L'Héritage des Ombres : Le Souffle de la Résistance

Chapitre 4 : Nouvelle vie à Rome

5483 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/04/2024 17:36

Chaque éclat du soleil couchant semblait jouer sur les façades des bâtiments, créant des ombres allongées qui se mêlaient aux ardeurs du crépuscule. L'air était chargé d'odeurs variées, le pain frais, les herbes aromatiques des marchands, le cuir des artisans. C'était une palette sensorielle qui ajoutait à Rome un éclat presque mystique, rendant la ville éternelle d'autant plus envoûtante.


Au fil de sa marche, Arianna échangeait des regards entendus avec des visages familiers. Le premier était un marchand ambulant de fruits. Avec une habileté qui défiait l'œil, il glissa un message roulé dans la pomme qu'il lui tendit. "Les pommes sont particulièrement bonnes cette saison," dit-il avec un sourire complice. Arianna lui rendit son sourire et glissa la pomme dans son sac, consciente du message codé qu'elle venait de recevoir.


Plus loin, une vieille dame l'observait depuis sa fenêtre ouverte, ses mains occupées à tricoter. Ses yeux, bien que fatigués par l'âge, brillaient d'une lueur indomptable. En voyant Arianna, elle hocha imperceptiblement la tête, un geste simple, presque invisible pour le passant inattentif. Ce hochement était le signe que la vieille dame avait elle-même dissimulé des armes et des fournitures pour la résistance, comme convenu.


Ces gestes, bien que modestes, formaient les mailles serrées de son vaste réseau de résistance. Chaque regard, chaque mot codé, chaque hochement de tête étaient des fils invisibles qui tissaient une toile de rébellion et d'espoir.


Finalement, elle arriva devant un grand bâtiment, élégant mais sobre, qui ressemblait à n'importe quelle autre demeure patricienne de la ville. À l'extérieur, aucune bannière, aucun blason, rien ne trahissait l'importance de ce lieu, mais une fois franchie la porte, c'était comme pénétrer dans un tout autre univers.


Le rez-de-chaussée bruissait d'activités et de vie. La première chose que l'on remarquait était la grande cuisine, où des réfugiés, vêtus de tuniques simples mais propres, s'affairaient autour de marmites et de fourneaux. Les arômes du ragoût et du pain chaud se mélangeaient en un parfum rassurant de foyer. À côté, dans un coin aménagé avec des coussins et des chandelles, des apprentis assassins étudiaient des textes anciens, leur jeunesse contrastant avec la gravité de leurs expressions.


Plus loin, une mère, réfugiée sans doute, berçait son bébé, fredonnant une mélodie douce qui semblait défier le tumulte environnant. Près de la cheminée, deux maîtres assassins étaient en pleine discussion, leurs paroles animées esquissant les contours d'un débat intense. L'atmosphère était celle d'une cacophonie organisée, une symphonie de vies entrelacées en résistance et en espoir.


Au milieu de ce ballet d'activités, Arianna repéra Niccolò Machiavelli dans un salon d'étude, entouré de cartes et de manuscrits. Sa concentration était telle qu'il semblait presque absorbé par les documents devant lui. En entendant les pas d'Arianna, il leva les yeux et un sourire en coin illumina son visage fatigué.


"Machiavel, tout avance selon les plans ?", demanda Arianna, son ton à la fois amical et sérieux.


"Oui, Arianna, les préparatifs pour la prochaine mission sont presque achevés. Nos agents ont réussi à infiltrer le cercle intérieur des Borgia", répondit-il, en classant méticuleusement une pile de feuilles scellées avec le sceau de la résistance.


Arianna acquiesça avant de monter les escaliers jusqu'à son bureau, situé à l'avant-dernier étage. Ses pas résonnaient sur les marches en bois ancien, chaque enjambée semblant rappeler la longue histoire du bâtiment et des personnes qui l'avaient habité. En arrivant à son étage, elle trouva le Comte Pâris assis devant une table couverte de cartes et de rapports.


