Mes mémoires
Cette fois, cela faisait deux jours qui étaient passés depuis ma nuit au refuge. La rencontre avec Jacob avait été bonne, mais… Je ne pouvais pas l’écouter. Bien qu’il sache que j’avais des hallucinations, je ne pouvais me résoudre au fait qu’il le savait. Alors, je cohabitais avec la voix de Lizzy dans ma tête et gardais son reflet à la place de mon visage dans les glaces ou les vitres. Non… En réalité, cela pesait bien plus que ce que j’imaginais. J’étais détruite et le pire ? C’est qu’à présent, je ne souhaitais plus être soignée. Après tout, que faire ? On me droguerait encore plus avec des médicaments… Quoique ? C’était de la drogue légale, pourquoi ne pas en profiter, n’est-ce pas ? C’est donc tout naturellement que je prenais ma bouteille de médicaments pour en prendre quelques pilules, les avalant un peu avec du mal étant donné que je n’avais pas d’eau.
Où pouvais-je bien aller à présent ? Je devais éviter les lieux où je risquais de croiser mon entourage. Je n’étais réellement pas prête. Il y aurait de la colère, encore de la colère, et de l’inquiétude ? Peut-être, et des questions. Sûrement une tonne de questions et je n’avais pas envie d’y répondre. Je n’avais pas envie de chercher des réponses auxquelles je ne connaissais même pas moi-même, je ne les connaissais. Devais-je leur dire pour ces scarifications, cette drogue, ces hallucinations ? Non, ils me prendraient pour une folle. Et puis, il avait bien autre chose à faire, non ? Ouais, c'était ça. Putain, mais je ne savais plus !
Je m’arrêtais et m’adossais contre un mur avec les mains sur les genoux dans une ruelle. J’étais à bout de souffle, prise dans mes pensées. Je n'avais fait que voir Lizzy refermer ses griffes sur moi dans un sourire effrayant et des dents carnassières. Il fallait que je reprenne mon souffle, j’hyperventilais. Inspirer et expirer doucement, voilà, comme ça. C’est alors que mon poing se retrouva contre la benne à ordure. Oui, la manière forte marchait bien plus vite. Je me retenais de crier et de frapper encore et encore. Des larmes coulaient le long de mes joues. Des larmes mêlées de tristesse, de désespoir, de fatigue et d’énervement. Je n’en pouvais plus. Je n’en pouvais plus de tout ça… Je voulais juste que ça redevienne comme avant, voilà tout. Avant que je n’aie tous ces problèmes. Peut-être avant que je retrouve ma sœur et connaisse Ekko même ? Mais, je croyais au destin. Tout arrivait pour un but bien précis, il fallait juste faire les bons choix. Aurais-je fait le mauvais ? Pour moi, non, j’étais heureuse de les avoir tous dans ma vie. À moins que ? Rha je ne savais plus du tout !
C’est en errant un peu dans les ruelles que quelques fois, je voyais des bagarres entre hybrides et humains. Parfois, en bande, comme si c’était un jeu, celui qui a le plus de force gagne. Le dernier à terre est le vainqueur. Vi faisait-elle ce genre de choses ? Vi… M’apprendrait-elle des choses sur les zengothiens ou avait-elle déjà oublié à cause de la bleue ? Je serrais les poings en allant vers un de ses combats illégaux. J’avais bien envie de tenter, mais… J’étais bien trop jeune et c’est ce qu’on me fit remarquer… Je partais donc sans rien dire, les mains dans les poches, tenant mon Abyss dans l’un de mes poings. Cela me fit serrer les dents. Je repensais aux scarifications que je m’étais faite au refuge. Je repensais à Jacob. Son état me rendait triste… Seulement, je ne pouvais pas faire grand-chose. J’espérais au moins pouvoir le revoir et parler plus avec lui. S’il prenait la même drogue que moi et depuis plus longtemps, il devait très certainement en connaître un rayon là-dessus, non ?
