La Vouivre des Marais

Chapitre 2 : Tentation

4770 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/10/2017 10:50

- 2 -

___

LA VOUIVRE

Pendant quelques minutes, rien ne troubla sa sieste dans le silence appréciable de cette fin d'après-midi. Les insectes venaient de reposer leurs élytres et le lancinant bourdonnement de leur chant incessant avait enfin pris fin. Le clapotis de l'eau toute proche s'était fait ténu, à peine troublé par le frémissement de rares poissons furtifs, espérant gober à la surface quelque mouche écervelée… Et même le lent goutte-à-goutte qui perfusait depuis les stalactites calcaires monumentales sur le pourtour de son repaire caverneux, semblait stopper son rythme inexorable.

La caresse du soleil effleurait d'un pinceau bienfaisant son dos écailleux d'un vert sombre presque noir et elle arrondit instinctivement la crête épineuse qui courait depuis l'occiput jusqu'au bout de sa queue. Entre ses dents longues et acérées, signant indubitablement le carnivore, un long soupir heureux s'échappa pendant qu'elle se chauffait aux dernières lueurs tièdes de l'astre du jour.

Plic.

Une goutte téméraire qu'elle choisit d'ignorer s'écrasa pile entre ses deux vastes naseaux à la peau fine. Se pelotonnant mieux dans l'espoir de prolonger cet instant, la vouivre ferma délibérément sa paupière verticale pour somnoler encore un peu, au frais de sa grotte favorite. Au-dessus d'elle, le plafond troué de la caverne ombreuse se reflétait dans une étendue d'eau peu profonde où elle se baignait à température idéale.

Re-plic.

Les orifices sur le devant de son museau allongé s'élargirent soudain, comme pour tenter de faire cesser le chatouillis qui courait sur les écailles plus fines et délicates du pourtour de sa gueule. Elle inspira encore profondément, sentant à ce menu détail que la paisibilité de l'instant s'en était allée.

Et c'est là, dans cette inspiration impatiente qu'elle huma dans l'air une senteur familière, d'abord à peine perceptible. Juste ensuite, une confirmation lui vint, par le vacarme de brindilles brisées, le fouettement de branches, virevoltant dans l'air et le froissement des buissons écartés… Ses narines s'élargirent encore tandis que ses crocs se découvraient, filant de bave anticipatrice. Quelle journée bénie des dieux ! A l'odeur de charogne qui ne faisait que croître de seconde en seconde, elle devinait avec une certaine ivresse qu'aujourd'hui, le dîner serait servi à domicile !...

Piquée de curiosité, elle leva sa tête hérissée et étira son long cou élastique. C'était étrange. L'odeur était celle de mammifères juste crevés et elle ne détectait aucune élévation de chaleur, caractéristique de ces animaux. Pourtant, ça approchait. Des proies faciles qui se déplaçaient avec une discrétion toute relative quand on avait son ouïe et son radar détecteur de mouvement reptilien. Il y en avait deux. Peut-être un mâle et une femelle ? Rien qu'à cette idée, elle bava un peu plus, étonnée à l'idée de découvrir que les œufs d'oiseau glanés dans les nids de roseaux ce tantôt ne l'avaient finalement pas assez rassasiée.

Ça s'approchait encore, et la vouivre dans un mouvement fluide et souple quitta prestement le confort de sa mare pour gagner la terre ferme. Les bonnes manières avant tout. Elle avait la ferme intention d'aller dignement accueillir les hôtes qu'elle allait avoir à dîner… Quoi que ce fût, malgré cette étrange fumet de viande morte, ça bougeait – et même plutôt vite – pile dans sa direction…

Non loin, à peine quelques mètres à l'extérieur, elle entendit une sorte de craquement de fibres de cellulose suivi d'un cri agacé, d'un bruit sourd, et d'un immonde juron.

— Quoi encore ? Vous êtes trop vieux pour suivre, papy ?

— Bordel, Cullen ! Si tu me refais encore ce coup de la branche dans la gueule, je jure que je te pète le pif dès qu'on est par terre.

