Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 12 : Chapitre 12 : préludes d'un show

13499 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/03/2017 11:52

« Aurore ? 

- Rosa est là ? demandai-je en entrant.

- Elle dort. La nuit blanche l’a assommée.


Lysandre me sonda de ses yeux vairons pour savoir ce que j’étais partie faire pendant trois heures.


- Leigh n’est pas rentré ?

- Aurore, est-ce que tu…


Je m’approchai doucement de lui, et enlevai ma veste en suédine. Mes poignets se placèrent d’eux-mêmes sur les trapèzes de Lysandre, mes avants-bras sur ses épaules. Il avait l’air suspicieux, mais ne se priva pas pour loger ses mains autour de ma taille.


- J’en ai marre, Lysandre.


Il m’interrogea du regard, et je me mordis légèrement la lèvre inférieure en observant son visage. Qu’est-ce qui n’était pas parfait chez lui ? J’avais cherché plus d’une fois.


- Des gens trop intelligents, poursuivis-je. 


L’espace d’une seconde, mon interlocuteur eut l’air confus. Parlais-je de lui ou de Ruben ?

Il comprit rapidement que je ne les dissociais pas. J’avais comparé plus d’une fois Lysandre à Ruben : leur charisme, leur beauté, leur élocution et le contrôle qu’ils semblaient avoir sur tout. Je balayais ensuite provisoirement ces idées de jumelage, avant de les laisser remonter à la surface, puis s’effacer à nouveau. Et ça tournait en rond.

Mais depuis la révélation de la supercherie, ç’en était fini de l’intermittence. Peu importe leurs similitude et leurs divergences, Ruben et Lysandre n’étaient désormais plus seulement liés par ce qui pouvait s’apparenter à des qualités, mais par la supercherie dont ils étaient complices.


- T’étais au courant, murmurai-je.


Il se dégagea et ferma les yeux en se mordant la lèvre inférieure.


- J’ai essayé de le forcer à arrêter, se défendit-il. Et Rosa aussi.

- Vous pensiez pouvoir faire changer d’avis à Ruben ? raillai-je. Moi qui pensais que vous l’aviez plus ou moins cerné.


Je n’affichais aucun signe de colère. J’étais volontairement calme, voire même faussement joviale, pour déstabiliser mon interlocuteur.


- On avait conclu un marché avec lui, ajouta-t-il. Le premier qui réussirait à…

- À… ?


Lysandre passa son pouce sur sa lèvre en détournant le regard, comme s’il pesait le pour et le contre.


- C’est lui qui a réussi, esquiva-t-il. Je peux rien te dire sinon je vais foutre en l’air tout ce qu’il a fait. 

- Oh, c’est sympa, vous travaillez en équipe, souris-je.

- Aurore, j’ai tout fait pour…


Je l’interrompis en lui adressant un regard compatissant et en lui caressant la joue. Me parer du costume de la miséricorde n’effaça pas la culpabilité du garçon séraphique.


- Je donnerais cher pour pouvoir tout t’expliquer, mais je peux pas, maugréa-t-il.


Ce n’était pas vraiment convainquant, mais il avait l’air sincère. Pourtant, je refusais de le prendre en pitié, car les révélations de Castiel m’avaient fait comprendre à quel point cette ville était peuplée de bons acteurs.


- Lysandre ? claironna une voix depuis le couloir principal.


Cette voix était trop grave pour être celle de Rosa, et beaucoup trop féminine pour appartenir à Leigh. L’apostrophé poussa un soupir et s’engagea dans le salon, qui, malgré notre rangement nocturne, était à nouveau jonché de croquis et de chutes de tissus. J’avais seulement prévu de récupérer mes affaires et déguerpir, mais je ne pus m’empêcher de suivre Lysandre pour découvrir à qui appartenait ce timbre de femme fatale à la Anna Mouglalis.


- Chéri ? fit la voix en haussant le volume. Tu as vu mon paquet de Gauloises ?


Lysandre ramassa le paquet bleu, qui était à moitié dissimulé par un morceau de velours couleur rouille.


- Calme-toi, répondit-il, elles sont là tes clopes.


Une silhouette interminable émergea alors du couloir pour arriver sur le seuil du salon, couverte d’un fin peignoir de satin blanc. On devinait une poitrine discrète et un corps de brindille sous le tissus nonchalamment drapé. Sa peau était diaphane, ses yeux jaune de Naples, ses cheveux d’un ébène si profond qu’il en semblait bleu.

Malgré ses pieds-nus, cette fille surmontait Lysandre et son mètre quatre-vingt dix d’un demi-front. 


Il avait suffi que je m’éclipse quelques heures pour qu’il se dégote un plan cul à domicile.


- Eh ben tu t’embêtes pas, pensai-je à haute voix en dévisageant la bombe inconnue.


Elle acheva d’allumer sa cigarette avec son Zippo noir et leva les yeux pour constater ma présence.


