Histoires colorées de l'île Panorama
Le méchant au pouvoir
La scène était insoutenable à regarder. L’île était à feu à sang, presque littéralement.
De grandes flammes venaient lécher les arbres, certains s’effondraient avec fracas, leurs troncs recouverts d’écorce carbonisée ne pouvant plus se maintenir droits. À chaque fois que l’un d’eux venait percuter le sol aux herbes brûlées, son bois se brisait en plusieurs dizaines de morceaux rouges de braises, qui répandaient leur destruction toujours un peu plus loin.
Le fracas de l’agonie des plantes mêlée à celle des bâtiments était assourdissant. Jamais une telle tragédie n’avait eu lieu. Les toits disparaissaient sous les flammes, les murs étaient distordus par la chaleur, ondulant comme une muraille d’algues sous-marines.
Et au milieu de cette vision d’enfer, Apollon avançait. Ses serres, lorsqu’il les plantait dans la terre encore chaude parsemée de braises perdues, lui faisaient mal, mais il n’avait d’autre choix que d’avancer.
Auraient-ils pu prévoir et anticiper ce qui se passerait ? Il n’en était pas sûr.
Une chose restait certaine : il était désormais trop tard pour riposter. Ils n’avaient pas su s’opposer à la montée au pouvoir du despote qui régnait désormais sur l’île. Il était sorti de nulle part, avait réclamé à affronter la déléguée insulaire en duel au sommet d’une falaise. Sous la contrainte, elle s’était dévouée, et lui avait fait promettre de ne pas faire de mal aux habitants de l’île, et de leur permettre de s’en aller s’ils le désiraient. L’individu avait levé la main droite et craché au sol pour jurer, et ils avaient disparu dans les hauteurs de l’île.
Seul lui en était redescendu. On devina que la déléguée n’était plus.
Mais l’homme s’était mis à rire, d’un rire diabolique, et avait hurlé :
« Une promesse faite à une humaine morte ne vaut plus la peine d’être tenue ! Désormais, vous êtes tous sous mes ordres ! »
Et l’esclavagisme avait débuté. Il avait trouvé une source de minerais précieux, et avait contraint tous les résidents de l’île à se relayer pour l’extraire. Les vingt individus restants passaient leurs journées à creuser, déblayer, et trier les trouvailles. Il va sans dire qu’au bout de quelques jours seulement, les cernes se creusaient sur leurs pauvres visages, et leurs muscles les faisaient souffrir comme jamais. Même Reynald et Napoléon, pourtant habitués à l’effort, n’en pouvaient plus.
Quand la « mine » avait commencé à s’assécher, et que chaque jour les chariots ramenaient de moins en moins de minerais, il avait commencé à s’énerver. Et lorsque la source de sa richesse fut tarie, il n’avait pu trouver d’autre manière de les punir – alors qu’ils n’y étaient pour rien bon sang ! – en mettant le feu à l’île. Déversant des quantités d’huile à brûler utilisée pour les bougies souterraines sur le sol, il fit s’embrasser tout ce qui se trouvait sur son chemin.
Apollon, épuisé d’avoir respiré tant de fumées de produits divers – entre les plantes, les murs et autres –, s’effondra au sol, laissant sa conscience s’échapper en même temps que son dernier souffle.
Il s’éveilla en sursaut.
« Ah, maugréa-t-il. Ce n’était qu’un cauchemar… »
Il se recoucha, lové entre sa couette et son oreiller, en se disant que ce serait la dernière qu’il regarderait ce film d’animation mettant en scène une sorte de schtroumpf, et referma les yeux, finissant paisiblement sa nuit de sommeil. De l’autre côté de ses rideaux, le jour commençait paisiblement à poindre.