Histoires colorées de l'île Panorama
Bruit de fond
« Bon, je prends ma pause en premier alors, lança Marie en attrapant son sac en toile contenant un panier-repas. À tout à l’heure ! »
Elle eut droit à une vague réponse de la part de son collègue de travail, Tom Nook, qui quitta à peine les yeux de son écran d’ordinateur, bien trop affaire à régler la comptabilité de la boutique que tenaient ses neveux à deux pas du bureau des résidents. Le shih tzu coupa la radio portable qu’elle gardait sur son bureau, et dont la musique l’aidait à se concentrer sur ses nombreuses tâches administratives, et bientôt, il se retrouva seul avec pour unique compagnie le tic-tac de l’horloge qui pendait au-dessus de sa tête, fixée au mur en bois.
Il entra un énième calcul sur sa feuille, et enregistra le document, avant de s’étirer longuement. D’abord les pattes avant, puis la nuque, le dos, et enfin les pattes arrière. Il pouvait même presque faire quelques mouvements de gymnastique, mais l’idée ne lui disait pas trop. Seul, il abandonnerait vite.
Alors il commença à faire quelques pas, histoire de se dégourdir un peu. Mais il fallait admettre qu’il n’avait pas tant d’espace que ça dans les locaux, et s’il y avait bien une salle de pause de l’autre côté de la porte par laquelle Marie avait disparu, il ne pouvait décemment pas laisser le bureau inoccupés. Et si un habitant avait une question urgente à poser ? Pire ; et si un visiteur venu d’une autre île venait demander des renseignements, et qu’il ne trouvait personne ? Cela finirait en une mauvaise note sur TripAdvisor, pour sûr ! Et Tom ne pouvait tolérer un tel affront envers l’île qu’il s’était échiné à bâtir (avec l’aide des autres habitants et de la déléguée insulaire, certes) !
Quelque chose attira son attention, alors qu’il se rasseyait à son bureau. Quelque chose paraissait… anormale. Il n’avait pas l’œil aussi perçant que celui de l’aigle, ou l’ouïe aussi fine que celle du chien, mais il sentait bel et bien que quelque chose avait changé, même s’il était incapable de mettre le doigt sur quoi.
Un bruit. Oui, un bruit de fond venait le perturber. Un bruit sourd, du genre grondant, et assourdissant, même. Un qui faisait trembler la cage thoracique, et comprimait les poumons. Le pauvre tanuki se sentit déboussolé, alors qu’il reconnaissait pourtant les quatre murs qui l’entouraient. Que diable se passait-il ?
Il sentait de la sueur couler de son front – il découvrit par la même occasion que son espèce était capable de sudation, ce qui était étrange pour un canidé mais passons – et commença à fouiller à droite à gauche, à la recherche de l’origine de cet odieux bruit. Voilà qu’il se mettait à trembler ! Un sentiment semblable à une peur primaire digne des plus faibles proies le gagnait peu à peu, instant après instant !
Ce bruit ne venait pas de la pièce voisine ; il y avait glissé sa tête, l’espace de quelques secondes, et n’avait rien entendu de ce côté-là. Cela ne provenait pas des fenêtres, ni de la porte d’entrée du bâtiment, et encore moins de son bureau ; l’ordinateur – désormais en veille – n’émettait plus le moindre son. Enfin, lorsqu’il se pencha vers le bureau de sa collègue, il vit que la radio n’avait pas été correctement éteinte. Voilà la source de cet horrible grésillement ! Il en devenait malade ; quelle ne fût pas sa joie d’avoir anéanti son problème !
« Vous ne devinerez jamais ! s’exclama Marie lorsqu’elle revint de sa pause, l’air toujours aussi ravi et détendu. Je suis passée devant la boutique, et Méli et Mélo proposaient un atelier de découpe de citrouilles pour Halloween ! Figurez-vous que ce cher Napoléon s’est amusé à découper la sienne à la tronçonneuse ! La tronçonneuse, je vous le jure ! »
Elle se mit à rire, ses oreilles tombantes remuant en même temps que sa tête se secouait. Puis elle sembla remarquer que quelque chose n’allait pas, et d’un ton un peu inquiet, elle interrogea son ami et collègue :
« Dites-moi, Tom, vous allez bien ? Vous m’avez l’air tout pâle… »