L'Ombre de Florence: Les mémoires cachées d'Arianna Valentini

Chapitre 2 : Péone

7719 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/10/2023 21:53

Trois années s'étaient écoulées comme l'eau d'un torrent montagnard, rapides et tumultueuses. Arianna avait mûri, ses traits s'étaient affermis et sa silhouette était celle d'une guerrière. Elle se tenait dans la cour de la forteresse familiale, ce sanctuaire d'entraînement et de tradition, son épée en main, face à Lucio, son grand-père. Le soleil de la Provence baignait le lieu d'une lumière dorée, accentuant l'éclat de leurs lames.


"Tu es plus forte, plus rapide, mais tu n'as toujours pas réussi à me désarmer, Arianna," constata Lucio, sa propre lame reluisante sous les rayons du soleil, comme une extension de sa volonté inébranlable.


"Je le ferai, Grand-père, et bientôt," répondit Arianna, ses yeux flamboyant d'une détermination forgée au fil des années d'entraînement ardu et d'études incessantes.


Un sourire fugace effleura les lèvres de Lucio. "Eh bien, montre-moi."


Avec un cri étouffé, Arianna s'élança. Leur lames s'entrechoquèrent dans un chœur discordant d'acier contre acier, un ballet complexe de mouvements calculés et de ripostes instantanées. Malgré l'intensité et la vitesse du duel, Arianna sentait qu'elle ne gagnait pas de terrain. Sa frustration montait, comme une marée insidieuse.


Épuisée, elle fit quelques pas en arrière, sa respiration haletante troublant le silence qui s'était installé. "Tu doutes, Arianna. La peur et le doute sont les ennemis de l'Assassin," énonça Lucio, sa voix empreinte d'une gravité qui rendait ses paroles presque palpables.


"Je ne doute pas, Grand-père. J'ai seulement besoin de temps," répliqua-t-elle, bien qu'elle sache que chaque seconde était une seconde de trop.


"Le temps est un luxe que nous n'avons pas toujours," rétorqua Lucio, le regard posé sur elle, évaluateur.


Ces dernières semaines, Arianna avait été captivée par l’ancien Codex que la famille avait conservé depuis des générations. Codex que son grand-père lui avait récemment permis d’étudier. Elle y avait découvert une technique de combat oubliée, une séquence de mouvements complexe et risquée, mais dont la maîtrise promettait une puissance dévastatrice. Sans le savoir, elle avait pris la décision audacieuse de l'intégrer à son propre arsenal, s'entraînant dans le plus grand secret.


Ce jour était celui de la révélation.


Prenant une profonde inspiration, elle se remit en position de combat. Ses yeux rencontrèrent ceux de Lucio, et pour un instant, tout devint cristallin. Elle lança son attaque, une série de mouvements si rapides qu'ils semblaient presque être un seul geste continu. Lucio parvint à parer, à esquiver, à contre-attaquer, mais il y avait quelque chose de différent cette fois-ci; une fluidité nouvelle dans les actions d'Arianna, un certain flair qui avait été absent jusqu'alors.


Et puis vint ce moment critique. Exécutant la technique du Codex avec une précision millimétrique, Arianna parvint à désorienter Lucio. La confusion ne dura qu'une fraction de seconde, mais cela suffit. Sa lame frappa, envoyant celle de Lucio virevolter dans les airs pour finalement s'écraser sur le sol.


Un silence presque sacré enveloppa la cour. Lucio regarda sa lame à terre puis releva les yeux vers Arianna. "Tu as réussi," déclara-t-il, sa voix saturée d'un étonnement mêlé de fierté.


Arianna, le souffle court mais l'âme exaltée, abaissa sa propre épée. "Cela signifie-t-il que ma formation est terminée?"


Ramassant son épée, Lucio la glissa dans son fourreau avec un soin révérencieux. "Non, cela signifie qu'elle ne fait que commencer. Mais désormais, tu as gagné le droit de te battre à nos côtés en tant qu'Assassin à part entière."


Une onde d'émotion submergea Arianna, faisant vaciller ses défenses intérieures longtemps préservées. Pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, elle se sentit véritablement intégrée au sein de sa famille, un maillon respecté de cette chaîne séculaire d'Assassins. C'était un nouveau départ, une page blanche sur laquelle elle était prête à inscrire sa propre légende.

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Depuis sa confrontation avec Lucio, son grand-père, Arianna Valentini était pleine d'espoirs d'un nouveau départ au sein de la famille. Lucio avait toutefois continué de la garder à distance des autres membres de la famille, la traitant comme un diamant brut qui nécessitait du temps et de l'attention avant d'être dévoilé. Arianna commençait à sentir la tension et l'isolement qui accompagnaient cette mise à l'écart.


Lors d'une réunion de famille dans le grand hall de la demeure des Valentini, la tension atteignit un point culminant. L'air était saturé du mélange d'acier et de cuir que portaient les guerriers de la famille, tous masculins sauf elle. Vincent, un de ses cousins plus âgés, la scruta avec mépris.


"Quelle place penses-tu avoir parmi nous, petite fille?" lança-t-il, ses paroles tranchantes comme la lame qu'il portait à sa ceinture.


Le cœur d'Arianna se serra à ses mots, mais ce qui la blessa le plus fut le silence lourd de Thomas, son cousin et ami de toujours, qui se tenait à quelques pas d'elle, les yeux baissés.


"Je mérite ma place ici autant que toi," répliqua Arianna, sa voix étonnamment stable malgré la tourmente intérieure.


"Ah, des paroles audacieuses. Prouve-le," rétorqua Vincent, en dégainant son épée avec un sourire cruel.


