Comme si c’était la première fois

Chapitre 2 : Respire

1809 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 5 mois

JINX



Respire.


J'ouvre les yeux en sentant mon cœur s'emballer et prends une grande bouffée d'oxygène. J'ai l'impression d'avoir dormi en apnée... Sans doute à cause de cette odeur. Étouffante, irritante. Un mélange de métal et de suie. Je jette le manteau sur le côté, agacée par ce trop-plein d'attention.


Ekko dort dans mon fauteuil, son corps affaissé, la capsule serrée contre lui. Comme s'il avait peur que je la prenne. Un sourire amer étire mes lèvres. Quelle idée... Je pourrais. Je la remonterais juste assez pour qu'il en crève et je serais enfin débarrassée de lui. Enfin seule.


Je me redresse, mes pas silencieux sur le sol en acier. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale alors que mes doigts effleurent la capsule.


« Fais pas ça, c'est Ekko ! »


Je me fige brutalement, une douleur fulgurante me vrillant le crâne. La ferme ! Mes mains viennent enserrer ma tête comme pour écraser la voix de Milo qui résonne dans mon esprit. Pourquoi lui ? Pourquoi c'est toujours eux que j'entends ?!

Je cherche un point d'ancrage, quelque chose qui ne me trahira pas. Mon regard tombe sur le dessin d'Isha et mon cœur se déchire en un battement. Parce qu'elle ne parlait pas.


Je grimpe sur l'établi et m'installe en tailleur, le dessin entre les mains. Elle a enfin une représentation digne d'elle... Mon pouce effleure son sourire et un sanglot s'étrangle dans ma gorge. Je déteste cette vie depuis que tu n'en fais plus partie, Isha... Je ne l'aimais déjà pas beaucoup avant ça...


Un reflet attire mon attention. Mon miroir. Je croise mon propre regard et ma respiration s'accélère. Pourquoi j'ai laissé faire ça ? Pourquoi j'ai laissé Ekko me changer ? Un voile rouge s'abat sur ma vision alors que je serre les poings. Je n'étais pas assez bien comme ça ?!


Je me retourne violemment, mon gun dans les mains, et je le pointe sur l'endormi.

Tu mérites de souffrir, Ekko. Pour tous les faux espoirs que tu me donnes.


« Pas Ekko. »


LA FERME !


Le coup part. Une détonation brise le silence, et une marionnette pendue au plafond vole en éclats. Ses morceaux retombent en pluie de coton carbonisé. Ekko sursaute, une main déjà sur son arme.


— Jinx ?! Ça va ?!


Je ne réponds pas. Mon regard reste rivé sur la poupée démembrée, son bras arraché oscillant dans le vide. Si seulement je pouvais faire ça avec mes voix.

Je tourne les talons et me laisse tomber dans le fauteuil qu'il occupait, haletante. Un détail me frappe. La veste.


Je la porte encore.

Je l'ai mise quand ?!


Je regarde la capsule, puis Ekko, et une rage sourde me déchire la poitrine. Non... Il n'aurait pas osé !

Je bondis sur lui et envoie un coup qu'il esquive de justesse. Je frappe encore, mais il pare mon poing avec son avant-bras. Il encaisse sans riposter.


— C'était sans importance ! Je te l'ai juste mise sur le dos pour que tu n'aies pas froid.

— Tu as trahi ta promesse ! Jamais tu ne dois l'utiliser sur moi !

— Excuse-moi, tu as raison.

— Et j'en ai marre de sentir ton odeur !


J'arrache la veste et la jette au sol, les larmes brouillant ma vision. Ekko, fais un effort si tu veux survivre !

Mais il ne dit rien. Il frotte simplement ses yeux fatigués avant de souffler :


— Je ne t'ai rien demandé, mais si t'as besoin de hurler sur quelqu'un, alors vas-y.


Je me fige, prise de court. Pourquoi il ne crie pas ? Pourquoi il ne se défend pas ?


— T'attends quoi pour te barrer ?! T'es maso ou quoi ?!


Il me regarde, le visage fermé, mais pas hostile. Juste... sincère.


— Je te l'ai dit, je ne partirai pas.

— Menteur ! Cette promesse, je l'ai entendue des dizaines de fois !


Il incline légèrement la tête, son regard accroché au mien.


— Mais jamais venant de moi.


Ma gorge se serre, ma respiration devient erratique. Mon poing tremble. Il ne bouge pas. Il sait que si je l'attaque, il ne répliquera pas. Il me laisse le choix.

Et c'est insupportable.

La panique m'envahit, ce sentiment d'impuissance qui s'insinue dans mes veines et me rend faible. Pas encore. Pas cette fois.


Sans réfléchir, je me jette sur lui et plaque le canon de mon gun contre son front. Il ne sourcille pas. Pas un mouvement d'hésitation. Rien. Juste son regard ancré dans le mien, imperturbable.

Je me mords la lèvre jusqu'au sang et, d'une main tremblante, j'attrape une grenade que je brandis devant lui. Là, il va bouger. Il va attraper la chaînette, remonter le temps, faire ce qu'il fait toujours.


...Non ?


Mon cœur cogne dans ma poitrine. Il souffle, presque dans un murmure :


— Je te l'ai promis.


Non !

Je le repousse violemment et tire juste à côté de sa tête. La détonation explose dans l'air, mais il ne bronche toujours pas. Juste un battement de paupières, assourdi par le bruit.


Pars.

Je dégoupille la grenade, la maintenant entre nous, si près qu'il pourrait en sentir le métal froid contre sa peau. Cette fois, il va le faire, c'est obligé. Il va tirer sur sa capsule et—

La sensation d'un décalage. Un vertige.

