L'Héritage des Ombres : Le Souffle de la Résistance

Chapitre 5 : Alliance

4745 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/04/2024 13:01

Chaque jour qui passait voyait Ezio prendre peu à peu ses marques au sein du QG de la résistance. Les murs, initialement étrangers et froids, commençaient à résonner comme une seconde demeure, ou du moins comme un refuge temporaire. Cependant, cette familiarité nouvelle était empreinte d'un malaise, celui qui nait lorsqu'on réintègre une vie abandonnée il y a longtemps.


C'était le poids des années perdues, le prix à payer pour une absence de deux décennies. Des visages nouveaux peuplaient ce refuge, des visages qui ne le connaissaient que par les récits et les légendes, des visages qui respectaient Arianna comme leur incontestable leader.


Un après-midi, alors qu'Ezio examinait des cartes de Rome et des territoires environnants, Arianna entra dans la pièce. Son regard survola rapidement la table encombrée avant de se fixer sur un parchemin. "Nous avons une réunion avec les chefs de cellule ce soir," dit-elle, une pointe de gravité dans la voix. "Je veux que tu sois là."


"Je serai là," répondit-il, les yeux toujours sur la carte, mais son esprit ailleurs. Le sous-entendu était clair. On l'invitait à assister à la réunion, pas à prendre la parole. Il avait été un maître Assassin, un décideur, mais ici, il n'était qu'un invité dans un monde façonné par Arianna pendant son absence.


Arianna nota son expression. "Ne t'y méprends pas, Ezio. Ta présence a de la valeur. Mais ces hommes et ces femmes me suivent depuis des années. Ils doivent savoir que tu es ici en complément, pas en contradiction."


Il acquiesça, comprenant la sagesse derrière ses mots, même s'il ne pouvait éteindre complètement l'étincelle d'ego froissé. Oui, il serait là ce soir, comme observateur plutôt que comme décideur. Et il savait que ce serait l'un des nombreux compromis à venir dans cette alliance fragile avec Arianna.


Durant la journée, Ezio trouvait sa place parmi les jeunes Assassins, les guidant à travers les méandres du combat et des tactiques d'espionnage. Il leur montrait comment manier une lame avec précision, comment se glisser dans l'ombre sans éveiller les soupçons. Ses instructions étaient accueillies avec respect et admiration; c'était la transmission d'un héritage, l'enseignement de compétences indispensables pour survivre dans ce monde dangereux.


Mais même au milieu de ces échanges, son attention était invariablement capturée par Arianna. Elle était la véritable épine dorsale de la résistance, orchestrant chaque action, chaque mission avec un mélange d'intelligence et de flair qui ne pouvait être acquis que par des années à la tête de ce mouvement.


Cela dit, il notait aussi sa proximité avec Machiavelli et le comte Pâris. Ce n'était pas seulement professionnel; il y avait une sorte de camaraderie que Ezio n'avait pas encore retrouvée avec elle. Un soir, ne pouvant contenir sa curiosité et, il devait l'admettre, une certaine jalousie, il la confronta.


"Tu sembles bien proche de ces hommes," dit-il, essayant de rendre sa voix aussi neutre que possible, mais échouant à masquer une pointe d'émotion.


"Chaque alliance a sa valeur," répliqua-t-elle sans détour, les yeux rivés sur les documents devant elle. "Ne laisse pas tes sentiments personnels entraver notre mission commune."


Leurs interactions étaient devenues un jeu de tension et de réserve. Une alliance de circonstance, certainement, mais aussi une sorte de danse où chacun cherchait à comprendre jusqu'où l'autre était prêt à aller. Deux forces qui, bien qu'elles se repoussent, sont destinées à partager la même orbite. Leur passé, leur famille, et même leur avenir semblaient enchevêtrés de façon irréversible.


