Histoires colorées de l'île Panorama
Animal pas banal
Les parents de Cachou lui avaient toujours dit de ne pas juger les autres sur leur apparence, et encore moins de s’en moquer. Jamais elle n’avait ri du monosourcil de Pamela, ni du style vestimentaire passable de Ninjette, et encore moins du teint peu banal de la fourrure de Rachida.
Elle avait accepté l’idée de partager son voisinage proche avec un aigle sportif qui sentait souvent la transpiration, un bouc arrogant qui se pensait être une star mondiale, et avec un pingouin paresseux qui ne pensait qu’à jouer toute la journée. Aucun de ces trois-là ne relevait le niveau ; elle se demandait encore et toujours ce qui l’avait poussée à s’installer sur cette île.
Elle crut, en voyant une toile de tente posée au camping, que cela allait la tirer hors de sa routine passable. Elle espérait pouvoir trouver une camarade distinguée avec qui parler, et grâce à qui elle pourrait oublier la morosité insulaire.
Quelle ne fut pas sa déception lorsqu’elle vit l’animal peu banal qui vivait sa meilleure vie sous le tissu tendu. Un drôle de lapin, sans le moindre poil, et à la complexion bleue. Tout simplement bleue. Ses grandes oreilles s’étiraient dans une nuance de jaune assez criarde, et ses grands yeux se posaient innocemment sur tout ce qui bougeait. À bien y regarder de plus près, Cachou était formelle : il était fait de plastique.
« Bonjour ! Je m’appelle Grignotte ! » salua la créature.
Elle lui rendit son bonjour, par pure politesse. Lorsque le « lapin » se retourna pour aller lui chercher une boisson dans sa glacière, elle remarqua qu’une valve était enfoncée à l’arrière de sa tête. Était-ce réellement un lapin gonflable ? Les petits bruits qu’il laissait s’échapper évoquaient des sorties d’air.
« Je suis venu faire un tour sur cette île, on m’en a beaucoup parlé !
– Ah oui ? – Cachou ne savait plus où se mettre, elle ne songeait qu’à s’échapper de cet endroit. – Eh bien ravie de te rencontrer. Tu peux t’amuser autant que tu veux ici, le cadre est idéal pour… eh bien, pour s’amuser. »
Il ne cessait de sourire, d’un air qui la mettait mal à l’aise. Et ces bruits incessants, ces « pfui » qu’il murmurait à peine alors que son corps se dégonflait visiblement petit à petit, qui renforçaient ce mal-être qu’elle ressentait en sa présence.
« Est-ce que ça va ? »
Grignotte l’observait avec une grande curiosité, penchant la tête sur le côté comme pour mieux la regarder.
« O—Ouais, ça va, souffla-t-elle en acquiesçant.
– Est-ce que tu veux boire ? J’ai cette canette dans la patte depuis un peu longtemps, ça commence à me donner froid à la patoune. Tu la prends ? »
Elle tendit la patte vers lui, et saisit le cylindre d’aluminium, frémissant au contact de la paroi fraîche de laquelle coulaient quelques gouttes d’eau. Elle l’ouvrit, et en but une gorgée ou deux ; étonnamment, il avait pris son goût préféré, probablement par pur hasard.
« Merci, sourit-elle, se détendant enfin en la présence de Grignotte.
– Mais de rien ! Ce serait bien si je pouvais venir m’installer ici, on pourrait discuter plus souvent ! Tu m’as l’air sympa, je suis sûr que tu serais cool comme voisine ! »
Au final, se dit Cachou, pour un animal pas banal, il était bien amical !