"Arianna, vous voilà enfin. J'ai d'importantes nouvelles à partager," dit-il, se levant pour l'accueillir. Ses yeux se fixèrent sur elle avec une intensité qui allait au-delà de la simple camaraderie; c'était un mélange de passion et de sérieux, celui que l'on ne trouve que chez les personnes liées par le désir et les circonstances exceptionnelles.


Elle s'assit à son bureau et prit une profonde inspiration, sentant l'air se charger d'une tension palpable. Ce lieu, ces murs, ces personnes qui dépendaient d'elle, tout cela était son œuvre, un sanctuaire créé au cœur d'une Rome tourmentée. Mais même les sanctuaires avaient leurs propres tempêtes, et elle sentait que les siennes étaient loin d'être apaisées.


Pâris rompit le silence. "Nos agents à la cour des Borgia ont réussi à intercepter un message codé. Il semblerait que quelque chose de très important soit en train de se préparer."


Arianna écouta attentivement, consciente que chaque fragment d'information pouvait être la clé pour déjouer les plans de leurs ennemis.


"Et dans notre propre cercle," continua Pâris, "il y a des murmures. Des inquiétudes au sujet de l'alliance entre la famille Auditore et les Valentini."


Arianna se figea. Le mention de la famille Auditore, et donc d'Ezio, ne pouvait signifier qu'une chose : leurs vies passées, toujours aussi entrelacées, étaient sur le point de se heurter de nouveau.


Pâris s'approcha, mettant une main sur son épaule. "Arianna, quoi que nous affrontions, je suis à vos côtés. Votre combat est le mien, aussi."


Elle se tourna vers lui, ses yeux rencontrant les siens. Dans cet instant, ils étaient deux êtres humains unis non seulement par la lutte contre un ennemi commun, mais aussi par un amour que les circonstances avaient rendu à la fois exquis et douloureux.


"Je sais, Pâris. Et je suis reconnaissante de vous avoir à mes côtés," dit-elle, sa voix douce mais ferme. "Mais nous devons être prêts pour tout ce qui nous attend, car quelque chose me dit que la tempête est loin d'être passée."


Et dans le silence qui suivit, chacun sentit le poids des défis à venir, un fardeau rendu à la fois plus léger et plus lourd par la présence de l'autre.


Ce silence fut brisé par des coups frappés à la porte. Un des jeunes apprenti passa la tête par l'entrebâillement et annonça. 


"Madame Valentini, il y a un homme à la porte qui insiste pour vous voir. Il dit s'appeler Ezio Auditore."


Le nom résonna dans la pièce comme le tonnerre, bouleversant l'atmosphère déjà tendue. Arianna et Pâris échangèrent un regard. "Je dois y aller," dit-elle finalement.


-


Ezio Auditore examina le bâtiment qui se tenait devant lui, une structure robuste aux contours élégants mais discrets. La plaque à la porte annonçait une école d'art, mais il sentait que ce n'était que la surface d'un monde plus complexe. Il frappa et attendit. Bientôt, la porte s'ouvrit et un gardien l'invita à entrer.


Dès qu'il franchit le seuil, une atmosphère électrique l'envahit. Le lieu bouillonnait de vie. Des gens de tous horizons semblaient coexister ici en parfaite harmonie : certains se plongeaient dans des manuscrits poussiéreux, d'autres partageaient des paroles près de la cheminée, et des enfants s'ébattaient joyeusement dans les coins. Le tout s'imbriquait en une mosaïque dynamique, chaque pièce ayant sa place et son rôle dans ce qui semblait être un objectif plus grand.


À ce moment-là, un homme se détacha de l'agitation et s'approcha. "Vous devez être Ezio Auditore. Je suis Niccolò Machiavelli. Arianna vous rejoindra bientôt. En attendant, n'hésitez pas à explorer les lieux."


Le regard perçant de Machiavelli le traversa comme une flèche. Ce n'était pas simplement le regard d'un stratège ou d'un écrivain, mais celui de quelqu'un qui pesait les âmes, évaluant leur qualité et leur teneur. Ezio sentit une vague d'intrigue mélangée à une pointe de malaise. Qui était cet homme qui semblait lire en lui comme dans un livre ouvert ?