- C’est elle la fameuse Dawn du défilé ? conclut-elle, sûrement par mes tatouages. Vous comptez lui mettre des talons hauts, j’espère, sinon les robes vont traîner par terre.


J’ouvris la bouche pour faire comprendre à cette mijaurée que je détestais que l’on parle de moi à la troisième personne alors que j’étais présente, mais Lysandre m’interrompit.


- C’est Aurore, la soeur de Dawn. Et figure-toi qu’elle aussi va défiler.

- Comment ça je vais défil…

- Aurore, me coupa-t-il, je te présente ma mère, Vicky.


Mes yeux s’écarquillaient à mesure qu’ils observaient l’inconnue en peignoir. Sa mère avait tout simplement l’air d’avoir l’âge de Leigh !


- J’ai 41 ans, répondit-elle comme si elle avait lu dans mes pensées.

- Et moi 47, ajouta une autre voix depuis l’entrée.


C’était une autre femme, beaucoup moins grande, avec des yeux noirs. Un carré long rouge cuivré encadrait son visage creusé aux pommettes saillantes ; on devinait entre les mèches, un brin ondulées, des créoles argentées. Une paire d’immenses lunettes de vue rondes à la fine monture de métal reposait sur son nez aquilin. Elle portait un énorme pull en vison noir Fendi, au-dessus d’une jupe crayon à motifs géométriques blancs et vert kaki. Mais ce que l’on remarquait immédiatement, c’était la paire de boots jaune moutarde aux talons en verre translucide, qui donnait l’impression qu’elle marchait en équilibre sur l’avant de ses pieds.


- Toi aussi, Leigh t’a appelée ? fit Lysandre en ayant l’air d’avoir repris espoir.

- J’ai appris à mes fils à ne jamais faire les choses à moitié, répondit-elle.


« Mes fils » ? 

Lysandre alla embrasser la nouvelle venue. Je sentis le regard jaune de la femme au peignoir posé sur moi pendant que je tentais de comprendre ce qui se passait.

Leigh, qui avait été recyclé en bagagiste, entra à son tour en tirant derrière lui deux énormes valises à roulettes sur lesquelles étaient posées trois bagages à main.

Il avait l’air à bout de nerfs et lâcha les valises sans se soucier qu’elles tiennent debout, puis posa ses yeux sur Lysandre, la femme au peignoir, puis sur moi-même. En voyant que j’allais demander qui était la nouvelle venue, Leigh s’énerva.


- C’est aussi notre mère, me dit-il sans respirer entre les mots. On a deux mères, vive le don de sperme, youhou ! 


Les parents de Leigh et Lysandre étaient donc un couple de lesbiennes. En tant que fille du duo singulier composé par un descendant de nazis et une enfant de la Shoah, je ne fus que légèrement étonnée par cette nouvelle. 


- Maintenant bougez tous vos culs et venez m’aider à finir ma collection ! Comme si on avait le temps de se faire des câlins de retrouvailles ! ROSAAAAA ! Elle est où celle-là encore…


On entendit Leigh piétiner le long du petit couloir, puis rejoindre le couloir principal qu’il longea en marmonnant, pour le voir finalement déboucher dans le salon où nous nous trouvions. Il avait ramassé toutes les chutes de tissus sur son chemin.


- Eh oh ! s’exaspéra-t-il en voyant que personne n’avait bougé. C’est fini la carrière de mannequin, maman, aujourd’hui c’est plus toi qui observes en attendant qu’on t’habille…


Il lança la pile de tissus dans les bras de sa mère en peignoir.


- … maintenant c’est toi qui m’aide à la conception !

- Mon job c’est de t’amener des mannequins en veillant à ce qu’elles ne mangent qu’une demi-amande par jour d’ici le défilé, répondit calmement la brune avec la clope au bec. Aujourd’hui, ce n’est, certes, peut-être plus mon job de défiler, mais je resterai toujours plus douée pour porter les créations que pour m’improviser couturière.

- Et tu « t’occupes des mannequins » en fumant une Gauloise après ton énième bain de la journée ? s’énerva Leigh.


Elle eut un sourire narquois et sortit une cigarette de son paquet, avant de la tendre à son fils.


- T’en veux une ? s’amusa-t-elle.


Leigh fulmina et se dirigea vers sa chambre pour réveiller Rosa, sans manquer de hurler comme un dératé.


- Il a raison, Vicky, lança l’autre femme en ramassant ses valises, il était parti pour faire un simple défilé de présentation et le voilà avec un show énorme à préparer. Alors, le temps que les couturières arrivent, tout le monde doit être mis à profit.

- Ça m’apprendra à engendrer des génies en herbe, soupira la dénommée Vicky en resserrant son peignoir. Je vais chercher le balai.


Quelles couturières ? J’avais cru comprendre que Leigh et Rosa avaient toujours cousu seuls. Lysandre leva les yeux au ciel pendant que sa mère n°1 s’éclipsait.