Tous deux savaient que cet équilibre précaire était pour le moment nécessaire. Pour le bien de leur cause, pour le bien de leurs enfants, ils maintiendraient cette alliance fragile. Mais alors qu'Ezio se retirait dans ses appartements ce soir-là, une question tournait inlassablement dans son esprit, une fissure dans le fondement même de leur entente : combien de temps encore pourraient-ils maintenir cet équilibre face aux défis et aux trahisons qui, inévitablement, viendraient mettre à l'épreuve leur unité ?


-


Après plusieurs jours de voyage éprouvant, la caravane de rescapés de Monteriggioni franchit enfin les portes du QG de la résistance romaine. Ezio était aux côtés d'Arianna, pour accueillir le groupe. Il reconnut immédiatement sa mère Maria et sa sœur Claudia parmi eux. Leurs visages s'éclairèrent à la vue des deux figures familières, mais il y avait aussi une réserve, un vide que ni les accolades ni les paroles rassurantes ne pouvaient combler entièrement.


Arianna accueillit Maria et Claudia avec des embrassades chaleureuses, un sourire sincère éclairant son visage. "Maria, Claudia, que le ciel soit loué, vous voilà en sécurité. Venez, j'ai préparé des chambres pour vous au dernier étage."


Isabella et Federico emboîtèrent le pas à leur mère, visiblement ravis de voir leur grand-mère et leur tante. Le lien était évident, façonné par les étés passés ensemble à Monteriggioni.


Les retrouvailles transformèrent l'ambiance au QG de la résistance. Le lieu, généralement marqué par la gravité des enjeux auxquels il faisait face, s'animait d'une rare lumière. Des rires éclatèrent, des pleurs de joie furent échangés, et pour un instant, les murs du quartier général semblèrent moins imposants, plus chaleureux, presque comme ceux d'un foyer.


Arianna guida Maria et Claudia à travers les dédales de couloirs sombres du quartier général de la résistance, chaque pas résonnant légèrement sur le sol de pierre. Finalement, elle ouvrit une porte en chêne sculpté pour révéler un espace surprenamment chaleureux et bien aménagé. Des tapis persans couvraient le sol, et des coussins moelleux s'empilaient sur des canapés aux boiseries finement ouvragées. Des chandeliers en argent et des lampes à huile projetaient une lumière douce et rassurante.


"J'ai fait de mon mieux pour que vous vous sentiez chez vous," dit Arianna avec un sourire humble, mais les yeux brillants d'une fierté non dite. "Nous avons aussi rassemblé quelques articles personnels que nous avons pu sauver de Monteriggioni."


Derrière elle, Ezio se tenait silencieux, absorbé par la scène. Un pincement au cœur le prit soudainement, une douleur douce-amère. Il se sentit projeté en arrière dans le temps, à une époque où la famille Auditore vivait en harmonie à Florence. Là où les murs ne renfermaient pas seulement des meubles et des objets, mais des années de rires, de larmes, et d'histoires partagées. Là où lui et Arianna étaient deux jeunes amoureux, naïfs mais infiniment heureux, inconscients des tribulations qui les attendaient.


Maria interrompit ses pensées en s'arrêtant devant Arianna, ses yeux se remplissant d'émotion. "Je ne saurais comment vous remercier, chérie. Tu as toujours été comme une fille pour moi, et ce que tu as fait ici... c'est plus que ce que j'aurais jamais pu espérer."


Sans un mot de plus, Arianna enveloppa Maria dans une étreinte tendre. "Vous avez toujours été comme une mère pour moi, Maria. À cette époque où tout est incertain, où tout ce que nous savons et aimons est constamment en péril, nous sommes une famille. Et la famille prend soin des siens, toujours."


Claudia saisit le bras de son frère et se tourna vers lui, ses yeux scrutant les siens comme pour chercher des réponses à des questions non posées. "Elle a toujours eu ce don, n'est-ce pas ? Celui de rendre tout endroit semblable à un chez-soi."