Il prit les paroles de Machiavelli comme une invitation à s'immerger davantage dans ce monde mystérieux. En se promenant à travers les différentes pièces, il tomba sur des objets fascinants : des modèles réduits d'inventions de Leonardo da Vinci, des cartes détaillées de Rome et ses environs, et même une petite bibliothèque remplie de textes anciens. Chaque objet semblait avoir une histoire, un but. Et chaque visage qu'il croisait portait une expression de détermination silencieuse, témoignant de la gravité de leur cause.


Tout en admirant cette incroyable mosaïque d'activité et de culture, Ezio ne pouvait s'empêcher de penser à Arianna. Quel rôle jouait-elle dans tout cela ? Et plus important encore, comment pouvait-elle être la même femme qu'il avait autrefois connue, aimée et perdue ?


Ces questions tournoyaient dans son esprit quand il entendit des pas se rapprocher. Il se retourna et vit Arianna descendre les escaliers, un homme élégant à ses côtés. Elle portait cette aura de confiance qu'il lui connaissait bien, mais qui semblait aujourd'hui encore plus prononcée. Il y avait quelque chose de changé en elle, une sorte de gravité que les années avaient ajoutée à sa beauté. Malgré leur alliance récente, il était impossible d'oublier qu'ils avaient été séparés pendant deux décennies.


"Ezio," dit Arianna, s'arrêtant un instant au bas des escaliers comme si elle pesait chacun de ses mots. "Comment te sens-tu aujourd'hui ? Tes blessures guérissent-elles bien ?" demanda-t-elle, tout en s’avançant vers lui. 


"Je me remets. Et je n'ai eu aucun mal à trouver cet endroit, grâce à tes instructions," répondit Ezio. Leur regard se croisa, lourd de tout ce qui n'avait pas été dit.


Arianna acquiesça. Une légère toux de l’homme à ses côtés la rappela à ses devoirs, "Dans ce cas, permets-moi de te présenter quelqu'un d'important ici. Voici le Comte Pâris."


"C'est un plaisir de vous rencontrer," dit le Comte Pâris, offrant une poignée de main ferme. Ses yeux ne quittèrent pas ceux d'Ezio, et il y avait quelque chose dans son regard, une sorte d'analyse silencieuse, qui fit lever les défenses d'Ezio.


"De même," répondit Ezio, sa poignée de main tout aussi ferme. En cet instant, sa perception s'aiguisa. Il nota la proximité physique entre le Comte et Arianna, la manière dont leurs regards se croisèrent, presque imperceptiblement. Ezio sentit alors une sorte de tension électrique, celle d'un territoire inconnu mais indiscutablement disputé.


Et le Comte, observant ce changement infime mais perceptible dans l'attitude d'Ezio, semblait comprendre qu'il se tenait devant un homme qui avait autrefois occupé une place très spéciale dans la vie d'Arianna. Son sourire se figea un instant, juste assez longtemps pour indiquer qu'il avait saisi l'enjeu.


Arianna capta cette tension et ajouta rapidement : "Je pense qu'il serait bon de te montrer où nous en sommes ici. Viens." Elle se détourna, évitant soigneusement son regard, comme si fuir était sa seule option viable.


Ezio acquiesça, mais en suivant Arianna, il jeta un dernier regard en arrière vers le Comte. Leurs yeux se rencontrèrent une fois de plus, et bien que rien ne fût dit, tout semblait avoir été compris. Ce fut un échange muet mais lourd de sens, un préambule tacite à une confrontation future, peut-être inévitable.


-


Alors qu'ils se déplaçaient à travers les couloirs sinueux, Arianna détaillait l'organisation de leur opération de résistance. "Chaque salle a sa propre fonction. Des érudits travaillent à traduire des manuscrits anciens, des inventeurs mettent au point de nouvelles armes, et dans cette salle, nos stratèges déterminent notre prochain mouvement."


Tandis qu'Ezio suivait Arianna, il ne put s'empêcher de noter la façon dont les gens la regardaient : avec respect, avec admiration. Quand elle s'arrêta pour échanger quelques mots avec un groupe d'espions, ils l'écoutèrent attentivement, suspendus à ses paroles. Elle était le cœur battant de ce réseau complexe.


