L'Héritage des Ombres : Le Souffle de la Résistance
Le matin suivant, Isabella entra dans le bureau où ses parents et Machiavelli étaient déjà en pleine discussion. Des parchemins éparpillés et des cartes étalées sur la table témoignaient de l'intensité des enjeux en cours. Arianna leva les yeux et accueillit sa fille d'un doux sourire, tandis qu'Ezio se massa la tempe, visiblement préoccupé.
"Bon matin," dit Machiavelli, en marquant une pause dans leur conversation. "Nous étions en train de faire le bilan de la nuit."
Arianna prit la parole : "Les caravanes ont réussi à sortir de la ville à temps, grâce à tes informations et à nos hommes qui ont mené l'opération. Les personnes traquées par les Borgia sont en sécurité, pour l'instant."
Isabella hocha la tête, soulagée mais tendue. "C'est une victoire, mais une victoire qui nous expose. Les Borgia vont se rendre compte que quelqu'un les a trahis."
Ezio, les mains jointes, fixa la table en bois devant lui. "C'est ce qui nous préoccupe. Isabella, tu es précieuse pour cette famille et pour notre cause, mais je ne suis pas sûr que te renvoyer auprès des Borgia après cette nuit soit la bonne décision."
Machiavelli intervint alors, avec son habituelle gravité : "La question n'est pas de savoir si c'est la bonne décision, mais si c'est celle nécessaire. Nous avons besoin de quelqu'un à l'intérieur, quelqu'un qui connaît les rouages du pouvoir Borgia."
Isabella se tourna vers son père, son regard déterminé. "Papa, je sais que c'est risqué. Mais c'est un risque que je suis prête à prendre. Notre mission n'a jamais été sans danger, et ce n'est pas le moment de céder à la peur. Ma couverture est peut-être compromise, mais il est tout aussi probable que les Borgia cherchent un coupable en dehors de leur cercle rapproché. C'est une chance que nous devons saisir. Je n’ai pas fait tout ça pour m’arrêter maintenant."
Ezio la regarda, les yeux sondant les siens, puis soupira profondément. "Tu as hérité de l'audace de ta mère et de mon entêtement, ça, c'est sûr." Il marqua une pause avant d'ajouter : "Très bien. Tu retourneras auprès des Borgia. Mais nous mettrons en place des mesures de sécurité supplémentaires pour veiller sur toi."
Arianna se leva et vint prendre sa fille dans ses bras. "Tu nous rends fiers, Isabella. Sois prudente."
Le poids de la décision les enveloppa tous dans une aura de gravité. Des vies avaient été sauvées, mais le danger était loin d'être écarté.
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Isabella franchit la porte de la villa Borgia, son corps aussi tendu qu'une corde de luth. Toute la nuit, elle avait œuvré dans l'ombre, évitant les rafles des Borgia et sauvant les hommes qu'elle pouvait. Aujourd'hui, elle avait espéré rencontrer Cesare, pour tenter de redresser une situation de plus en plus périlleuse. Ils avaient échangé des notes, et elle s'était assurée que ce rendez-vous matinal était le moment idéal pour se voir. Elle avait affûté son esprit, préparé ses mots, ses sourires avaient été répétés à la perfection. Tout ça pour regagner le terrain perdu, pour protéger sa couverture fragile.
Mais alors qu'elle pénétrait dans la grande salle, aux dorures ostentatoires et aux tableaux qui criaient la richesse et le pouvoir des Borgia, ce n'était pas Cesare qui l'attendait. Assis sur un fauteuil de velours rouge, son regard semblable à celui d'un aigle scrutant sa proie, se tenait Rodrigo Borgia.
Le patriarche de la famille Borgia leva les yeux et son regard s'ancra dans celui d'Isabella. Il sourit, un sourire qui n'avait rien de chaleureux, mais qui était plutôt empreint d'une satisfaction mesurée, comme s'il savourait déjà une victoire.
Isabella sentit un frisson lui parcourir l'échine. Elle était venue pour jouer une partie dangereuse avec Cesare, mais se retrouver face à Rodrigo changeait toutes les règles du jeu. Le risque était multiplié, sa couverture plus fragile que jamais.