Arianna hésita un instant, puis dégaina la sienne. Leur acier se rencontra dans une série de claquements et de grincements, chaque coup porté avec plus de force et de précision que le précédent. Vincent était clairement un combattant expérimenté, mais il sous-estimait la jeune femme devant lui. Chaque attaque qu'il lançait était parée avec une grâce qui lui était propre, chaque ouverture exploitée avec une habileté qui laissait Vincent de plus en plus frustré.


Finalement, avec un mouvement rapide comme l'éclair, Arianna parvint à désarmer son cousin. Son épée tomba sur le sol de pierre avec un bruit métallique, et un silence stupéfait s'empara de la salle.


"Tu es sûr de vouloir toujours contester ma place ici?" dit-elle, les yeux brûlants de détermination.


Les regards qui se posèrent sur elle étaient transformés. Même Lucio affichait un sourire satisfait, comme si ce duel n'était que la dernière pièce d'un puzzle longuement réfléchi.


Cependant, la victoire fut amère pour Arianna. Thomas s'approcha finalement, son visage sans expression. "Tu as bien combattu, Arianna," dit-il faiblement.


"Mieux que bien, j'ai gagné," répondit-elle, sa voix trahissant une pointe de déception. "Mais pourquoi es-tu resté silencieux?"


Thomas baissa les yeux, clairement en conflit avec lui-même. "Je... Je ne savais pas quoi dire."


"Ce n'est pas une question de mots, Thomas. Il s'agit de présence, de loyauté. Comme j'ai toujours été là pour toi," dit-elle, ses yeux fixés sur lui.


En ce moment, une fissure silencieuse se forma entre eux, un espace froid et sombre. C'était une crevasse qui, si elle n'était pas colmatée, menaçait de s'élargir en un abîme qui pourrait engloutir leur amitié.


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Après le duel qui l'avait rendue victorieuse mais moralement ébranlée, Arianna se retira dans la bibliothèque lambrissée où Lucio, son grand-père, passait le plus clair de son temps. L'endroit était rempli d'une aura de savoir et de mystère, accentuée par le Codex familial que Lucio consultait à ce moment-là.


Arianna prit une profonde inspiration, remplissant ses poumons de l'odeur de cuir et de parchemin. Puis, avec une voix tremblante mais déterminée, elle brisa le silence pesant qui avait enveloppé la pièce depuis son entrée. "Grand-père, pourquoi m'imposes-tu tant d'exigences ? Plus qu'à n'importe qui d'autre dans cette famille?"


Lucio leva les yeux du Codex, son regard semblant pénétrer directement dans l'âme d'Arianna. "La réponse à cette question, ma chérie, est simple. Je suis sévère parce que tu as le potentiel de devenir bien plus que ce que n'importe qui d'entre nous a été ou sera jamais."


Le cœur d'Arianna se serra, et elle sentit comme un poids s'abattre sur ses épaules. "Je ne comprends pas. Pourquoi moi spécialement ?"


Il posa délicatement le Codex sur le bureau en bois massif devant lui et se leva. Sa voix se radoucit. "J'ai vu en toi une lumière que je n'ai perçue que quelques fois dans ma longue vie. Tu n'es pas seulement destinée à être une Assassin, Arianna. Tu es destinée à être une dirigeante, peut-être même ma propre successeure."


La surprise et l'émotion inondèrent Arianna. "Est-ce vraiment possible ? Puis-je vraiment aspirer à un tel héritage ?"


Avec un sourire mystérieux, Lucio se dirigea vers une étagère chargée de livres anciens et en retira un tome épais. Il l'ouvrit et tourna plusieurs pages pour révéler une section du Codex que peu de personnes avaient jamais vue. "Je ne montrerais ceci à personne d'autre que toi, Arianna. Comprends-tu maintenant ? Le futur de la famille Valentini, et éventuellement de tout notre Ordre, repose peut-être sur tes épaules."


Ses yeux parcoururent les mots et les illustrations du Codex, chaque page remplie de connaissances et de secrets que seul un cercle très restreint avait le privilège de connaître. Arianna se sentit à la fois terrifiée et honorée, mais plus que tout, elle se sentit investie d'une nouvelle détermination.


"Je comprends le poids de cette responsabilité, grand-père," dit-elle, sa voix plus ferme que jamais. "Je travaillerai plus dur que je ne l'ai jamais fait, pour toi, pour notre famille, et pour les idéaux que nous défendons."


Lucio hocha gravement la tête, une lueur de fierté dans ses yeux. "Alors, prépare-toi. Le chemin devant toi est long et ardu, mais je crois que tu es prête à le parcourir."


Serrant le Codex contre elle comme un talisman précieux, Arianna suivit son grand-père hors de la bibliothèque. Ce moment marqua pour elle un tournant : elle n'était plus simplement une apprentie, mais une héritière en devenir. Et avec cette nouvelle réalisation vint une résolution renouvelée. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour être digne de l'héritage et des attentes qui l'accompagnaient.


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Les premières neiges avaient déjà transformé les paysages de Peone en une étendue immaculée, la forteresse familiale se dressant comme un bastion silencieux au milieu de cette toile blanche. À l'intérieur, les couloirs résonnaient de murmures et de chuchotements, amplifiant la tension qui s'était déjà installée. Ce jour-là était sacré, le jour des épreuves ou les jeunes recrues devenaient officiellement des apprentis Assassins. Les visages étaient marqués par l'anxiété, leurs yeux reflétant une mixture d'excitation et de crainte. Cette journée était cruciale pour leur avenir dans l’Ordre.


