Histoires colorées de l'île Panorama
Chapitre 5 : Jour 5 - Discussion de bar
574 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 05/10/2020 10:53
Discussion de bar
Aurore adorait la pêche. Ses meilleurs souvenirs dataient de l’époque où elle allait, avec ses parents et ses frères et sœurs, sur les bords de rivières ou de falaises, dans son village natal. Cannes à pêche en main, ils marchaient pendant des heures jusqu’à atteindre le point idéal où le poisson mordrait à coup sûr leurs lignes, leur offrant un bon moment de détente, en plus de la perspective d’un dîner spécial.
À présent qu’elle était adulte, elle continuait d’honorer cette tradition familiale, et profitait du fait qu’une rivière coulait très près de sa maison pour pêcher dès que l’envie lui prenait. Il y avait bien la mer, aussi, mais le meilleur endroit – le ponton de bois – lui demandait un peu plus de marche pour s’y rendre ; à l’aller, ce n’était pas bien fatiguant, mais revenir avec un énorme poisson qui pesait son poids était plus problématique. En restant près de chez elle, elle ne risquait pas de se faire un lumbago au moins.
Ce jour-là, elle guettait une fois de plus que le poissons vînt vers elle, appâts disséminés dans l’eau et flotteur en place.
« Alors, ça mord ? »
La voix nasillarde de Cube, un de ses congénères manchots – et voisin –, vint la tirer de ses pensées.
« Pas pour le moment, répondit-elle gentiment, comme à son habitude. Il faut rester calme et patient. Et surtout, ne pas faire peur au poisson.
– Comment ça on peut lui faire peur ? Les bars ils ont peur ? »
Aurore soupira. Cube était gentil, adorable, même, mais parfois il était terriblement… lui-même.
« Les poissons se méfient de ceux qui veulent les manger – comme moi – et n’hésiteront pas à se sauver s’ils pensent qu’il y a une menace.
– Même les bars ?
– Même les bars. »
La ligne flottait paisiblement au gré des remous de la rivière. On apercevait quelques ombres parfois, mais aucun poisson n’osait s’approcher de peur d’être embarqué hors de l’eau. Se doutaient-ils de ce qui leur arriverait s’ils croquaient l’hameçon ? Aurore l’ignorait, et à vrai dire, elle ne s’était jamais réellement posé la question.
« Et c’est quoi la différence entre le bar de rivière et le bar commun ?
– J’en sais rien, soupira-t-elle d’un air un peu agacé par l’insistance et la désinvolture de son voisin, je me demande si c’est pas la deux espèces différentes, d’ailleurs.
– Ha ouais ? »
Il se pencha un peu plus vers elle ; son ombre commençait à se dessiner sur l’eau, faisant fuir les trois carassins qui s’étaient approchés, intrigués par la nourriture qui flottait au-dessus de leurs têtes.
L’un d’eux revint cependant, un peu enhardi – probablement car la récompense de son courage lui était fort alléchante – et vint mordiller l’hameçon tandis que Cube posait une énième question stupide et complètement hors de propos au sujet de ce maudit poisson fort goûtu.
« Ah ! »
Dans leur discussion de bar, et dans son inattention, elle avait laissé s’échapper sa prise.