Rodrigo brisa le silence. "Ah, Isabella, quel plaisir de vous voir. J'ai cru comprendre que vous aviez cherché à voir mon fils. Malheureusement, il a été retenu. Mais je suis tout aussi capable de discuter des affaires de la famille."
Isabella avala discrètement sa salive, recalibrant en un instant son arsenal de réparties et de manœuvres. Face à Rodrigo, il lui faudrait être deux fois plus vigilante, deux fois plus rusée. Mais elle était une Auditore, formée pour ces moments précis.
Avec un sourire aussi sincère qu'elle pouvait le feindre, elle répondit, "Je suis honorée, Seigneur Rodrigo. Votre famille a toujours su être là dans les moments cruciaux. Discuter avec vous ne peut être qu'instructif."
Les deux personnages se défièrent du regard, chacun conscient de l'enjeu mortel qui se jouait entre eux. Mais Isabella ne fléchirait pas; elle était là pour une raison, et elle ne quitterait pas cette salle sans avoir ce qu'elle était venue chercher.
"Oh, je pense que nous avons beaucoup à discuter," dit Rodrigo, se levant pour s'approcher d'elle. "Vous savez, Cesare est peut-être indulgent envers vos charmes, mais je suis moins facile à impressionner."
Isabella sentit une onde glaciale parcourir son corps. Rodrigo était loin d'être aussi indulgent ou naïf que son fils, et il n'était pas homme à tolérer la désobéissance ou la tromperie.
"Je ne suis pas ici pour impressionner qui que ce soit," répliqua-t-elle, bien que sa voix trahisse une légère tension. "Je suis la fille du comte Pâris, et—"
"—Et en tant que telle, vous devriez savoir que vous n'êtes ici que parce que vous plaisez à mon fils," l'interrompit Rodrigo, son regard dur comme l'acier. "et peut-être, et j'insiste sur le peut-être, vous pourrez offrir à mon fils un héritier. C'est tout ce que vous êtes censée faire ici. Pas jouer les héroïnes ou les libératrices."
La brutalité des mots de Rodrigo laissa Isabella bouche bée. Elle voulut protester, dire qu'elle n'était pas juste un pion dans leur jeu de pouvoir. Mais alors, Rodrigo sortit un document de son bureau, un papier scellé et officiel. "Peut-être devriez-vous lire ceci."
Elle prit le document avec une certaine appréhension et l'ouvrit pour en découvrir le contenu. C'était un contrat de fiançailles, minutieusement rédigé, liant sa vie, son destin, et son corps à la famille Borgia. Les clauses étaient draconiennes, précisant que sa liberté serait désormais soumise à l'autorité absolue de la famille. Rodrigo avait pensé à tout, anticipant chaque éventuelle rébellion de sa part.
Rodrigo récupéra le document des mains d'Isabella et le replaça dans son tiroir avec un sourire qui ressemblait à celui d'un chasseur ayant capturé sa proie. "Comme vous pouvez le voir, votre notion de liberté est une pure illusion. Une fiction que Cesare vous a peut-être permise de croire, mais qui n'a aucune réalité en ces murs."
Les mots de Rodrigo frappèrent Isabella comme une lame aiguisée. Elle se sentait piégée, chaque fil de la toile complexe de sa vie et de sa liberté étant coupé un à un. Sa présence dans cette salle était devenue un cruel rappel de l'étau qui se resserrait inexorablement autour d'elle. Mais elle était une Auditore, et elle savait que même dans les pires situations, il y avait toujours un moyen de se battre. Elle avait encore des cartes à jouer, et elle était loin d'avoir dit son dernier mot.
"Je tiens à vous rappeler votre place, Isabella. Vous n'êtes pas ici pour défier notre autorité ni pour remettre en question nos traditions. Vous êtes ici pour devenir un maillon de cette famille, soumise à ses règles et à ses desseins," acheva Rodrigo, en reprenant sa place dans son fauteuil avec l'aisance de quelqu'un qui vient de conclure une simple transaction commerciale, plutôt qu'une vie.
Isabella sentit son cœur s'accélérer, cherchant désespérément une issue dans cette situation périlleuse. "Je doute que mon père donne son consentement à un tel arrangem...," elle tentait d'articuler, mais fut interrompue par l'arrivée abrupte de Cesare dans la pièce.
