BATMAN : Les ailes coupées

CHAPITRE 4

Un sentiment de crainte envahit Batman à la vue de la grande cuillère. Cet horrible sirop noir s'approchait dangereusement de ses lèvres alors qu'il se tordait douloureusement le cou pour rester à distance de la substance putride.

- « Batou vraiment, cesse de faire le bébé. Ce n'est pas un répulsif pour rongeur je te le promets » souffla le Joker avec un large sourire. Il pressa la cuillère sur la bouche désespérément fermée du grand blessé « De toute façon, j'ai beaucoup plus efficace pour tuer un rat volant. Ma batte de baseball par exemple…»

- « Vous l'aimez mon cadeau, n'est-ce pas Monsieur J ? » s'exclama Harley, assise aux côtés du clown, les jambes croisées.

- « Et comment mon chou… »

Si les regards pouvaient tuer, le Joker serait un homme mort. L'expression haineuse du chevalier noir fit d'ailleurs hurler de rire le criminel.

- « Allez, Batman, ouvre la bouche ! » encouragea une nouvelle fois le bouffon « J'ai demandé à Harley de rajouter une petite touche de miel pour adoucir le médicament… »

- « Sauf qu'il n'y en avait plus… » Poursuivit la jeune femme avec une moue faussement embêtée.

- « Ah… ? Bon tant pis… tu te contenteras donc de ce goût de javel… »

Je jure qu'un jour je vais effacer ce sourire de ta face de taré ! avait pensé si fort Batman. Mais au lieu de cracher cette invective à la figure, il s'obligea à garder le silence. La situation n'était pas à son avantage, surtout qu'à présent il se retrouvait littéralement lié au canapé, incapable de bouger.

En effet, après la séance de torture du Joker, le justicier avait lutté tant bien que mal contre l'évanouissement mais n'était pas parvenu à fuir celui-ci. A son réveil, il découvrit que ses bras et ses jambes avaient été soigneusement attachés au divan par un ensemble de longues cordes au cuir épais, provoquant une désagréable constriction. Au début, il essaya de se défaire de l'entrave, avant de se rendre vite compte que sa tentative était vaine. Ses membres étaient bien trop amochés pour espérer se tortiller hors des liens.

Voilà plus de vingt minutes que le Joker tentait d'enfourner ce soit disant anti-infectieux à son prisonnier récalcitrant. Bien que la situation fût amusante un moment, il commençait sérieusement à s'impatienter.

- « Harley, s'il te plaît… »

- « Tout de suite Monsieur J »

Le poing de la jeune femme frappa violement l'épaule de Batman. Un coup sec sur une lacération qui envoya des signaux de douleur dans tout le corps. Par reflexe, l'homme ouvrit la bouche pour en sortir un gémissement. Immédiatement, le Joker en profita pour fourrer la quasi-totalité de la cuillère et son contenu dans la gorge du justicier.

- « Voilà ! Fais un grand AH ! » Se moqua le bouffon satisfait de sa diversion.

- « Pire qu'un gosse… » Renchérit Harley en se frottant les mains.

Batman toussa à maintes reprises l'horrible liquide qui choquait ses papilles et coulait difficilement le long de sa gorge. Le goût absolument répugnant du médicament lui donna envie de vomir.

- « Oh non ah ah… si tu voyais ta tronche…. C'est à s'en rouler par terre ! ».

- « V…va… TE FAIRE FOUTRE JOKER ! » Tonna le chevalier noir en sortant difficilement de sa quinte de toux.

- « Hoho ... Batou est vexé… ? » s'exclama le criminel avec cette odieuse mimique « il n'aime pas que je lui donne la bectée pour faire baisser la vilaine température… » 

- « La pauvre chauve-souris n'est pas au bout de ses peines » ajouta l'ancienne psychiatre avec des yeux brillants de sadisme « D'ici quatre heures on remet ça ! »

- « Tu sais maintenant ce que j'ai pu ressentir à Arkham… » Conclut le bouffon en affichant furtivement une grimace au souvenir des séances d'administration des maudites pilules.

