Histoires colorées de l'île Panorama
Architecte des hauteurs
À cause de violentes intempéries dans la nuit – on avait enregistré de grandes rafales de vent d’une vitesse rarement égalée –, le toit de Cachou tombait en ruines. Des tuiles s’étaient envolées et avait coulé au fond de la rivière, sa cheminée s’était fissurée, sans parler de la petite lampe qui illuminait le seuil de sa porte ; il ne restait qu’une maison à peine habitable, déjà attaquée par l’eau qui s’infiltrait ici et là.
Par chance, elle avait la seule à avoir subi d’aussi importants dégâts ; aucun de ses voisins n’avait vu sa maison se faire ravager d’une telle manière, si bien que beaucoup se proposèrent à l’héberger en attendant que les réparations fussent faites. Tous se mobilisèrent pour l’aider à faire ses bagages, et à déplacer ses meubles dans un endroit où ils seront à l’abri – le choix s’était porté sur la demeure de Moktar – et en peu de temps, sa maison se retrouva complètement vide.
Et enfin, Chiyoko lui proposa de lui offrir le gîte, une des chambres de l’auberge venant d’être achevée. Elle se retrouva donc à passer la journée dans cette agréable pièce, assise à-même les tatamis de paille tressée, les pattes glissées sous la couverture chauffante de la table basse, à contacter diverses entreprises pour entamer les démarches de réparation. Lorsque tout fut fini et prévu, elle s’autorisa une petite promenade dans les environs ; elle n’avait jamais exploré cette partie de l’île, bien trop craintive des possibles menaces cachées par ces hautes falaises.
L’auberge se trouvait au troisième étage d’une falaise. Le sol pavé rassurait quant à la sécurité des passants, mais la vue depuis les fenêtres de ladite auberge montrait clairement que ses occupants se retrouvaient à même le bord de la paroi. Juste en-dessous, une minuscule vallée de fleurs, et au niveau le plus bas, à peine plus haut que la mer, une étendue de pierre soutenait un immense phare qui brillait dans la nuit.
Cachou trouva un brin de courage qui la mena jusqu’en bas de cette grande falaise. L’auberge vue d’aussi bas était impressionnante. Mais le plus impressionnant était la disposition des lieux ; rien n’avait été laissé au hasard, tout avec été creusé et aménagé avec un soin phénoménal.
« C’est beau, hein ? lança Reynald à l’attention de Cachou lorsqu’il passa par là, et vit son air songeur tandis que ses yeux fixaient inlassablement la paroi rocheuse. Tout ça, c’est la déléguée insulaire qui l’a fait, à la demande de Chiyoko.
– Tu l’as vue à l’œuvre ?
– Oh ça oui ! Tu permets ? – Cachou acquiesça, et Reynald vint s’asseoir à ses côtés, à même le sol. – Elle y a passé des heures carrées, des journées entières. Avant, ici, c’était la colline aux lys. Il n’y avait que ça, des lys, partout. Des blancs, des rouges, des jaunes, même des roses, des noirs, et un ou deux lys orange. Quand elle a su que Chiyoko voulait installer une auberge là, elle a tout refait. Elle a cassé les falaises, façonné l’espace pour elle, elle a pavé le sol et elle a construit les murets en pierre et en ardoise. C’est dingue hein ? »
L’écureuil secoua la tête, impressionnée par les capacités presque surhumaines dont avait fait preuve la déléguée insulaire.
« J’ai l’impression qu’elle a fait énormément de choses sur l’île.
– C’est le cas. Elle m’a aidé à choisir l’emplacement de ma tente à notre arrivée, rien que ça ! Mais aussi, elle a entrepris tous les travaux : déviation des cours d’eau, pavage des rues, aménagement des jardins… Je sais pas ce qu’elle faisait avant de venir sur l’île, peut-être qu’elle a plein de diplômes ou je sais pas quoi, mais c’est assez effrayant. »
Cachou acquiesça, et regarda encore une fois l’étendue de pierre qui soutenait l’auberge à l’allure atypique.
« Dis, fit-elle finalement, ça existe comme diplôme, architecte des hauteurs ? »