"C'est ici que nous synchronisons tous nos efforts contre les Borgia et leurs sbires," expliqua-t-elle en passant devant une salle où des plans et des cartes étaient étalés sur une grande table.


"Tu as vraiment construit quelque chose d'extraordinaire ici," dit Ezio, un sentiment d'admiration inattendu s'immisçant en lui.


"Avec beaucoup d'aide," ajouta-t-elle humblement, mais il pouvait voir la fierté dans ses yeux.


Tout en continuant à marcher aux côtés d'Arianna, Ezio la vit avec des yeux neufs. Elle n'était plus simplement la femme qu'il avait quittée il y a vingt ans; elle avait fleuri en une figure d'autorité et de puissance.


En apercevant le comte Pâris à la fin d’un couloir, un sentiment fugitif mais indiscernable l'envahit. Ce n'était pas de la colère, ni de l'envie. C'était plutôt un léger pincement dans le ventre, une émotion qu'il n'avait pas anticipée.


Au cours de cette visite tout devenait plus clair pour lui. Arianna n'était pas seulement la femme qu'il avait autrefois connue et aimée; elle était aussi une leader en qui les gens croyaient, une figure d'inspiration. Et cette prise de conscience se doubla d'une autre, plus surprenante et indéniable : il voulait être à ses côtés dans cette vie qu'elle avait construite.


Il se surprit à se demander comment il pourrait s'insérer dans ce nouveau monde, dans cette nouvelle version de leur vie. Les questions étaient nombreuses et les réponses incertaines, mais une chose était sûre : une étincelle avait été rallumée, aussi discrète soit-elle. Et pour la première fois depuis longtemps, il était curieux, peut-être même désireux, de voir où cette étincelle pourrait les mener.


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Alors qu'ils descendaient des escaliers en pierre vers ce qui semblait être les sous-sols, les sons d'une intense activité leur parvinrent : le grincement d'acier contre acier, des ordres brefs et précis, des cris d'effort. Une atmosphère chargée de tension et de concentration envahissait l'air, signe indéniable d'un endroit dédié à la formation et à l'excellence.


Lorsqu'ils débouchèrent dans la vaste salle d'entraînement, Ezio fut immédiatement frappé par la scène qui se déroulait devant lui. Des apprentis assassins, jeunes et vieux, s'entraînaient avec rigueur sous l'œil vigilant de leurs instructeurs. Mais ce qui captiva le plus son attention, ce furent deux figures au milieu de la salle : une jeune femme et un jeune homme qui se démarquaient nettement du reste par leur technique et leur intensité.


Isabella, sa fille, se déplaçait avec une agilité féline, ses mouvements confiants et précis. Elle désarma son adversaire en un éclair, son regard d'acier ne fléchissant pas, même lorsqu'elle sentit la présence de nouveaux venus.


Frédérico, son fils qu'il connaissait à peine, maniait son épée avec une aisance qui trahissait des heures de pratique assidue. Son visage était marqué par une concentration intense, un miroir troublant de son propre reflet.


Ezio sentit son regard s'alourdir alors qu'il posait les yeux sur eux. Un mélange complexe d'émotions l'envahit, émotions qu'il ne pouvait pas, qu'il ne voulait pas cacher. Arianna le regarda et lut clairement le bouillonnement de sentiments dans ses yeux : la fierté, la tristesse, le regret, et une pointe d'admiration.


Oui, il les reconnaissait, ces enfants qu'il avait conçus mais jamais vraiment connus. Isabella, si pleine de feu et de détermination, semblait l'incarnation de l'indépendance qu'Arianna avait toujours valorisée. Frédérico, avec cette intense concentration, était comme un rappel vivant de ses propres années de formation, de sa propre jeunesse.


Il y avait quelque chose de cruellement ironique dans cet instant. Ces enfants étaient devenus tout ce qu'il aurait pu souhaiter, et pourtant tout ce qu'il avait cherché à éviter pour eux. Ils étaient le produit d'une vie qu'il connaissait trop bien, une vie qu'il leur aurait épargnée s'il avait pu.


