Comme si c’était la première fois

Chapitre 5 : Entre devoir et rédemption.

2276 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 4 mois

EKKO


Elle est un problème.


Je le savais avant qu’elle mette un pied ici. Je le savais avant même de lui tendre mon manteau, avant de l’amener sous mon arbre. Avant qu’elle me suive, en traînant des pieds, la tête enfoncée dans la capuche comme une gamine effrayée.

J’ai vu son regard quand elle est arrivée. Ce mélange d’adrénaline et de panique. Son premier réflexe, c’était de serrer Fishbones. Son premier réflexe, c’était de se préparer à attaquer. Pas de comprendre, pas d’observer. Juste de riposter à une menace qui n’existait même pas encore.


Les gosses l’ont regardée avec de grands yeux curieux. Pas de peur, pas encore. Mais ça viendra. Parce qu’elle va craquer. Parce que c’est une question de temps avant que sa colère lui échappe et que ça dégénère.

Elle ne sait pas être là sans mettre tout en péril.


J’aurais dû la laisser partir.

J’aurais dû lui dire qu’elle n’avait rien à foutre ici.


Mais je ne l’ai pas fait.

Parce que je la connais. Parce que derrière la folie, il reste quelque chose de Powder. Parce que je me raccroche à cette idée idiote qu’elle n’est pas totalement perdue, pas encore.

Et peut-être que je suis aussi égoïste qu’elle.

Parce qu’après tout ce qu’on a traversé, je ne veux pas être celui qui lui tourne le dos à son tour.


— Tu es en sécurité ici.


C’est ce que j’ai osé lui dire.

Un mensonge.

La vérité, c’est que personne n’est en sécurité avec Jinx dans les parages. Pas elle, pas moi, pas eux.

Et elle vient de me le prouver.


Je passe une main sur mon arcade ouverte. Le sang colle à mes doigts. Elle ne s’est pas retenue. Même quand elle a vu que je ne ripostais pas, même quand j’ai répété son nom, encore et encore, elle n’a pas voulu s’arrêter.

Elle voulait que je me batte.

Elle voulait que je lui donne une excuse.

Et si j’avais cédé ? Si j’avais frappé aussi fort qu’elle ? Si j’avais lâché toute la colère que je ressens en la voyant, toute la rage que j’ai gardée enfermée depuis qu’elle a fait exploser cette foutue tour ?

J’aurais perdu.

Et elle aussi.

Mais surtout, ils auraient perdu. Ceux qui comptent sur moi.

Je ne peux pas me permettre d’être faible.

Et Jinx est une faiblesse.

Pas juste pour moi. Pour tout ce que j’ai construit.


Je jette un regard vers les plateformes en contrebas. Des enfants dorment là-dessous. Des familles. Des gamins qui ont déjà trop perdu. Qui pensent qu’ils sont en sécurité sous mon arbre, protégés de Zaun et de Piltover et de tout ce qui veut les écraser.

Mais Jinx n’est pas un ennemi qu’on peut affronter.

Elle est une tempête qui frappe sans prévenir.

Et je viens de l’amener en plein milieu de mon refuge.


Je me lève lentement, mes muscles encore douloureux du combat. Jinx est là, assise sur le bord de la plateforme, balançant ses jambes dans le vide.

Elle fixe le ciel, silencieuse.

Elle ne me regarde pas.

Mais elle sait que je suis là.

Elle attend.

Un reproche, une menace, une putain de leçon de morale. Quelque chose.

Mais je ne lui donne rien.

Pas cette fois.

Je m’approche juste assez pour la voir détourner le regard, gênée, et je murmure, d’une voix lasse :


— Demain, on part.


Elle ne bouge pas.

Elle ne conteste pas.

Elle savait que ça finirait comme ça.

J’entends son ricanement briser le silence et me retourne, surpris. Elle relève les yeux vers moi, un sourire amusé au coin des lèvres, et siffle :


— Tu me punis ?


Je fronce les sourcils, agacé par sa réaction. Elle ne comprend rien. Ou alors c’est moi ? Je n’en sais rien.


— De toute façon, j’aime pas être ici.


Elle ramène ses genoux contre sa poitrine et soupire, la voix cassée :


— C’est mieux comme ça.


Je passe une main sur ma nuque et vais m’asseoir un peu plus loin, à l’écart d’elle et de sa folie. Je frotte le sang séché sur mes doigts, comme si je pouvais effacer ce combat, comme si ça pouvait tout remettre à zéro.