- Sa désinvolture ne fait pas bon ménage avec un Leigh à bout de nerfs, lâcha-t-il. Au fait maman, je te présente Aurore, elle tient le blog de mode avec Rosa et elle va défiler elle aussi.

- Et elle l’a appris il y a tout juste dix minute, complétai-je en saluant la maman n°2.

- Diana, fit-elle. Je ne me rappelle pas t’avoir croisée en me présentant au début de l’année scolaire.

- En vous présentant ? répétai-je en fronçant les sourcils.


Les parents d’élèves devaient se présenter au début de l’année, au lycée Sweet Amoris ?


- Toi, tu es arrivée en cours d’année, conclut-elle dans un rire. Vicky et moi avons passé un accord avec Mme Shapiro : on est en quelques sortes les sponsors de votre lycée. On a expliqué aux élèves en début de trimestre en quoi consiste ce marché.

- Vous vendez des manuels de philo ? me hasardai-je.


Diana allait me répondre, mais elle s’interrompit en entendant Lysandre soupirer.


- Elle vend des mannequins, fit-il à sa place.


Le garçon séraphique se dirigea vers le porte-manteau et attrapa sa veste Harrington.


- Je vais répéter chez Castiel, annonça-t-il.


Diana avait suivi son fils du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière la porte d’entrée. Elle leva un sourcil suspicieux puis revint à moi.


- Il est amoureux de toi, conclut-elle. Aucun doute.


Elle me lançait ça comme si elle me disait « il est complètement esquinté en ce moment ». 

Diana avait compris en un seul regard que Lysandre était rebuté par l’idée de se dévoiler à moi.

« Amoureux de moi ». 

C’est donc ça, être amoureux d’Aurore ? C’est jouer dans l’ombre et jouer tout court, se faire psychiatre, perdre la partie, puis prendre sa veste et partir ? C’est s’énerver, fabuler, monologuer à la piscine pour expliquer qu’on va s’éloigner, puis coucher avec Ambre ? 

Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même : avec des attentes aussi hautes, la déception aurait de toute manière été ma seule recette, et l’amertume mon unique pourboire. Réfléchir sur le long terme avait été ma plus belle connerie. J’étais faite pour l’immédiat, l’éphémère, la pluralité du libertinage. Quel était l’intérêt de me brider et de faire de mes secrets des énigmes auxquelles seules une poignée de personnes auraient eu le droit d’accéder ? Pourquoi avais-je voulu avoir confiance en Lysandre pour me dévoiler à lui ? Je me faisais agoniser ! J’espérais qu’il eût pu être une exception, j’attendais le bon moment pour me mettre à nue « sans whisky ni absinthe ». Et je pensais ainsi bêtement atteindre une forme de libération de mes démons. Mais c’était un leurre. Je m’étais mis la corde au cou le jour où s’était mise à germer dans mon crâne l’idée stupide que j’eus pu faire de Lysandre le privilégié. À la seconde où Castiel m’avait annoncé que Ruben s’était fait scénariste de ma vie, j’avais eu une décharge électrique. Les kilos de cocaïne que j’avais aspirés le long de mes années sulfureuses étaient revenus se fixer sur mes neurones dopaminergiques. Je m’étais mise à réfléchir plus vite que jamais. Les réponses à mes questions m’étaient venues en tête avant même que les interrogations ne se fussent formées dans mon esprit. La soirée de Nath ? Ruben était au courant et avait sommé Castiel de s’y incruster. Ce dernier était donc allé tout lui raconter : comment j’avais parlé des origines de mes parents, l’intérêt que me témoignaient Kentin, Nathaniel et Armin, le coup de fil de Dawn, qu’il avait à tous les coups écouté à mon insu. Le journal du lycée ? Ruben était au parfum de tout ce qui se disait sur moi, et il avait à coup sûr obtenu par Castiel un exemplaire de chaque hebdomadaire avant même mon arrivée en ville. Sa disparition soudaine du blog ? Dawn elle-même ne savait ni où il était ni pourquoi il avait disparu. Il avait fait tout ça pour faire parler de lui et revenir dans les médias. Il voulait s’assurer que j’entende son nom à la radio, et il avait dit à Castiel de me prévenir par message de sa soudaine réapparition médiatique. Le blog de mode avec Rosalya ? Il savait que j’avais recommencé à poser. Le rapprochement inattendu entre Castiel et Armin ? Certainement une idée de Ruben pour en savoir plus sur lui. Ma rentrée défoncée ? Mes quelques cuites ? Le joint de devant le lycée ? La clope que je lui avais piquée ? Castiel avait tout répété à son employeur. 

