BATMAN : Les ailes coupées
CHAPITRE 12
L'eau froide daigna enfin sortir du robinet en un crachat de chat contrarié. Soudain, elle s'arrêta de couler avec un dernier sursaut et Batman roula les yeux, donnant un coup du plat de la paume sur la tuyauterie déficiente.
Malgré le besoin irrésistible d'ôter son masque pour laisser enfin respirer sa peau après cette semaine de convalescence, il hésita un instant avant de le retirer. Il ressentait cet acte comme une ultime faiblesse, et n'acceptait que difficilement de se présenter au Joker à visage découvert.
Mais il n'avait plus choix.
Ce démon avait changé la donne.
En se saisissant à nouveau de la photo, quelque chose lui brula ses viscères. Voir le clown poser fièrement devant une bombe de sa création avec un sourire sadique était juste insupportable. Sans compter sur le petit panonceau visible dans ses mains qui se chargea de l'achever.
- 48 heures de bonheur avec moi contre 48 vies pathétiques - J
Son cerveau bouillonnait, comme ça lui arrivait souvent en pensant au diabolique clown et à ses meurtres. Oh… Quelle sentence pour un assassin ? Ses yeux de néant enfermés dans un bocal de formol ? Ses mains de tueur clouées par ses propres cartes ? Sans langue pour parler ou rire, allongé sur un lit pour fous, ceinturé de manière à ne plus bouger ?
Non, bien trop clément pour lui.
Ce fut d'un geste rageur qu'il arracha enfin le tissu noir de sa tête, espérant un quelconque réconfort au plafond, mais l'ampoule nue acheva de lui bruler la rétine comme pour l'obliger à faire face à la réalité. Il ferma du plus fort qu'il put ses paupières, avant de finalement faire face au miroir.
Bruce fronça des sourcils lorsqu'il rencontra son reflet. Il ne reconnaissait pas cet être qui le fixait. De nombreuses rougeurs jonchaient son torse, conséquence de la cicatrisation. En soulevant délicatement certains bandages, le justicier constata les nombreuses lignes de chair mutilée parcouraient ses membres et sa figure. Ses yeux cernés ressemblaient à de pauvres choses blanchâtres et maladives. Malgré une douleur plus supportable, les gestes restaient lents et saccadés.
Le justicier passa sa main sur sa barbe rugueuse et ses cheveux gras en soupirant. Son apparence déchue ne lui remonta pas le moral même s'il se consolait un tant soit peu qu'il serait difficile de reconnaitre la figure emblématique de Gotham derrière cet être méconnaissable.
Le seul point positif qui le réconfortait un peu.
Bruce baissa la tête sous le filet d'eau, reconnaissant de pouvoir se défaire enfin de la crasse qui commençait à lui provoquer de pénibles démangeaisons. Une toilette bienfaitrice qui lui rendait un peu de dignité et dans l'état actuel de choses, ce n'était pas du luxe.
Alors qu'il enfilait ses nouveaux habits, Le milliardaire grimaça d'amertume en reconnaissant que la taille était à chaque fois parfaite.
Effrayant de voir à quel point le Joker le connaissait.
Il mit la parka, remonta le col du pull, installa la casquette grise sur sa tête puis la recouvrit avec la capuche. En se voyant dans cet accoutrement, boursouflé et contusionné de toutes parts, Bruce ne put s'empêcher de se moquer de lui-même, il ressemblait à l'un de ces nombreux zonards de Gotham qu'il avait maintes fois poursuivi et tabassé.
- « Batsyyyyyy… Ça y est ? Tu es enfin prêt ? Je t'attends moi ! » Se lamenta le Clown en frappant doucement à la porte. « Tu ne voudrais pas être en retard pour notre rendez-vous, n'est ce pas ? Tu ne me ferais pas ça ? »
- « Mais tu vas la fermer juste une seconde ! » Avait hurlé le chevalier noir en crispant ses mains sur le lavabo. « Ça va faire la sixième fois que tu reviens à la charge ! »
- « Oh je vois, Monsieur est coquet. Ne t'en fais pas, avec ou sans ton masque, tu resteras toujours le même à mes yeux » Gloussa le criminel en tapotant ses ongles comme on égraine les secondes d'une pendule « Tic- tac… tic-tac… Mais ne traine pas trop mon mignon, inutile de te rappeler pourquoi. »
Bruce regarda une dernière fois la photo avant de l'enfuir brusquement dans la poche de son pantalon en grognant.