— C'est ça ! Faudrait déjà me rattraper. Vous n'avez pas l'air très doué à la grimpette…

La vouivre entendit un rugissement. Oh, oh. Des humains qui sentaient bizarre et tellement au bord de l'hypothermie qu'on ne sentait plus leur chaleur ? C'était son jour de chance ! En plus, ils n'avaient pas tellement l'air solidaires…

— Pas de ce genre, non… En ce qui me concerne, je ne descends pas du chimpanzé… rétorqua l'une des proies d'un ton délicieusement vénéneux.

— Oh-oh ! Le-champion-croulant-du-Shanshu est vexé.

— Moi croulant ?! C'est Angel qui est gâteux !

— Ha ha ha ! Laissez-moi rire. Il a quoi 250 balais à tout casser ? Moi mon père, il en a plus de 350, et si on pense aux Volturi…

— Rhoo, tu me gaves avec tes Volturi ! Tu vas pas remettre ça, si ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ces connards italiens ? Déjà, c'est pas demain la veille que je remettrai les pieds en Europe… ou en tous cas, il me faudrait une sacrée putain de bonne raison… et ce serait certainement pas pour me faire chier une bande d'aristos dégénérés. Bon, c'est encore loin le repaire de ta bestiole ?

— Non, non, c'est tout près. Je l'entends qui réfléchit.

Tchonk !

— Aïeuuu ! Saloperie de branche à la con ! Bon ça y est. J'en ai ma claque, je descends de là. Et puis qu'est-ce que tu racontes ? A quoi ça peut bien réfléchir une vvrrdmrrz?

— A bouffer vos fesses en steak. Faites comme vous voulez, moi je reste dans les branches. A priori ses ailes servent que pour la déco, alors…

Dans sa caverne, la vouivre tourna son chef piqueté de côté pour jeter un œil sur sa paire d'ailes aux os creux et aux fines et fragiles membranes de peau… La proie n'avait pas tort. Seule concession à sa féminité, elle décida de les replier soigneusement et de les plaquer le long de son corps épais et musculeux comme celui d'un python obèse. Mieux valait ne pas les déchirer dans la bagarre, car elles étaient longues à guérir. Trou dans la membrane...

Elle utilisa ses pattes pour s'avancer en rampant et pointa une tête dehors. Devant la noire bouche béante de la caverne, ce qui ressemblait à un humain se tenait debout. Il était enveloppé dans une grande pelure foncée sentant la vache tannée, la sueur et le sang, et sa tête brillait d'un poil anormalement clair. Il tenait dans une main une sorte de grand couteau très large et très plat et gesticulait en direction d'un autre qui se trouvait perché dans un arbre, à proximité.

— Spike, elle est derrière vous !

— Ouais, la blague prend plus au bout de la troisième fois, tu sais ?

Délibérément, la vouivre sortit un peu plus pour avoir de la place et hérissa tous les piquants de sa tête sombre pour cracher vers la proie. En effet, en balançant un peu de venin, ça pourrait le ramollir un peu, et ce serait toujours cela de gagné. Mais avec une vivacité très inattendue, la créature bipède évita le jet et son visage se transforma instantanément en faisant pousser de très mignons petits crocs.

Quel réflexe de survie adorable ! Et surtout bien pensé. On entend souvent que dans le règne animal, l'imitation est la première flatterie. Ça ne le sauverait pas, mais c'était quand même chou…

— Elle vous a touché ? demanda l'autre dans les arbres.

— Nan ! Pourquoi crois-tu que j'aime ce manteau ? Allez descends maintenant, petit trouillard. Je vais l'attirer à l'extérieur et pendant ce temps, tu fouilleras son nid pour trouver ta coupe de guérison…

La coupe ? Les proies voulaient donc voler le calice sacré ? Décidément, plus personne ne respectait rien ! La vouivre plissa les yeux et souffla fort pour les impressionner et recula inopinément dans la caverne. Il valait mieux mettre le Trésor à l'abri d'abord et ensuite les attirer séparément dans un piège…

Elle écarta les dents et laissa échapper un grondement qui ressemblait à un ronron satisfait. Avec ces deux-là, c'était des jours de viande fraîche assurée qui se profilaient à l'horizon !

.