Arianna, presque 14 ans et déjà un modèle de maîtrise et de discipline, se tenait à l'écart, dans l'ombre. Pour une raison inexpliquée, son nom ne figurait pas sur la liste des participants. Confuse mais résolue, elle observa le déroulement des épreuves avec un intérêt détaché.


Lorsque les épreuves commencèrent, une réalisation s'abattit sur elle. Chacun des défis présentés devant les apprentis, elle les avait déjà surmontés. Des tests d'agilité en passant par des exercices de discrétion jusqu'à des duels simulés,son grand-père Lucio les lui avait fait passer quand elle n'était encore qu'une enfant de neuf ans. Un frisson la parcourut. C'était là une preuve tangible de l'immense foi que Lucio plaçait en elle.


Lucio observait la scène depuis un balcon en surplomb, son visage indéchiffrable. Ses yeux s'attardèrent sur Arianna et une expression presque indiscernable, était-ce de la fierté? du regret?, traversa brièvement son visage ridé.


C'était maintenant au tour de Thomas, le cousin d'Arianna. Leurs jeux d'enfance les avaient rendus proches, et l'inquiétude s'était peinte sur le visage de la jeune femme lorsque Thomas s'avança vers l'aire de combat. L'obstacle était simple: une série de poutres suspendues en hauteur qu'il fallait franchir en moins d'une minute. Thomas prit son élan, sauta sur la première poutre mais, en atteignant la seconde, son pied glissa et il s'écrasa lourdement au sol.


Un silence absolu tomba sur l'assistance, un vide qui semblait absorber même le craquement des torches. Lucio descendit du balcon, sa démarche aussi ferme et régulière que son visage était impénétrable. "Thomas, tu as échoué," dit-il d'une voix douce mais tranchante comme la lame d'un couteau. "Tu auras une nouvelle opportunité l'année prochaine, si tu prouves que tu le mérites."


Arianna sentit son cœur se contracter. C'était une condamnation silencieuse, pas seulement pour Thomas mais pour elle-même aussi. Lucio cherchait à construire une dynastie d'Assassins compétents et impitoyables. Que signifiait cet échec pour son grand dessein?


La salle d'entraînement se vida rapidement, les membres de la famille se dispersant dans un mélange de soulagement et de tension non résolue. Arianna chercha Thomas des yeux, mais il avait disparu, comme englouti par les ombres. Une rumeur traversa les couloirs les jours suivants, confirmant ce qu'Arianna avait redouté: Thomas avait été envoyé dans un monastère, une sorte de purgatoire pour ceux qui ne pouvaient porter le poids de la lame des Assassins.


La perte de Thomas, ajoutée à son propre isolement, fit écho en elle comme le vide d'un puits sans fin. Dans cet univers exigeant et rigide qu'était la famille Valentini, Thomas avait été sa bouée de sauvetage, son point d'ancrage. Et comme un navire perdu en mer, Arianna sentit soudain que le courant l'entraînait vers des eaux encore plus sombres et inconnues.


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Comme pour accentuer ce sentiment de perte, Arianna eut ses premières menstruations la même semaine, un rappel cruel de son passage à l'âge adulte. Elle était à présent femme, mais aussi Assassin en devenir.


Et le destin, dans sa cruauté, sembla décider que le temps de l'innocence était définitivement révolu. Son grand-père Lucio, un homme dont les années avaient accentué non seulement les lignes de son visage mais aussi le sérieux de sa démarche, l'appela dans ses appartements. L'endroit était un sanctuaire d'érudition et de stratégie, avec des cartes étalées sur une grande table en chêne, des parchemins éparpillés et des plumes d'oie trempées dans des encriers. Il avait toujours été le cerveau derrière leurs opérations, un patriarche qui portait le fardeau de leur mission avec une gravité silencieuse.


"Arianna," commença-t-il, sa voix dénuée d'émotion, comme s'il lisait un rapport militaire, "un homme est arrivé au village et pose des questions qui ne devraient pas être posées. Tu vas le suivre, découvrir ses intentions et le faire disparaître."


Les mots résonnèrent en elle comme un couperet, tranchant à travers toutes ses réticences, toutes ses inquiétudes. Il n'y avait pas de place pour le doute, pas quand il s'agissait de la sécurité de la famille et de leur mission. Sans un mot, elle prit sa cape de la chaise où elle reposait, l'enfila et disparut dans la nuit glaciale.


La lune était une fine faucille dans le ciel, jetant une lumière pâle qui peignait tout en nuances de gris. Arianna se fondit dans les ombres, sa respiration formant de petits nuages de vapeur devant elle. L'homme n'était pas difficile à repérer. Il était posté près de l'auberge du village, habillé d'une manière un peu trop raffinée pour passer inaperçu. Une surveillance attentive révéla qu'il cherchait des informations sur la famille Valentini, et pire encore, sur le Codex qu'ils protégeaient. Il était clair qu'il ne pouvait pas repartir avec ce qu'il savait.


Se glissant derrière lui avec l'agilité que des années d'entraînement avaient affinée, elle sortit son poignard de son fourreau. Sa main était stable, son esprit focalisé comme un faisceau. Un geste précis, rapide, et l'homme s'effondra sans un bruit, la vie quittant ses yeux avant même qu'il ait pu réaliser ce qui se passait. Elle fouilla ses poches et y trouva des documents portant les sceaux des Templiers. Les enjeux étaient plus grands qu'elle ne l'avait imaginé.


Arianna retourna chez elle, le cœur lourd mais résolu. Elle présenta les documents à Lucio, qui les examina rapidement avant de les jeter dans la cheminée. Les flammes crépitèrent comme pour applaudir son acte, consumant le parchemin et les secrets qu'il recelait.