- « RELACHE-MOI ! ESPECE DE MALADE ! »

- « Malade moi ? » sourcilla le Joker « un mec qui se ballade sur les toits, déguisé en chauve-souris est peut-être un signe d'équilibre psychique ? Non mais sans blague ! »

Le criminel constata la frénésie non dissimulée du blessé. Jamais encore il n'avait vu le chevalier noir empreint à une telle frustration. Il était si agité… trop agité. L'anti-infectieux serait bientôt le moindre de ses soucis s'il parvenait à rouvrir une nouvelle fois ses blessures en se déchaînant ainsi.

- « Monsieur J, qu'est ce que vous faites ? » s'inquiéta Harley en voyant le clown desserrer les lianes de cuir.

- « Eh bien, Je réponds à sa demande ma chère »

Il s'activa à détacher le chevalier noir. Au bout de quelques minutes, ce dernier se retrouva libre de tout mouvement.

Quelque chose dans l'esprit de Bruce s'intensifia et explosa, tandis qu'un son grave et guttural se brisa dans la gorge. Subitement, il pistonna son bras en avant, projetant approximativement son poing en direction du clown. Le geste fut bloqué à pleine main avec une facilité déconcertante.

Le regard azur empli de détresse, s'afficha sur le visage désespéré du justicier tandis qu'il ramenait sa main pour se tenir le flan irrité par le mouvement. Le Joker devina le combat qu'il menait en son for intérieur.

Il se battait pour sa dignité.

- « Ca y est ? Tu es calmé… ? »

Le silence qui s'ensuivit fit office de réponse.

- « Je prends ça pour un oui… »

Résigné, Batman souffla, comprenant enfin l'étrange initiative de la libération des sangles. Le clown avait voulu lui faire comprendre une bonne fois pour toute qu'il était trop faible pour l'inquiéter de quelque manière qui soit.

Il fallait qu'il accepte sa situation de dépendance et sa condition physique alarmante.

Le dandy clownesque provoqua chez le justicier un panache effroyable de sentiments, tous aussi désagréables les uns que les autres. Son attitude et ses motivations le dépassaient complètement.

En y repensant...

Les différents spécialistes d'Arkham ayant rencontré le Joker avaient tous conclut à un diagnostic différent : Psychotique, imprévisible, paranoïaque... Un brin de ci, un soupçon de ça…

Il était déjà un mystère pour la médecine moderne, pas étonnant que le chevalier noir soit aussi hors course à son sujet.

Cependant, il était sûr d'une chose. Derrière les facéties du clown, se cache une profonde intelligence, si subtile ; unique en son genre. Batman avait souvent essayé de donner un sens aux actes du clown, de chercher un motif, de les interpréter. Mais le prince du crime était un fervent amateur de l'exagération.

Un plan, dans un plan, dans un plan…

l'absurde complexité du Joker...

Sans nul doute, sa meilleure arme...

La réflexion de l'homme masqué vola en éclat lorsqu'il sentit la main du bouffon se poser sur son bras dans un geste réconfortant. Le contact le mit étrangement mal à l'aise. Peut-être parce qu'il avait l'air sincère.

- « Il va falloir que tu manges… sinon tu risques de mal supporter le médicament… » dit-il au blessé avant de se tourner vers Harley « Et si tu nous préparais le diner mon sucre d'orge » .

- « Je m'en occupe Monsieur J » acquiesça la jeune femme penchée au dessus du chevalier noir « Pour toi Batman, ce sera quoi ? Insectes ? Araignées ? Autres invertébrés ? »

Une expression d'incrédulité passa furtivement dans les yeux océan du blessé.

- « Voyons, elle plaisante... » Rassura le criminel en se mordant les lèvres, retenant une envie irrépressible de rire.

Batman se raidit brusquement, lorsqu'il vit la main du criminel plonger dans l'intérieur du manteau violet.