SPIKE

Eddie sauta souplement de la branche la plus basse pour radiner enfin sa mince silhouette adolescente d'un pas tranquille. Il portait des baskets, un jean sombre et un tee-shirt gris sous une simple chemise froissée. Son visage soucieux, aux yeux marronnasses (« ambrés »), ne revenait pas du tout à Spike et ce depuis la minute où on les avait mis en présence dans le bureau d'Angel, chez Wolfram et Hart. Il connaissait presque trop bien cette expression constipée qu'il détestait. Regardez-moi, je suis une mystérieuse créature de la nuit, sombre et tourmentée… Rha putain ! Il devait être vraiment maudit pour devoir s'en coltiner un deuxième quand il avait déjà du mal à faire avec le premier…

Il était sûr maintenant qu'Angel l'avait fait exprès. C'est une mission pour un champion, avait-il dit perfidement. Tiens, champion, toi qui te vantes d'avoir gardé Dawn pendant des mois, ce sera rien du tout !

Pff. Dawn était cool au moins, et puis c'était indéniablement une Summers. "Si jamais tu fais du mal à ma sœur, si tu la touches ou peu importe quoi, je te garantis que la prochaine fois que tu te réveilleras, ce sera dans un lit en feu". Il sourit, c'était presque aussi mignon que quand Joyce l'avait menacé d'une hache.

Davantage concentré sur l'ici et le maintenant que le plus âgé, le gamin s'était planté à côté de lui et avait ajouté à mi-voix qu'il avait "du mal à la lire car quelque chose perturbait sa réception". Ouais.

Parce qu'en plus ce gringalet insupportable dont la seule présence avait fait flipper Green Lantern comme un malade quand il avait vu des éclipses crépusculaires à la chaîne dans son aura, il lisait dans les pensées… Alors entre sa tête maussade à la Angel et cette petite cuisine mentale à la Drusilla, il avait foutrement l'impression d'avoir perdu cent ans d'un coup avec celui-là... Grâce à Dru, et ça s'était confirmé avec Dracula, Spike savait que certains vampires développaient des pouvoirs psychiques, particulièrement ceux qui avaient à compenser une faiblesse physique…

C'est comme ça qu'Eddie avait dû réussir à survivre. Parce que s'il n'avait pas été pris en charge par un clan étrangement compatissant, c'était sûr qu'il aurait dû crever ou se faire réduire en cendres par d'autres vampires, irrités par sa suspicieuse jeunesse. Les vampires se foutaient richement des lois, en général, mais convertir des enfants, tout le monde savait que c'était interdit. Il sourit en repensant à aphorisme drusillien dont la cruauté l'avait ravi la première fois : la seule chose de décente à faire avec les enfants était de les tuer vite et de les manger avant qu'ils refroidissent...

Ce gamin affirmait avoir été converti à environ dix-sept ans… Mais converti par quoi ? C'était bien là tout le problème. Outre qu'il était incapable de faire sortir son démon, la lumière du jour ne semblait pas l'affecter. Angel et ses fenêtres au revêtement spécial vampire, en avait fait une jaunisse.

— On change pas le plan, décréta Spike. Moi je combats et toi qui t'occupes de l'artefact pour ta maigrichonne. Et tu essaies de ne pas te faire dézinguer trop vite s'il te plait, parce que j'ai pas besoin que ton putain de clan de culs-gelés de Forks vienne réclamer réparation pour ta perte. Je serais obligé de tous les descendre… et ça va encore faire des histoires !

Le gamin aux cheveux hérissés le toisa en se croisant les bras. Saleté ! Même ses cheveux en l'air lui rappelaient Angel…

— C'est bizarre. De tous les vampires old-school, je pensais que vous, au moins, vous auriez pu vous montrer moins obtus sur le sujet...

— Je sais pas à qui t'as parlé, petit, mais c'était quelqu'un qui devait pas bien me connaître. Obtus, c'est mon deuxième prénom… Reste derrière moi, on va fouiller la grotte d'abord.

— M'appelez pas petit. Je suis né au début du siècle dernier.

— Je t'appellerai comme je veux. Les surnoms, c'est ma spécialité. Cherche-moi encore et je te rebaptise Cu-cul.