"Tu as fait ce que tu devais," déclara Lucio, toujours impassible, mais elle crut déceler une once d'approbation dans son regard. "Tu es prête, Arianna. Aujourd'hui, tu as versé ton premier sang pour notre cause. C'est un pas de plus sur un long chemin. Prépare-toi pour les épreuves qui viennent."


Alors qu'elle quittait la pièce, elle ressentit à la fois la lourdeur de son acte et la solennité de son nouvel héritage. Elle n'était plus la jeune fille qui regardait le monde à travers les yeux de l'innocence. Elle était une femme, une Assassin, et cela portait un poids qu'elle commençait à peine à comprendre.


Arianna se retrouva seule dans sa chambre, le froid mordant de la nuit s'infiltrant par les fenêtres mal isolées. Ses mains étaient encore marquées par le poids du poignard, comme si la lame avait gravé son empreinte dans sa chair. Les bougies jetaient des ombres inquiétantes sur les murs de pierre, transformant chaque recoin en un lieu de mystère et de menace.


Son miroir reflétait une jeune femme changée. Ses yeux, autrefois si lumineux, étaient désormais assombris par le poids de ses actions, par le fardeau d'une vie prise. Sa première menstruation avait été un rappel cruel de sa nouvelle réalité, un passage de l'innocence à l'âge adulte. Et maintenant, elle avait franchi un autre seuil, un seuil sombre et inéluctable. Elle était devenue un Assassin.


Elle se souvint de la manière dont ses doigts s'étaient enroulés autour de la poignée du poignard, de la sensation du métal pénétrant la chair, de la brève résistance avant que la vie ne quitte le corps de l'homme. Il n'avait pas eu le temps de crier, seulement de lancer un regard étonné, presque perplexe, avant que la lumière ne quitte ses yeux.


Arianna s'était alors demandé ce qui le poussait à chercher le Codex, à poser des questions interdites. Était-il aussi entraîné par une cause, une foi inébranlable en une cause plus grande que lui-même ? Ou était-il simplement un pion, ignorant du jeu plus vaste auquel il participait ?


Elle se laissa tomber sur son lit, les couvertures faites de laine épaisse offrant un maigre réconfort contre le froid qui semblait maintenant venir de l'intérieur. Elle se sentait écartelée entre le soulagement d'avoir protégé sa famille et la culpabilité d'avoir enlevé une vie.


Son grand-père Lucio avait parlé avec une froideur qui l'avait glacée, réduisant l'acte qu'elle venait de commettre à un simple pas sur "un long chemin". Mais pour Arianna, ce chemin ressemblait maintenant plus à un précipice, une descente vertigineuse dans une réalité où le bien et le mal se confondaient en une teinte grisâtre indistincte.


Pourtant, au milieu de ce tumulte émotionnel, elle sentait une détermination naissante. Elle avait pris une vie, oui, mais elle l'avait fait pour protéger tout ce qui comptait pour elle. Le monde était un endroit dangereux, encombré de mystères, de trahisons et de menaces cachées. Et dans ce monde, elle avait un rôle à jouer. Un rôle qu'elle n'avait pas choisi, mais qui lui avait été confié par le sang et l'héritage.


Elle prit une profonde inspiration, comme pour aspirer toute la force qui lui restait, et se leva. Devant le miroir, elle fixa son propre reflet, regardant au-delà de la jeune femme perdue pour y trouver l'Assassin en devenir. Elle savait qu'elle ne pouvait pas revenir en arrière, que les choix qu'elle avait faits et ceux qui la guettaient dans l'ombre de l'avenir allaient la façonner d'une manière qu'elle ne pouvait pas encore comprendre.


Mais une chose était sûre : elle était prête à affronter ce qui l'attendait. Avec une résolution renouvelée, elle éteignit les bougies, plongeant la chambre dans une obscurité accueillante, et se coucha. Demain serait un autre jour, rempli de défis et de dangers, mais aussi d'opportunités pour se prouver à elle-même et au monde entier. Dans le labyrinthe complexe de sa vie et de ses responsabilités, elle était prête à trouver son propre chemin.


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Le lendemain fut un jour qui changea tout. Dès l'aube, la tension dans l'air était palpable, comme si le domaine lui-même pouvait sentir l'évolution imminente d'Arianna. Lucio, son grand-père, la convoqua dans la cour intérieure du château, un espace habituellement réservé aux entraînements les plus difficiles. Sur son visage, une expression austère, ses yeux perçants fixés sur sa petite-fille comme deux lames acérées.


"Viens," dit-il, se dirigeant vers le centre de la cour où étaient déjà disposées diverses armes, des cibles et des mannequins d'entraînement.


Le soleil à peine levé, ils commencèrent. Le sifflement des lames remplissait l'air alors qu'ils enchaînaient les exercices de combat, les coups portés avec une intensité nouvelle. Lucio ne lui laissait aucun répit. Les heures défilaient dans un tourbillon d'exercices physiques, d'enseignements sur l'art de l'empoisonnement et de simulations de filatures et d'assassinats. Son corps était mis à l'épreuve comme jamais auparavant, chaque muscle criant sous l'effort, chaque respiration une lutte.


"La voie de l'Assassin n'est pas pour ceux qui hésitent," déclara Lucio, arrêtant brusquement les exercices. Ses mots étaient comme un vent glacé, coupant à travers la sueur et la fatigue. "Ton doute peut te tuer, mais pire encore, il peut mettre en danger notre famille, notre cause."


Pour étayer son propos, comme s'il cherchait à graver ces paroles dans son âme, Lucio décida que le temps des simulations était terminé. Arianna allait devoir affronter la réalité, et ce de manière abrupte. Il l'envoya en mission en plein cœur de l'hiver enneigé. Accompagnée de deux de ses oncles, des Assassins aguerris, elle avait pour tâche d'éliminer un groupe d'émissaires qui étaient connus pour être liés aux Templiers.