Et pendant ce temps, Lysandre et Rosalya savaient. Lysandre avait été mis au courant de la supercherie dès sa rencontre avec Ruben. Aucun doute là-dessus. Ruben n’allait pas risquer de voir son plan compromis par celui qui était bel et bien son alter-ego. Il avait réussi à obtenir le silence de Lysandre. Lysandre était le témoin de tout ce que je détestais, le spectateur de l’usage par Ruben du droit que sa seule naissance lui avait donné sur ma soeur et moi-même : le droit d’être l’élément perturbateur, le trublion de nos vies. Le droit d’être le marionnettiste, le chef d’orchestre, le metteur en scène. Pourquoi qualifier ce fait de droit ? Parce que Dawn et moi avions grandi entre ses mains joueuses, et que malgré l’acerbité que cela nous conférait, nous étions irrémédiablement, irrévocablement et indéniablement certaines que Ruben nous aimait de manière viscérale. Cela ne signifiait pas que j’avais passé l’éponge sur le petit jeu de ce dernier. Au contraire : Ruben n’avait jamais aussi bien porté son fameux surnom « d’enfoiré ». Cette découverte m’avait simplement donné un déclic et m’avait fait prendre conscience que j’en avais tout simplement ras-le-bol. Je n’allais pas bouder Lysandre ni Rosa, je n’allais rien raconter à Dawn, ni tenter d’éviter Castiel. J’allais simplement faire exactement ce que mes instincts me dictaient de faire, sans laisser parler ce cerveau qui m’avait tant tiraillée. J’allais redevenir la Aurore Kruger aversive à l’exclusivité, et peu importe la douleur qui emplissait mon flanc droit : j’allais la combattre par l’exhibition. Mais mes résolutions étaient fraîches, et mon stoïcisme envers Lysandre avait été bousculé dès que Diana avait prononcé les mots qu’Alexy avait employés au sujet d’Armin. Être amoureux d’Aurore, ça devrait être interdit. Je clignai frénétiquement des yeux, puis me repris rapidement et décidai de clore prématurément le sujet.


- Si j’ai bien compris, bifurquai-je, vous vendez des mannequins ?

- Je n’aime pas forcer la main à Lysandre, sourit Diana. Avec lui, tout vient à point à qui sait attendre.


Telle mère, tel fils. Diana Mogarra lisait elle aussi dans les pensées. 


- Moi qui en avais marre des gens intelligents, fis-je dans un rictus.


Elle s’avança pour ramasser quelques chutes de tissus non loin de moi. Avant qu’elle ait eu le temps de se redresser, ma robe tomba à mes pieds. Pour ma part, j’avais décidé que tout viendrait cru à qui croisait ma route.

Quand Diana se releva, elle survola mon flanc droit des yeux sans sourciller. Elle passa ensuite lancinamment sa main sur mes côtes tatouées et brûlées par endroits.


- Mirifique, commenta-t-elle en remontant ses lunettes sur son nez. »


On entendit du bruit dans le couloir. Rosa s’était réveillée, et Leigh ne s’était pas calmé. Diana partit dans leur direction. Je pris mes affaires et rentrai chez moi pour tenter de récupérer les heures de sommeil passées à prendre des photos pour le défilé.




***




« Après des mois, tu t’es enfin décidée à utiliser la carte. J’en déduis que Castiel a bien fait son boulot. D’ordinaire, je suis d’avis qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même… mais tout se passe tellement bien que je délèguerai plus souvent mes missions à des gigolos de Dawn. »


Avachie sur un banc devant le lycée, je relisais pour la quinzième fois ce maudit texto de Ruben. 

N’importe qui se serait demandé à quoi il jouait, pourquoi il se donnait tant de mal pour tout contrôler avec moi, mais je connaissais trop bien le personnage pour me poser ces questions sans réponses.


Toute la nuit, j’avais cogité. Je m’étais remémoré au détail près l’attitude de Rosa et Lysandre juste avant que Castiel me raconte tout son cinéma. Je ne savais pas exactement si Ruben leur avait parlé de ce plan, jusqu’à ce que Rosa m’envoie un « je dois t’expliquer, réponds, s’il te plaît », aux alentours de 3h du matin.

Les seules personnes à qui je m’étais ouverte depuis la mort de Rich s’étaient déguisées en psychologues et en piliers, mais ils n’étaient que des collaborateurs de Ruben. 

Mon téléphone vibra. Je soupirai en m’attendant à un autre message de Rosalya, mais…


« Tes jolies fesses vont s’aplatir si tu restes assise sur ce banc toute la journée. »


Je clignai frénétiquement des yeux. C’était Ruben.

Je le cherchai du regard, mais il n’y avait rien d’autre face à moi que des secondes qui crapotaient en attendant la sonnerie. Où était-il ?!

Je me levai et fis volte-face. Mon regard fut immédiatement attiré par les mouvements de Ruben, qui me faisait coucou depuis… le bureau de la directrice, au rez-de-chaussée du bâtiment.