Puis, ses doigts glacés se referment sur les miens.

Je relève la tête. Son regard accroche le mien, et cette fois, il n’y a ni provocation ni sourire moqueur. Juste une fatigue immense, une tristesse qu’elle ne cherche même plus à cacher.

Elle sort un tissu et, sans un mot, commence à essuyer le sang. Ses gestes sont lents, presque hésitants, comme si elle avait peur que je la repousse.


Le silence est lourd. J’attends qu’elle parle. Elle attend que je comprenne.


Finalement, sa voix se brise dans un murmure :


— Tu ne peux pas me sauver. Mais eux… eux, tu peux encore les sauver.


Son regard glisse vers les plateformes en contrebas, vers les ombres qui bougent là-bas, celles qui comptent sur moi pour les protéger. Puis elle souffle, plus bas encore :


— Laisse-moi partir.


Je détourne les yeux.

Pourquoi elle me demande ça ? Elle est libre de ses mouvements. Si elle voulait vraiment partir, elle l’aurait déjà fait. Alors pourquoi attendre ma permission ? Elle me teste ? Elle veut voir si je vais l’abandonner, comme les autres ?

Je serre la mâchoire, irrité, et réplique sèchement :


— Je leur ai promis de les garder en sécurité.


Elle ne répond pas tout de suite. Puis, elle hoche la tête, doucement, comme si elle comprenait. Comme si elle s’y attendait.


— Tout comme je t’ai promis de ne pas te laisser.


Un frisson traverse son corps. Sa lèvre tremble, et cette fois, ce n’est pas de colère ou de frustration. C’est autre chose.

De la peur ?

Je la regarde et murmure :


— Alors on partira demain, et on reviendra quand tu seras prête.


Elle tressaille, surprise par mes mots. Puis elle hoche lentement la tête, comme si elle n’arrivait pas à y croire. Comme si, pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un lui laissait le choix.

Sa main serre la mienne, l’attire doucement contre son visage.

Je devrais me dégager. Je devrais dire quelque chose.

Mais mes doigts, presque malgré moi, glissent doucement sur sa peau.

Je suis censé la repousser.

Je suis censé les choisir, eux.

Mais juste pour un instant, je reste là. Avec elle.


***


« Surtout, sois prudent. Les Enforcers ne sont pas loin. »


J’attrape la nuque de Diego et pose mon front contre le sien. Un geste bref, mais chargé de sens. Jinx se balance d’avant en arrière à côté de moi, l’air de rien, mâchouillant sa lèvre comme une gosse impatiente. Rune nous rejoint et tend une pomme à la jeune furie. Elle hésite, puis l’attrape avec un sourire en coin, presque méfiant.

Je regarde mon ami et sa fille avec tendresse avant de leur faire un signe discret. Je n’aime pas les laisser derrière moi, mais je n’ai pas le choix.


— Finalement, ils sont pas si bizarres que ça, tes potes.


Je lève les yeux au ciel avec un rictus. Elle aura tout le temps de les connaître… quand elle sera moins dangereuse.

Je ne lui en veux pas de m’arracher à eux. C’est ma décision. Et au fond, ce n’est pas vraiment sa faute.


« Tu crois qu’ils sont encore là ? »


Elle hausse les épaules en croquant dans la pomme. Mon manteau est toujours sur ses épaules. Ça lui va bizarrement bien. Comme si, malgré tout, elle avait fini par l’adopter. Une petite victoire.


— J’espère que oui. Comme ça, ils verront de quoi je suis capable !


Je ne relève pas. Pas envie de partir là-dedans. Pas maintenant. Elle ricane doucement, un rire sourd qui me met mal à l’aise.


— J’aimerais tellement me faire cette putain de Caitlyn…


Puis, plus bas, presque en chuchotant :


— J’espère juste qu’ils n’ont pas touché à Isha…


Je baisse les yeux, irrité. Elle est vraiment attachée à cette gamine… Comme si Isha était la dernière chose qui la rattachait à son passé, à une époque où elle n’était pas encore complètement brisée. Mais cette partie d’elle a volé en éclats. Et je ne sais pas si elle pourra un jour la recoller.


— Comment t’as réussi à t’échapper cette fois ?