À pas prudents, ils s'aventurèrent à l'intérieur de l'ouverture dont était sortie tout à l'heure la tête rageuse de la vouivre. Après avoir remonté un court boyau nécessairement mal éclairé, ils débouchèrent dans un espace plus grand, une sorte de caverne dont une partie du plafond s'était effondrée, laissant encore apparaître le ciel qui virerait sous peu au noir. Ils avaient fait exprès de partir un peu plus tard, afin que le vampire « old school » puisse sortir sans finir en banane flambée…

Par signes, Spike lui indiqua qu'il allait prendre par la droite car il voyait des anfractuosités dans la roche qui pouvaient être des cachettes où la vouivre se serait retranchée. Il s'engagea le premier.

— Krevlornswath, le type vert avec les cornes et des yeux rouges comme ceux d'un nouveau-né… chuchota Cullen.

— Lorne ?

— Oui. Il m'a dit que vous aviez été follement amoureux d'une humaine… Son nom commence par B, comme ma petite-amie, poursuivit Cullen qui cherchait à établir un terrain d'entente.

— Une humaine, si on veut. C'était pas l'aspect le plus intéressant de sa personnalité…

— Est-ce qu'elle est morte ?

— Nan. Tu peux pas arrêter de jacasser ? Je crois que j'ai entendu quelque chose…

Mais le plus jeune vampire n'arrêta pas le moins du monde, maintenant qu'il était lancé.

— Pourquoi vous n'êtes plus ensemble ? Je sais que vous l'aimez toujours. Vous n'arrêtez pas d'y penser tout le temps… Oh seigneur ! Euh… Arrêtez, arrêtez. Pensez à autre chose !

Spike leva un sourcil perplexe en le considérant comme s'il était demeuré.

— Autre chose que quoi ?

— Vous avez déjà couché avec elle ?

— Ah bah ça, ouais, évidemment ! Et pis, pas qu'un peu !… se rengorgea-t-il.

— Hum… C'est… très intéressant. Et... petite question, comment ça se fait qu'elle ne soit pas morte quand vous l'avez... mordue ? Vous l'avez transformée en fin de compte ?

Le vampire peroxydé se retourna vers l'autre avec un petit rictus suffisant et un éclat rêveur dans ses yeux bleus pour déclarer :

— Jamais j'aurais fait ça ! C'est juste qu'il y a mordre… et mordre. Certaines filles trouvent ça très érotique si on sait comment doser… Si je me contentais, disons, de mordiller, pas sérieusement et au moment opportun…

— Je ne suis vraiment pas sûr que je pourrais faire cela, répondit Edward plus blanc que blanc et d'une humeur bien différente. Vous devez bien être conscient que nous sommes incroyablement plus forts que les humains… Passion et contrôle ne font pas très bon ménage, j'ai peur de ce que je pourrais lui faire...

Spike sourit en coin mais s'abstint de toute remarque désobligeante. Avant, il aurait sans doute pu le chambrer un peu. Mais il se rappelait encore chaque jour pour quelle raison son propre démon avait voulu fuir vers l'Afrique. Pourquoi il avait accepté d'endurer la torture quotidienne d'une âme. Parce que Buffy ne méritait pas de finir violée au motif qu'il "ne se rendait pas compte".

— C'est sûr que je n'avais pas ce problème... commenta-t-il. Avec sa superforce, je n'avais pas besoin de me retenir avec elle. Si elle n'était pas satisfaite peu importe la raison, elle était tout à fait capable de me coller une méchante raclée qui m'aurait fait comater pendant trois jours. Ou de me réduire en poussière avec son pieu. Le plus pointu des deux, je veux dire... C'était la Tueuse, conclut-il avec un petit haussement d'épaule, comme si ça expliquait tout.

— La tueuse ? C'est quoi, un surnom ? hésita le vampire deux point zéro qui fort heureusement ne pouvait pas rougir, malgré ce qui se déversait en continu dans le cerveau de son interlocuteur.

Spike pila brusquement pour se retourner et s'appuya théâtralement à une stalactite en le considérant d'un air catastrophé.