Maudit soit-il !
Où est donc cette bombe ?
Dans une école ? un hôpital ? un centre commercial ?
Le chiffre est précis... trop précis...
Je dois la trouver et résoudre cette enquête...
j'ai besoin de lui...
Ce malade le sait.
Il ne fallut que quelques minutes supplémentaires pour que le justicier daigne enfin ouvrir la porte et apparaitre dans l'embrasure de celle-ci à pas lents. D'abord tête baissée, puis face à son ennemi, un regard noir comme jamais, foudroyant le clown qui n'avait jamais semblé aussi victorieux que maintenant.
- « Bonjour, beau masque, vous me voyez à visage découvert, et vous ne me connaissez pas vous êtes masqué, et je vous connais ! » S'amusa à réciter le criminel dans un excellent français, tirant cette citation d'une œuvre de DANCOURT.
Il fallait avouer qu'elle était de circonstance.
Bruce, quant à lui, ne put dissimuler son étonnement, le dandy coloré avait disparu.
A présent, le Joker était vêtu d'un élégant complet veston noir décontracté, avec chemise grise. Le vert délavé de ses cheveux ébouriffés avait fait place à une teinture sombre, mise en valeur par une coiffure peignée en arrière. Un maquillage maitrisé avait réussi à donner à ce teint blafard, un aspect plus proche du naturel.
- « Tu as l'air… si normal » S'exclama Bruce. Une franchise qu'il regretta amèrement d'avoir partagée.
- « Voyons, voyons, s'il te plait, pas d'insultes Batsy ! Restons corrects ! »
Mais cela restait une façade.
Derrière le vert des prunelles, derrière cette apparence étrangement normale, le milliardaire distinguait toujours cette intelligence démentielle, gigantesque, complexe. Presque impossible à imaginer et à comprendre. Seul le Joker lui faisait cette impression et aussi bon acteur qu'il était, sa nature véritable ne pouvait être dissimulée derrière un costume et du fond de teint.
Pour lui toutes les vies devraient naitre dans le sang, vivre le temps d'une infime seconde, juste assez pour traverser les airs et se terminer dans une explosion de rouge.
Rouge.
Comme ses lèvres difformes qui ne pouvaient s'empêcher de dessiner ce terrible sourire.
Détail difficilement camouflable, qui rappelait très vite au souvenir du psychopathe.
- « Je me sens déjà comme ton Robin, Brucie » S'extasia t'il en accentuant volontairement la prononciation du prénom, afin d'agacer une nouvelle fois son acolyte. « Ça va être l'éclate partenaire ! tu ne vas pas regretter mon aide ! »
- « Je la regrette déjà… » Maugréa le justicier en se renfrognant un peu plus sous sa capuche.
- « En même temps, ce n'est pas comme si tu avais vraiment le choix, n'est ce pas ? »
- « … »
- « Incroyable, même sans tes oreilles de chauve-souris tu restes fidèle à toi-même, mon taciturne et peu loquace ami » Se moqua le Joker en lui ouvrant la porte « Milliardaires en premier ! »
Bruce poussa un grognement de dépit, puis lui passa devant en lançant un de ces regards qui ne pouvait que faire soupirer de bonheur le psychopathe.
Les deux hommes mirent un certain temps jusqu'à la sortie de l'usine. Le Joker devant s'adapter au rythme lent de son acolyte.
Arrivés à l'extérieur, ils prirent un temps de pause avant de regagner le véhicule.
La pluie tombait sur un quartier agité de soubresauts de ci de là, un camion de livraison ou un groupe de clochards blottis contre un brasero, de plus en plus rares alors que l'heure avançait et jetait les hommes dans leur lit, ne laissant dans les rues que ceux qui n'avaient pas eu le choix, ou bien qui avaient décidé de braver les éléments pour une raison ou pour une autre.
Les perdus et les fous.
- « Alors, où comptes-tu m'emmener Joker ? » Demanda sèchement le justicier en vérifiant les alentours.
- « Se faire un Italien pardi ! » répondit le clown avec son sourire de mauvaise augure « Tu vas voir, tu ne vas pas le regretter »
Aux paroles du criminel, Le brun s'était brusquement figé.