Mais il était trop tard pour les "si" et les "et". Le passé était gravé dans le marbre, imperturbable. Le futur, cependant, restait à écrire, et dans cet instant suspendu, il sut qu'il voulait être une partie de leur histoire à venir, peu importe les obstacles. Les chaînes du passé pesaient lourd, mais peut-être, juste peut-être, elles pourraient être brisées.


"Isabella, Frédérico," appela Arianna, sa voix coupant net le vacarme de la salle d'entraînement comme une lame bien affûtée. Les deux jeunes gens, en un éclair, mirent fin à leur duel et se tournèrent vers elle, leurs yeux étrangement semblables se posant simultanément sur le visage de leur mère, ils ne distinguaient pas encore Ezio, resté dans l’ombre du couloir. "Approchez, s'il vous plaît. Il y a des enjeux dont il est temps que nous discutions."


La distance qui sépara Ezio de ses enfants pendant cet instant de traversée de la salle semblait à la fois minime et incommensurable. Chaque pas semblait charger l'air d'une tension toujours plus électrique. Quand il sortit de l’ombre et se posta à côté d'Arianna, son regard se verrouilla un instant avec celui d'Isabella, puis glissa vers Frédérico. Il y avait un monde d'émotions non exprimées dans ces échanges silencieux. 


Alors qu'Isabella et Frédérico approchaient de leur mère, leurs yeux se posèrent enfin sur l'homme qui venait de prendre place à ses côtés. C'était lui. Ezio. Leur père. Leurs visages, d'abord concentrés, se détendirent un instant, touchés par cette révélation soudaine, avant de se crisper à nouveau sous le poids des émotions contradictoires.


Pour Isabella, ce fut comme si une vague déferlait en elle. Elle le reconnut immédiatement, ce visage qui avait hanté tant de ses rêves et cauchemars. Ce visage qui lui ressemblait tant. Elle ressentit une pointe aiguë de douleur, mêlée à un amour confus qu'elle avait longtemps tenté de refouler. Son regard se durcit presque instinctivement, comme pour se protéger de ce tourbillon émotionnel.


Frédérico, lui, sentit une chaleur envahir son torse en voyant son père. Une personne qu'il n'avait connu qu'à travers les histoires et les récits de sa mère. Et bien sûr, ces rares rencontres passées où les mots avaient été si rares. Une faim longtemps réprimée de connaître cet homme s'éveilla en lui, combattant la retenue et l'indifférence qu'il s'était forcés à cultiver pendant des années.


Quant à Ezio, ses yeux se fixèrent sur eux avec une intensité qu'il ne put masquer. Il vit dans leurs visages une réflexion de lui-même et d'Arianna, mais aussi des personnes entières, forgées par des années de vie qu'il n'avait pas partagées. Son cœur se serra à cette pensée, rempli à la fois de fierté et de mélancolie.


Leurs regards étaient désormais verrouillés les uns avec les autres, chacun plongeant dans un abîme d'émotions trop longtemps contenues. Il n'y avait pas de retour possible, le passé, le présent et l'avenir se condensaient en cet instant.


Arianna pouvait sentir la lourdeur de l'atmosphère, une densité presque tangible, comme si la salle d'entraînement était soudain devenue un théâtre clos où chacun mesurait l'impact de ses prochains mots. Elle s'éclaircit la gorge avant de parler. "Votre père va séjourner parmi nous pendant quelque temps. Nous unissons nos forces, en tant que famille, contre la menace des Borgia."


Isabella, dont le visage venait à peine de se détendre, se figea. Ses yeux se mirent à lancer des éclairs, balayant sa mère avant de se poser sur Ezio. "Une alliance?" Son ton trancha l'air, glacial et net comme l'épée qu'elle maniait si bien. "Nous avons survécu sans lui jusqu'à présent. Pourquoi cela changerait-il ? Est-ce vraiment nécessaire?"


"C'est non seulement nécessaire, mais vital, Isabella," répliqua Arianna. Ses yeux s'ancrèrent dans ceux de sa fille, cherchant à y faire passer toute la gravité de la situation. "Nous ne sommes pas en train de survivre, nous sommes en train de lutter. Et chaque avantage compte."