— Quoi ? Maintenant tu vas me dire que vous avez pas entendu parler de la Tueuse, à Forks ?

— Euh…

— Shhh ! Tais-toi !… Ça recommence, t'as entendu ? Une sorte de gémissement.

Le plus âgé resta un instant en alerte tandis que Cullen se taisait enfin en écoutant lui aussi.

— On dirait que quelqu'un est blessé, confirma-t-il à voix très basse. C'est comme une plainte. La créature a fait un prisonnier, vous pensez ?

— Un prisonnier ? Non mais qu'est-ce que tu crois, qu'elle va découper le journal pour demander une rançon ? C'est probablement un casse-croûte qui n'est pas encore mort… Allons voir.

Se guidant au son, ils progressèrent silencieusement l'un derrière l'autre en longeant précautionneusement une paroi aux aspérités coupantes. Dès qu'ils purent, ils s'avancèrent dans un petit tunnel étroit qui coudait vers un espace creux deux mètres en contrebas où ils distinguaient une forme blanche allongée. Humaine à ce qu'il semblait.

— Ohé, appela Spike pas trop fort. On est là. Gémissez si vous nous entendez…

La forme bougea un peu mais sembla retomber comme si elle n'avait pas la force de se relever. Cullen ferma les yeux pour se concentrer puis secoua la tête, la mine grave.

— Cette personne a faim, elle n'a rien mangé depuis longtemps. Elle se sent faible. Par ailleurs je crois qu'il y a un problème avec ses cordes vocales…

— T'arrive à savoir tout ça d'ici ?

— Oui, elle y pense, elle nous entend et se désespère parce qu'elle a peur qu'on parte sans l'aider et qu'elle ne peut pas nous appeler… Il faut descendre avec la corde que j'ai prise avec moi.

— Ok, fais vite. Je vais l'accrocher et vous remonter.

Cullen acquiesça et se laissa tomber dans le trou où il atterrit souplement sur le sol humide et spongieux tandis que Spike déroulait la corde qu'il venait de sortir du sac à dos. Il déploya trois mètres et jeta un bout dans le trou qui tomba sur la tête du gamin. Ce dernier avait sorti une petite lampe torche de sa poche, ce qui était navrant. Pourquoi il en avait besoin ? Il ne voyait pas la nuit ? Pauvre mioche. Des dons de chochotte, un look de merde, et zéro vision nocturne… il était pas aidé, hein...

— Désolé ! marmonna-t-il alors qu'il l'avait fait exprès. Alors, ça vit encore ?

— Oui. C'est une jeune femme… on dirait une indienne… Madame ? Vous m'entendez ? Est-ce que vous êtes blessée ?

Comme elle ne réagissait pas, il essaya dans d'autres langues sans plus de succès.

— Cullen, grouille ! intima Spike toujours à mi-voix. Tu lui feras la conversation plus tard, si la vouivre revient maintenant on est mal… la zone est assez confinée.

Du haut du puits naturel, Spike observa le jeune vampire à quatre pattes, saisir la silhouette pour nouer la corde autour de sa taille avant de tenter de la relever sur le côté pour la prendre passer un bras sous ses genoux…

— Oh mon Dieu, jura-t-il pendant l'opération en se figeant soudain.

— Quoi ? Ça y est ? T'as fini ? Je peux vous remonter ?

— Une seconde, une seconde ! Il y a un petit problème, couina Edward en haletant.

— Dépêche-toi, bordel !

Le jeune vampire cassa le cou en arrière pour foudroyer son acolyte qui vit ses yeux flamboyer en jaune et ses crocs descendus pendant qu'il respirait avec peine en tremblant.

— Il y a une entaille qui saigne sur sa poitrine ! expliqua-t-il d'un ton rauque.

— Ah… ouais, je vois…

Les deux mains sur le bord, Spike avait une vue imprenable sur le colis qu'essayait de remonter le petit : une alléchante indienne aux longs cheveux noirs, paupières bombées et lèvres pleines, inconsciente, quasi nue et couverte de griffures s'offrait à sa contemplation attendrie.

— Mhh, ronronna-t-il pour lui-même. Presque trop beau pour être vrai…

— Je vais pas y arriver, il faut que je recule… prévint Cullen.