La salle de torture de Mme Shapiro, où elle distribuait les heures de colle et triait les élèves selon les critères singuliers de Sweet Amoris pour décider de leur admission dans l’établissement, était dotée d’une grande vitre qui donnait sur l’extérieur du lycée. J’y avais été une seule fois : pour mon inscription. 

La directrice m’avait dit quand m’asseoir, quand parler, quand me taire, quand me lever, et quasiment quand respirer… Et monsieur se promenait tranquillement dans son bureau en envoyant des textos ?! 


Il fit un sourire en coin, puis je vis la porte d’entrée du bureau se refermer derrière notre meringue de dirlo. Elle invita le tyran à s’asseoir, avec un sourire que je ne lui avais jamais vu, et il s’exécuta docilement.

Qu’est-ce qu’il fichait ici ? Il n’allait quand même pas intégrer mon lycée à 20 ans en ayant déjà eu son bac quand il avait 14 ans ? Ou pire… devenir professeur ?!


À la seconde où la sonnerie retentit, je fumai la dernière latte de ma Gitanes et l’écrasai avec la plateforme de ma chaussure, avant de me ruer à l’intérieur du lycée.




***




« Aurore ?


Troisième fois que Rosalya m’appelait depuis l’entrée de notre salle de classe, alors que j’étais plantée devant le bureau de la directrice, oreille collée contre la porte pour tenter d’entendre quelque chose.

Troisième fois que je l’ignorais.


- Aurore ??? Qu’est-ce que tu fou…

- Mais merde, Rosa, craquai-je, j’entends rien à ce qu’ils disent ! Boucle-la un peu !


En entendant des chaises grincer à l’intérieur du bureau et des pas se rapprochant de moi, je me souvins que notre directrice était une peau de vache, et m’éloignai rapidement par instinct de survie.


- C’était un plaisiiiir, monsieur Montepagano, un plaisiiiir, minauda notre directrice en emboitant le pas à Ruben vers le couloir.


Ces mots attirèrent Rosalya, qui arriva à ma hauteur, à deux mètres du bureau de Mme Shapiro.


- Je chargerai Peggy d’écrire un article sur le sujet pour informer tout le lycée, poursuivit-elle.

- Inutile, mademoiselle, je m’occupe de faire un tour des classes de terminale pour les en mettre au fait de vive-voix.


Je grimaçai. Mme Shapiro gloussa comme une ado, et il me semblait même qu’elle était en train de rougir.


- Vous pouvez disposer, fit Ruben, je vais m’exécuter sans plus tarder.

- Au revoir, monsieur Montepaga…

- Ruben, corrigea-t-il en lui faisant un baise-main.


Rosa était consternée que Ruben ait réussi à charmer la sorcière alors qu’il venait de la congédier lui-même et de lui couper la parole. Bras croisés, j’étais pour ma part seulement dégoûtée par le baise-main. 

Ruben nous fit enfin face. Il salua Rosa et me sourit allègrement. Je me mordis la lèvre inférieure, à la fois effrayée car je ne savais pas ce qu’il préparait, et énervée par son insupportable présence.


- Tu l’as appelée « mademoiselle » ? lui chuchota Rosa alors qu’il passait à côté de nous. Mais elle a au moins 112 ans !

- Pourquoi faire de « mademoiselle » une fontaine de jouvence alors que Anne-Marie-Louise d’Orléans était un laideron ?

- … Hein ?


Ruben était le seul être humain à pouvoir placer le nom de la cousine de Louis XIV comme si de rien n’était dans une conversation.


- Il me semble que j’ai une annonce à faire à une certaine classe de terminale littéraire, déclara-t-il en entrant, mains dans les poches de son perfecto en daim, dans notre propre salle de cours.

- Génial, marmonnai-je en le suivant. »




***




« Désolé, j’ai été retenu, s’essouffla monsieur Faraize en s’installant à son bureau. Vous êtes un nouvel élève ?


Ruben, qui s’était assis sur le bord de l’estrade en lisant un exemplaire du journal du lycée, ne prit même pas la peine de se lever.


- Ruben Montepagano.

- Oh seigneur…


Le professeur se releva et repassa sa chemise froissée avec ses mains. 

Apparemment, les enseignants connaissaient tous le nom de Ruben et le traitaient comme l’ambassadeur d’une contrée richissime. C’était à moitié faux : Ruben était seulement richissime.


Toujours assis sur l’estrade, il continuait de lire tranquillement le journal de Peggy en y gribouillant de temps en temps des choses au fil de sa lecture.


À la fin de la page, il se décida à accorder son attention à monsieur Faraize, en lui adressant un sourire qui déstabilisa ce dernier.


- Vous ne faites pas l’appel ? lança-t-il.


Les pouffements de la classe furent à peine dissimulés.

Ruben décrédibilisait un professeur qui n’était même pas crédible d’ordinaire.


- Il me semble que tout le monde est là, bafouilla Faraize. T-tout le monde est là ?