Frédérico, contrairement à sa sœur, semblait moins incisif, plus ouvert à l'idée. Ses yeux rencontrèrent ceux d'Ezio, et pour un moment fugace, ils cherchèrent à décrypter l'inconnu. "Si cela nous donne un avantage, je ne vois pas le problème. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer?" Ses mots étaient moins une affirmation qu'une question adressée à cet homme, ce père, qu'il essayait encore de cerner.


Ezio, qui avait été silencieux jusqu'à présent, prit une profonde respiration. Le poids de l'instant était immense, chaque mot qu'il choisirait aurait des conséquences. Enfin, il parla. "Je suis ici parce que je crois que notre force sera décuplée si nous sommes unis." Ses yeux se posèrent sur Isabella, puis Frédérico, comme pour y graver cette conviction. "Et je suis ici parce que je veux être là pour vous. Non seulement comme un allié contre un ennemi commun, mais comme votre père."


Isabella, bras croisés et expression glaciale, lança ses mots comme autant de pierres. "Vous voulez être là, maintenant? Après toutes ces années d'absence?"


Chaque mot résonna en Ezio comme un coup à l'estomac. "Je suis conscient de mes erreurs, Isabella. Le passé est un livre fermé, mais je suis ici, maintenant," dit-il, sa voix tremblant malgré lui.


Frédérico s'interposa, sa voix fraîche tranchant la tension dense qui remplissait la pièce. "Si tu es là pour apporter de l'aide, alors fais-le. Mais n'imagine pas un instant que ta présence aujourd'hui puisse effacer les années durant lesquelles tu as choisi de ne pas être là."


Après avoir entendu le discours d’Ezio, Arianna laissa son regard dériver vers lui. C'était la première fois qu'il exprimait une intention de reprendre son rôle de père, et cette nouvelle la troubla autant qu'elle l'irrita. Elle se tourna vers ses enfants, voyant leurs visages marqués par un mélange de résistance et d'incertitude.


"Le chemin qui nous attend sera semé d'embûches, d'épreuves, et de vérités difficiles à accepter," déclara-t-elle, sa voix chargée d'une gravité incontestable. "Mais pour l'instant, nous avons une mission commune. Un ennemi à combattre. Et ça, au moins, ne fait aucun doute."


Les mots pendaient dans l'air, lourds et indiscutables, comme un voile sombre sur la pièce. Chacun sentait le poids des erreurs passées, des dettes non payées, des paroles non dites. Unis dans un but commun, certes, mais la route vers une réconciliation éventuelle semblait encore longue et incertaine.


Arianna jeta un regard à ses enfants, dont les expressions trahissaient un mélange complexe d'émotions. "Retournez à votre entraînement," dit-elle doucement mais fermement. "Nous avons tous besoin d'être à notre meilleur dans les jours à venir."


Isabella et Frédérico acquiescèrent, leur regard croisant brièvement celui de leur père avant de quitter la pièce. Arianna se tourna ensuite vers Ezio. "Montons à l'étage; nous avons encore de nombreuses choses à discuter."


-


Alors qu'ils gravissaient l'escalier en bois menant aux étages supérieurs, Arianna fut interpellée par un apprenti assassin. Vêtu d'une tunique sombre et portant une capuche qui masquait la moitié de son visage, il s'approcha rapidement. "Maîtresse Valentini, un mot, s'il vous plaît."


Arianna tourna son regard vers Ezio, ses yeux se serrant brièvement dans une expression d'excuse. "Excuse-moi, Ezio," dit-elle. Sans attendre sa réponse, elle s'éloigna pour parler à l'apprenti, laissant Ezio dans ce qui ressemblait à une antichambre du deuxième étage.


Ezio se tenait là, seul, un peu perdu dans cet espace qui était le centre névralgique de la résistance romaine menée par Arianna. Ses yeux vagabondèrent sur la pièce. Des parchemins étaient éparpillés sur une grande table en bois, des cartes de Rome et des régions environnantes accrochées aux murs. Des armes, épées, dagues, et arbalètes, étaient soigneusement rangées sur des étagères. C'était un monde qu'il connaissait bien, mais il était étrangement différent de celui qu'il avait laissé. C'était le monde d'Arianna.