Elle éclate de rire, un vrai rire, nerveux et incontrôlé, comme si la question l’amusait autant qu’elle la dérangeait. Puis, dans un souffle, elle lâche un prénom :


— Vi.


Son sourire s’élargit, et ses yeux s’illuminent d’une lueur fiévreuse. D’un bond, elle se redresse et se met à tournoyer comme une enfant euphorique, ses bras battant l’air :


— Elle est revenue pour moi ! Tu te rends compte ?! Elle allait tout lâcher, même sa foutue Commandante ! Pour moi ! Moi, Ekko !


Elle s’arrête net, comme frappée par la réalisation. Son regard vacille, et son sourire tremble une seconde avant de s’éteindre. Elle baisse la tête, contemplant le sol avec une douceur inhabituelle, presque… fragile.


— J’avais gagné…


Sa voix est si basse que je peine à l’entendre. Je reste figé. Si elle avait gagné… pourquoi elle a voulu tout faire exploser après ?

Elle le sent. Elle sait que je ne comprends pas. Alors, sans me regarder, elle murmure :


— Je voulais une meilleure vie pour Vi. Une vie sans moi. Une meilleure vie pour tout le monde.


Son sourire revient, mais il n’a plus rien de triomphant. Il est brisé, tordu, un masque trop grand pour son visage. Elle fait semblant de ne pas voir la douleur qui lui serre la gorge, de ne pas sentir ses doigts crispés autour de la pomme qu’elle n’a même plus envie de manger.

Je la fixe, incapable de détacher mon regard d’elle.

Elle vacille entre le rire et les larmes, entre la victoire et la perte. Entre l’amour et la destruction.

Et pourtant…

Peu importe à quel point elle est instable, à quel point elle est imprévisible…

J’y crois.

Elle est humaine. Plus humaine que ce que tout le monde pense.

Et je vais leur prouver. Je vais leur prouver à tous.



Je suis soulagé de trouver le refuge désert. Notre escapade a fait fuir les Enforcers, du moins pour un temps. Pas de traces de combat, pas de pièges déclenchés. Juste le silence, presque paisible.

Jinx, elle, ne semble pas se soucier de ça. Elle virevolte jusqu’à son établi et s’y installe en tailleur, son large sourire éclatant dans l’ombre du repaire. Elle dépose la pomme, légèrement brunie par le voyage, juste sous la peinture de la fillette.


— Tiens, elle est pas aussi bonne que celles du sanctuaire de Viktor, mais elle a du goût !


Elle parle avec entrain, comme si elle attendait une réponse. Comme si quelqu’un allait lui répondre.

Mon cœur se serre.

Jinx m’a déjà dit qu’Isha ne parlait pas. Alors, peut-être que ça ne lui fait pas trop bizarre d’être la seule à faire la conversation. Peut-être que, pour elle, ce silence est normal.

Mais moi, de mon point de vue, c’est… déchirant.


— Ekko m’a emmenée dans un endroit trop trop cool !


Sa voix s’élève, pleine d’enthousiasme. Elle se balance légèrement, comme une gamine excitée qui partage un secret.


— Y avait un arbre immense, ses feuilles touchaient presque les étoiles ! Il y avait des feux volants, et une fresque, Isha, tellement grande qu’il fallait une échelle pour peindre les visages tout en haut !


Son ton, sa gestuelle… tout en elle rappelle une enfant racontant sa journée à une amie. Ça m’arrache un sourire. Malgré moi, je me rapproche, captivé par ses mimiques.


— Il y avait plein d’enfants aussi, et une petite qui s’appelait Rune. C’est elle qui m’a donné la pomme.


Elle pousse légèrement le fruit du bout des doigts, comme pour l’offrir. Comme si, quelque part, Isha pouvait vraiment l’accepter.

Je fixe la peinture. L’enfant figée dans un sourire silencieux. Je prends mon courage à deux mains et me lance :


— Je suis sûr que tu te serais bien amusée, là-bas.


Jinx relève les yeux vers moi, surprise. Puis son sourire s’agrandit, presque lumineux.

À cet instant, je comprends.

J’entre dans son monde. Son monde irréel, fait de rêves et de souvenirs qu’elle refuse de laisser mourir.

Son rire éclate, et contre toute attente, il est contagieux.

On passe plus d’une heure à parler à un fantôme qui ne nous répondra jamais.

Mais ça lui fait du bien. Je le vois.

Alors je continue. Et je continuerai le temps qu’il faudra.


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