'entendre à l'intérieur des étages. C'est l'espace vide et le fer qu'il y a ici qui amplifie les sons.

En descendant en même temps que l'encre, je finis par arriver devant la porte de l'étage 9. J'hésite. Mes bras et mes mains me font mal, mais j'ai encore de l'encre jusqu'aux genoux. Cela irait bien plus vite d'ouvrir simplement la porte pour la vider. Mais Susie pourrait le voir, elle qui as toujours le nez sur le système de vidéosurveillance. Et se demander qui a ouvert la porte... Je n'ai absolument aucune envie qu'elle vienne regarder par elle-même.

Je pose ma hache sur une des marches sèche et m'assois à côté. Je fais une courte pause, juste le temps d'y réfléchir. Le silence est assez épais pour que j'entende ma propre respiration précipitée. Je lève les yeux pour croiser le regard de Ben et lui dire de me rejoindre. Je serai content quand on fermera la porte du département de musique en étant toujours sain et sauf.

Mais Ben n'est plus penché sur la rambarde.

- Bendy ?

Pas de réponse. Je fronce les sourcils et me relève difficilement. Je n'ai rien entendu d'inquiétant... Mais avec le vacarme du bois cassé, quelque chose aurait pu m'échapper. Je ne veux pas appeler de nouveau, alors je remonte l'escalier quatre à quatre en essayant de réfréner l'inquiétude qui monte en moi.

Mais je ne retrouve pas Bendy devant le département de musique. La porte s'est refermée. Je l'entrouvre pour jeter un coup d'œil de l'autre côté. Rien. Est-ce qu'il aurait entendu quelque chose et ce serait caché comme je lui ai demandé ? J'espère qu'il n'est pas loin. Je veux ouvrir la porte en grand, mais elle bute contre quelque chose. Je baisse les yeux.

Une pelle.

Celle avec laquelle ce putain de fanatique m'assomme à chaque fois pour me sacrifier au démon de l'encre.

Je la ramasse. Ce n'est pas difficile d'imaginer Lawrence descendre pour me chercher et tomber sur un Ben trop occupé à me regarder par-dessus la rambarde pour être attentif. Mon regard remonte jusqu'au trou derrière la porte. Il est éclaboussé d'encre. Je sais qu'ils sont deux à pouvoir passer par l'encre : Bendy... Et lui. Il a dû profiter que le mur en était imbibé pour contourner Ben et l'attraper par-derrière. Il l'a sûrement attiré ensuite dedans sans que mon petit diable ne puisse appeler.

Je regarde la pelle fixement.

J'ai fait mon possible pour l'épargner, car son histoire me fait de la peine. Je sais qu'il a pourri ici jusqu'à en devenir fou et je ne lui en veux pas d'essayer de me tuer systématiquement. Tout le monde veut ma peau, de toute façon. Je pourrai même lui pardonner son penchant pour les invocations grandiloquentes.

Mais je ne peux pas comprendre qu'il retourne son agressivité contre Bendy.

Mon premier réflexe serait de parcourir le département en hurlant le nom de Ben, pour débarquer dans le premier endroit où j'entendrai du bruit. Je ferai ensuite amèrement regretter à Lawrence de m'avoir laissé cette pelle de malheur entre les mains.

L'idée est très tentante, mais je le sais, trop risquée pour Bendy. J'ai peur de ce que pourrait faire Lawrence s'il est mis au pied du mur. Je me force donc à éloigner ses fantasmes violents de mon esprit et j'essaye de me calmer. Après une poignée de secondes qui semblent durer des heures, je redescends chercher ma propre arme en réfléchissant. Je ne sais pas s'il a un endroit " personnel " ici. Je ne suis jamais tombé dessus. Mais avant de regarder dans son bureau ou son sanctuaire secret, je vais aller tout de suite vérifier là où il aime m'offrir en pâture, l'espèce de grande salle de répétition vide. Je pense que les maniaques dans son genre gardent leurs petites habitudes. Je remonte aussi vite que me le permet ma jambe jusqu'au département de musique, la pelle dans une main et la hache dans l'autre, la rage au ventre.

