BATMAN : Les ailes coupées
CHAPITRE 2
Le Joker ne pouvait s'empêcher de guetter la respiration de l'homme en lambeaux à sa droite. Force était de constater que la cage thoracique de celui-ci s'élevait à un rythme de plus en plus faible.
- « Crève et je te tue imbécile ! » avertit le clown avec anxiété, un sentiment qu'il croyait disparu depuis longtemps. Très vite, il chassa l'expression froncée de son visage en se rappelant que le type à côté de lui était Batman, ce mec increvable qui avait déjoué nombre de fois la mort, faisant naître à force, l'insupportable mythe que la chauve souris n'était pas humaine.
Des idiots… ! Cracha le Joker à l'encontre de tous ces superstitieux. Lui n'avait jamais douté… D'ailleurs c'était cette stupide humanité qui avait fait rendre le justicier si intéressant à ses yeux.
Arrivé à un carrefour, le clown donna un grand coup de volant. Le véhicule effectua un superbe dérapage contrôlé et ce, malgré une pluie qui augmentait la dangerosité de la route. Il fallait avouer que le redouté criminel était un conducteur de talent. Il avait relié le Diamond district à Upper east side en un temps record. Heureusement pour lui, le trafic à une heure du matin se faisait déjà plus rare. L'habitant honnête ne savait que trop bien qu'il était préférable de rester dans son petit chez soi au lieu d'appâter les bêtes en maraude de Gotham.
Enfin, la voiture se stoppa brusquement à côté de ce qui semblait être un complexe d'appartements abandonnés datant du début du siècle. Cette partie du quartier promise depuis des années à une rénovation, n'avait pas encore eu droit à ses travaux. La faute à une conjoncture économique peu propice au marché immobilier et à la présence de nombreux gangs décourageant les initiatives des rares promoteurs.
Hum… je sens que je ne vais pas aimer la suite… soupira le Joker en regardant le sixième et dernier étage de l'habitation délabrée. Celui dans lequel il s'était aménagé son petit confort.
Lui et son obsessionnelle manie à toujours vouloir être au sommet…
Le clown sortit du véhicule et vint ouvrir la porte de son passager, avec un air circonspect. Comment diable allait-il s'y prendre pour trainer le Justicier inconscient en haut ? A présent, il faisait deux fois son poids…
Il jugea que la meilleure solution était de le saisir sous les bras et de le trainer sur le bitume.
Ce qu'il fit.
Pas à pas et très difficilement, le Joker glissa le corps de l'homme jusqu'à l'entrée du bâtiment. Une fois à l'intérieur, il héla un tonitruant HARLEY, puis attendit quelques instants devant les premières marches que la jeune femme veuille bien descendre l'aider.
Malheureusement pour lui personne ne vint…
C'est pas vrai ! Mais où est-elle encore passée celle là ? Se demanda le Joker, très contrarié par l'absence de son assistante.
Le clown regarda à nouveau le grand blessé en claquant d'agacement sa langue contre son palais.
- « Merde chauve-souris…» jura t'il avant de se résoudre à gravir seul l'infernale épreuve de force. A plusieurs reprises, le Joker manqua de s'effondrer, déséquilibré par son imposant paquet. Pourtant lentement, marche après marche, il réussit l'impossible en menant le chevalier noir jusqu'au sixième étage.
Haletant, transpirant et douloureusement marqué par l'effort, il déposa un instant Batman au sol pour se détendre les bras endoloris et se masser rapidement les lombaires.
- « C'est… aie… pour ça que… je n'ai jamais aimé monter les courses… » S'exclama t'il en hoquetant de rire.
Une fois sur le palier, Il poussa du pied la porte qui s'ouvrit dans un grincement sinistre.
L'appartement réquisitionné par le psychopathe était un immense studio au désordre aussi chaotique que son esprit. De nombreuses guirlandes rouges et vertes accrochées au plafond, faisaient office d'unique éclairage tandis que l'on pouvait voir sur chaque pan de mur, des tags de menaces, des traces de sang, des inscriptions à la gloire du clown, de terrifiants sourires, ou encore des articles de journaux mettant à l'honneur les exploits du criminel. Bombonnes de gaz et armes en tous genres complétaient le décor du cloaque.
