BATMAN : Les ailes coupées
CHAPITRE 11
Une lueur annonçant l'aube filtrait à travers les vitres, éclairant les murs et le plafond d'une couleur ombragée, les silhouettes fantomatiques d'un bureau et de deux tables de chevet en marbre, se dressaient fièrement comme de silencieuses sentinelles autour d'un magnifique lit aux draps de soie. Dans les parages se faisait entendre le faible tic-tac d'une horloge et, au-delà, le fracas des vagues tandis qu'elles exécutaient leur voyage impitoyable vers les rochers.
Bruce était allongé sur le dos, son bras droit replié derrière sa tête, le gauche enveloppé autour du corps endormi d'une femme qui était blottie contre son flanc, une main pâle reposant contre son torse musclé s'élevant au rythme de sa respiration.
La silhouette se mit alors à remuer, annonçant son réveil imminent, et le milliardaire ressentit une légère déception. Il voulait prolonger cette agréable sensation de son corps endormi contre le sien.
- « Bonjour Sélina... » Murmura-t-il avec une voix encore enrouée, la main caressant d'abord son flanc, puis l'attirant ensuite vers lui.
Son visage était à la fois fin et anguleux, avec de courts cheveux noirs, des lèvres pulpeuses et de grands yeux verts. Sa peau était belle et claire, tellement délicate qu'elle paraissait rayonner de l'intérieur.
- « Salut, bel homme » lui répondit-elle, un sourire chaleureux et ensommeillé illuminant son expression tandis qu'elle se blottissait davantage en émettant un long bâillement.
Sélina souleva la tête de l'épaule de son amant afin de le dévisager, ses cheveux sombres formant une auréole sauvage autour de son visage qui remua à son tour pour l'admirer.
- « Mon corps ressemble à de la gélatine et c'est entièrement de ta faute, Bruce ! Alors... qu'as-tu à déclarer pour ta défense ? » Demanda-t-elle, en tendant la main pour dégager les cheveux ébène de son front.
- « Que c'est du travail bien fait… » Répondit-il avec un sourire confiant.
Un rire animé retentit au-delà des murs de la chambre tandis que Sélina roulait sur son dos et tenait son ventre avec ses mains afin de soulager les spasmes.
- « Oh, toi ! Tu es un sacré numéro ! » Dit-elle en rigolant, puis elle se remit sur le ventre et prit appui sur un coude tandis qu'elle faisait courir une main le long de sa solide musculature « Tu as faim ? »
- « De quoi ? » Répondit-il brusquement.
- « De nourriture. Tu sais, miam-miam ? » Dit-elle en souriant.
- « Oh, ça... Je crois, oui »
- « Lève-toi alors, va prendre une douche, moi je descends à la cuisine récupérer les bonnes choses que ce cher Alfred a du nous mettre de côté… je sens d'ici l'odeur de ses fabuleux Pancakes… » Annonça-t-elle en se léchant les babines tel un félin, puis elle déposa un tendre baiser sur les lèvres de l'homme et bondit du lit en enfilant un peignoir rouge avant de disparaitre dans le hall principal.
Bruce esquissa un petit sourire puis balança ses jambes sur le côté pour s'assoir lentement sur le rebord du lit. Il s'étira en baillant et fit pivoter son torse de gauche à droite, les pectoraux se contractant sous sa peau moite.
Il me faut de l'air frais, ou l'équivalent de Gotham…
Le milliardaire se rendit à pas traînant jusqu'à la porte-fenêtre, ne levant pas les yeux lorsqu'il tâtonna le panneau tactile ordonnant l'ouverture de la paroi de verre qui se rétracta vers le haut. Il se servit du chambranle comme appui lorsqu'il s'installa sur l'immense balcon, tentant d'ouvrir les yeux mais sourcillant aussitôt face à la lumière du matin.
Il fixait intensément l'océan. Le flux et le reflux incessants des vagues s'échouant sur la plage en contrebas du manoir Wayne, créaient un certain rythme dans leur roulement. Bruce se redressa, inspirant une bouffée d'air marin. Il arrivait à sentir l'écume fraîche sur sa peau comme une caresse protectrice.
Son regard s'attarda ensuite sur Gotham au loin. Un majestueux soleil embrassait la ville. Une par une, ses lumières s'éteignaient, faisant place à la clarté d'un jour nouveau. Depuis sa demeure, il pouvait presque percevoir les bruits étouffés liés à l'activité de la ville.
Jamais il n'avait songé qu'il lui serait possible de ressentir à ce point quiétude et contentement. Il ignorait combien de temps cette émotion subsisterait, mais il avait bien l'intention de rester tel quel et de l'absorber.
Tout était parfait.
Si paisible.
Une légère brise se leva et caressa délicatement sa peau. L'homme ferma les yeux et inspira profondément l'air doux à travers sa bouche et ses narines.
Mais Tandis qu'il goûtait à la beauté apaisante autour de lui, le milliardaire perçut une odeur singulière.