Un mélange de « oui » et de « ouais » résonna dans l’assemblée.


- Radical, railla Ruben en se levant. 


Il posa le journal sur le bureau du prof.


- Qui est « Peggy » ? lança-t-il en écumant la salle des yeux.

- Une truie blonde en peluche aux yeux de velours, fit Pierre Barma en adressant à la rédactrice en chef un regard faussement charmé.

- Très mature, Barma.


Je roulai des yeux. En temps normal, elle l’aurait rembarré à coup de « la ferme, le clown », mais apparemment même Peggy voulait avoir l’air d’Elisabeth II devant Saint Montepagano.


- Okay, bon, Peggy, ta grand-mère voulait te laisser écrire un article sur l’événement mais, à ce que j’ai pu lire, l’information n’est de ton ressort que quand elle est précédée du préfixe « dé ».


Le visage de Peggy se décomposa à mesure qu’elle comprenait que Ruben venait de l’accuser de désinformation.

Tous les gens qui détestaient la journaliste, c’est-à-dire l’ensemble de la classe, s’esclaffèrent. En particulier les filles, dont la moitié n’avait sûrement pas compris la tournure de phrase typique à Ruben, mais qui devaient probablement le trouver assez gâté par la nature pour rire à chacun de ses mots.


- Alors je m’y colle, poursuivit Ruben. Vous savez certainement qu’un concert aura lieu sous peu, et que vous êtes tous obligés d’y aller. C’est très altruiste de la part de la direction de vouloir initier les lycéens à la musique, mais j’ai été informé de difficultés. Vous êtes beaucoup de futurs spectateurs, et tout le budget du lycée a certainement été dédié à la réalisation des coeurs en marbre rose de la banderole d’accueil du bâtiment, puisque l’administration n’a pas assez d’argent pour louer des locaux adéquats.


Épuisée par l’autre vague de gloussement de mes chers camarades, je ne pus m’empêcher d’intervenir.


- Et donc ? lançai-je en cachant mal mon agacement, tu vas faire un don au lycée, c’est ça ?

- En quelques sortes, Aurore.


Tout le monde se retourna sur moi, et j’entendis Ambre murmurer « ils se connaissent ? ».

Et merde.


- En réalité, j’ai pensé que…


Voyant que les murmures sur mon compte persistaient alors qu’il n’avait pas fini son annonce, Ruben éclaircit sa gorge et se mit à chanter à plein poumons.


- « Je voudrais un petit Ricard dans un verre à ballon, laissez moi le consommer avec modération. On va pas se disputer pour payer l’addition, je partirai pas sans boire la tour… ». C’est bon, vous êtes attentifs ?


Je plaquai ma main sur mon visage. Alors que Ruben m’avait l’air d’un guignol, il venait de passer aux yeux de tous pour un héros à l’humour révolutionnaire. Tout le monde affichait un sourire béat, sauf monsieur Faraize, qui avait l’air d’une jeune fille de seize ans sur le point de passer son premier entretien d’embauche.


- Rien de tel qu’une chanson paillarde pour réveiller les sudistes, fit-il.

- N-nous… nous sommes en plein milieu de la France, monsieur Montepagano, intervint timidement le prof.

- Je suis un enfoiré de parisien, monsieur Farniente, pour moi tout ce qui est sous Paris est au sud.

- A-ah d’accord.


« Monsieur Farniente »…


- Pour répondre aux derniers chuchotements, commença Ruben…


Il déboutonna sa chemise Vivienne Westwood, qui montait jusqu’en haut de son cou, et put nous exhiber son torse tatoué.


- Je suis le tatoueur d’Aurore.


Cette fois-ci, seulement quelques garçons hétérosexuels se tournèrent vers moi. Les filles et Alexy étaient bien trop occupés à mater cet abruti et son torse de rêve.

J’évitai soigneusement le regard d’Armin, qui avait à tous les coups été piqué au vif.


- Était, corrigeai-je.


Il m’adressa un sourire en coin, mais ne reboutonna pas sa chemise. Pour le coup, il allait l’avoir, son silence.


- Bon, j’imagine que vous avez un cours à suivre, donc je vais enfin pouvoir terminer ce que j’ai à dire. Je ne connais pas seulement Aurore, dans cette ville étrange, mais aussi Leigh Mogarra, le créateur de frère de Lysandre ici présent. Et j’ai décidé de collaborer avec Leigh pour le défilé qu’il va très bientôt présenter. Cela aura lieu au château de Vaux-le-Vicomte, le 15 décembre : autrement dit, bientôt. Pour les quiches en histoire-géo qui donneraient quotidiennement des sueurs froides à ce pauvre monsieur Farine…


Je plaquai une nouvelle fois ma main sur mon visage. On aurait dit que monsieur Faraize était à deux doigts de se pendre avec sa ceinture.


- C’est à quelques centaines de kilomètres, poursuivit Ruben. Et étant donné que ce château est immense, le concert aura également lieu là-bas.