Par précaution, je jette quand même un coup d'œil dans les quelques pièces proches des escaliers en appelant doucement Ben. Mais personne ne me répond. Je referme la dernière porte en essayant de ne pas imaginer en détail ce qu'il a pu faire à Bendy pendant tout le temps que je viens de perdre.

Le trajet jusqu'à la grande salle de répétition me semble interminable. Une fois devant, je colle une oreille au battant de la porte. Et merci mon dieu, après toutes ses pièces vides, j'entends la voix de Ben à l'intérieur.

Je crois qu'à ce moment-là, la fatigue, la peur et un agacement croissant contre ma malchance persistante ont raison de mon self-control. Sans réfléchir beaucoup, je me met à donner des coups de pelle hargneux dans la poignée, jusqu'à l'arracher du battant dans un craquement de bois supplicié. J'ouvre ensuite la porte d'un coup de pied, pour me jeter à l'intérieur la hache en l'air et balayant nerveusement la pièce du regard.

- Henry ! s'exclame Bendy d'une voix ravie.

Je m'immobilise sur le pas de la porte. Le calme de la scène que je viens de déranger me donne presque l'impression que le dangereux maniaque à éviter... C'est moi. Je baisse ma hache.

Ben se lève d'un bond de la chaise sur laquelle il était assis, passe devant Lawrence qui est agenouillé devant et se précipite dans ma direction avec un grand sourire. Il a l'air d'aller bien, ce qui me rassure un peu. Je me penche pour le serrer dans mes bras brièvement sans quitter l'ex-musicien des yeux, puis je le repousse doucement pour qu'il passe derrière moi. Je me rends alors compte, sans prendre le temps de m'y attarder, qu'il a encore changé. Le haut de sa tête m'arrive maintenant à hauteur de poitrine. Je vois aussi Lawrence se relever lentement pour nous regarder, impassible derrière son masque.

- Ça va, mon doux ?

- Oui. J'ai eu un peu peur au début, mais il n'est pas méchant.

Ah ? Première nouvelle.

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

- À part m'enlever ? Rien. On a parlé.

Le soulagement me coupe les jambes et je me serai sûrement laissé tomber assis sur le sol si nous n'étions pas en face d'un danger potentiel. À la place, je lève ma hache et la pointe vers lui.

- Ne t'approche plus de nous, Sam... Lawrence. Je n'ai pas envie de te tuer, mais si je te vois de nouveau, je le ferai sans hésitation.

Il ne fait pas un geste pour montrer qu'il accepte. Ou qu'il m'écoute seulement. À la place, il s'approche de quelques pas.

- Qui es-tu ? Ton visage m'est familier, me demande-t-il d'une voix curieuse au bout de quelques instants de silence dérangeant.

Ça ne me coûte rien de répondre.

- Je m'appelle Henry. Henry Stein. Le soi-disant co-fondateur de ce Studio. J'en étais surtout le seul dessinateur jusqu'à mon départ. Nous avons travaillé ensemble sur les premiers cartoons de Bendy, mais sans vraiment lier connaissance. Ni toi, ni moi n'avions le temps pour ça. Et maintenant, je ne suis qu'un ancien employé de plus coincé ici depuis trop longtemps.

Il ne répond pas. Je me passe la main sur la nuque.

- Écoute... Je ne sais pas ce que Bendy t'a dit, mais nous essayons de trouver une solution pour arrêter ce cauchemar. Alors reste simplement hors de notre chemin, d'accord ? C'est aussi dans ton intérêt qu'on réussisse à...

- J'aimerais venir avec vous. Vous aider.

Mon " Non, merci." catégorique est couvert par le " Oui!" retentissant de Ben. Je me retourne vivement vers lui.

- C'est hors de question ! Il est complétement instable.

