BATMAN : Les ailes coupées
CHAPITRE 5
Encore une de ces soirées où le brouillard semble ralentir jusqu'au temps lui-même, étirant mollement les rues de Gotham dans la lumière floue des lampadaires. Les rares voitures évoquaient des bêtes lentes et trapues, émergeant difficilement de l'oppressante atmosphère de la ville. La lune pleine qui éclairait le chemin par intermittences à cause des nuages était accompagnée par la projection du bat-signal.
Un appel qui restait désespérément sans réponse depuis quelques jours.
Des passants arpentaient les trottoirs mouillés tels des fantômes, dissimulés sous plusieurs couches d'épais vêtements, suivis par les volutes de vapeur qu'ils dégageaient à chaque expiration. Parmi eux, Emergea le Joker habillé d'un sobre pantalon noir et d'un blouson à capuche grise rabattue sur la tête. Il portait un petit sac en papier dans ses bras. Son visage était délibérément baissé pour éviter de croiser le regard des badauds. Seul vestige de ses habitudes vestimentaires, cette petite fleur violette sur le cœur.
Cette fois ci, pas de scènes… pas de vêtements colorés… ni de rires tonitruants… Seulement un type quelconque, revenant de ses courses. Du moins, c'était l'impression qu'il voulait donner.
Le criminel avait confié la chauve-souris à son assistante le temps d'un détour par l'épicerie du coin, histoire de récupérer de la vraie nourriture cette fois. Harley s'était bien sûr proposée pour s'occuper de cette tâche, ce qui lui avait valu une claque sèche dans la figure en guise de refus. Le Joker avait réussi à sauver Batman de l'hémorragie, ce n'était pas pour le voir succomber à une intoxication alimentaire.
Voilà bien une heure qu'il déambulait dans le quartier, L'envie grandissante de mettre un peu d'ambiance dans ces rues maussades. Après tout, cela faisait presque une semaine qu'il n'avait pas fait parler de lui… trop occupé par son rôle de Baby bat-sitter. Il canalisait de plus en plus difficilement cette envie grandissante de se défouler pour décompresser un peu.
Le Joker s'engagea à présent dans un raccourci. L'endroit n'était pas rassurant. Un coin sombre, garni de poubelles renversées avec des bouches d'égout suintantes une odeur infecte. Après quelques mètres, il entendit dans son dos, le bruit d'une bouteille en verre roulant sur le sol, puis des ricanements.
Une voix bourrue l'interpella avec autorité.
- « Toi le Connard… file-nous tout ce que tu as, si tu ne veux pas qu'on te refasse le portrait ! »
Le bouffon se retourna lentement sur deux individus armés de crosses. Le premier type, un grand costaud à la peau sombre, portait un épais blouson matelassé. Quant à l'autre, il était d'une stature plus svelte, habillé d'un long manteau noir et d'un bonnet de la même couleur.
- « Eh bien, Messieurs, je dois dire que vous avez choisi le moment idéal pour vous en prendre à moi, j'avais bien besoin de me marrer » dit le criminel d'une voix perfide. Il posa le sac de provisions à ses pieds puis rabattit sa capuche dans son dos, découvrant son identité à ses agresseurs « Et ne vous en faites pas pour mon portrait, il a déjà eu sa retouche »
En réalisant que le prince du crime lui-même se tenait en face d'eux, les malfrats affichèrent sur leurs visages crasseux, une terreur indescriptible.
- « Merde… c'est vous Joker ? Une seconde… Attendez… ! » Implora le premier homme en s'agenouillant à ses pieds « on travaille pour vous ! Pitié… pardon… »
- « On…. On ne savait pas… » Bafouilla le second, les mains devant le visage pour se protéger.
- « Vous m'avez attaqués… » Constata le clown en inspectant ses ongles d'une moue ennuyée.