- « Ne fais pas cette tête, Batsy, je ne te demanderai pas de sortir le portefeuille... C'est moi qui régale ! »
Même dissimulé sous sa capuche, le Joker parvint à deviner l'expression perplexe de son partenaire. Il y avait tant de questions dans son regard azur.
Trop drôle...
Décidément il ne se lassait jamais de le faire tourner en bourrique.
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Au même moment, de l'autre côté de la ville
Le fait que le grand patron se trouve à sa proximité filait toujours les jetons au vieux Tony Madici, Barman de profession au Salon de l'iceberg. Derrière son comptoir, il continuait, l'air de rien, d'essuyer ses verres, son regard passant furtivement du petit homme bedonné à la redingote noire au sbire qui restait tête baissée, son bonnet coincé dans ses deux mains jointes, tel un enfant que l'on s'apprêterait à punir.
- « Comme je vous le dis… tous morts… nous n'avons pas encore retrouvé le clown… »
Celui qui se donnait un air d'aristocrate avait grimpé difficilement l'un des hauts tabourets, puis avait réajusté son monocle rayé dans un soupir ennuyé.
- « Whisky ! » avait-il dit, d'une voix ferme. Après avoir ingurgité la boisson sans plus de cérémonie en s'essuyant bruyamment avec la manche, il avait simplement frappé sur le comptoir avec le fond de son verre pour exiger en silence qu'on le resserve.
- « Je vous prie de me pardonner Boss… j'aurai du monter une meilleure équipe. »
Dieu sait qu'au cours de sa carrière Tony Madici avait travaillé pour de nombreux mafieux, toujours plus méprisables, ambitieux, véreux les uns que les autres... mais aucun ne rivalisait avec ce petit gars au physique adipeux particulièrement repoussant. Avec son long nez crochu, ses petits yeux sournois, et sa démarche de palmipède, Oswald Cobblepot ou plus communément nommé Le Pingouin, confortait sa main mise sur un marché noir fort lucratif, notamment dans le domaine des armes, de la drogue, du recel et du sexe.
Négociateur impitoyable et insensible, il s'était fait dans le meurtre et la terreur.
Le genre de type à ne pas contrarier, donc.
Le vieux barman n'aimait pas le parfait contrôle de soi dont Cobblepot faisait preuve. Cela le rendait nerveux.
Non... en fait, ça lui fichait la trouille.
Pour en avoir déjà trop vu en sa compagnie, Il savait pertinemment comment tout cela allait finir.
- « Tu as un petit garçon de six ans, n'est ce pas ? » demanda le Pingouin avec un sourire affable qui sonnait faux sur son visage atypique. « Il est actuellement confié à ton ex femme pour la semaine, Tiffany, je me trompe… »
- « P… pas ça… » Bégaya le sbire en comprenant la terrible situation « Pitié Monsieur, Surtout ne leur faites pas de mal, je ferai tout ce que vous voudrez ! »
Le Pingouin eut un bref haussement de sourcil puis se pencha pour saisir son parapluie noir à la garde aussi froide qu'une pierre tombale, aussi froide que la mort.
- « Bien… vois-tu mon cher ami, je suis plutôt de bonne humeur ces temps-ci, malgré mes soucis avec le Joker, les affaires se portent plutôt bien et la chauve-souris brille par son absence. Alors je vais te faire une fleur et me montrer clément. Exceptionnellement, je vais te laisser faire un choix… celui de ta mort ou de la leur... »
Le patron du Nightclub dévissa le manche de son accessoire pour ensuite y verser son contenu rougeâtre dans le whisky qu'il glissa le long du comptoir en direction de la pauvre âme.
Les joues de l'homme tressaillirent, trahissant sa terreur. Il réussit tout de même à retrouver assez de contenance pour répondre quelque chose.
- « M… Monsieur Cobblepot, je peux me racheter… »
- « Bois ! » ordonna le patron du club, d'un ton tranchant.
- « Si vous me laissiez une dernière chance… »
- « Je ne supporte pas l'échec ! »
- « M... mais... »
- « C'est ça ou dans deux minutes très exactement, ton sale morveux et ta bonne femme auront droit à une visite surprise, et crois-moi ce ne sera pas le livreur de pizzas. Passé ce délai, si je n'ai pas appelé le gars... bye-bye la famille, tu comprends ? »
La mâchoire du sbire tomba net, il prenait conscience que son espérance de vie venait de chuter en-dessous de celle du parachutiste sans parachute. Il frotta ses mains moites de sueur et ouvrit la bouche dans une dernière tentative de supplication.