Si les filles n’avaient pas été absorbées par le torse nu de Ruben, elles auraient probablement fait comme Pierre, Castiel, Nathaniel, ou encore Aaron, et se seraient réjouies. Moi, je fixais Ruben dans les yeux, et me demandais comment il faisait pour me suivre partout et se mêler de tout jusqu’à mes activités scolaires obligatoires.


Je m’imaginais aussi lui arracher les yeux avec son dermographe.

Attendez… il avait dit « au château de Vaux-le-Vicomte » ? C’était une blague ? Comment avait-il pu obtenir l’autorisation d’organiser un défilé de mode dans un édifice inscrit monument historique ? Il avait été imaginé par Nicolas Fouquet et André le Nôtre, c’était l’un des plus beaux châteaux de France. Ma chère voisine n’eut pas l’air de comprendre le prestige des futurs locaux.


- Attends, attends, attends, intervint Rosa à côté de moi. À des centaines de kilomètres ? T’aurais pas oublié un détail comme… m’avertir, par exemple ?!

- Surprise, railla Ruben.

- Mais Lag et Puiségur, ils sont au courant ?! suffoqua-t-elle. Oh mon dieu, oh mon dieu. Violette, évente-moi.


Assise à sa droite, Violette hésita et cru à une boutade, mais en voyant que Rosa était réellement mal en point, elle attrapa son carnet de liaison et s’exécuta. Je surpris Ruben pouffer. Il devait être fier de m’avoir envoyée dans un zoo pareil.

Enfoiré.


- Ne t’inquiète pas Rosa, Leigh te fera un briefing. Vous serez transportés par des cars : un par classe de terminale. 

- Des CARS ?! s’insurgea Li. Vous allez louer des cars usagés, et je vais monter dedans ?

- « Louer des cars usagés » ? répéta Ruben. Rappelez-lui mon nom, monsieur Far-West.

- R-ruben Montepagano, bégaya-t-il.


Satisfait, le tyran remercia Faraize par un signe de tête et regarda Li.


- Au fait, Mulan, tu peux me tutoyer, j’ai à peine 20 ans.


Castiel avait l’air particulièrement amusé par celui qui était censé lui offrir la main de ma nymphomane de soeur. J’eus un rictus.


- Vous resterez une semaine dans la région, attendu que madame Shapiro et moi nous sommes mis d’accord pour jouer les prolongations et vous organiser un séjour dans le merveilleux département de la Seine-et-Marne.


Évidemment, Ruben avait privilégié un château proche de Paris plutôt que l’Indre et Loire.


- Vous serez hébergés dans un hôtel où vous serez répartis par groupes de cinq, puisque je ne m’appelle pas Rothschild. Les groupes mêleront les différentes classes et seront mixtes.


N’importe quoi, Ruben aurait eu largement les moyens d’acheter un hôtel particulier à chacun des élèves du lycée s’il l’avait voulu.

En tout cas, les adolescents qu’étaient mes camarades ne manquèrent pas d’exprimer leur enthousiasme face à cette nouvelle.


- Calmez vos hormones, j’ai fait les groupes moi-même.


Oh non.

Il se tourna vers Faraize, qui sursauta.


- La directrice m’a signifié vous avoir confié la liste, lui rappela-t-il avec un sourire en coin.

- Euh… je l’ai… peut être… égarée.

- Je connais cette liste par coeur, de toute façon, fit Ruben. Alors… si ma mémoire est bonne, le premier groupe sera composé de Lysandre Mogarra, Armin Galienne, Alexy Galienne, Rosalya Kerr-Wilden et Aurore Kruger.

- QUOI ?!


Toutes les groupies des jumeaux et de Lysandre venaient de s’insurger, additionnées à Rosa, Alexy, Armin et moi-même. Sauf que nous étions les seuls… à nous être levés.


- C’est du favoritisme ! s’insurgea Charlotte.

- Tu veux provoquer un tsunami ?! me récriai-je.

- Et les autres listes ? fit Ambre, soucieuse de qui allait être avec Castiel.


Ruben reboutonna sa chemise et se dirigea vers la porte.


- Désolé, fit-il, trou de mémoire.


Ruben était venu dans l’unique but d’annoncer ça devant tout le monde. Le reste, il s’en moquait pas mal.

Il s’apprêta à sortir de la pièce, sous les protestations et les huées, mais il s’interrompit.


- Ah, j’oubliais. »


Il fit demi-tour et récupéra le journal qu’il avait laissé sur le bureau de monsieur Faraize, puis se dirigea vers moi et le posa sur ma table.


Pendant que Ruben désertait, j’ouvris l’hebdomadaire. 

Il avait entouré toutes les fois où mon nom avait été mentionné, et avait écrit en marge de la une : « Dans le prochain, il y en aura deux fois plus ».




***




Je vais le tuer.