Ses yeux se fixèrent sur un document particulier qui était posé sur un petit bureau près de la fenêtre. Il s'agissait d'un document officiel, scellé par un sceau en cire. Le nom écrit en lettres élégantes lui sauta aux yeux : "Arianna Valentini". Une bouffée d'émotion l'envahit. Valentini... le nom de la famille qu'Arianna avait perdue, repris en hommage et porté comme un étendard dans sa lutte contre les Templiers. C'était aussi un rappel cinglant de son propre échec, de la distance qu'il avait mise entre lui et la femme qu'il avait aimée.


Son cœur se serra, la réalisation s'insinuant dans son esprit comme une lame aiguisée. Arianna avait repris son nom de naissance, mais dans ce nouvel univers qu'elle avait créé, il était l'absent, effacé de la résistance qu'elle menait. Pour un instant, Ezio se sentit comme un fantôme, invisible dans un monde qu'il avait autrefois partagé avec elle.


Ezio se tenait seul, les yeux rivés sur le document portant le nom "Arianna Valentini". C’est alors qu’un murmure de conversation se fit entendre depuis l'angle opposé de la pièce, captant son attention. Deux assassins discutaient à voix basse, mais suffisamment fort pour que leurs mots parviennent jusqu'à lui.


"Madame Valentini est une femme extraordinaire, n'est-ce pas?" dit le premier, un homme à la barbe grisonnante. "Son mari a disparu il y a des années, mais elle a continué à diriger la résistance comme s'il était toujours à ses côtés."


Le second, plus jeune, acquiesça. "Oui, elle a même élevé ses enfants pour qu'ils suivent ses traces. Ils disent qu'elle attend toujours le retour de son mari, mais qui pourrait survivre aussi longtemps?"


Une onde de choc traversa Ezio. Il était cet homme, ce "mari perdu" dont parlaient ces assassins. Dans cette résistance, dans cette vie qu'Arianna avait bâtie, il était une ombre, une figure absente, un homme dont on murmurait le nom comme une légende, une tragédie. La poignée du poids de ses choix passés, de ses erreurs, lui tordit l'estomac.


Malgré leur distance émotionnelle et physique, ils étaient encore légalement mariés. Et pourtant, il était clair que dans le monde qu'Arianna avait créé ici, il n'était rien de plus qu'un spectre. Il réalisa que sa femme avait dû porter le fardeau non seulement de son absence, mais aussi du statut de veuve qu'on lui avait injustement attribué.


Ezio s'adossa à un mur, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux perdus dans le vide, mais l'esprit terriblement lucide. Les questions envahirent son esprit, complexifiant la tapisserie de ses émotions. Rester ou partir ? Se battre pour sa place dans cette famille qu'il avait abandonnée, ou disparaître à nouveau, laissant Arianna et leurs enfants continuer sans lui ?


Dans ce maelström d'incertitude et de regret, une émotion commença à émerger, de plus en plus distincte : la volonté de rester, de lutter. Pas seulement contre les ennemis qui menaçaient Rome et la liberté, mais aussi contre les ombres de son propre passé, contre les démons intérieurs qui l'avaient poussé à fuir ceux qu'il aimait. Il était temps de faire un choix, et ce choix était devenu clair. Il resterait et se battrait pour sa place, pour son amour, pour sa famille.


Lorsqu'Arianna revint, elle trouva Ezio immergé dans ses pensées, un homme visiblement en conflit. Mais dans son regard, elle crut discerner une lueur qu'elle n'avait pas vue depuis des années : la lueur d'un homme prêt à faire face à ses erreurs, à combattre pour ce qui comptait vraiment pour lui.


Et pour la première fois depuis longtemps, Arianna se permit de croire, même brièvement, en la possibilité d'une réconciliation, non seulement entre eux mais pour toute leur famille ébranlée.


-


Arianna son regard toujours fixé sur celui d'Ezio prit une décision et brisa finalement le silence. "Suis-moi," dit-elle doucement, "il y a quelque chose que tu devrais voir."