Afin de dissimuler toute présence, d'épais rideaux noirs avaient été disposés sur les hautes fenêtres. Ces dernières caroublées de planches, laissaient juste entrevoir une petite ouverture pour permettre la surveillance des environs. Le mobilier, quant à lui, se résumait à un divan au tissu usé, une grande table, quelques chaises, un lit double en retrait au fond de la pièce ainsi qu'un modeste frigo et une cuisinière stockée dans le léger renfoncement censé représenter la partie cuisine. Et enfin pour compléter le tout, une petite pièce cloisonnée contenant les sanitaires.
Arrivé au centre du studio, le Joker s'approcha du divan. Il puisa dans ses dernières forces pour soulever du sol la moitié du corps de Batman et faire en sorte qu'il se retrouve en position assise.
Les mains appuyées sur les genoux, le clown jeta un sourire en coin au justicier tout en arquant un sourcil :
- « J'espère que tu n'es pas du genre timide Batou car il va falloir que je te débarrasse de ta tenue »
Mais avant de commencer son affaire, l'homme aux lèvres rubis se dirigea à la salle de bain pour y rassembler toutes sortes de fournitures médicales, notamment du désinfectant, une paire de ciseaux, des seringues, des bandages, des aiguilles et des fils de suture. Il ramena le tout au pied du canapé.
- « Bon on y va mon grand... »
Après avoir ôté assez facilement la lourde cape noire ainsi que la ceinture de gadgets, Le criminel examina chaque angle de la combinaison pour y détecter un accès d'ouverture. Il pencha légèrement le blessé en avant pour tâtonner la base arrière de la nuque. Le clown parvint enfin à décrocher une petite plaque protectrice dissimulant le prolongement d'épais boutons de pression le long de la colonne vertébrale.
Alors qu'il tentait d'abord de tirer très fort sur la tenue, le Joker reçut en retour une désagréable décharge électrique. Un rire retentissant éclata dans la pièce.
- « Tu es un grand paranoïaque, tu le sais ça ? » gloussa t'il en secouant la main « Mais avoue Batman…le courant passe si bien entre nous »
Le criminel observa de plus près le mécanisme. Il n'avait pas remarqué au premier abord, les petites encoches rugueuses au creux des boutons. Le rictus du Joker s'élargit lorsqu'il eut finalement le déclic. Positionnant son index sur la première pression, il offrit un léger mouvement rotatif de la main.
Enfin, le bruit d'une libération d'air et la combinaison qui commença à se détendre. Après cela, le criminel ôta sans grande difficulté les différentes parties de l'armure. Au bout de quelques minutes, le chevalier noir se retrouva pieds nus, uniquement vêtu d'un pantalon et d'un maillot gris à manches longues réalisés dans une matière élastique.
- « Eh bien, Eh bien… quel gaillard ! » S'exclama le Joker en observant avec de grands yeux la carrure impressionnante du justicier.
Maintenant la tête…
Le clown commença à remonter la protection faciale, puis se stoppa subitement dans son geste. Pour l'instant, il ne se souciait pas vraiment de l'homme sous le masque… seul son taciturne alter égo avait son intérêt… alors pourquoi détruire le personnage ?
Et puis ce n'était pas comme si, après toutes ces années, le Joker n'avait pas compris l'identité de la chauve-souris. Il en rit tellement c'était flagrant. Bien sûr, il n'en avait jamais parlé à Harley, ni à quiconque d'ailleurs, et surtout pas à l'intéressé lui-même. Il était tellement plus drôle de laisser Batman croire qu'il contrôlait toujours son univers…
- « Tu peux le garder encore un peu finalement… »
Le criminel bascula l'homme sur le côté pour l'allonger, remontant ses jambes sur le divan. Il commença par découper soigneusement le pull incrusté dans les plaies à cause du sang séché. Peu à peu un torse nu, meurtri de cicatrices plus ou moins grandes, se découvrit. Les toutes fraiches côtoyaient d'anciennes marques de confrontations, dont certaines étaient parfois l'œuvre du Joker.