Ezio hocha la tête, un flot de sentiments l'envahissant. "Oui," dit-il, la voix enrouée, "elle a ce don." Mais il ressentait aussi un pincement de douleur à cette réalisation. Ce "chez-soi" que Arianna créait si aisément semblait désormais avoir des murs invisibles à travers lesquels il ne pouvait pas passer. Le contraste entre la chaleur familiale qui remplissait la pièce et sa propre distance émotionnelle était accablant.


Autour d'eux, Maria riait doucement en échangeant des anecdotes avec Isabella et Federico, tandis qu'Arianna écoutait avec un sourire chaleureux, son regard parfois croisant celui de Claudia comme pour partager un secret silencieux. Ce spectacle accentuait le poids du temps perdu pour Ezio, chaque moment semblant égratigner un peu plus la surface de sa culpabilité et de ses regrets.


"Vous avez fait un bon voyage, j'espère ?" dit-il enfin, voulant briser le mur qui s'était érigé entre lui et sa sœur.


Claudia hésita, son visage affichant un mélange de soulagement et de mélancolie. "Le mieux possible, compte tenu des circonstances. Mais nous sommes en sécurité maintenant, et c'est ce qui compte."


Ezio sentit une sorte de détermination dans le ton de sa sœur, une résilience qui avait été forgée par des années d'épreuves et de sacrifices. "Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour être là pour vous tous," dit-il, ses mots tremblant légèrement sous le poids de leur sincérité. "Je sais que j'ai beaucoup à réparer."


Claudia le fixa, ses yeux cherchant à percer le voile de ses paroles. "Je sais que tu le feras, Ezio," dit-elle doucement. "Mais tu dois comprendre, certaines choses ne peuvent pas être simplement réparées ou effacées par de bonnes intentions. Elles doivent être reconstruites, pierre par pierre, avec du temps et de l'effort. Et même alors, elles ne seront jamais tout à fait comme avant."


Ezio acquiesça, sentant la profonde vérité dans les mots de sa sœur. Il regarda de nouveau vers Arianna et sa famille. Il y avait un long chemin à parcourir, un chemin semé d'embûches et d'incertitudes. Mais pour la première fois depuis longtemps, il se sentait prêt à faire le voyage, prêt à affronter la complexité des émotions et des relations qui l'avaient tenu à l'écart pendant si longtemps.


Et dans ce moment de révélation, il se fit une promesse silencieuse. Peu importe les obstacles, peu importe le temps que cela prendrait, il trouverait un moyen de restaurer les liens qui avaient été rompus, de retrouver sa place au sein de cette famille complexe, fragmentée, mais toujours aimante.


Ce soir-là, alors que les rires et les conversations continuaient de résonner à travers les murs de pierre, Ezio se retira dans ses quartiers, l'esprit envahi par les mots de Claudia et les regards échangés tout au long de la soirée. L'ambiance chaleureuse qui remplissait le reste de la demeure rendait son isolement d'autant plus poignant. Claudia avait mis le doigt sur une vérité inévitable : il ne pourrait pas simplement recoller les morceaux de deux décennies d'absence et de négligence comme si de rien n'était.


Il ferma la porte derrière lui, ses mains glissant un instant sur le bois usé, comme pour y chercher un fragment de réconfort. Il s'approcha de sa fenêtre et regarda dehors. Les lumières de Rome, scintillantes comme des étoiles échouées sur terre, étendaient leur éclat à l'infini. Il prit une profonde inspiration, comme pour emprisonner une partie de cette majesté nocturne dans ses poumons, cherchant un courage nouveau.


La tâche qui l'attendait était colossale. Il avait non seulement la lourde responsabilité de renouer avec sa famille mais aussi de faire honneur à l'Ordre des Assassins, de se réconcilier avec Arianna, et de trouver un terrain d'entente avec ses enfants, Isabella et Federico, qui ne le connaissaient pas comme père. Chaque relation était comme un fil fragile, susceptible de se rompre à la moindre tension, et il devait les tisser avec soin pour créer une toile solide et durable.