Sur ces pensées, j'allais dans un supermarché ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour me prendre quelque chose à manger. Je n’avais pas réellement faim, mais j’avais perdu beaucoup de poids comme l’avait remarqué Vi et, de ce fait, j’étais beaucoup plus faible, alors il fallait que je me force un peu plus à manger et m’hydrater. Retournant dans les rues je mangeais à l’abri des regards pour ne pas me faire attaquer par des sdf en manque de nourriture. Après avoir mangé, je sortis une clope de mon paquet et l'allumais en tirant une latte dessus. Je me mettais alors à penser. Si mon père et ma sœur avaient du sang zengothien, cela voulait dire que j’en avais moi aussi, non ? Il faudrait que je demande à mon père de m’expliquer la vie de ce peuple qui était, par conséquent, le mien aussi. Vu qu’apparemment, je ne pouvais plus compter sur ma sœur… Vi… J’aimerais tellement qu’elle me considère encore comme sa sœur. Je savais très bien qu’à présent elle s’en foutait de moi, qu’elle m’avait remplacée, à quoi bon rester accroché à elle dans ce cas. Non, je ne voulais pas… Je ne voulais pas souffrir… Mais comment faire pour la faire sortir de ma vie ? Là était la question et puis, je l’aimais trop pour la laisser, même si elle préférait Miss Parfaite plutôt que moi. Je devais être maso ou quelque chose comme ça, n’est-ce pas ?
Je soupirais et revenais à moi, constatant que ma cigarette était presque totalement consumée. Je tirais une dernière latte et l'écrasais près de moi. Rabattant mes genoux contre ma poitrine et les entourant de mes bras. Ma tête dans le trou que formaient mes bras et mes jambes, je me mis à pleurer. Silencieusement, bien que la ruelle était vide. J’étais seule derrière une benne à ordure en train de pleurer, mes nerfs ayant lâché Pourquoi je chialais ? Je ne le savais pas, mais j’avais de larges pistes. La fatigue et… Le fait d’être délaissé pour seule amie Lizzy qui m’encourageait à me faire du mal. Savoir que plus personne ne se souciait de moi me faisait mal, j'avais besoin d’eux et il m’abandonnait. Je savais qu’ils avaient mieux à faire, mais… Autant le dire par des mots, je l’aurais mieux compris et n’aurais plus parlé de mes problèmes, voilà tout. Je m’en voulais tellement d’en être arrivée là, j’attirais juste l’attention des gens sur moi, je n’étais qu’une gamine immature. Je sentis alors une goutte tomber sur le haut de mon crâne, ce qui me fit retourner à la réalité. Merde ! Il commençait à pleuvoir ! Il fallait que je retrouve le refuge !
Tout en courant, je sentais mes scarifications se rouvrir, putain, fais chier ! En à peine cinq minutes, j'étais devant les tentes qui étaient toutes recouvertes par des bâches imperméables. Je regardais celle de Jacob et grattais la paroi en tissu. Grâce au ciel qui me tombait dessus, je le vis ouvrir la tente.
« Jinx? Mais qu’est-ce que tu fous là?! »
« Je… J’ai pas pu rentrer. Je suis désolée. »
Il semblait sur les nerfs et à la fois sur le cul. Je m’en voulais tellement ! Jusqu’à ce qu’il reprenne la parole.
« Viens, j’ai mieux, dépêche sinon on va être trempé jusqu’aux os ! »
Sur ces mots, il attrapait ma main en se relevant sans que je puisse faire quoi que ce soit. Nous courrions, je ne sais combien de temps, tout en restant dans les ruelles et sortions au bout de plusieurs minutes. C’est alors qu’il sortit une clé et un badge magnétique pour ouvrir la porte d’un immeuble. Avait-il un logement ? Nous prenions l’ascenseur jusqu’au troisième et il me faisait venir avec lui jusqu’à une porte qu’il ouvrait avec la clé. Pourquoi restait-il au refuge s’il avait un endroit où dormir au chaud et confortable ? Et comme si j’avais lu dans ses pensées, il prit la parole.
« Entre et je t’expliquerai tout… »
J’hésitai un instant. Je ne le connaissais pas après tout, il pourrait bien cacher une mauvaise personne derrière un masque de type sympa ? Non. Il n’avait pas l’air ainsi, et je me trompais rarement sur ça. Tout à coup, un lourd et bruyant coup de tonnerre s’abattit près de nous. Je me bouchais les oreilles à cet instant.
« Tu veux un café? Un chocolat pour te réchauffer ? Tu peux même prendre une douche si tu veux. »
Je le regardais qui souriait et lui souriait en retour.
« Je suis désolée… Pour moi, ce sera un chocolat. »
« Oublie ça, mais… La prochaine fois, écoute-moi. D’accord ? »
« Promis! Je… Je peux utiliser ta salle de bain ? »
« Oui, vas-y! Tu veux une serviette ? »
« Non je… C’est… » je soupirai. « C’est pour me soigner. »
Jacob soupira à son tour en déposant les mugs de chocolat sur la table basse.