- « On vous l'a dit… nous sommes désolés… c'était une erreur ! »
- « Donc logiquement si je vous tue là maintenant… ca ne sera que de la légitime défense » Un large sourire à faire pâlir de jalousie le chat du Cheshire s'afficha sur les lèvres rubis du criminel « J'en connais un qui n'aura rien à redire à mes actes »
Rapide et précis, le Joker balança une première carte à jouer en direction de la jugulaire de l'homme agenouillé. La bouche de la victime se remplit immédiatement de sang, tandis que sa gorge tranchée libérait à grands flots le liquide rouge. Le voyou tenta dans une ultime étincelle de vie, de porter sa main à son cou pour contenir l'hémorragie mais s'effondra ventre à terre, convulsant quelques secondes avant de s'immobiliser définitivement.
- « Putain ! » hurla le second sbire en tentant de fuir le psychopathe.
Le clown empêcha la retraite de l'homme en visant cette fois le tendon d'Achille, faisant écrouler lourdement le malheureux dans un cri de douleur.
- « Pitié… ne faites pas ça ! » gémit l'homme en rampant sur les coudes. Celui qui se tenait devant lui n'était pas un humain, mais une abomination vomie des profondeurs d'une cuve d'acide. Et ce monstre s'apprêtait à le tuer.
Le bouffon sortit de son manteau une lame affutée, puis se mit à califourchon au dessus du voyou pour l'immobiliser. Le Joker poignarda une première fois dans le bras droit et tourna la lame toujours enfoncée dans sa chair, s'y attardant le temps de sentir la chaleur du liquide visqueux entre ses doigts.
Tout en plaquant sa main sur la bouche du malheureux pour étouffer ses hurlements, il sentit la rage l'enivrer.
Plus de sang. Plus vite. Plus fort.
Dans un éclat de rire, Il recommença encore et encore, transperçant son corps de toute part avec frénésie. Il observa un moment le sbire se vider de son sang, puis lui trancha la gorge d'un coup bref.
Cet instant magique où la vie s'échappe…
Ca c'était marrant…
Le Joker reprit son souffle quelques secondes, savourant cette endorphine du plaisir envahir tout son être.
Puis enfin, il se releva et défroissa son manteau taché d'hémoglobine, comme si de rien n'était. Il récupéra ensuite son sac, le plaqua sur son torse afin de dissimuler le plus gros des éclaboussures et reprit, satisfait, le chemin de l'appartement.
Il était temps de rentrer…
---
Après quelques minutes de marche, il arriva enfin à l'immeuble désaffecté.
- « Eh, Oh Batsy, je suis à la maison! » annonca le Joker en faisant irruption tel un artiste, attendant d'être applaudi pour son entrée en scène. « J'espère que tu as été sage… »
Le clown effaça immédiatement sa bonne humeur en découvrant la chauve-souris à quelques mètres de lui, appuyée au mur, l'équilibre très approximatif.
- « Je suis désolée Monsieur J » surgit Harley en tortillant l'une de ses couettes, telle une enfant facétieuse « j'ai tourné le dos deux minutes et il s'est levé… j'ai essayé de le convaincre de se rallonger mais… »
- « Harley… tu veux bien me tenir ce sac ? » interrompit le clown d'une voix étrangement calme.
La jeune femme s'exécuta et saisit le paquet sans poser de question. Libre de sa charge, le Joker envoya un claquant revers de la main sur la face de l'ancienne psychiatre, qui à la surprise du coup, lâcha le contenant sur le carrelage.
- « Idiote ! Je t'avais demandé de le surveiller ! Il n'est pas en état de se lever » Hurla le clown en regardant la blonde retenir ses larmes avec une froide indifférence « SORS ! Je ne veux plus te voir ici ! »
- « Patron… je suis désolée… » Se lamenta l'assistante, en se frottant sa pauvre joue endolorie.
- « Va-t'en ! » Il l'attrapa violement par le poignet et l'entraina sur le palier de la porte.
- « Mais… »
La porte claqua si fort devant le visage larmoyant de la jeune femme, que ses tresses se soulevèrent sous l'effet du courant d'air.
- « Qu'as-tu fait ? » grogna Batman en s'éloignant du mur.