Il se dirigea vers son bureau et ouvrit un tiroir pour en sortir un vieux carnet, usé par le temps et les aventures. Il y griffonna quelques mots, des idées, des intentions, des promesses qu'il se faisait à lui-même. C'était un petit geste, mais il signifiait beaucoup ; c'était un contrat avec lui-même, un engagement à être meilleur, à faire mieux.


Se redressant, il sentit un léger frisson d'anticipation lui parcourir l'échine. Pour la première fois depuis des années, il avait une direction, un but qui allait au-delà des missions et des complots. Et bien que le chemin soit semé d'embûches, de doutes et de douleurs, il se sentait étrangement revigoré à l'idée de le parcourir.


Il referma le carnet et le replaça dans le tiroir, puis se tourna de nouveau vers la fenêtre, contemplant la ville endormie. Dans cette contemplation, il trouva un semblant de paix, un brin de certitude dans un monde plein d'incertitudes.


Il ne serait pas seul dans cette entreprise. Claudia serait là, et il sentait au fond de lui que Arianna, malgré les complexités et les douleurs du passé, serait aussi une alliée dans cette quête de rédemption et de reconstruction.


La nuit était encore jeune, et pour la première fois depuis longtemps, Ezio Auditore da Firenze se sentait prêt à affronter le lendemain. Et tous les lendemains qui viendraient après.


-


Les semaines qui suivirent furent une danse délicate pour Ezio et Arianna, un mélange complexe de proximité forcée et de distances respectées. Le quartier général des Assassins à Rome, sous la direction d'Arianna, fonctionnait comme une horloge bien huilée. Des plans étaient élaborés, des missions lancées, et chaque membre de l'équipe savait exactement quel était son rôle. C'était un équilibre qu'Arianna avait mis des années à créer, et elle ne laisserait personne, pas même Ezio, le perturber.


Ezio, bien sûr, n'était pas du genre à rester en retrait. "Pourquoi ne pas attaquer directement la forteresse des Borgia au lieu de ces petites frappes ?" proposa-t-il lors d'une réunion de planification, ignorant ou faisant fi des regards échangés entre Arianna et Machiavelli.


"Ces 'petites frappes', comme tu les appelles, nous donnent des informations cruciales et affaiblissent leur structure de pouvoir," rétorqua Arianna, son ton ferme mais contrôlé. "Je suis ouverte à de nouvelles idées, mais je ne sacrifierai pas le travail de plusieurs années sur un coup de tête."


Ezio se tendit, mal à l'aise sous le regard de tous. Il comprenait la nécessité de la prudence, mais son instinct lui disait qu'ils devaient frapper fort et vite.


Il y avait aussi l'ombre persistante des relations d'Arianna avec d'autres membres influents de la Résistance. Le Comte Pâris et Machiavelli étaient souvent vus à ses côtés, discutant à voix basse ou partageant un rire complice. Ezio, malgré ses meilleures intentions, ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie et de suspicion.


"Tu as l'air très proche du Comte Pâris," dit-il un jour, presque par accident, lorsqu'ils étaient seuls dans une salle de réunion.


Arianna leva un sourcil, surprise. "Le Comte est un allié précieux et un bon ami. Sa connaissance de la cour des Borgia nous a été plus qu'utile. Pourquoi cette question ?"


"C'est juste que… n'oublions pas qui sont nos véritables alliés," répondit-il, regrettant presque immédiatement ses mots.


Elle soupira. "Ezio, nous sommes dans une guerre. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des sentiments personnels perturber notre mission."


Le fossé entre eux sembla alors plus large que jamais. Arianna était connue ici comme une Valentini, une femme indépendante dont le mari était dit disparu. Sa relation avec Ezio, aussi complexe soit-elle, menaçait de lever des questions indésirables au sein de la Résistance.


Le Comte Pâris, curieux, avait déjà commencé à poser des questions subtiles sur leur passé commun. Arianna, esquivait du mieux possible le sujet mais ressentant le poids de ces mots non-dits.