- Qu'est-ce qui ne l'est pas ici ? me rétorque Bendy avec une ironie mordante que je ne lui connaissais pas, ses petits poings sur ses hanches.

- Ce n'est pas une raison, enfin ! Est-ce que tu sais combien de fois il a essayé de me tuer?

Je réfléchis un instant.

- Et combien de fois il y est vraiment parvenu?

- Il a dit que c'était la Voix qui le poussait. Comme moi !

Je pousse un soupir exaspéré.

- Qu'il soit responsable ou non ne change pas le fait qu'il soit déséquilibré! Je ne peux pas prendre le risque qu'il nous tue alors que c'est la première fois qu'on a vraiment une chance de partir d'ici. Ben, je comprends que tu veuilles rencontrer d'autres personnes, mais...

Il secoue vivement la tête, le regard levé vers moi.

- Ce n'est pas ça. Il a des souvenirs, lui. Il pourrait vraiment nous permettre de comprendre. Il m'écoute. Et il est plus musclé que toi ! Ça ne le fatiguera pas de faire des trous dans les murs.

Je ne peux m'empécher d'être un peu vexé. Si on s'en tient strictement à l'âge, Lawrence doit avoir à peu près le même que moi. Mais la corruption de l'encre semble lui avoir conservé le corps qu'il avait quand elle l'a envahi, soit environ la trentaine.

Avec tous ses pectoraux.

- Il. Est. Dangereux! je martèle en me penchant sur Ben. On se passera de son aide. Viens maintenant.

- Mais... commence Bendy d'un ton suppliant.

- Non !

Ma voix claque comme un coup de fouet. Je suis épuisé, mes nerfs vibrent encore de la peur que j'ai eu et je ne pense qu'à nous éloigner de Lawrence au plus vite. Je prends Bendy par la main et le tire fermement vers la porte. Mon petit diable résiste et se débat, avec l'expression boudeuse d'un enfant déterminé à rendre les choses difficiles.

J'ai complètement oublié Lawrence et son adoration pour Bendy.

Grossière erreur.

J'entends vaguement une exclamation, puis le bruit de pas qui se précipitent vers nous me fait lever la tête, les sourcils encore froncés d'agacement.

Pour le voir me charger comme un taureau furieux.

J'ai juste le temps de tirer Ben sur le côté puis de lâcher brusquement sa main afin qu'il tombe en arrière, avant de recevoir quatre-vingt-dix kilos de prophète contrarié dans l'estomac. Je n'ai pas pu me protéger et le choc me projete contre le mur en vidant mes poumons. Ma tête rebondit douloureusement contre le bois, mes lunettes tombent sur le côté. Étourdi par la douleur, je glisse le lentement pour finir assis par terre. Je n'ai plus ma hache, je ne peux que mettre mon bras devant mon visage en la cherchant à tâtons de l'autre main, alors qu'il se redresse déjà en serrant le poing...

- Sammy, arrête ! crie Bendy.

Et... Lawrence stoppe en plein mouvement. Il tourne la tête vers Ben.

- Il vous malmenait. Il doit être puni, dit-il d'une voix creuse.

Bendy vient se planter entre lui et moi.

- Mais non, idiot. Il ne m'a pas fait mal. C'est même le premier à me traiter bien! Alors recule et ne bouges plus.

Lawrence fait quelque pas en arrière. Bendy se tourne alors vers moi, se rapproche et pose ses gants froids de chaque côté de mon visage pour le relever vers lui.

- Tu as mal ?

Je grimace un sourire.

- J'ai connu mieux. Mais ça va. Tu peux chercher mes lunettes, s'il te plaît ?

Il balaye de sol des yeux, puis bondit vers la droite pour les ramasser et revient en courant vers moi. Il me les remet sur le nez et j'y vois à nouveau clair. Je suis encore groggy, mais je peux sentir le regard de Lawrence sur nous. Je passe un bras autour de Bendy. Je ne peux faire que cela pour l'instant, car mes jambes ne me porteront pas tout de suite.

- Merci, mon doux.