Le décor frémit, la grenade redevient intacte dans mes mains.

Il a remonté le temps.


— Menteur !


Sa mâchoire se crispe. Son regard change. Et quand il parle, sa voix claque dans l'air, sèche et tranchante :


— Tu as voulu te tuer. C'est toi la menteuse.


La colère. Enfin.

Un frisson me parcourt. Je fronce les sourcils, secoue la tête en pouffant :


— Je serais partie avant qu'elle explose.


Il ne cille pas. Juste ce regard noir qui me transperce, et cette réponse implacable :


— Tu n'aurais pas été assez rapide.


J'éclate de rire. Il me sous-estime ? Sérieusement ?

Je me redresse d'un bond et attrape les manches de sa veste pour le tirer vers moi.


— On fait la course ?


Il arque un sourcil, un éclat d'incompréhension dans les yeux. Pas le temps de répondre. Je désigne d'un geste l'embouchure qui mène aux égouts.


— Le premier arrivé a gagné.


Et sans attendre, je me jette dans le vide.

Un cri déchiré derrière moi :


— Jinx !


Trop tard.

L'adrénaline pulse dans mes veines alors que je plonge, me réceptionnant sans mal sur une poutrelle métallique avant de glisser le long d'une échelle rouillée. Pas assez rapide, moi ? On va voir ça !

Un sifflement fend l'air derrière moi. Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule.

Ekko.


Sa planche fend le vide, déjà sur mes talons.

Je sors un fumigène fuchsia de mon sac et le balance droit sur lui. Un épais nuage de couleur explose dans l'air, avalant la ruelle. J'entends son grognement étouffé et ricane en accélérant.

Les murs, les rebords, les raccourcis... Je connais cet endroit par cœur. C'est mon terrain.

Mais il est rapide. Trop rapide.

Je le vois surgir à mes côtés, son visage barbouillé de rose, son sourire vainqueur bien trop satisfait. Il me jette un clin d'œil et pointe ses doigts vers moi, mimant un tir.


— Pew.


Mon cœur loupe un battement.

Isha.

C'est d'abord Ekko qui m'avait appris ça. Ce petit geste, ce souvenir qui me hante...

Je souris malgré moi et acquiesce.


— Pew.


D'un mouvement vif, je lève mon gun et tire.

Le coup claque contre un câble en hauteur. Une avalanche de pierres se détache du plafond et s'abat dans un grondement assourdissant.

Un éclat de rire m'échappe en l'entendant jurer.


— Bonne chance pour esquiver ça !


BOOM


Je me fige en entendant une explosion derrière nous. C'était quoi ?! Ekko me rejoint, inquiet, et je vois de la fumée s'élever là où j'ai dormi. Mon cœur se brise à nouveau.


— ISHA !


Je hurle en courant dans le sens inverse. Faites que ce ne soit pas trop tard ! Faites que cette fois, je puisse la sauver !

Une main m'attrape brusquement le bras, et en une fraction de seconde, je me retrouve propulsée sur la planche d'Ekko. Le monde autour de nous devient un flou indistinct tandis qu'on file à toute vitesse vers la plateforme. Je sens son souffle dans mon dos, le vent me brûle les joues, et la peur se noue dans mon ventre.

L'odeur de soufre m'agresse dès qu'on arrive.

L'établi est noirci par la suie. Le miroir brisé n'est plus là. Les débris jonchent le sol.

Je saute à terre et cours, fouille les restes calcinés, retourne les planches brûlées, mes doigts tremblants grattant le sol en quête du petit dessin. Il doit être là. Il doit...

Mes doigts frôlent quelque chose. Un bout de papier, à moitié brûlé, friable sous ma peau.

Non.


Je le prends avec une infinie précaution, le tourne, et aperçois ce qu'il en reste : une ombre floue, un trait de crayon presque effacé. Plus rien d'assez net pour esquisser un sourire. Plus rien du tout.

Mon cœur se tord dans ma poitrine.

Non, non, non, non !

Un bruit métallique me fait sursauter. Une tête de singe roule jusqu'aux pieds d'Ekko. Ses yeux rouges me fixent comme une accusation. Une grenade ? Elle s'est déclenchée toute seule ?

C'est... ma faute ?

Un cri s'arrache de ma gorge et je la projette de toutes mes forces contre le mur. Le métal cogne violemment avant de retomber dans la poussière, inutile. Comme moi.


— Je détruis tout autour de moi !


Les larmes brouillent ma vision. Je me relève brusquement, titube, attrape la chaînette entre mes doigts tremblants.

Je tire.

Rien.


— Non !


Je tire encore, plus fort.

Une seconde. Deux. Trois.

Rien.

Juste l'odeur de brûlé. Juste des cendres.

Ma respiration s'accélère, le souffle court, les jambes flageolantes. Je frappe la capsule. Une fois, deux fois, plus fort, jusqu'à ce que mes poings me brûlent autant que la douleur dans mon ventre.


— Marche, saloperie ! Remonte ! REFAIS-MOI REMONTER !


Deux bras m'attrapent avant que je ne m'effondre.


— Ce n'est pas qu'un dessin... Elle est en toi. On recommencera.


Sa voix est douce. Trop douce. Il ment.

Je secoue la tête, me débats, mais mes forces m'abandonnent.


— J'ai tout détruit, va-t'en, Ekko...


Je veux qu'il parte. Je veux qu'il reste.

Je m'agrippe à son sweat, le repousse en même temps, la gorge serrée par un sanglot qui refuse de sortir. Pars. Pars.

... Reste.

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