Les jours s'écoulaient, et malgré les victoires remportées et les progrès réalisés, les tensions entre Ezio et Arianna demeuraient, aussi solides et complexes que les murs de Rome eux-mêmes. Chacun se rendait compte que, pour le bien de leur mission et peut-être pour leur propre paix intérieure, ils devraient trouver un moyen de réduire cette distance. Mais comment y parvenir demeurait une énigme que ni l'un ni l'autre ne savait résoudre.


-


Le banquet en mémoire des disparus de Monteriggioni se tint plusieurs jours après. Les invités, vêtus de leurs plus beaux atours, se pressaient dans la vaste salle, dont les hauts plafonds voûtés semblaient absorber les échos des conversations murmurées. Des flambeaux placés à intervalles réguliers le long des murs de pierre vieillie projetaient des ombres mouvantes qui, dans leur danse, donnaient l'impression de prendre vie. Les couleurs vives des fresques murales, qui illustraient des scènes d'exploits héroïques et de sacrifices, contrastaient fortement avec la gravité des visages des convives. Le poids de la mélancolie était si tangible qu'il semblait presque pouvoir être touché, un voile épais que même le vin le plus fin ne pouvait dissiper complètement.


Au milieu de cette atmosphère, Arianna rayonnait d'une dignité sereine. Vêtue d'une robe d'un bleu profond qui mettait en valeur son teint d'olive et ses yeux mordorés, elle était le point focal de plusieurs groupes de personnes qui discutaient âprement. Sa posture élégante et ses gestes mesurés trahissaient une femme qui avait pris les rênes de sa propre vie, et qui n'avait pas l'intention de les lâcher. C'était une femme forte, indépendante, une force à elle seule.


Du coin de la salle où il se tenait, une coupe de vin à la main, Ezio observait Arianna avec une complexité d'émotions qu'il n'aurait su mettre en mots. Bien sûr, il éprouvait pour elle une attirance indéniable, une attirance qui avait résisté à des décennies de séparation et de malentendus. Mais il y avait aussi un abîme entre eux, un abîme qu'il ne savait pas comment combler.


Car Arianna portait encore le nom de Valentini, un nom qui était le sien par droit de naissance, certes, mais qui agissait aussi comme un rempart entre eux. Elle était Arianna Valentini, la veuve, la femme qui avait un mari disparu — une histoire que même leurs amis et proches prenaient pour argent comptant, puisqu'elle n'avait jamais jugé nécessaire de la corriger. Cette identité qu'elle avait forgée était devenue une armure, à la fois un bouclier et une épée. Un bouclier contre le monde, peut-être, mais aussi une épée dressée entre eux.


Ezio se surprit à ressentir un pincement d'amertume à cette pensée. Ce nom, cette identité, étaient comme une forteresse que même lui, avec toutes ses compétences d'Assassin, trouvait difficile à pénétrer. Ils étaient des barrières non seulement entre lui et Arianna, mais aussi entre lui et leurs enfants, entre l'homme qu'il avait été autrefois et l'homme qu'il aspirait à redevenir.


Il réalisa alors que ce mur entre eux n'était pas simplement fait de pierre et de mortier, mais de choix, de non-dits, de rumeurs non corrigées et de vérités évitées. Et ce mur ne se briserait pas de lui-même; il nécessiterait un effort conscient, de la part des deux côtés, pour être démantelé pierre par pierre.


Ezio but une gorgée de son vin, trouvant peu de réconfort dans son goût riche et complexe. Il savait qu'il se tenait à la croisée des chemins, que les décisions qu'il prendrait ce soir, et dans les jours à venir, définiraient non seulement son avenir mais aussi celui de sa famille. Et pour la première fois depuis longtemps, il se sentait incertain du chemin à prendre. Mais une chose était claire : il ne pouvait plus rester à l'écart. Il devait agir, pour lui-même et pour ceux qu'il aimait. Et cela commençait par affronter les barrières qu'il avait lui-même contribué à ériger.