Je reprends mon souffle doucement. Mon petit diable se tend alors contre moi pour pointer un doigt accusateur vers Lawrence. Qui en tressaille suffisamment fort pour que je le voie de là où je suis.

- Je ne veux PLUS JAMAIS que tu fasses ça ! lui assène Bendy d'une voix dure.

À ma grande surprise, l'ex-musicien met un genou à terre et baisse piteusement la tête.

- Je ne voulais que vous défendre.

- Non. Tu n'as pas le droit de frapper Henry.

- Je vous supplie de me pardonner. Cela ne se reproduira jamais, je vous le jure.

- Y'a intérêt, grogne Ben.

Il se retourne vers moi.

- Tu vois ? Je t'avais dit qu'il m'écoutait.

En regardant Lawrence toujours à genoux, je me dis que je n'aurai jamais pu imaginer une issue aussi... Je ne peux pas dire heureuse. Mais sécurisante, sans aucun doute.

- À ce niveau, c'est plus que de l'écoute. Il t'obéit au doigt et à l'œil, répondis-je en frottant ma tempe du poing pour décourager mon début de migraine.

- Au moins, tu sais qu'il n'est pas dangereux !

Je resserre le bras autour de Bendy pour le rapprocher de moi et il pose ses mains sur mes épaules.

- Oui, c'est vrai... Je réponds à voix basse près de son oreille. Mais j'aimerais vérifier à quel point il t'est dévoué. Demande-lui de m'obéir aussi, s'il te plaît.

Ben s'exécute et, à ma grande surprise, Lawrence accepte immédiatement. Intéressant.

- Est-ce que tu ressens la douleur ? je lui demande ensuite.

- Oui. Avec la même intensité qu'avant.

- Et... Est-ce que tu peux régénérer ton corps?

- Non, monsieur Stein.

Le "monsieur" me fait grincer des dents, mais je ne dis rien. Je pousse vers lui la hache tombée à mes pieds.

- Ramasse-la et coupe-toi la moitié de la main. Je ne veux plus qu'il y ait de doigts.

Bendy se crispe. Je lui caresse doucement le dos pour l'apaiser.

- Chut. Fais-moi confiance, je chuchote, les yeux fixés sur l'ex-musicien.

Lawrence a pris la hache. Il s'assoit à quelques pas de nous et me demande d'une voix affreusement calme :

- Laquelle ?

- La gauche.

Il opine, prend fermement la hache dans la main droite et pose la gauche par terre en écartant les doigts. Il n'a pas la moindre hésitation, pas le moindre mouvement d'humeur ou de recul. Il va souffrir seulement par caprice de ma part, mais il obéit tout de même. Parfaitement glaçant.

- Stop !

Il s'arrête, la hache en l'air et me regarde. Il attend la suite.

- J'ai changé d'avis. Rends-moi ça.

Il se relève et me rend la hache en la tenant respectueusement par le tranchant.

Je la pose près de moi et pousse gentiment Bendy afin de pouvoir me relever. Ma tête ne tourne plus, mais j'ai l'impression que la douleur et la fatigue ont transformés mes muscles en guimauve. Je dois appuyer le dos contre le mur une fois debout, car me redresser a réveillé la douleur dans mon ventre. Je serre mon bras gauche en travers de mon estomac pour lutter contre une vague envie de vomir.

Merci Lawrence. Vraiment, il ne me manquait que des lésions internes pour corser un peu les choses.

Je lâche un long soupir. Je regarde Ben près de moi, qui ne me quitte pas des yeux d'un air inquiet, et l'ex-musicien qui reste planté à quelques pas de nous comme si seules nos voix pouvaient l'animer. Posant la main sur la tête ronde de mon petit diable, je soupire de nouveau. Je ne sais pas quelle décision prendre. D'un côté, Lawrence est un maniaque dangereux, mais de l'autre il vénère Bendy et semble prêt à tout pour lui plaire.

Ce qui pourrait incontestablement nous être très utile.