- « Bon sang, mais détends-toi un peu Batou… ! Je ne vais pas te trancher la gorge, je te le jure ! » ricana le clown en extrayant un lot de cartes « Je voulais juste te montrer quelques tours. Passer le temps quoi… »

le Joker commença par mélanger le paquet avec habileté et grâce.

- « Allez ! C'est parti pour un peu de magie... »

Dans les doigts fins et talentueux du criminel, les cartes volaient, dansaient, disparaissaient, réapparaissaient… Elles semblaient répondre à son unique volonté. Le bouffon manipulait ces objets avec une fluidité sans égale. Il était vraiment très doué… un maître dans cet art.

Bien sûr, tout au long du spectacle, l'expression de Batman ne laissa rien paraître. Il avait gardé son visage stoïque. N'importe qui d'autre aurait pu croire que l'homme avait l'air de s'ennuyer, mais c'était sans compter sur le clown qui le connaissait assez pour décrypter au travers de ce regard neutre, l'intérêt qu'il portait à son petit show improvisé. Le fait que le justicier ne quittait pas des yeux ses mains blanches, le conforta dans son analyse.

Après un long moment, le Joker regroupa enfin les cartes en une pile soignée pour les replacer dans sa poche avec une certaine fierté.

- « Alors qu'est-ce que tu en as pensé ? »

Le chevalier noir hésita un instant s'il devait lui répondre ou non.

- « C'était… Pas mal… » Admit-il finalement, un brin dédaigneux.

- « Pas mal hein… ? » répéta le criminel en souriant « Ca c'est de la critique Batman… »

Un silence s'installa, juste brisé par le tintement de la vaisselle que manipulait Harley depuis la cuisine.

- « Où as-tu appris tout ça ? » se risqua à demander le justicier.

Le bouffon écarquilla de surprise ses grands yeux verts, quelque peu déstabilisé par la question.

- « Pour tout te dire, je n'en sais rien… »

- « Tu ne te souviens pas de la manière dont tu as acquis ce talent ? Tu l'as bien appris quelque part, par quelqu'un ? » Insista le blessé, intrigué par cette amnésie.

- « Et alors ? en quoi c'est important ? » Un soupir exaspéré glissa des lèvres du Joker « Le principal c'est que je sache le faire… »

- « Tu n'aimerais pas te rappeler ? »

- « Non ! »

- « Mais se souvenir de son passé… »

- « … N'est qu'une perte de temps ! » coupa le clown en adoptant un air menaçant « Maintenant on arrête là Batman… je ne te le dirais pas deux fois »

Bruce ne répliqua pas, inutile de faire sortir le clown hors de ses gonds, le sujet restait sensible et dangereux. Dans sa position actuelle, mieux valait ne pas tenter le diable.

Enfin, Harley émergea avec une assiette dans chacune de ses mains, elle attendit que Batman se redresse légèrement pour lui tendre son plat.

- « Burger fait maison ! » informa la jeune femme « Bon appétit ! »

Batman baissa les yeux sur sa nourriture. La viande était carbonisée, la salade défraichie, la sauce inexistante et le pain sec. Il dévisagea le Joker, dans une question silencieuse, comme lui seul était capable de poser.

- « C'est comestible… normalement… » Tenta t'il de rassurer dans un murmure complice.

Rassemblant tout son courage, le justicier se saisit du burger avec une main et l'étudia un moment avant d'en mordre une minuscule bouchée, inclinant légèrement la tête tandis qu'il mâchait difficilement.

C'était horriblement mauvais… mais tant pis, il mourrait de faim.

Il avala un nouveau morceau, bien plus important que le premier, regrettant plus que jamais l'excellente cuisine d'Alfred.

Le clown se tourna vers lui et essaya de sourire, malgré ses joues ballonnées, puis il parla avec une voix étouffée par son contenu :

- « Bon d'accord, la prochaine fois je me charge de la bouffe... »

A suivre…