Histoires colorées de l'île Panorama
Une journée en enfer
Comme chaque matin, Thibou faisait le tour du musée avant son ouverture afin de s’assurer que tout allait pour le mieux dans chacune des ailes. Il n’y avait pas de voleur d’art, de fossiles, de poissons ni d’insectes, mais il valait mieux s’assurer que chaque élément des expositions était à sa place comme il se devait.
Il commençait toujours par la partie qu’il aimait le plus. Quoi de mieux que des silhouettes squelettiques de dinosaures pour bien démarrer la journée ? Il se promenait entre les squelettes, vérifiant que chaque pensionnaire était entier, qu’il ne leur manquait rien. Puis venait le tour des peintures et sculptures. Il restait plusieurs emplacements vides, qu’il espérait pouvoir remplir au plus vite lorsqu’il parviendrait à mettre la main dessus – et pour ça, il s’en remettait surtout à la déléguée insulaire, qui les dénichait toujours à droite à gauche – et ainsi compléter cette aile du musée. Enfin, avant de passer à la partie qu’il exécrait, il faisait un tour du côté de l’aquarium, jetant un coup d’œil attentif aux nombreux poissons d’eau douce comme salée et autres créatures marines qui vivaient là. Tous étaient là, et en pleine forme ! De quoi le ravir de si bon matin.
« Et maintenant… »
Il retint un frisson. Il lui restait l’aile des insectes à vérifier, et s’il n’était pas aussi méticuleux, il s’en passerait bien. Soit, se dit-il, je n’ai pas le choix. Et sur cette résignation presque quotidienne, il s’avança dans l’aile ouest du musée, où grouillaient mille et une créatures horribles, des insectes aux arthropodes, en passant par des myriapodes tout autant dégoûtants.
Si seulement les insectes ne volaient pas ! Il aurait pu lui-même battre de ses puissantes ailes de hibou pour les éviter et les observer d’en haut. Mais il fallait se confronter aux libellules, cigales et autres papillons répugnants. Du coin de l’œil, il compta les scarabées et lucanes ; Goliath, kabuto, Atlas, éléphant, Hercule, les scarabées étaient tous présents ; inclinatus, miyama, cerf-volant, copris irisé, cyclommatus, lamprima, girafe, tous les lucanes étaient à leur place eux aussi. Tant mieux. Il vit même le scarabée Hercule mettre une dérouillée au scarabée Atlas, et ce dernier de revenir à la charge tant il n’acceptait pas la défaite. Pour peu, il aurait pu rire. Mais il ne fallait pas lui en demander trop.
Il passa rapidement dans la galerie des insectes souterrains où régnaient fourmis, puces, scorpions et tarentules, sans oublier les cloportes et ces odieux mille-pattes. Rien à signaler, tout allait pour le mieux, il fallait vite passer à la suite.
La dernière pièce était celle des papillons. L’immense et fontaine s’alluma – il était déjà si tard ? – et tous déployèrent leurs ailes colorées avant de s’élancer dans les airs, comme si leur sommeil avait été perturbé par le visiteur matinal. Les nuances de blanc, doré, émeraude et azur qui reflétaient la lumière vive du soleil éblouirent Thibou une seconde ou deux, suffisamment pour se retrouver couvert des aigrettes jusqu’aux serres de papillons qui avaient tous décidé d’un commun accord de faire de lui leur nouveau perchoir.
Ses plumes devaient offrir un confort non-négligeable, sans parler de la douce chaleur du soleil qui venait envelopper son corps. Ce devait être pour cette raison qu’en ce matin plutôt froid, les hideuses bestioles avaient choisi de venir l’embêter lui plutôt qu’un objet de la pièce. Il y avait pourtant nombre de plantes à butiner, ou de perchoirs sur lesquels s’installer ! Mais non ! Il avait fallu que ce fût sur lui que tout retombât !!
Quoi qu’il en fût, il retint un hurlement inhumain – cela tombait bien, il était un hibou – et retint ses larmes. Ces choses étaient bien capables de s’en nourrir !
Il trouva son salut quelques heures plus tard lorsqu’un visiteur curieux de ne pas le trouver dans le hall, à sa place habituelle, vint le chercher et le trouver en ces lieux. La venue soudaine d’un autre animal surprit les créatures, qui s’envolèrent dans un arc-en–ciel de couleurs.
Thibou remercia longuement son sauveur, et décida de clore le musée plus tôt pour se remettre de ses émotions. Il venait, après tout, de passer une – terrible – journée en enfer.