- « Pitié… »
Le pingouin lui présenta le verre sans même une pensée pour celui qu'il allait tuer. D'autres auraient jubilé, ou peut-être hésité. Lui était très calme, amusé même. Il allait abattre cet incapable, et ça serait fini pour ce soir. Ensuite il pourrait prendre une bonne nuit de sommeil.
La mort est toujours une denrée disponible à volonté dans ce monde et le Joker aura son compte tôt ou tard.
- « Plus qu'une minute » rappela Oswald en regardant sa montre avec nonchalance.
Le malfrat porta d'une main tremblante le récipient à ses lèvres, pleurnichant à chaudes larmes avant de trouver enfin le courage d'avaler le contenu d'une traite.
Derrière son comptoir, Tony Madici aurait pu prier pour que tout ceci ne soit qu'un affreux cauchemar, mais il savait bien que ce qui se passait était bien trop horrible pour avoir été créé par son subconscient. Il vit le gamin chuter aux pieds du Pingouin et s'étouffer longuement avec son propre sang. Pris d'atroces convulsions, le malheureux ressembla à un de ces pantins désarticulés avant d'enfin succomber.
- « Ma foi, un dix-huit ans d'âge fort agréable au palais. » s'exclama Oswald d'un sourire machiavélique « Tony ! Je veux que l'on me commande-moi huit autres cartons de cet excellent nectar, il est à mourir ! »
- « Bien, Monsieur Cobblepot… » répondit Le Barman en regardant son patron à queue de pie descendre de son tabouret et se dandiner jusqu'à son bureau en ricanant à gorge déployée.
Alors que le pingouin disparaissait derrière la porte, le vieux Madici fut prit d'un doute affreux.
Allait-il réellement laisser en paix la famille du jeune malfrat.
Il ne l'avait pas vu prendre de téléphone pour annuler la visite.
Oh Seigneur…
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Harley Quinn regarda Ivy avec un air de chien battu en se rendant compte de l'endroit où elle l'avait conduite. Elle se tenait à l'angle d'une ruelle donnant droit sur un établissement qu'elle ne connaissait que trop bien : Le Salon de l'Iceberg.
A l'extérieur du Nightclub, le videur fumait une cigarette devant la porte de service en compagnie de six de ses collègues. Les hommes essayaient de se donner des airs de conspirateurs.
- « Ok… Je passe… » S'exclama Harley Quinn en faisant mine de rebrousser chemin, vite retenue par la prise ferme de Poison Ivy.
- « Pas si vite… Tu voulais mon aide, alors tu vas faire ce que je te dis, compris ? » Gronda la plantureuse avec autorité.
- « Mais Pamie… » Couina la petite amie du clown en essayant de se défaire de l'emprise de son amie.
- « Il n'y a pas de pas de Pamie qui tienne ! Si je suis dans cette situation c'est quand même en grande partie de ta faute ! »
- « Je t'ai déjà dit que j'étais désolée… » Marmonna l'arlequin en regardant ses pieds d'un air penaud. « Comment je pouvais deviner que Nightwing me suivait… »
- « Celui là… » Grogna la botaniste, au souvenir du désastre qu'il avait causé « je jure de lui faire payer pour mes plantes »
- « Comment ? »
- « J'ai ma petite idée… » Répondit-elle, énigmatique. « Mais chaque chose en son temps, commençons d'abord par retrouver le Joker… »
- « D'accord mais pourquoi le bouffeur de sardines ? »
- « On va avoir besoin de son aide »
- « Pam, on ne va pas être les bienvenues » prévint Harley en triturant nerveusement ses couettes « Surtout moi… »
- « Ça vois-tu, je n'en suis pas si sûre » dit-elle avec un demi-sourire sur les lèvres.
- « Je ne comprends pas… »
- « Pas besoin de comprendre, tu me suis et tu me laisses faire ! »
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A suivre…
Note de l'auteur : Je m'excuse pour cette longue pause, mais j'ai dû délaisser quelques temps le monde de la fanfiction pour raisons personnelles. Ces dernières à présent réglées, je peux à nouveau me consacrer à mon projet. Ne vous inquiétez pas, l'histoire va reprendre tambours battants dés le prochain chapitre intitulé : "PRIS EN FLAGRANT DELIRE"
A bientôt et merci pour vos futurs commentaires.