Son cœur se contracta encore plus à la vue de Cesare. Ce n'était pas le même homme qui l'avait aidée la nuit précédente. Son sourire, son attitude, tout en lui était teinté d'une noirceur menaçante.
"Qu'est-ce qui poserait problème ?" interrogea Cesare, un sourire presque cruel étirant ses lèvres, ignorant le regard froid que son père projetait dans sa direction.
Avant qu'Isabella puisse répondre, Rodrigo prit la parole. "Isabella exprimait quelques hésitations quant à notre futur en commun. Elle pense que son père pourrait s'opposer à notre arrangement."
Cesare s'approcha, prit le document que Rodrigo lui tendait et le survola rapidement. Après quelques instants, il releva les yeux vers Isabella. "Tu devrais savoir que ce que les Borgia désirent, les Borgia l'obtiennent. Et quant à ton père, le comte Pâris, il n'a pas vraiment son mot à dire. Ce contrat est déjà en vigueur."
Isabella sentit sa gorge se serrer. "En vigueur ? Mais comment ?"
Rodrigo prit à nouveau la parole, son sourire ressemblant plus à une grimace. "Nous avons pris certaines... dispositions. Des accords ont été conclus, des faveurs ont été rendues. Que le comte Pâris l'accepte ou non, c'est sans importance. Ce contrat a été conçu pour être juridiquement irréfutable. Tu appartiens désormais à la famille Borgia, Isabella. Ton sort est scellé."
Les mots de Rodrigo, lourds et implacables, continuèrent de résonner dans l'espace confiné de la pièce, comme une sentence tombée d'un tribunal inhumain. Tout espoir, même le plus infime, que Isabella aurait pu nourrir d'une issue favorable à cette sinistre affaire, s'éteignait irrémédiablement. La toile tissée par les Borgia l'avait déjà enroulée, indépendamment de sa propre volonté ou de celle de sa famille, retenue par les fils d'un contrat juridiquement irréfutable.
Un froid pénétrant la saisit, engourdissant son cœur et son âme. La complicité infernale entre Cesare et Rodrigo était désormais aussi claire pour elle que le cristal. L'homme qui avait été son sauveur inattendu avait métamorphosé son visage, devenant la main exécutante d'une volonté paternelle toute-puissante.
"Tu penses vraiment que je vais accepter de n'être rien d'autre qu'un pion dans votre sinistre jeu de pouvoir ?" dit-elle, sa voix pleine de défi mais également teintée de tristesse et d'incrédulité.
Cesare se pencha en avant, son visage si près du sien qu'elle pouvait sentir le souffle chaud de sa respiration. "Ce contrat, Isabella, n'est pas une chaîne, mais une armure. Il est censé te protéger de ce monde cruel et de toi-même. A partir de maintenant, tu appartiens à la famille Borgia, tu vivras dans le luxe et la sécurité qui accompagnent ce statut. Et qui sait, peut-être dans le futur, ce contrat sera scellé par un héritier."
Un frisson de révulsion la traversa de part en part. L'idée d'un enfant dans ces circonstances semblait déplacer la frontière de l'obscène. "Tu as été mon libérateur une fois, Cesare. Tout cela était-il prévu ? Étais-tu déjà en train de me préparer à cette prison dorée?"
"Tu n'étais pas un pion, Isabella, ni un moyen pour parvenir à une fin," affirma-t-il, même si ses yeux évitaient obstinément les siens. "Mais ce monde ne pardonne pas la faiblesse. Ce contrat est ta sauvegarde."
La terrible réalité s'abattit sur elle comme une avalanche, froide et inévitable. Cesare, en alliance avec Rodrigo, l'avait irrévocablement enfermée dans un rôle qu'elle n'avait jamais souhaité, ni même imaginé. Et le plus cruel dans cette tromperie était que Cesare semblait considérer ce geste comme une faveur, une protection, ce qui rendait l'entière situation encore plus effroyablement amère.
Isabella sentit sa gorge se nouer à mesure que la réalité s'imposait à elle. Enfermée dans cette pièce somptueusement décorée, entourée d'hommes de pouvoir qui considéraient leur volonté comme une loi incontestable, elle se rendit compte de la gravité de sa situation. Mais dans cette réalisation, elle trouva également une clarté d'esprit surprenante.
