Histoires colorées de l'île Panorama
Crayon magique
De tous les passe-temps qu’il était possible d’avoir sur cette île, Friga préférait le dessin. Il lui arrivait de se poster à sa fenêtre, ou de trouver un endroit dans la nature pour observer, crayon et calepin en main, prête à esquisser ce qu’elle voyait.
Mais à force de s’adonner à ce hobby consommateur en outils de dessin, elle tombait rapidement à court de crayons et papier. Il lui arrivait alors très fréquemment de se rendre à la boutique de Méli et Mélo afin de se ravitailler. Et ce jour-là ne faisait pas l’exception, si bien qu’elle marchait paisiblement à travers l’île pour atteindre sa destination. Passant au-dessus de la rivière est, elle aperçut quelques poissons suivant son ombre, espérant probablement qu’elle laissât tomber quelques morceaux de nourriture. Un peu plus haut, Napoléon attendait, sa canne plongée dans le cours d’eau, que l’un de leurs congénères vînt mordre à son hameçon. Il leva une aile pour la saluer lorsqu’il l’aperçut ; elle lui rendit son geste.
Les deux jeunes chiens viverrins la saluèrent chaleureusement lorsqu’elle posa la patte sur le seuil de leur boutique, et la suivirent de près dans le moindre des rayons où elle se rendait. Elle n’eut pas besoin de leur demander de l’aide au rayon des calepins à dessin, mais fut contrainte de les questionner lorsque, une fois face à la multitude de stylos, critériums et feutres, elle fit face à une grande affiche attirant l’œil sur des « crayons magiques ».
« Qu’est-ce que vous entendez par « crayons magiques » ?
– Eh bien, commença Méli rapidement suivi par l’écho de la voix de son jumeau, c’est un crayon de couleur, comme n’importe quel autre…
– À l’exception qu’il a plein de couleurs mélangées les unes aux autres ! poursuivit Mélo.
– On ne connaît le résultat qu’en le voyant sur la feuille !
– Ça rendra tes lettres bien plus belles qu’elles ne le sont déjà ! » conclut le petit animal.
Intriguée, Friga en prit un, et décida de se l’acheter. Le coût était assez élevé comparé aux autres crayons qu’elle possédait, mais elle se dit que pour un crayon « magique », c’était assez raisonnable.
Sa première envie, une fois arrivée chez elle, fut de l’essayer ! Et quelle surprise ! Les couleurs dansaient au fil de la mine, formant de nombreux arcs-en-ciel désordonnés ! Sur sa feuille, sa patte glissait, comme entraînée dans cette folie artistique qu’elle n’avait que peu connue !
Jusqu’à ce que la mine se brisât.
Contrainte de la retailler afin de poursuivre ses contemplations colorées, elle se hâta d’attraper son taille-crayon et sa corbeille, et tourna deux-trois fois l’objet jusqu’à obtenir une nouvelle mine pointue.
Et elle recommença. De nouveaux traits, une mine qui se brise, puis taillée, encore et encore.
Jusqu’à ce qu’il ne restât plus qu’un moignon de crayon, à peine deux heures après l’avoir acheté.
Elle retourna à la boutique, furieuse d’avoir tout consommé si rapidement, et alla s’offusquer auprès des jumeaux, qui ne purent que lui proposer d’en acheter de nouveaux. Ce qu’elle fit. Elle rentra chez elle, une poignée de crayons toujours aussi magiques dans chaque aile.
Et ce qui devait arriver arriva. Un à un, chacun de ces crayons se réduisait à néant, rongés par les feuilles jusqu’à la pointe arrière.
La véritable magie, dans ces objets, était la manière dont ils pouvaient happer l’esprit, et nous faire les utiliser toujours un peu plus, sans que l’on ne se rende compte de leur disparition progressive. Friga l’avait appris aux dépens de son porte-monnaie, désormais troué et béant.