- « Oh Harley ? Je la ferai revenir quand je l'aurai décidé… Bon, et si tu retournais t'allonger Batou... »
- « Ce sang… »
- « Ah ça ? » Le criminel baissa un instant son regard sur ses vêtements souillés, avant de revenir sur la chauve-souris qui boitait dans sa direction « C'est une histoire assez drôle… tu veux que je te la raconte ? »
Une fois à sa hauteur, Batman s'agrippa à son col et se retrouva à quelques centimètres du visage rieur.
- « Réponds-moi Joker ! » cracha t'il entre ses dents serrées.
Le bouffon partit dans un éclat de rires tout en levant les mains ensanglantées en l'air.
- « Je suis innocent votre honneur ! Je n'ai fait que me défendre… j'avais vraiment décidé de ne pas faire de zèle ce soir… je le jure… mais ces types sont arrivés, et comment dire… ils m'ont tendu la perche… »
La chauve-souris propulsa le clown contre la porte, dans un râle de colère. Il obtint un sentiment de satisfaction quand il entendit sa tête heurter l'obstacle.
- « Et puis tu sais ce qu'on dit ? Il ne faut jamais laisser passer une occasion de s'amuser ! » renchérit le psychopathe, toujours en pleine euphorie.
Ce rire…
Batman n'en pouvait plus…
La douleur était toujours là, omniprésente, et irradiait dans chacun de ses muscles tendus à rompre. Mais c'était comme si elle était reléguée à l'arrière-plan et se fondait dans le flux d'adrénaline pure qui semblait avoir remplacé son sang. Le poing du justicier rencontra la mâchoire du clown. Encore, et encore, il le frappa à plusieurs reprises.
Au fil des secondes, les coups devinrent de moins en moins efficaces. Le chevalier noir se détacha du criminel pour s'appuyer à nouveau sur le mur, son énergie complètement sapée et sa douleur devenue insupportable. Le souffle court, Il glissa le long de la surface pour se retrouver en position assise.
Le clown enfin silencieux, fit de même et se laissa tomber lourdement à ses côtés. Il porta sa main à ses narines pour essuyer une ligne de sang qui affluait, puis se passa la langue sur la lèvre supérieure, également fendue. Un gloussement lui échappa, lorsqu'il tâtonna enfin sa joue gauche boursoufflée.
- « Qu'est ce qu'on s'éclate tous les deux… » S'exclama le Joker en posant sa main sur l'épaule du Justicier.
Le regard intense du justicier agressa le criminel, si seulement il avait la force de briser chacun de ses doigts.
- « Tu aimes ça… n'est ce pas ? » Ricana le Joker en allongeant ses jambes devant lui « Te défouler sur les autres… » Le clown appuya sa tête sur le mur, les yeux fixés au plafond « Tu donnes toujours une justification à tes actes pour te convaincre que ce que tu fais est normal… mais tu y prends du plaisir, Ca compense cette frustration qui te ronge : le fait de ne pas pouvoir tuer… »
- « Tu as tort ! Je… » Répliqua Batman sans pouvoir terminer sa phrase. Etait-ce à cause de la douleur, des blessures…
Ou parce qu'il avait été perturbé par les propos du clown ?
Non, il n'était pas comme ça… Il ne prenait pas plaisir à blesser les autres. S'il le faisait c'était pour maintenir la justice, pour sauver des innocents.
- « Et puis regarde nous tous les deux… » Poursuivit le clown « Je tue… tu me fais ma fête … je recommence… tu me cognes à nouveau… foutu cercle vicieux hein ? »
Le justicier considéra son Némésis avec une certaine résignation. Il devait admettre qu'il avait raison sur ce point. Après toutes ces années, ils restaient dans une impasse.
- « Pourquoi ne veux-tu pas me tuer Batman… ? » Lâcha finalement le clown, presque comme une complainte.
L'homme masqué ne sut comment interpréter l'expression qui se grava furtivement sur le visage amoché du bouffon. Il se détourna de lui, tout en soufflant de dépit « Parce que tu gagnerais… »
Le Joker dévoila alors ses dents comme un monstrueux prédateur carnivore.
- « Mon grand... J'ai comme l'impression que notre danse va encore durer un long moment… »
A suivre