"Si c'est ta manière de me 'protéger', je me demande de quoi," articula-t-elle, sa voix trahissant à peine les sentiments contradictoires qui l'envahissaient.
Cesare l'observa attentivement, ses yeux perçants semblant évaluer l'étendue de son influence sur elle. "Tu verras en temps voulu," répliqua-t-il, le coin de ses lèvres se tordant en un sourire qui oscillait entre la malveillance et l'amusement.
Isabella sentit comme un étau se resserrer autour de son cœur. Piégée entre Cesare et Rodrigo, elle comprit que la vie telle qu'elle la connaissait venait de basculer. Ils la voyaient comme un trophée à gagner, une pièce de valeur à ajouter à leur collection de conquêtes.
"Je ne suis pas juste une 'jolie poupée', Cesare. Ni pour toi, ni pour personne."
À ces mots, Cesare retira brusquement ses mains de son visage et recula d'un pas, comme si la détermination dans sa voix l'avait pris au dépourvu. Rodrigo, témoin silencieux jusqu'alors, se leva lentement de son fauteuil.
"Je pense que tout est clair, n'est-ce pas?" dit-il, fixant Isabella de ses yeux impitoyables. "Tu as peut-être échappé à mon contrôle jusqu'à présent, mais je t'assure que ton sort est déjà scellé. Refuse, et les conséquences seront... désagréables."
Dans cet instant, Isabella comprit que ces deux hommes étaient inébranlables dans leur désir de la contrôler. L'union sinistre de leurs ambitions rendait la situation d'autant plus périlleuse. Mais elle savait également qu'elle se trouvait dans une position unique, une position qui lui donnait un certain pouvoir.
"Si c'est ce que vous pensez," dit-elle, réussissant à esquisser un sourire forcé, "alors je n'ai d'autre choix que d'accepter mon 'destin', n'est-ce pas?"
"Exactement," rétorquèrent Rodrigo et Cesare en chœur, comme pour sceller son sort.
Rodrigo acheva “Tu vivras désormais dans notre résidence avec ma fille Lucrézia”. Puis il fit un geste pour qu’Isabella soit emmenée.
Isabella sentit une ironie mordante en entendant Rodrigo énoncer son "nouveau chez-soi". Elle savait pertinemment qu'elle avait les compétences pour s'échapper ; chaque fibre de son être était formée pour des situations comme celle-ci. Mais aussi tentant que cela puisse être de se faufiler dans la nuit et de disparaître, elle comprenait que sa place était ici pour le moment. La clé pour démanteler l'emprise des Borgia sur Rome ne résidait pas dans sa fuite, mais dans son aptitude à demeurer et à résister.
Tandis qu'elle était menée hors de la salle, Isabella sentit ses pensées s'affoler. Elle était peut-être acculée, mais elle n'était pas vaincue. Les paroles et les actions des Borgia avaient allumé en elle une flamme de résistance, un feu intérieur qui ne demandait qu'à s'embraser. Elle serait peut-être forcée de jouer leur jeu perfide pour le moment, mais dans ce jeu, elle était résolue à devenir un joueur et non un pion. Elle se promit de trouver un moyen de s'extraire de cette toile complexe et dangereuse, quel qu'en soit le coût. Isabella ne serait pas la victime de leur intrigue, même si c'était le rôle qu'ils avaient décidé de lui attribuer.
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Lorsque la porte en chêne s'ouvrit avec un grincement sinistre, Lucrezia, vêtue d'une robe de brocart somptueuse mais confinante, sentit une bouffée d'air froid s'infiltrer dans le hall d'entrée. Son regard fut tout de suite attiré par les deux gardes qui entraient, encadrant une silhouette féminine. C'était Isabella. La jeune femme, habillée avec simplicité mais avec une certaine élégance, arborait un visage aussi impassible qu'une fresque de la Renaissance.
À cet instant, leurs yeux se rencontrèrent, et un éclair d'intelligence, une reconnaissance muette de leurs situations respectives, passa entre elles. Il n'était pas nécessaire de parler pour comprendre le sous-texte de cet échange. Deux âmes prises au piège dans un labyrinthe de pierre et de machinations.