Le voyage fut éprouvant, chaque pas dans la neige épaisse semblant un combat en soi. Mais il y avait aussi une beauté dans cet environnement impitoyable, les arbres givrés formant une cathédrale naturelle sous le ciel bleu pâle. Lorsqu'ils atteignirent la taverne isolée où les émissaires étaient censés se rencontrer, Arianna prit une profonde inspiration. Elle se souvint des leçons apprises sur les poisons, mélangeant discrètement un breuvage mortel qu'elle versa dans les pichets de vin.


Ils attendirent à l'extérieur, cachés dans l'ombre des arbres, jusqu'à ce que le silence inquiétant à l'intérieur de la taverne confirme le succès de leur mission. Pénétrant à l'intérieur, Arianna vérifia les corps sans vie des émissaires. Elle ressentit un moment de vide, une absence de triomphe, avant de secouer ces pensées. Il n'y avait pas de place pour le doute. Pas maintenant.


Silencieux comme des ombres, Arianna et ses oncles firent demi-tour, leurs pas s'enfonçant dans la neige épaisse alors qu'ils rentraient au château. Lucio les attendait déjà, debout comme une statue dans la grande salle, une aura d'attente pesante autour de lui. Arianna lui remit le rapport de la mission, son écriture précise malgré le tremblement de ses doigts gelés.


Lucio le lut attentivement puis hocha la tête. "Tu as fait ce que tu devais, mais n'oublie jamais que le doute n'a pas sa place ici. Nous sommes en guerre, Arianna. En guerre contre des ennemis qui ne montreront aucune pitié. Tu dois être plus forte que ton doute, plus forte que ta peur. C'est le seul chemin."


Les mots étaient durs, mais ils trouvèrent une place en elle, non comme une menace, mais comme une épitaphe pour son ancien moi. Elle comprit alors que son grand-père n'était pas cruel, mais réaliste. Ils étaient engagés dans une lutte qui ne permettait pas le luxe du doute ou de l'hésitation. Si elle voulait survivre, si elle voulait protéger ceux qu'elle aimait, elle devait être plus forte que tout ce qui pourrait l'entraver.


Arianna sortit de la grande salle, les échos des paroles de Lucio résonnant dans son esprit. Elle sentait son corps épuisé mais son âme revigorée, comme si elle avait été trempée dans un feu qui l'avait à la fois épuisée et purifiée. Elle était prête pour les épreuves qui viendraient, et plus que cela, elle était prête à embrasser pleinement son rôle dans cette guerre ancestrale.


Le doute n'avait plus sa place. Seule restait la résolution d'une Assassin, gravée dans le marbre de son être


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Dans l'aube naissante du premier jour de beau temps 1473 depuis un long hiver, Arianna sentit l'appel irrésistible de la liberté. Les premiers rayons du soleil s'infiltraient dans les fissures des murs épais de la demeure familiale, créant des jeux d'ombres sur le sol en pierre. Les murs, qui avaient souvent ressenti comme des geôles, semblaient ce jour-là moins oppressants. La neige avait cédé la place à des champs verdoyants et les arbres se paraient de bourgeons. L'hiver, avec son confinement et ses missions dangereuses, était derrière elle.


Comme elle s’apprêtait à échapper aux obligations de la journée, son grand-père Lucio la surprit dans le couloir. « Arianna, j'ai besoin que tu fasses une mission de reconnaissance au village. Il pourrait y avoir des activités templières, » dit-il, son ton impénétrable comme toujours.


Elle le regarda, les yeux emplis d'une lassitude qu'elle ne pouvait plus contenir. Sa bouche s'ouvrit pour protester, mais elle lut quelque chose dans son regard qui lui intima de se taire. « Bien sûr, Grand-père, » répondit-elle, mélangeant respect et déception dans sa voix.


Une fois qu'elle fut certaine que Lucio avait disparu dans les profondeurs de la demeure, Arianna agit impulsivement. Elle s'empara de son arc et de son carquois qui étaient posés contre le mur et s'éclipsa discrètement, son cœur battant à l'idée de cette insubordination.


Elle traversa les plaines encore humides de la rosée matinale et s'engagea dans la forêt, l'air frais caressant son visage. Les oiseaux semblaient la saluer de leur chant, les arbres dansaient doucement dans la brise. Tout l'environnement pulsait de vie, et elle s'y sentit incluse, un élément à part entière de cette toile complexe. Lorsqu'une biche apparut dans une clairière, elle prit une profonde inspiration et tendit son arc. Le bruit de la corde, tendue puis relâchée, retentit à ses oreilles. La flèche s'enfonça dans le cœur de l'animal.


Après avoir abattu la biche, Arianna se sentit envahie par un sentiment mêlé d'euphorie et de doute. Elle avait désobéi ouvertement aux ordres de son grand-père, mettant potentiellement en péril tout ce qu'ils avaient construit. Cependant, au même moment, elle se sentait plus elle-même qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Touchant doucement la fourrure de la biche, elle comprit que cette désobéissance n'était pas un acte futile, mais une affirmation d'elle-même, de sa propre humanité au-delà du devoir et des missions. Pour une fois, elle était simplement Arianna, et non une arme dans l'arsenal des Assassins.


Ce moment de réflexion lui fit prendre conscience du prix de cette liberté. Les conséquences de son acte la rattraperaient tôt ou tard. Son grand-père Lucio serait déçu, peut-être même en colère. Mais quelque chose en elle avait changé. Une nouvelle assurance l'avait envahie, comme si cette petite rébellion avait été la clé d'une porte qu'elle n'avait même pas su qu'elle devait ouvrir.