Elle le conduisit à travers un dédale de couloirs jusqu'à une porte en bois massif. Après avoir jeté un coup d'œil rapide pour s'assurer qu'ils étaient seuls, elle inséra une clé dans la serrure et tourna la poignée. Le bureau était plongé dans la pénombre, seul un rai de lumière de la lune éclairait la pièce à travers une fenêtre étroite. Elle alluma une bougie posée sur le bureau et la lumière révéla une multitude d'étagères remplies de livres, de cartes et d'objets mystérieux.


Arianna avança vers une grande bibliothèque, dont l'apparence trompeuse cachait un compartiment secret. Avec une main tremblante mais déterminée, elle enclencha un mécanisme caché. Une section de l'étagère se déplaça silencieusement, révélant un coffre en fer forgé.


Après un dernier regard vers Ezio, elle ouvrit le coffre méticuleusement verrouillé. À l'intérieur, plusieurs objets énigmatiques étaient enveloppés dans des tissus finement brodés, et protégés par des runes mystérieuses. Avec une grande délicatesse, elle en sortit une boîte en verre scellée. À l'intérieur reposaient des objets qui étaient indéniablement des reliques rares.


Ezio leva les yeux vers Arianna, les reconnaissant instantanément. Son étude du Codex d'Altaïr lui avait appris à identifier ces artefacts d'un pouvoir immense. "Ce sont des Fragments d'Éden," dit-il, son ton oscillant entre l'incrédulité et le respect. "Tu les as trouvés... et tu les as cachés. Tu as pris un risque immense en le faisant."


"C'est le résultat de plusieurs décennies de quêtes et de sacrifices, Ezio. Je les ai gardés ici pour les protéger, à l'abri des regards et des convoitises. Ce n'est pas un pouvoir qui doit être mal utilisé," répondit Arianna, ses yeux fixés sur Ezio, scrutant son visage pour y lire sa réaction. Ses yeux semblaient lui demander, sans dire un mot, s'il était digne de cette confiance extrême qu'elle était en train de placer en lui.


Ezio restait sans voix, une panoplie d'émotions traversant son visage, du choc à une reconnaissance timide mais sincère. Le secret que venait de lui confier Arianna était monumental, et il comprenait qu'elle n'aurait pas partagé une telle chose s'il n'y avait pas une possibilité, même infime, de réconciliation entre eux.


"Je ne savais pas, Arianna. Comprendre l'importance de ce que tu viens de me montrer... cela change tout," déclara-t-il enfin, le regard profond, l'émotion palpable.


En entendant ses mots, une lueur d'espoir, mêlée à une pointe d'inquiétude, s'illumina dans les yeux d'Arianna. Dans ses pensées intérieures, elle considérait ce moment comme un pivot. Elle avait partagé ce secret non seulement parce qu'elle croyait en la possibilité d'une nouvelle alliance, mais aussi pour évaluer la réaction d'Ezio, pour voir s'il était prêt à assumer les responsabilités énormes qui accompagnaient cette connaissance.


"Est-ce que tu es prêt à affronter ce qui vient, à mes côtés?" demanda-t-elle, avec une intensité qui traduisait tout le poids de ce qu'elle avait mis en jeu.


Ezio répondit avec un regard tout aussi intense, "Plus que jamais."


Dans cet espace confiné, baigné par la lumière vacillante d'une simple bougie et entouré d'artefacts capables de changer le destin du monde, Arianna et Ezio étaient à un carrefour décisif. Leurs yeux se rencontrèrent et, dans cet échange silencieux, il y avait toute une histoire d'amour, de trahison, de douleur et de résistance.


"Je suppose que nos destins sont plus enchevêtrés que je ne l'aurais jamais imaginé," dit enfin Ezio, son regard toujours fixé sur les Fragments d'Éden.


Arianna lui offrit un sourire éphémère, teinté de soulagement et d'une inquiétude à peine perceptible. "Oui, de manière plus profonde que tu ne pourrais jamais l'imaginer."


Alors que la lumière de la bougie oscillait, créant des ombres qui dansaient sur les murs, les deux anciens amants se tenaient là, parfaitement conscients que leur destin partagé avait pris un tournant décisif, ouvrant un nouveau chapitre riche en potentialités, mais aussi en dangers.

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