Lucrezia s'éclaircit la gorge. "Vous pouvez nous laisser," dit-elle aux gardes, avec une fermeté qui ne laissait place à aucune contestation.
Les gardes s'inclinèrent légèrement avant de se retirer, leurs pas lourds résonnant dans le couloir jusqu'à ce qu'ils se fondent dans le silence. Seules maintenant, les deux femmes se faisaient face dans le hall opulent mais froid.
"Bienvenue dans ce que je suppose être notre sanctuaire doré," annonça Lucrezia, son ton chargé d'une ironie subtile, comme si elle se moquait de l'éclat trompeur de leur cage luxueuse.
"Sanctuaire ou prison dorée, la différence est ténue, n'est-ce pas?" répliqua Isabella, tout en sondant le visage de Lucrezia pour toute réaction. Elle avait besoin de savoir à quel point elle pouvait faire confiance à cette femme qui était, tout comme elle, une victime de Rodrigo.
Un sourire timide, mais sincère, traversa le visage de Lucrezia. "Vous avez parfaitement raison," répondit-elle, touchée par l'audace d'Isabella de dire la vérité aussi franchement. "Dans ces murs, la frontière entre la sécurité et la captivité est dangereusement floue. Venez, je vais vous montrer votre chambre. Vous y trouverez peut-être un certain réconfort, même si ce n'est que temporaire."
Les deux femmes traversèrent le labyrinthe de couloirs richement décorés, leurs pas étouffés par les tapis persans. Les murs étaient ornés de tableaux et de tapisseries qui racontaient des histoires de triomphe et de gloire, tout cela semblant ironique dans le contexte de leur propre enfermement.
“Voilà votre chambre. J'espère qu'elle sera à votre goût," dit Lucrezia, ouvrant la porte en bois sculpté, dévoilant une chambre qui, bien que luxueuse, portait les marques incontestables d'une cage : des fenêtres barricadées, un verrou robuste sur la porte. Mais la pièce était aussi ornée de tentures somptueuses, de meubles élégants, et d'un petit coin de lecture rempli de livres.
Isabella entra dans l'espace, ses yeux balayant la pièce avec une rapidité calculée. Elle remarqua aussitôt la qualité des meubles qui étaient d'un bois sculpté, probablement importé, et des tapisseries richement brodées qui tapissaient les murs, évoquant des scènes mythologiques. Le tout était rehaussé par la lumière naturelle qui filtrait à travers des rideaux de velours cramoisi.
Elle s'approcha de la fenêtre, son regard passant des parterres de fleurs au-dehors aux gardes patrouillant le périmètre. La vue était séduisante, mais la présence de ces sentinelles soulignait de façon grotesque le prix de cette beauté — la liberté.
"Je vois que votre frère et votre père n'ont pas lésiné sur les moyens pour assurer notre... 'confort'," dit Isabella, son ton glacial faisant un contraste frappant avec la chaleur apparente de la pièce.
Lucrezia, comprenant l'amertume cachée dans cette remarque, s'approcha d'Isabella. "Je sais ce que vous ressentez, vraiment," dit-elle en posant une main sur l'épaule d'Isabella. "Nous sommes toutes les deux prises dans cette toile de manipulations, d'ambitions et, je dois l'admettre, de trahisons."
Isabella se tourna, ses yeux sombres croisant ceux, tout aussi profonds, de Lucrezia. "Alors comment gérez-vous cela? Comment trouvez-vous la force de continuer? N'avez-vous jamais voulu tout abandonner?"
Lucrezia baissa les yeux un instant, avant de les relever pour fixer Isabella. "En me rappelant que même dans une cage, un oiseau peut encore chanter. J'utilise ce que je peux — ma connaissance des arts, mon influence sur certains membres de la cour — et je gagne les alliances où je peux les trouver. Et surtout, je ne laisse jamais les hommes de cette famille oublier ce que je vaux. Je suis peut-être une femme dans une époque d'hommes, mais je suis une Borgia."
Isabella considéra ces mots, pesant chaque syllabe comme si elle pesait des pièces d'or. "Et bien, si nous sommes destinées à être des oiseaux en cage," dit-elle finalement, un sourire en coin se formant sur ses lèvres, "nous pourrions aussi bien être des oiseaux de proie. Prêts à fondre sur leur cible au moment opportun."