Pendant plus de deux heures, il s'affaira à nettoyer, recoudre, et panser chaque blessure. Le soin fut redoublé pour cette plaie à l'abdomen qui heureusement, ne semblait pas avoir touchée d'organes vitaux.
Recouvert ainsi de bandages blancs, Batman n'avait jamais semblé si vulnérable.
- « Tu as eu de la chance que je m'arrête dans cette ruelle… » Maugréa le Joker en constatant le piteux état de l'homme masqué.
Le clown se demanda un instant s'il était assez préparé... il était peu probable que le justicier se réveille maintenant. Compte tenu de sa perte importante de sang et des traumatismes liés aux soins, il pouvait très bien être tombé dans le coma. Si le chevalier noir n'ouvrait pas les yeux d'ici quelques heures, il devra songer à acquérir des intraveineuses, des poches de nutriments, et des antibiotiques.
Brisant soudainement ses pensées, une voix féminine particulièrement aigue résonna depuis l'escalier.
- « Monsieur J ! C'est moi ! Je ramène une petite surprise… »
En l'entendant, le Joker se leva en trombe pour se précipiter vers la porte. Il tomba nez à nez sur une Harley habillée d'une tenue évocatrice. En effet, elle portait un bustier tout en cuir qui avait par endroits des motif de carreaux et de losanges. Il était relié par des sangles formant un X à son pantalon de la même matière, bicolore et orné d'une ceinture noire à boucle représentant un carré d'as. Sa coiffure, quant à elle, se résumait à deux tresses blondes dont les pointes étaient un mélange hétérogène de rouge, de vert et de noir.
Ses pupilles bleues pleines d'aplomb et son sourire béat accueillirent le criminel qui se contentait de lui bloquer le passage de l'appartement avec une expression dénuée d'émotion.
- « Où étais-tu ? » lui demanda t'il froidement.
- « Je… Il… il vous manquait des substances pour l'élaboration de votre gaz hilarant… j'ai pensé bien faire en allant chez le Pingouin pendant votre absence pour lui piquer les produits nécessaires… » Elle agita doucement son butin en souriant niaisement.
- « Tu en as mis du temps ! »
- « J'ai eu du mal à me débarrasser de ses hommes de main… »
- « Hum… Je vois… » Répondit simplement le Joker en regardant de haut en bas son assistante « Bon compte tenu de ton initiative, tu es pardonnée… tu peux rentrer mon chou ! »
La jeune femme lâcha un petit couinement strident en guise de remerciement puis sautilla aux cotés du clown. Elle se stoppa net, lorsqu'elle aperçut la silhouette allongée dans le divan.
- « Mais… c'est... »
- « Au fait, je ne t'ai pas dit ! On a un invité ! »
Harley en resta sans voix. Elle découvrit Batman à moitié vétu et couvert de bandages dans son nid d'amour. A ses pieds, trainaient encore ustensiles médicaux et chiffons ensanglantés. Pendant un instant, elle supposa que son poussin avait réussit à capturer le chevalier noir et s'était amusé à le torturer. Mais elle supprima de suite cette hypothèse, lorsqu'elle vit le clown prendre une chaise et se poser près du grand blessé avec une improbable bienveillance.
- « Patron » héla la jeune femme d'une voix hésitante « Vous vous rendez bien compte que c'est Batman, n'est ce pas ? »
- « Oui… et... ? » Répondit le Joker en feignant l'ignorance.
- « Heu… c'est votre pire ennemi… normalement vous devriez... enfin vous savez... le... couiiiicc ! » elle mima avec son doigt, une gorge tranchée.
L'assistante commença à paniquer lorsqu'elle réalisa que les épaules du clown tremblaient de manière incontrôlée. Puis sa tête se releva, elle vit qu'il était en train de glousser, ou plutôt, essayait de se retenir, pour finalement se laisser aller, son rire de dément faisant trembler les murs.
Une fois le souffle revenu, le Joker répondit :
- « Oh, Harley, pas si vite, on a le temps… que ferai-je sans mon Batou ? il donne un sens à ma vie. S'il voyait tout le mal que je me suis donné pour lui sauver la peau... si après ça, il ose dire que je ne suis pas un ami, là oui je le tue ! Ahahaha »
A suivre