— Ah, tu parles d'un sauveteur !… se moqua Spike. Si tu te mets dans tous tes états rien qu'à la vue d'une petite griffure… on n'est pas rendus ! Accroche-la bien. Tu peux sauter pour remonter ou grimper aux prises de la paroi ?

— Je suis pas Spiderman mais je peux essayer…

— Ah non ? Tous les vampires « old school » font pourtant ça les doigts dans le nez… susurra Spike avec perfidie.

Il se cala bien sur ses deux jambes et, après deux trois petits coups sur la corde pour tester la solidité, tira à brasses rapides pour remonter la victime avec un large sourire pendant toute l'opération car la vue était définitivement inspirante...

A l'usage, il avait découvert que le statut de "champion défenseur des opprimés" semblait aller de pair avec une vie absolument trop monacale, et depuis son retour parmi les vivants (pour autant qu'on puisse qualifier un vampire de "vivant") ses ouvertures n'avaient pas été nombreuses… Peu de victimes sauvées d'autres vampires affamés semblaient désireuses d'offrir mieux qu'une gratitude verbale : le plus souvent, elles s'enfuyaient sans demander leur reste après un merci terrorisé.

Dès qu'elle fut hissée sur le bord, Spike procéda à une auscultation rapide des dégâts et constata en effet plusieurs coupures qui saignaient faiblement, dont une sur le sein gauche qui avait tourneboulé Eddie, et une autre à la cuisse.

— Bon Cullen, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

— Je suis là ! Mais je ne préfère pas m'approcher. Comment faites-vous pour rester… impassible ?

— Euh, déjà, c'est pas exactement comme si je n'avais jamais vu de fille nue… l'effet de surprise s'atténue avec le temps, hein ?

— Mais elle saigne !

— Je suis à peu près sûr qu'il y a un kit d'urgence dans la bagnole de chez Wolfram mais en attendant je peux refermer les plaies avec les moyens du bord, comme ça t'arrêtera de piailler. Ça te va ?

Edward regretta d'avoir accepté. Pas dérangé le moins du monde, Spike se pencha sur le sein de la belle et donna un grand coup de langue cicatrisant sous l'œil tétanisé du clone d'Angel. Il fit de même sur la cuisse et la femme frémit en entrouvrant les paupières.

— Hello… sourit-il, charmeur, les gencives pleines de sang.

Elle lui adressa un regard apeuré et essaya de s'échapper en se débattant vainement.

— Vous lui faites peur avec votre visage de monstre, traduisit Cullen.

— Ah oui, j'avais oublié. Pardon, fit Spike en morphant. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre avec vous ? La créature a attrapé d'autres proies ? demanda-t-il lentement en regardant alentours à la recherche d'éventuels indices.

Le regard de la jeune femme était vide de toute compréhension ce qui l'impatienta malgré tout. Il se tourna vers son compagnon en quête d'une explication.

— Elle ne peut pas nous répondre, elle est muette et ne comprend pas tout ce que nous disons. Seulement les grandes lignes. Je crois qu'elle n'est pas en état de nous suivre à pied, il faudrait la porter. Et puis elle ne peut pas rester comme ça, les humains ont froid…

— Allons, ce ne serait pas très respectueux de ses traditions que de la forcer à porter ta chemise…

— Pervers ! Vous vous fichez bien de ça. C'est juste pour la reluquer plus à votre aise !

— Que veux-tu ? Au fond, je suis resté un esthète et un grand admirateur de la beauté féminine, répondit Spike en ayant l'air de se foutre de sa gueule.

Le vampire pudique renfrogné retira sa chemise grise d'un air outré et la tendit à la belle aphone qui le dévorait littéralement des yeux.

— Bon, ok, tu t'en occupes, pendant que je fouille la caverne, maugréa le plus vieux, fâché d'être encore ignoré. Faut toujours tout faire tout seul quand on est le héros du Shanshu, décidément ! Emmène-la dehors, trouve de l'eau potable et essaie de la faire boire car j'ai l'impression qu'elle est déshydratée.

— Et comment vous savez ça ?

— Au goût de son sang, répondit le vampire blond avec un sourire égrillard et un clin d'œil.