Lucrezia sourit à cette métaphore, une étincelle de complicité naissant entre les deux femmes. "Je préfère ce destin à celui d'un simple moineau," dit-elle.
"Alors, faisons en sorte que ces hommes regrettent de nous avoir enfermées," répliqua Isabella, son ton portant une résolution nouvelle.
Dans ce moment, chacune sentit en l'autre une alliée possible, peut-être même une amie. Elles étaient deux oiseaux en cage, certes, mais des oiseaux armés de serres acérées et d'un esprit vif, prêts à s'envoler dès que la cage s'ouvrirait, même d'un tout petit peu.
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Isolée dans sa nouvelle "chambre", Isabella examina les détails de sa prison dorée avec un regard acéré. Les murs étaient ornés de tapisseries luxueuses, illustrant des scènes d'élégance et de noblesse, tandis que les meubles étaient sculptés avec une précision et une délicatesse qui frôlaient l'art. Tout était méticuleusement agencé pour masquer la brutalité de sa captivité, comme si la beauté pouvait étouffer la vérité.
Elle s'approcha de la fenêtre, ses yeux d'Assassin calculant instantanément les distances entre les gardes en patrouille, la hauteur des murs de pierre, et même les angles morts où un archer pourrait se cacher. Son esprit cartographiait chaque voie d'évasion possible, évaluant les risques et les opportunités. Pourtant, même armée de cette expertise mortelle, elle savait que s'évader serait une entreprise risquée. Les Borgia avaient renforcé la sécurité à un point presque obsessionnel.
S'asseyant sur le bord du lit aux draps de lin fin, elle se prit à penser à sa famille. Arianna, Frédérico... qu'est-ce qu'ils penseraient si ils savaient où elle était maintenant ? Une bouffée d'angoisse l'envahit à l'idée de les imaginer inquiets, ou pire, risquant leur vie pour venir la secourir et tombant eux-mêmes dans l'insidieux piège des Borgia. Elle secoua la tête vigoureusement, chassant ces pensées troublantes comme on chasse une fumée noire. Ils étaient tous des Assassins, entraînés et aguerris, capables de gérer des situations bien plus désastreuses que celle-ci. Elle devait avoir foi en leur jugement et en leur compétence, tout comme en son propre destin.
Ses mains se glissèrent sous sa robe ample, retirant délicatement deux dagues dissimulées dans des fourreaux cachés. Elle les contempla à la lueur vacillante de la bougie qui brûlait sur sa table de chevet. Les lames étaient fines, presque fragiles en apparence, mais elle savait que leur tranchant pouvait être mortel. Elles étaient une extension d'elle-même, le symbole de sa liberté et de sa résistance. Avec un mouvement fluide, elle les fit tournoyer dans ses mains avant de les rengainer avec un clic satisfaisant. Les Borgia pouvaient la considérer comme une proie facile, mais ils ignoraient qu'elle était une chasseresse en sommeil, prête à bondir.
Elle replaça les dagues dans leurs fourreaux secrets, s'assurant qu'elles étaient bien cachées, mais accessibles en une fraction de seconde. Sa résolution se renforça comme l'acier de ses armes. Dans ce jeu dangereux de pouvoir et de manipulation, elle était loin d'être un simple pion. Pour le bien de sa famille et de l'Ordre des Assassins, elle demeurerait dans cette situation périlleuse. Elle rassemblerait chaque fragment d'information, chaque indice, chaque ounce de connaissance qui pourrait contribuer à la chute de cette famille tyrannique.
Et pendant ce temps, elle garderait sa flamme intérieure bien vivante, alimentant l'espoir et la détermination qui, un jour, mettraient le feu à tout l'édifice de tromperies et de corruptions construit par ses geôliers. Isabella ne serait pas la victime de leur machination, peu importe le rôle qu'ils avaient imaginé pour elle. Elle était une Assassin, et elle ne serait pas brisée si facilement.
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Le crépuscule enveloppait Rome dans une lueur dorée et rougeâtre. Cesare Borgia franchit la porte de la chambre dans un état de triomphe manifeste, ses bottes résonnant sur le sol de pierre en écho à l'atmosphère tendue. Isabella, assise près de la fenêtre, leva lentement la tête en entendant les bruits de pas. Ses yeux, qui d'habitude brillaient d'une lueur combative, étaient assombris par une inquiétude qu'elle ne prenait pas la peine de masquer.