Le moment vint de rendre hommage à l'Oncle Mario et aux autres qui avaient péri. Les invités étaient rassemblés, vêtus de leurs habits les plus sobres. Des bougies jetaient des ombres vacillantes sur les murs de pierre, et l'air était épais de l'odeur du vin et du bois brûlé. Les visages, bien que graves, portaient la marque indélébile de l'amour et du respect pour les disparus. Arianna se leva et, prenant une coupe à la main, elle s'avança vers le centre de la pièce. Le murmure des conversations s'éteignit, et tous les yeux se tournèrent vers elle.


"Nous sommes ici ce soir non pas pour pleurer ceux que nous avons perdus," commença-t-elle, sa voix calme mais empreinte d'une gravité palpable. "Nous sommes ici pour célébrer ce qu'ils ont été, ce qu'ils sont encore dans nos cœurs et dans nos souvenirs. Mario Auditore, mon père d'adoption, était plus qu'un homme; il était une inspiration pour nous tous. Il était la boussole morale qui nous guidait quand nous étions perdus, la lumière qui éclairait notre chemin dans les moments les plus sombres. Il nous a enseigné l'importance de la famille, de la loyauté, et du sacrifice. Nous devons honorer sa mémoire non pas en pleurant, mais en vivant les valeurs qu'il a incarnées."


Les invités levèrent leurs coupes, captivés par les mots d'Arianna. "À Mario Auditore, et à tous ceux que nous avons perdus. Leurs esprits vivent en nous," conclut-elle, buvant une gorgée de son vin. Chaque goutte semblait contenir le doux-amer des souvenirs et des émotions contradictoires qui la traversaient.


De son côté, Ezio restait figé, tenant sa coupe sans la lever. Ses pensées tourbillonnaient en une tempête de confusion et de regrets. "Père d'adoption," ces mots s'étaient ancrés dans son esprit, sonnant comme un signal d'alarme. Un choix délibéré de mots, une assertion de son identité en tant que Valentini, peut-être même une dissimulation de la réalité qu'ils étaient encore mariés. Ce n'était pas juste une nuance pour lui; c'était un défi, une barrière.


Il sentait soudain que chaque mot, chaque sous-entendu avait des poids et des mesures. Il comprit alors qu'Arianna, par ce petit détail, envoyait un message, non seulement à la foule mais aussi à lui. Elle ne lui rendrait pas facile la tâche de réintégrer sa vie ou celle de leurs enfants. Si elle avait érigé des barrières autour d'elle, c'était à lui de les briser pour mériter sa place à nouveau, en tant que mari, père et membre de cette famille complexe.


Dans ce moment de clarté, une résolution naquit en lui. Si Arianna avait choisi ses mots avec soin pour établir des distances, alors lui aussi serait tout aussi délibéré pour combler ces espaces. Il savait que cela n'allait pas être facile, que cela nécessiterait des conversations difficiles, des vérités inconfortables et une vulnérabilité qu'il n'avait pas ressentie depuis des années. Mais il était prêt à faire ce qu'il faudrait. Pour Mario, pour ses enfants, et si les dieux étaient cléments, pour Arianna.


En voyant les visages de ceux qu'il aimait et qui comptaient pour lui, quelque chose en lui se solidifia. Un résolu mélange de détermination et d'urgence. Il ne pouvait plus continuer à être un fantôme dans sa propre vie, dans sa propre famille. C'était le moment d'agir. Et alors que les invités dispersaient pour continuer les discussions plus légères et partager des anecdotes sur les défunts, Ezio savait qu'un autre genre de conversation, beaucoup plus difficile mais essentiel, l'attendait. Il serait prêt.


Après les toasts et les hommages, la foule commença à se disperser, chacun se perdant dans des conversations privées ou des contemplations solitaires. C'était à ce moment qu'Ezio repéra Arianna, éloignée du rassemblement, appuyée contre un pilier en pierre, semblant perdue dans ses pensées.