Arianna passa le reste de la journée à savourer cet espace de liberté qu'elle s'était accordé. Elle grimpa aux arbres, trempa ses pieds dans les ruisseaux, et pratiqua même ses mouvements d'assassin en toute discrétion. Mais tandis que le soleil commençait à décliner, la réalité la rappela à l'ordre. Elle avait une famille, une mission, des responsabilités. Elle prit une dernière grande bouffée d'air frais, enregistrant ce moment dans sa mémoire comme un rappel précieux que la liberté avait un coût, mais que ce coût valait parfois la peine d'être payé.


Lorsque le soleil amorça sa descente, laissant les ombres s'étirer et les couleurs du ciel s'assombrir, Arianna commença à regagner les abords de la forêt. Alors qu’elle traversait une clairière, elle sentit une odeur âcre atteindre ses narines. C'était une odeur qui n'avait rien à faire dans la forêt paisible, une odeur de fumée qui présageait du danger. Le cœur d'Arianna, déjà battant d'une douce excitation due à sa balade en solitaire, s'accéléra brusquement, comme si un ressort venait de se briser en elle.


Elle ne prit pas le temps de réfléchir. Poussée par un instinct primaire, elle fit volte-face et se mit à courir, ses pieds foulant le sol forestier avec une urgence désespérée. La forêt, autrefois un sanctuaire, semblait désormais hostile. Les ombres, qui s'étiraient de plus en plus avec le soleil déclinant, paraissaient comme des bras qui voulaient l'attraper, la retenir, l'empêcher d'atteindre sa destination.


Ce fut une éternité avant qu'elle n'atteigne enfin la lisière des bois. Ce qu'elle vit alors lui glaça le sang, comme si chaque goutte dans ses veines se transformait en cristal. La forteresse familiale, ce bastion imposant qui avait toujours symbolisé la sécurité et la stabilité, était en proie aux flammes. Les hautes tours jadis fières et majestueuses n'étaient plus que des carcasses déformées, des silhouettes sombres dans un océan de feu. Des cris s'élevaient dans l'air, lointains mais terriblement familiers, comme un écho cruel à sa propre terreur. Elle avait l'impression que son cœur, aussi, était en flammes, se désintégrant dans une douleur atroce.


La culpabilité l'envahit alors, telle une vague déferlante prête à tout engloutir sur son passage. Elle avait désobéi aux règles, elle avait abandonné son poste, et voici la conséquence. Mais elle n'avait pas le temps de sombrer dans le désespoir. Tout son entraînement, aussi dur et impitoyable qu'il ait été, l'avait préparée pour des moments comme celui-ci. Ses mains tremblantes attrapèrent son arc et ses flèches qu'elle avait laissés contre un arbre, et elle resserra son carquois sur son dos avec une détermination farouche.


Ignorant la fatigue, elle courut. Elle traversa le village, cet endroit qui aurait dû être un lieu de commerce et de rires mais qui était maintenant désert et silencieux, comme une maquette abandonnée. Les volets étaient clos, les portes barricadées, comme si la vie elle-même avait fui ce lieu. L'inquiétude se mua en une terrible certitude lorsque ses yeux se posèrent sur la forteresse, où elle aperçut de nombreuses silhouettes s'affairant et des chevaux attachés hâtivement. Elle activa sa vision d'aigle, ce don ancestral qui permettait à sa famille de voir ce qui échappait aux simples mortels. Les couleurs changèrent, les détails s'affinèrent, et elle reconnut, avec une horreur glaciale, les insignes des Templiers sur plusieurs de ces intrus.


Son cœur était une forge en plein travail, le métal de ses émotions battu et moulé par l'urgence de la situation. Les Templiers, ici, dans sa propre maison, étaient un signe terrifiant que les enjeux avaient dépassé tout ce qu'elle pouvait imaginer. Une profonde inspiration secoua ses poumons, comme si elle tentait d'absorber le peu de courage qui lui restait. C'était le moment de faire honneur à tout ce qu'elle avait appris, à tout ce qu'on lui avait enseigné. Elle pensa à son grand-père, à ses leçons souvent cruelles mais nécessaires, et à Thomas, dont l'image dans sa tête ajouta une couche de tristesse à sa détermination.


Avec l'agilité d'un faucon et la furtivité d'une ombre, Arianna se glissa dans l'obscurité croissante, armée non seulement de son arc et de ses flèches, mais aussi de la détermination inébranlable de défendre tout ce qui lui était cher. À cet instant, elle était une protectrice, une guerrière, une fille prête à affronter les enfers pour sa famille. Et quiconque osait menacer son foyer allait connaître la pleine mesure de sa colère.


Arianna avançait à pas feutrés à travers le dédale de corridors enflammés de la forteresse, chaque pas qu'elle faisait ressemblant à une lame qui lui transperçait l'âme. Elle avait activé sa vision d'aigle, ce qui lui permettait de voir la situation avec une clarté terrifiante. Les Templiers, reconnaissables à leur armure distinctement ornée, se déplaçaient avec une froideur mécanique, leurs armes brillant chaque fois qu'elles se levaient pour frapper. Leurs visages, cachés sous leurs heaumes, étaient dénués de toute expression, comme s'ils avaient été dépouillés de leur humanité.


Tout à coup, elle aperçut sa mère, Isabella, prise au piège dans un coin de la cour. Une épée brandie par un Templier la menaçait dangereusement. Le temps sembla se figer. Arianna abandonna toute prudence et s'élança hors de son abri, mue par un instinct maternel inversé, une urgence primale qui éclipsa toute raison. Ses poumons se remplirent d'air brûlant alors qu'elle poussait un cri guttural pour détourner l'attention du Templier.