"Cesare," murmura-t-elle, le regard scrutateur, "tu es venu."
"Et pourquoi n'en ferais-je pas ainsi ?" répondit-il, son sourire arborant une assurance qui semblait cacher quelque chose de plus sombre. "Tu es désormais entièrement sous ma coupe, n'est-ce pas?"
Isabella se leva, glissant ses pieds silencieusement sur le tapis raffiné, la colère dissimulée derrière une façade de calme apparent. "Je n'appartiens à personne, Cesare. Je suis bien moins une possession que tu pourrais le croire."
Le rire de Cesare éclata, tranchant le silence tendu, mais il n'avait rien de joyeux. "Ah, tu as toujours été d'un esprit indomptable. C'est l'une des choses que j'adore chez toi. Mais tu dois comprendre : il ne s'agit plus de tes désirs, mais des miens. Et je t'ai toujours désirée."
Isabella fixa Cesare, sa posture défensive. "Le Cesare que j'ai connu autrefois était à mes côtés, pas en face de moi. Nous avons sauvé des innocents ensemble. Aujourd'hui, tu me retiens dans cette prison dorée comme si j'étais un simple trophée à ta collection. Qui es-tu devenu?"
Il fit quelques pas vers elle, réduisant la distance entre eux jusqu'à ce que leurs yeux se croisent dans une confrontation silencieuse, presque palpable. "Je suis le même que j'ai toujours été, Isabella. C'est toi qui n'a pas vu la vérité. Tu es aveuglée par tes idéaux, ta 'faiblesse'."
Isabella secoua la tête, ne rompant pas le contact visuel. "Ce que tu qualifies de 'faiblesse', Cesare, c'est en réalité ma force. Cela me rappelle que je suis humaine, que je peux aimer et être aimée sans avoir à calculer chaque interaction comme une transaction."
Cesare s'arrêta, comme si les mots d'Isabella avaient touché une corde sensible. Pour un instant, le masque de l'arrogance glissa, révélant une fissure dans l'armure du tyran. Mais aussi vite qu'il avait vacillé, il retrouva sa contenance. "Tu comprendras bientôt, Isabella. Tu comprendras ce que signifie réellement être 'humaine' dans ce monde."
"J'ai déjà compris, Cesare," répondit-elle, une détermination nouvelle illuminant son visage. "La question est : quand est-ce que tu comprendras?"
Cesare soupira, l'air soudain plus sombre, comme si des nuages avaient couvert la lueur de son triomphe. "Tu vas devoir te faire à une nouvelle réalité, Isabella. Désormais, ta présence ici, ton existence toute entière, est dédiée à me satisfaire. Et peut-être, si la fortune est de ton côté, à me donner un héritier."
Un froid glacial parcourut le dos d'Isabella, chaque mot de Cesare creusant plus profondément la tranchée qui les séparait désormais. L'homme devant elle n'était plus celui qu'elle avait côtoyé ces derniers mois, celui qui semblait partager jusqu’à un certain point ses idéaux de justice et de liberté. Cet homme-là avait été consumé par l'ambition, par un besoin insatiable de pouvoir.
Il s'avança, son regard dur et fixe semblant pénétrer jusque dans les recoins les plus sombres de son âme. "Tu comprends, n'est-ce pas? Tu m'appartiens maintenant, que tu le veuilles ou non."
Pesant ses options, Isabella sentit le poids de sa situation la tirer vers le bas. Elle savait que la résistance frontale, à cet instant, pourrait être non seulement inutile, mais dangereuse. "Je comprends," dit-elle, chaque syllabe imprégnée de réticence et de pragmatisme calculé.
Un sourire se dessina sur les lèvres de Cesare, un sourire de victoire. "Je savais que tu étais intelligente," dit-il, se penchant pour l'embrasser.
Leurs lèvres se rencontrèrent, et une déferlante d'émotions contradictoires submergea Isabella. Il y avait du dégoût, incontestablement, mais aussi une prise de conscience aiguë de la complexité de leur relation. Elle était peut-être captive, mais elle n'était pas encore vaincue, pas tant qu'il lui restait des cartes à jouer.