.


EDDIE

L'écho des pas de Spike avait décru excessivement vite, le laissant seul avec la jeune femme qui souriait. Il nota qu'elle tremblait un peu en lui jetant un regard éperdu qu'il avait déjà vu dans d'autres yeux mais qui en général le laissait de marbre. Il tendit les bras de façon à ce qu'elle comprenne qu'il voulait la porter, mais même avec sa chemise sur le dos, il aurait eu du mal à ignorer la tonitruante vénusté de ses attributs féminins. Car bizarrement, le vêtement prêté semblait ne jamais parvenir à rester fermé. Il lui fallait une concentration maximale pour ne pas voir combien elle était attirante… Alors qu'il voulait absolument oublier Bella, il se surprit soudain tout au contraire à y repenser fixement, tâchant de garder ses crocs sagement rentrés, tandis qu'il gagnait la sortie d'un pas très résolu, les yeux levés sur l'horizon.

Lorsqu'ils furent à l'extérieur, il la reposa doucement au sol. Le crépuscule était proche et aucun bruit ne résonnait dans le marais aux sentiers bourbeux excepté le bourdonnement léger d'une libellule perdue, conférant à ce moment une atmosphère étrange, comme si le lieu tout entier retenait sa respiration. Avec un soupir, la belle muette refusa de le laisser s'éloigner pour chercher de l'eau et enfouit impulsivement sa tête brune et lustrée contre son torse. Elle laissa échapper un petit gémissement de protestation quand il essaya de la repousser… Pauvre petite, elle devait être en pleine fascination… Il en eut une meilleure conscience quand elle mordit carrément le bout de son sein à travers son vêtement. Il en tressaillit de surprise et tenta de reculer tandis qu'elle cherchait à glisser ses mains sous le tee-shirt.

— Non, non, refusa-t-il mal à l'aise. Je ne suis pas ce genre de vam…

Changeant alors de tactique, elle entrelaça ses doigts dans sa chevelure souple et attira ses lèvres vers les siennes pour le faire taire. Bella ! pensa-t-il très à propos pendant que la langue de la demoiselle jouait merveilleusement avec la sienne pendant un temps qu'il ne sut pas déterminer...

Il planait déjà à moitié quand réalisa qu'il ne se défendait pas vraiment férocement d'une part, et qu'il devrait faire attention à ne pas lui inoculer son venin de vampire d'autre part... Sans montrer la moindre intention de s'arrêter en si bon chemin, elle continuait à l'embrasser goulument et presque… impitoyablement. Ils roulèrent bientôt à terre, leur chute heureusement amortie par les roseaux, où il tenta encore de l'immobiliser vainement sous sa poigne mais se retrouva étonné de son manque de force. Plaqué au sol, il avait l'impression confuse qu'elle avait bien plus de bras et de jambes que prévu.

Conscient d'être terriblement ralenti, il se sentait groggy et ses gestes se faisaient patauds et lourds, sa respiration ralentissait, ses paupières se fermaient… Une alarme intérieure se mit à résonner en lui au mot "venin" mais hélas son système était déjà bien engorgé par une toxine immobilisante très similaire à la sienne propre. Électrisé, il comprit enfin ce qui était en train de lui arriver mais un peu tard ! Ce n'était pas tous les jours qu'on était victime de ses propres tours...

— Sss…aïke !

La belle indienne avait hardiment déchiqueté son tee-shirt, cherchant à libérer sa peau pâle de sa gangue de coton inutile et insipide. Il s'ébroua et tenta derechef de la repousser, se battant silencieusement avec elle alors qu'elle l'agrippait possessivement en le palpant à la recherche de quelque chose de bien charnu à dévorer… À dévorer ?! Ah, ça se confirmait. Il sursauta sous le coup de l'adrénaline, mais c'était peine perdue, il se sentait partir, incapable de bouger, sans doute incapable de crier aussi.

Et alors qu'il se trouvait par terre, torse-nu et à moitié paralysé, un dernier rayon de soleil taquin vint lécher obliquement son torse et... l'illumina comme un sapin de Noël.

.

(à suivre)


Laisser un commentaire ?