Celle du sang.
Cet effluve cuivré incomparable venait prendre la place des senteurs agréables présentes auparavant.
Le soleil disparut soudainement, recouvert par de lourds nuages noirs et son cœur se mit à battre plus fort, n'entendant plus que cela.
Boom-boom… boom-boom… boom-boom…
BAM !
Coup de tonnerre.
Horrifié, le visage de Bruce se tordit en une grimace de désespoir face à la scène apocalyptique qui se jouait devant lui.
De macabres geysers d'hémoglobine se fracassaient dans un océan déchaîné, dont la plus importante vague se dirigeait droit sur lui à une vitesse vertigineuse. Les hurlements de détresse d'âmes tombées et sacrifiées martelaient dans sa tête comme un véritable supplice.
Et cette lueur orangée au loin… Gotham incendiée…
Se réveiller… vite…
Mais l'horreur se poursuivait. Le tsunami rouge s'enflamma subitement pour devenir un impitoyable mur de feu. Dissonant, le rire du Joker retentit en écho tandis que Bruce, impuissant, se faisait happer par le carcan enflammé.
Se réveiller…
La douleur était affreuse.
Le brun sentait sa peau se tordre sous les flammes, grésiller puis être calcinée. Il essaya de hurler mais n'y arriva pas, il avait mal, beaucoup trop mal.
Les flammes léchèrent son visage, grillèrent la paroi intérieure de ses joues, formant des cloques sur sa langue, dévorant la chair, réduisant ses cheveux en cendre. Son dos s'arqua brusquement alors qu'il essayait de respirer, mais sans succès. L'air était saturé de feu.
Soudain, un souffle léger, un bref tressaillement de l'air à son oreille, tout ca le rendit brusquement nerveux.
Et puis cette odeur qui le prenait à la gorge, âcre, ferreuse et capiteuse à la fois.
Une odeur de folie accompagnée par ce rire.
Aigu. Très aigu. Trop.
- « NON ! Non… non… » Sa voix résonna dans ses oreilles tandis que le justicier s'échappait brutalement du monde des songes. Il prit une longue inspiration, avala sa salive et tourna lentement la tête sur le côté.
Se tenait près de lui, assis en tailleur sur le matelas, le Joker. Son sourire sadique était vraiment la dernière chose que Bruce aurait voulu voir à son réveil.
En lui faisant face, il sut que son cauchemar se poursuivait.
- « Bonjour mon grand… Bien dormi ? » Chuchota le bouffon, un pouce empalé sur ses canines. « Tu veux peut-être tes tartines au lit ? »
- « … »
- « C'est ça… comme si c'était mon genre… » Pouffa le criminel en secouant laconiquement la tête.
Après quelques secondes d'immobilité et l'échange d'un regard mauvais, le justicier se redressa, faisant crier de protestation ses muscles. Il inspecta son corps pour constater ses bandages propres avant de s'interrompre au souvenir de la brève piqûre d'une aiguille glissée sous la fine peau de la jointure de son avant-bras.
- « Tu m'as placé sous sédatif ! » Constata le chevalier noir visiblement en colère.
- « Ouais, et une sacrée bonne dose ! »
- « Pourquoi ? »
- « Ne me regarde pas avec ces yeux là ! C'était pour ton bien… » Répondit le clown en plongeant son menton dans la paume de ses mains. « En t'endormant, je m'assurais que tu récupérais totalement. Je te connais trop bien, Batman, tu te serais encore levé avant d'être convenablement guéri. Et puis ça m'a permis de… hum… me consacrer à quelques petites courses »
Le chevalier noir regarda fixement son ennemi durant ce qui lui parut une éternité.
- « Tiens, j'ai quelque chose pour toi… » Reprit le Joker en se penchant quelques secondes vers le bord du lit.
Le justicier baissa un instant les yeux sur le sac noir qui venait de lui être balancé, puis les reporta, plus inquisiteurs encore, sur un Joker tout sourire.
- « Promis, Il n'y a aucune tête dedans… » Rassura immédiatement le clown « Ce sont juste des vêtements »
- « Si tu veux m'habiller, contente-toi de me rendre ma tenue » lui cracha le justicier en éloignant le présent d'un geste machinal.
- « Ah mais ca tu vois, ce n'est pas trop possible mon grand… Là où je t'emmène, il est préférable que les capes et les masques de chauve-souris restent au vestiaire… »
- « Mais de quoi tu parles à la fin ? »
- « Oh... juste de l'endroit qui fera avancer ton enquête sur cette fameuse drogue… »
Un long silence s'installa tandis que les yeux du justicier se rétrécissaient en une fine ligne.
- « Batou, je te jure, c'est vexant à force… Tu aurais pu en parler le premier... » Reprit le clown en élargissant son sourire démentiel « Colle-moi l'étiquette de fou si ça t'amuse, mais je t'interdis de me donner celle de l'abruti ! »
- « Que sais-tu exactement ? » grommela Batman.