« Tu l’as refait ? »
Il semblait inquiet en me demandant ça. Pourquoi ?
« Non, c’est quand j’ai couru », dis-je en prenant ma poche de soins, en allant dans la salle de bain. « Les plaies se sont encore rouvertes… »
Une fois revenue dans le salon, je voyais Jacob assis sur le canapé et je m’asseyais à côté de lui.
« Tu peux m’expliquer? Le refuge, ton appartement ? »
« Hm oui, mais… C’est donnant donnant. Je réponds à tes questions et tu fais pareil, ok? »
Je hochais la tête en guise d'acquiescement.
« Je ne suis pas sdf du coup, j’ai un travail même, mais… C’est tout simple, je suis un camé qui a besoin d’être entouré par peur d’être seul. Le refuge me donne cette sécurité. Avant, je vivais avec ma sœur, c’était la seule famille qui me restait. Comme je ne supportais pas qu’elle se drogue, j’ai fait un truc con. Je l’ai suivi pour voir ce que ça donnait et wow c’était magique. Tout a empiré peut-être un an plus tard ? À toi… Je vais regretter, mais… T’as quel âge ? »
« J’ai quatorze ans… Je sais, je suis jeune… Je ne devrais pas prendre de drogue si jeune. Pourquoi tout a empiré ? »
Jacob écarquilla légèrement les yeux. Avais-je dit quelque chose de mal ?
« Non... Tu ne devrais pas en prendre. Vraiment pas. Tu sais, tu me fais penser à ma sœur… Elle a commencé la devil’s tongue à ses quatorze ans, elle aussi, quand nos parents sont morts dans un accident de voiture. J’ai dû la gérer, mais quand elle a été touchée par le syndrome du spectre, elle est devenue totalement instable. Ça l’a rendue tellement folle qu’elle s’est provoquée une overdose. »
Il me caressa la joue avec son pouce et je reculai. Il reprit alors la parole.
« Pardon… Tu lui ressembles.»
Il me fit un sourire triste en fermant les yeux.
« Pourquoi tu as fugué? Ta famille doit s’inquiéter. »
« Ils ne s’inquiètent pas, ne t’en fais pas pour ça. Ils ont bien mieux à faire. Mes parents se sont remis ensemble et ma sœur a trouvé une copine qu’elle préfère à moi. Quant à mon petit ami… Le dernier message que j’ai eu date de quand je suis venue au refuge.»
« Ne sous-estime pas ton importance dans leurs vies. C’est cette drogue qui te provoque ces idées de merde. La Devil’s a beaucoup d’effets néfastes, comme toutes les drogues, tu me diras, mais surtout les drogues dures. Ça commence par des hallucinations visuelles et auditives. Tu fais aussi de l’hypersomnie ou de l’insomnie. La vie n’est plus rien pour toi ou encore tu perds la connexion avec la réalité. Je ne te cite pas tout ce que peut faire cette saloperie de drogue. Si tu es comme moi, tu dois avoir le syndrome du spectre, je pense. Il faut que tu en parles à ton psy. Tu en vois un, rassure-moi ? »
Je l’écoutais avec attention et ouvrais la bouche à m’en décrocher la mâchoire suite à tout ce qu’il me disait.
« Ou... Oui, je vois un psychiatre. »
« Bien, parle-lui surtout de tes hallucinations, il n’y a que comme ça que tu pourras être diagnostiqué. Encore une fois, c’est mon psy qui me l’avait expliqué. »
« J’ai pas envie d’être prise pour une folle. J’... J’arrive pas, ça veut pas sortir. » dis-je avec la voix tremblante tandis que Jacob me tendait mon chocolat.
« Fais le… Sinon tu pourrais finir comme ma sœur… et franchement, ça me dit rien... »
Je bus une gorgée et soufflai sur ma boisson encore un peu trop chaude, les yeux rivés sur la mousse.
« Pourquoi? Tu me connais à peine… »
Jacob soupira.
« Jinx… Tu ressembles vraiment à ma sœur que j’ai perdue et qui avait ton âge… Tu crois que j’ai envie que la personne qui est comme ma petite sœur crève elle aussi ? C'est presque comme si j'avais devant moi une autre sœur qui mourrait à petit feu… »
« Pardon… »
« Bien, je pense qu’avec tout ça, il vaut mieux aller dormir. Je te laisse ma chambre. Dors bien. »
Nous finissions nos chocolats et j’allais me coucher directement après.