Il la relâcha enfin, ses yeux scrutant son visage, comme pour y lire les éventuels changements dans son état d'esprit. Apparemment satisfait de ce qu'il y trouva, il prit la main d'Isabella et la conduisit vers le grand lit qui dominait la chambre. Son expression était celle d'un homme célébrant une sorte de victoire perverse.
Isabella le suivit, son visage parfaitement neutre pour ne pas trahir les stratagèmes qui se formaient dans les replis de son esprit. Elle s'assit sur le lit, le dos droit comme une colonne, les épaules portées en arrière.
Cesare déplaça délicatement quelques mèches de cheveux qui tombaient sur le visage d'Isabella, son regard s'accrochant au sien. "Tu as fait le bon choix," murmura-t-il, sa main effleurant légèrement son dos en un geste presque tendre.
Elle retint un frisson, le regard toujours fixé sur Cesare. "Je n'ai fait que le seul choix qui m'était offert, pour l'instant," répliqua-t-elle, ses mots chargés d'une tension qui aurait pu être coupée au couteau.
Il hocha la tête, visiblement satisfait, mais Isabella songea à quel point il était ignorant. L’homme était loin de gagner sa soumission. "Le temps travaille en ma faveur," dit-il avec une assurance qui frisait l'arrogance, en se penchant pour l'embrasser à nouveau.
Isabella accepta le baiser, mais en cet instant, son esprit vagabondait. Elle repensait aux paroles de Lucrèzia, qui l'avait mise en garde contre Cesare. Elle pensait également aux alliés potentiels qui pourraient l’aider à s'évader de cette toile complexe de pouvoir, d'ambition et de trahison dans laquelle elle était prise. Ses pensées se tournèrent alors vers sa mère, Arianna. Tous les combats qu'elle avait livrés, toutes les épreuves qu'elle avait surmontées. Isabella se raccrochait à l'idée que la même force résidait en elle.
Lorsqu'il la relâcha, elle sentit son regard pesant et scrutateur, et elle comprit qu'elle devait jouer son rôle à la perfection. "Si le temps travaille en ta faveur," dit-elle, en levant les yeux pour le regarder droit dans les yeux, "alors tu serais sage de ne pas en gaspiller une miette."
Cesare sourit, visiblement ravi de sa réponse, et se pencha pour capturer à nouveau ses lèvres. Isabella ne se déroba pas, laissant plutôt ses lèvres se mouvoir contre les siennes. Cependant, au plus profond de son esprit, des stratégies se formaient et des alliances se tissaient. Elle était résolue à le laisser croire qu'il l'avait soumise, qu'elle n'était qu'un autre joyau dans sa couronne de conquêtes.
Mais alors qu'elle se retirait légèrement du baiser, un sentiment d'inconfort s'installa. Elle réalisa à quel point elle avait été naïve. En passant du temps avec Cesare, elle s'était presque laissée bercer par une illusion de normalité, oubliant l'homme dangereux qu'il était réellement. Cette situation lui rappelait cruellement sa réalité. Cependant, au fond de son cœur, une étincelle d'espoir persistait. Un espoir trahissant qui lui chuchotait que peut-être, tout n'était pas perdu.
À l'intérieur d'elle, une bataille silencieuse faisait rage. Une flamme de rébellion s'était allumée, et elle brûlait avec une intensité nouvelle. Elle savait qu'elle devait être patiente, attendre le bon moment pour libérer cette énergie accumulée et renverser la table.
Cesare, méprenant son silence, se détacha finalement de leurs baisers et, avec un sourire présomptueux, l'invita à s'allonger sur le lit. Isabella suivit sa suggestion, son visage impassible, mais à l'intérieur, elle était en pleine tempête émotionnelle.
Pour chaque geste de soumission apparente, une volonté de fer se renforçait en elle. Pour le moment, elle avait peut-être calmé les soupçons de Cesare, mais sa détermination silencieuse brûlait comme une torche dans la nuit. Le jour viendrait où elle n'aurait plus besoin de masquer cette lumière, et quand ce jour arriverait, Cesare Borgia comprendrait qu'il avait fait une grave erreur en sous-estimant Isabella Auditore.