- La journée a été... Chargée, pour ne dire que ça. On va se reposer un peu et on prendra une décision après, dis-je à Ben à mi-voix.

Je relève les yeux vers l'ex-musicien.

- Tu restes là, Lawrence. Je ne veux pas que tu nous suives. Si tu le fais...

Bendy me tapote le bras. Ma voix, déjà faible, s'éteint alors et je baisse les yeux vers lui.

- Henry, tu trembles. Ce n'est pas très convainquant. Laisse-moi faire.

Il se retourne vers Samuel et avance de quelques pas, pour se planter bien droit devant lui.

- Sammy, tu vas tranquillement nous attendre ici. Fait ce que tu veux, mais sois gentil et attends que l'on revienne te chercher.

- Seigneur... Excusez-moi, mais... Ce ne serait pas plus prudent si je vous accompagnais ? Monsieur Stein n'as pas l'air d'aller bien. Il n'est pas en mesure de vous protéger.

- Henry ne veut pas.

- J'ai peur pour vous. Si vous êtes attaqués...

- Je t'AI DIT NON ! gronde soudain Bendy d'une voix grave et dure.

Les lumières se mettent à clignoter. Bendy change à chaque intervalle d'obscurité.

Il grandit, se déforme, son corps perd ses rondeurs de personnage de cartoon. L'encre bouillonne autour de lui. Elle dégouline soudain sur son visage et éclabousse les murs alentours.

Le démon de l'encre, tordu, dégoulinant de ténèbres, se penche de toute sa hauteur sur Lawrence.

- Je... Parle... Tu... Obéis ! A... La... Prochaine... Erreur... Je... Te ... Déchire... En... Deux !

L'ex-musicien tombe à genoux et se prosterne en balbutiant des excuses.

- Et... Qui... As... Dit... Que... j'avais... Besoin... De... Protection ?

Lawrence frissonne de peur, le front au sol.

- Pardon mon seigneur, pardon. Je ne me laisserai plus abuser par votre apparence. Pardon, je vous en supplie...

- Ne... L'oublie... Pas.

Et puis les lumières se rallument d'un coup, l'encre s'efface et c'est un petit Bendy rond et bien net qui trottine vers moi, l'air très fier de lui.

La surprise m'a fait reculer et je suis de nouveau par terre. Je ne peux que le regarder venir vers moi, abasourdi. Avec un soupir, il prend par ma main, tire et je me lève par réflexe. Puis il m'entraîne hors de la pièce en me traînant derrière lui sans un regard pour Lawrence qui est toujours prosterné.

Je le suis en silence quelques instants, puis je retrouve la capacité de réfléchir.

- Je ne savais pas que tu pouvais faire ça.

Il répond sans se retourner.

- Je suis un toon. Je peux faire plein de choses.

- Oui, mais... Le démon...

- C'est moi aussi. Je l'aime pas trop, mais il est fort. C'est pratique, non ?

- Euh... Oui. Oui, j'imagine.

Je lâche un éclat de rire un peu tremblant.

- Et moi qui avais tellement peur pour toi ! Je croyais que...

Je ne parviens pas à terminer pas ma phrase. Bendy s'arrête et se tourne vers moi.

Il est encore plus petit et plus adorable qu'auparavant. Mais je sais à présent qu'il est loin, très loin d'être aussi vulnérable qu'il en a l'air. Du haut de son mètre vingt, il m'assène alors une vérité que je ne pensais pas entendre de sa bouche.

- Tu t'inquiètes beaucoup trop, Henry. Ça sert à rien et tu te fais du mal.

Je pourrais lui rétorquer qu'il y a vraiment de quoi s'affoler ici. Lui faire la liste des dangers mortels, ou celle encore plus longue des problèmes à résoudre. Et lui dire tout ce que j'ai perdu et ma terreur de voir le peu qui me reste disparaître également.

Mais je le laisse reprendre ma main et me guider dans le dédale de couloirs poussiéreux sans un mot.

Il a raison.

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