Le soldat se retourna, son épée vacillant dans l'air comme s'il pesait le pour et le contre d'une nouvelle cible. C'était tout le temps dont Arianna avait besoin. Elle décocha une flèche avec une précision mortelle, frappant l'homme en pleine poitrine. Mais alors qu'elle s'avançait, une autre flèche, tirée d'on ne sait où, l’effleura à la jambe, la faisant chanceler. Elle vacilla, mais ne tomba pas. Grâce à des réflexes aiguisés par des années d'entraînement rigoureux, elle effectua une roulade agile, saisit l'épée tombée du Templier abattu et se redressa.


Elle croisa le regard de sa mère, un mélange complexe d'horreur, de soulagement et d'amour pur. Ce fut le dernier échange entre elles. Une autre lame jaillit de l'obscurité, transperçant le corps d'Isabella qui s'effondra en gardant les yeux fixés sur sa fille. Le monde d'Arianna devint brumeux, sa formation et ses années d'entraînement ne devenant que des murmures lointains dans son esprit.


Pourtant, elle restait là, l'épée tremblante dans ses mains gantées, encerclée par un chaos inimaginable. L'air était saturé de l'odeur du sang et de la fumée, l'odeur de la mort et de la dévastation. Le Templier qui l'avait presque tuée l'observait, évaluant son mérite en tant que prochaine victime. Elle était en état de choc, ses yeux se brouillant, mais alors que le Templier levait son épée pour porter le coup de grâce, son regard fut attiré par une autre scène de bataille.


C'était son grand-père, Lucio, qui se battait non loin de là. Encerclé par plusieurs Templiers, il semblait ne pas avoir perdu son mordant. Leur regard se croisa à travers cette tempête de violence, et il y avait une détermination dans les yeux de son grand-père qui ralluma une étincelle en Arianna.


Comme si elle était animée par une force nouvelle, elle esquiva l'épée descendante du Templier et riposta. Son épée fendit l'air avant de rencontrer la chair, sa lame trouva les points faibles dans l'armure de son ennemi, chaque coup était un hymne à la vie dans un monde devenu fou. Une série de mouvements fluides, des feintes et des attaques, et elle réussit à désarmer son assaillant. Son épée décrivit un arc mortel dans l'air, et le Templier s'effondra, sa vie s'échappant aussi rapidement que son sang.


Sans perdre une seule seconde, Arianna s'élança vers Lucio, l’acier de son arme brillant à la lueur des flammes, fermement serré dans sa main gantée. La détermination farouche qui brûlait dans ses yeux avait frappé les Templiers comme une décharge électrique, les immobilisant juste assez longtemps pour donner à Lucio l'ouverture vitale dont il avait besoin pour briser leur encerclement. Il y avait eu un bref moment où leurs regards s'étaient croisés, un mélange de reconnaissance et de surprise, avant que Lucio n'ait hurlé, sa voix à la fois un commandement et un cri de soulagement : "Suis-moi !"


Le duo s'était alors précipité à travers un hall en proie aux flammes. Des tapisseries autrefois majestueuses étaient maintenant des toiles enflammées, et les murs eux-mêmes semblaient grincer et craquer comme si la forteresse était un être vivant en agonie. Le feu avait dansé autour d'eux, tel un animal sauvage, tandis que les poutres tombaient et que les pierres éclataient. Pourtant, malgré le chaos, Lucio, guidé par une connaissance presque surnaturelle de chaque pierre et chaque couloir de la forteresse, avait mené Arianna à ce qui semblait, à première vue, n'être qu'un simple panneau de bois sculpté.


Sans hésitation, comme s'il avait effectué ce geste des milliers de fois auparavant, ses doigts avaient trouvé une petite cavité discrète dans le panneau. Une pression légère, et le mécanisme ancien s'était activé avec un déclic à peine audible, révélant une porte secrète qui s'ouvrait sur un passage vers l'inconnu. "Vite, Arianna, à travers !" Le timbre de sa voix avait frôlé l'hystérie, sa poitrine se soulevant et retombant rapidement, comme si chaque mot était arraché à ses poumons. Sans un mot, ils avaient franchi le seuil, claquant la porte derrière eux. C'était comme s'ils avaient essayé de fermer également un chapitre douloureux de leurs vies, laissant derrière eux une forteresse embrasée, des cadavres de camarades, et un passé qui ne pourrait jamais être réparé ou oublié.


Le couloir dans lequel ils s'étaient retrouvés était étroit et sombre, éclairé seulement par l'incandescence intermittente de torches fixées aux murs. L'air sentait le renfermé, la moisissure et la pierre humide, et Arianna avait senti la froideur s'infiltrer dans ses os. La menace immédiate pouvait avoir été écartée, mais une boule d'appréhension avait continué à se former dans son ventre, aussi solide et froide que le marbre. Elle avait croisé le regard fatigué mais résolu de son grand-père. Leurs yeux s'étaient verrouillés pendant un moment d'éternité silencieuse, et, sans un mot, une vérité inévitable s'était cristallisée entre eux : leur lutte, leur combat pour la justice et la liberté, ne faisait que commencer.


Ils s'étaient frayés un chemin à travers le labyrinthe souterrain de la forteresse, ce dédale complexe de couloirs et de salles où Arianna avait passé tant d'heures en formation sous l'œil vigilant de son grand-père. Chaque pierre, chaque mur, chaque ombre était familier à ses sens, mais cette familiarité s'était tordue en quelque chose d'inconfortable. Aujourd'hui, chaque recoin semblait porteur d'une lourdeur oppressante, chaque mur vibrant d'un fardeau invisible que seul elle pouvait ressentir.