- « Oh ! Assez pour que tu puisses apprécier mon aide, ça je peux te le garantir… »
- « Et qu'est ce qui te fait croire que j'en voudrais ? »
- « Une intuition… » Répondit-il, énigmatique « Vraiment Batsy, arrête de faire ta mauvaise tête ! Celui qui t'a attaqué est lié d'une manière ou d'une autre à cette affaire, tu le sais aussi bien que moi… »
Aucune répartie du détective. Evidement, il en était lui-même arrivé à cette même déduction.
- « Je peux t'aider à trouver l'instigateur de ce viiiiiiiilain réseau de distribution et débusquer par la même occasion, celui que j'ai gentiment surnommé : le dératiseur »
- « … »
- « Alors qu'est ce que tu en dis ? » conclut le clown en tendant sa main droite vers son Némesis « Partenaires ? »
Batman demeurait calme, considérant à peine le geste. Cette nonchalance qui émanait de lui avait tendance à agacer le criminel. Parfois, il lui arrivait de se demander s'il prenait quelque chose de spécial pour rester aussi imperturbable.
Durant quelques secondes, leurs yeux se fixèrent. Il y avait cette similitude dans leurs regards, une lueur de détermination farouche qui brillait au fond de leurs prunelles. La confrontation visuelle continua quelques minutes, avant que le chevalier noir daigne enfin briser le silence quasi-religieux.
- « Il en est hors de question ! »
Le ton acerbe avait sonné comme un implacable glas et un nouveau soupir à fendre l'âme, perça la barrière des lèvres du Joker.
- « Non franchement, je ne comprends pas un tel manque de confiance Batsy… » Sa voix était modulée différemment, hypocrite de bout en bout « En fait si ! Je comprends… ta réaction ne m'étonne qu'à moitié et c'est d'ailleurs pour ça que j'avais prévu un atout dans ma manche »
Ses deux émeraudes vagabondèrent d'excitation dans leurs orbites, désignant avec insistance la direction du sac.
- « Qu'est ce qu'il y a d'autre là-dedans ? » S'inquiéta le chevalier noir en saisissant immédiatement le message.
- « Regarde par toi-même… » Encouragea le bouffon d'une odieuse mimique « C'est juste un petit quelque chose qui te permettra de reconsidérer notre collaboration »
Le justicier s'empressa de ramener vers lui le paquet et de remuer son contenu : Un jean délavé, un pull bleu sombre à col roulé, une casquette de baseball grise ainsi qu'une parka de la même couleur dotée d'une large capuche. Et au milieu des vêtements, cette petite photo. La forme et la qualité laissait supposer qu'elle avait été prise avec un vieil appareil à clichés instantanés.
- « C'est pas vrai… tu n'as pas fait ça… » S'exclama Batman dans un murmure languissant tandis que ses yeux se figeaient sur l'image.
A cet instant précis, se fit entendre le cliquetis typique du polaroïd puis ce bruit interminable de quincaillerie qui semblait tout droit sorti de l'imaginaire.
Une photo venait de lui être volée.
- « Parfait ! Celle là est pour ma collection privée… » Ricana le clown en secouant le papier glacé fraichement imprimé. « Si tu es sage, je te promets un beau selfie en ma compagnie… »
Une grimace de haine pure déforma le visage de Batman et avant que le Joker ne puisse réagir, le justicier lui balança un violent coup de pied dans les côtes, les éjectant lui et son maudit appareil hors du matelas. Le sol poussiéreux accueillit rudement le criminel. Ce dernier, pris dans une douce euphorie, ne ressentit la douleur que de longues secondes après, comme si elle avait été une information trop difficile à traiter jusque là.
- « Va s'y chéri, embrasse moi ! » Provoqua t'il en tapotant sa joue « Je sais que tu en meurs d'envie... »
La chauve-souris qui s'était empressée de le rejoindre de l'autre côté du lit, lui administra sur le visage un puissant crochet du droit. Le Prince du crime hoqueta et essaya de se relever mais très vite : poing gauche, poing droit, poing gauche, poing droit…
Un rythme dur et soutenu qui extériorisait sa colère et sa frustration.
Affaiblir. Fêler. Briser.
Comme lui-même se sentait brisé.
Alors que les gouttes de sang s'étiolaient entre ses doigts en une tache sombre, le Joker dévoila son sourire ensanglanté comme si de rien n'était.
- « Je constate avec plaisir que tu retrouves tes forces Batou… Tu vois que je fais du bon travail ! Alors merci qui ? »
Nouveau coup dans la face blafarde.
- « Malpoli ! »
- « Où est-elle ? » hurla le justicier en plaquant l'une de ses mains sur la gorge du clown, se retenant tant bien que mal de réduire son maudit larynx en bouillie.
- « Chou…chouette ! On…on… se décide enfin à passer à la négociation, part'naire ? »
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A SUIVRE