Il s'approcha, son cœur battant d'anticipation et de nervosité. "Tu étais magnifique ce soir, comme toujours," dit-il doucement, cherchant à croiser son regard.


Elle leva les yeux, son visage restant impassible. "Merci, Ezio. Mais dis-moi, est-ce tout ce que tu as à dire?" Ses mots étaient comme une lame, tranchants et directs. Elle le connaissait trop bien.


Respirant profondément pour rassembler son courage, il répondit : "Non, loin de là. Nous avons des choses à régler, toi et moi. Je suis fatigué de me sentir comme un étranger au sein de ma propre famille. Et je pense que tout commence par abattre les murs que nous avons érigés entre nous."


Arianna prit une grande respiration, ses épaules se levant puis retombant comme si elle absorbait le poids colossal de ses paroles. "Je suis prête à en parler, Ezio, mais sois sûr de ce que tu demandes. Ces murs dont tu parles ne sont pas de simples obstacles. Ils ont pris des années à ériger et chaque pierre est un souvenir, une douleur, une leçon. Les détruire... Je ne sais pas si je suis prête à le faire."


Il s'approcha, plongeant son regard dans le sien, cherchant l'âme derrière ces yeux qu'il avait tant aimés. "Je sais que c'est une tâche ardue. Mais c'est nécessaire, pour nous, pour Isabella et Frédérico, pour ce que nous avons été et ce que nous pourrions encore être. Comment puis-je assumer mon rôle de père si tout le monde ici ignore la vérité de notre relation?"


Pendant un instant qui lui parut une éternité, elle le fixa, ses yeux scrutant chaque trait de son visage comme si elle y cherchait une réponse à une question non formulée. "Ezio, notre alliance est fragile, surtout maintenant. Si tu es sérieux, alors il te faudra me donner du temps."


Sans un mot de plus, elle se détacha de lui, ses talons claquants contre le sol de pierre alors qu'elle se dirigeait vers la foule. Comme elle s'éloignait, chaque pas semblait élargir le gouffre entre eux, chaque mètre supplémentaire un rappel cinglant de la distance qu'il ressentait. Les demandes et les obligations de la soirée la happaient déjà, diluant leur moment d'intimité dans le bruit de fond des conversations et des rires.


Il la regarda s'éloigner, et ce fut comme si quelque chose en lui se déchirait. Un mélange de frustration et de colère commença à bouillir dans les profondeurs de son être, chauffant son sang, accélérant son pouls. 'Du temps,' elle avait dit. Le mot résonnait dans son esprit, ironique et cruel. Il avait déjà perdu vingt années, des années où il aurait pu être avec elle, avec leurs enfants. Chaque seconde supplémentaire qu'il laissait filer était une insulte à ces années perdues, un mépris de l'urgence qu'il ressentait.


Son poing se serra involontairement, ses ongles s'enfonçant dans la paume de sa main. Il avait fait des efforts pour abattre les murs entre eux, avait offert une ouverture, une chance pour la réconciliation et la vérité. Et elle avait parlé de 'temps' comme si c'était un luxe qu'ils pouvaient se permettre.


Ezio sentit alors en lui monter une résolution froide et indomptable. S'ils ne pouvaient abattre ces murs ensemble, alors il le ferait seul, coûte que coûte. Il ne serait plus l'homme en marge, l'étranger dans sa propre famille. Ce moment douloureux était le catalyseur, le point de non-retour. Il était temps d'agir, de forcer le monde à voir leur relation pour ce qu'elle était, de revendiquer sa place aux côtés de ceux qu'il aimait.


Alors qu'il restait là, son regard suivant la silhouette d'Arianna jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la foule, il se fit la promesse silencieuse de ne plus perdre une seule seconde. Le temps de la patience était révolu; le temps de l'action était venu.

Laisser un commentaire ?