Alors que ce poids l'envahissait, le visage de sa mère surgissait dans son esprit, comme une ombre. Les larmes qui avaient été refoulées, le chagrin qui avait été enfoui, tout s'engouffrait dans son cœur en un tourbillon d'émotions. Arianna faillit trébucher, mais la main forte de Lucio la saisit, la forçant à rencontrer son regard.


"Respire, Arianna. Maintenant n'est pas le moment. Nous devons avancer," avait-il murmuré, son timbre chargé d'un mélange de douleur et d'urgence.


Elle avait serré la mâchoire, chassant l'image de sa mère de son esprit, et avait suivi son grand-père avec une résolution renouvelée.


Ils étaient finalement arrivés au bureau secret de Lucio, une petite salle isolée qu'il n'ouvrait que pour les affaires les plus sensibles de la Confrérie des Assassins. Lucio s'était laissé tomber dans son fauteuil avec un soupir épuisé. C'était alors qu'Arianna avait remarqué les taches sombres sur sa tunique, des marques sombres qui avaient échappé à son regard lors de leur fuite éperdue. Les blessures de Lucio étaient plus graves qu'il ne l’'avait laissé paraître.


Ses yeux, éteints mais pénétrants, s'étaient levés vers Arianna. Ses mains, qui tremblaient légèrement, mais qui étaient pourtant résolues, avaient détaché son brassard équipé de la lame secrète, une arme ancestrale transmise à travers les générations de leur famille d'Assassins Valentini. Avec une gravité qui frisait le sacré, il avait fixé le brassard autour du bras d'Arianna et avait légèrement entaillé son annulaire. Ce n'était pas simplement une coupure, c'était un rite de passage, un sacrement qui marquait son initiation comme Maître Assassin.


"Tout cela doit rester dans la famille, Arianna. Tu dois les emmener avec toi," avaient été ses mots, prononcés avec une gravité qui rendait chaque syllabe presque insoutenable.


Il avait alors ouvert un coffre discret incrusté dans le mur et en avait retiré le Codex relié de cuir, le sceau familial des Valentini gravé sur sa couverture, ainsi que plusieurs lettres cachetées à la cire. Chacun de ces objets avait été soigneusement déposé dans un sac en cuir, robuste mais étonnamment léger. En prenant le sac, Arianna avait senti le poids symbolique de chaque objet, une lourdeur qui allait bien au-delà de leur masse physique.


"Je t'envoie à Florence, Arianna. Un vieil ami y réside, Giovanni Auditore. Il saura t'aider," avait annoncé Lucio, chaque mot trempé dans une urgence palpable qui laissait peu de place à l'hésitation ou au doute.


Un grondement sourd avait retenti sans crier gare, faisant vibrer les fondations même de la pièce secrète où ils se trouvaient. Les ombres avaient dansé sur les murs, comme si elles étaient possédées par les esprits des disparus, vacillant au rythme des flammes qui dévoraient la forteresse brique par brique. "Ils se rapprochent. Nous n'avons plus de temps," avait soufflé Lucio, sa voix éraillée par la tension et l'épuisement, chaque mot lui coûtant visiblement de l'énergie.


Sans attendre, ils avaient quitté le bureau en vitesse, leurs pas se faisant plus pressés alors qu'ils grimpaient vers les remparts. Le bruit de la bataille, précédemment distant, semblait tout à coup beaucoup plus proche, chaque pas les rapprochant inexorablement de l'incertitude et du danger. Le fracas des épées, les hurlements des blessés, le crépitement du feu, tout cela formait une cacophonie de désespoir qui accompagnait leur ascension.


Lorsqu'ils étaient enfin arrivés au sommet des murs fortifiés, ils avaient été accueillis par une vision d'apocalypse : leur maison, leur héritage, était en flammes, un tableau vivant de la dévastation orchestrée par les Templiers. Dans ce moment de désolation, Lucio s'était tourné vers Arianna, leurs regards se croisant, fusionnant en une compréhension mutuelle que les mots auraient été impuissants à exprimer.


"Le moment est venu pour ton premier saut de la foi, Arianna. Je vais retarder leur avancée autant que possible. Va, et que la sagesse de nos ancêtres guide chacun de tes pas," avait-il murmuré. La solennité de ses mots était teintée d'une profonde conviction, comme s'il avait puisé dans les derniers vestiges de sa force pour lui donner ce message final.


Sans lui donner l'occasion de protester, il l'avait doucement poussée vers le rebord du mur. Son cœur avait tambouriné dans sa poitrine, ses veines pulsaient à un rythme effréné alors qu'elle avait pris son élan pour le saut. Et puis elle avait sauté, s'envolant dans le vide en une pirouette de courage et de foi—la foi en sa famille, en sa mission, et surtout en elle-même.


Alors qu'elle plongeait, la braise ardente de la forteresse avait fusionné en un flou indistinct, la lumière et les ténèbres mélangeant leurs nuances dans une sarabande chaotique. Pour ce bref instant, Arianna s'était sentie libre, étrangement détachée du poids de son héritage et de ses responsabilités, son esprit s'élevant même si son corps était en chute libre vers un destin inconnu.


La dernière chose qu'elle avait entendu avant de s'engloutir dans l'obscurité avait été le cri guerrier de son grand-père. C'était un adieu, mais aussi une bénédiction, un cri qui mélangeait la mélancolie de la perte à l'exaltation du devoir accompli. Ce cri serait son héritage sonore, une mélodie qui résonnerait dans les méandres de son âme pour le reste de ses jours.


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