Je vais le tuer, puis le tuer encore et puis…


« Salut Aurore, fit une petite voix au-dessus de moi.

- Sal… 


Je m’interrompis en relevant la tête. Je ne me rappelais pas du tout avoir déjà vu cette fille, pourtant son physique était loin d’être anodin : ses immenses yeux bleus étaient bien trop grands pour sa tête minuscule, ses oreilles légèrement décollées dépassaient de ses cheveux blonds lisses comme des tagliatelles, et sa silhouette frêle était vêtue d’une robe de lolita noire et blanche d’un goût plutôt hasardeux.


- On se connaît ?

- Oh ça non, miaula-t-elle. Je ne suis qu’en seconde. 


En seconde ?

Et si c’était encore une espionne de Ruben ?


- Comment tu connais mon nom ? l’interrogeai-je, suspicieuse.


La seconde pointa du doigt le journal que m’avait donné Ruben, coincé sous mon coude.


- T’es célèbre au lycée, me rappela-t-elle.

- À mon insu.


Elle sourit et me fixa sans parler, puis pinça les lèvres.

Elle voulait une photo, ou quoi ?


Quand je vis une foule d’autres secondes entrer, je compris. J’étais effectivement restée à ma place après la fin du cours d’histoire, appuyée sur mes avants-bras, à souhaiter la mort de Ruben. Et l’interclasse était terminé, une autre classe prenait le relai.


- Ah, c’est ta place, c’est ça ?


Elle hocha la tête, et je libérai le chantier.


- C’est quoi ton nom ?


J’avais demandé par gentillesse, mais j’allais à coup sûr oublier cette information à la seconde où elle m’aurait été donnée. Mon esprit était encore trop concentré sur la manière dont j’allais lapider Ruben. À croire que je devenais plus sociable quand j’avais des envies meurtrières.


- Nina, répondit-elle. 


Je ramassai mon sac et m’apprêtai à partir. Mais je croisai un regard bleu qui me stoppa. Armin était lui aussi resté à sa place pendant tout ce temps, et il me fixait avec dépit. 

Je ne me privai pas pour en faire de même.

Il devait être bien embêté, avec son plan qui consistait à m’éviter sous prétexte de me protéger de ses groupies.


Je soupirai en le voyant détourner le regard et se pencher vers son sac.


- Aurore, m’apostropha-t-il en me voyant tourner les talons. »


Je fis volte-face, subjuguée qu’il m’ait adressé la parole.

Il agita deux joint déjà roulés.




***




Armin et moi n’avions pas échangé un seul mot depuis qu’il m’avait fait comprendre que nous allions sécher l’anglais.

Adossés à la colline devant laquelle Capucine avait pris une photo équivoque de nous quelques semaines plus tôt, nous étions quasiment à la moitié de notre joint respectif.


« C’est toi qui lui as demandé de nous mettre tous les deux avec Lysandre ? lâcha-t-il.


Cette accusation me fit grimacer et me tourner vers lui d’un air outré. Pourquoi aurais-je fait quelque chose d’aussi stupide ?


- J’avais l’air d’être au courant, peut-être ? m’animai-je.

- Oh, ça va ! Je demandais seulement !


Je soufflai l’épaisse fumée en secouant la tête.


- T’es toujours aussi parano.

- Et toi t’as toujours tes règles, siffla-t-il.


Surréaliste. 

Après des semaines sans se parler, notre première conversation s’avérait être une chamaillerie. 

Je me surpris à sourire. Armin le vit, et je réprimai mon rictus, ce qui le fit sourire également. Quand je le vis à mon tour, il reprit une expression neutre.


- Je voulais que tu saches que ce que j’ai décidé n’a pas changé, déclara-t-il. On doit plus se parler, sinon t’es fichée.

- Je suis déjà fichée, regarde.


Je lui tendis le journal, et il vit tous les « Aurore », « Aurore Kruger » ou encore « Kruger » entourés en vert par Ruben.

Armin lu les gros titres.


- « Grève de la faim ». C’est positif : Peggy te fait peut-être passer pour une nympho qui se purge des mecs, mais au moins ça suggère que tu n’es plus une menace pour les groupies.


L’article racontait que je n’avais pas été vue avec un garçon autre que Alexy depuis plusieurs jours, et que Armin, Castiel et Lysandre ne m’avaient pas adressé un seul mot. Peggy était vraiment peu scrupuleuse : elle me voyait tous les lundis avec Lysandre pendant le club de journalisme. Aucun mensonge n’était assez gros pour lui permettre de crédibiliser ses dires.


- Mais je ne suis PAS une menace ! m’emportai-je.

- Aurore, tu t’es déjà regardée dans un miroir ? 


Je soupirai. Le lycée était peuplé uniquement de canons, et c’était son seul argument ?


- Tu peux me répliquer que je suis pas objectif, si tu veux, mais ouvre les yeux deux minutes, à part Rosalya qui est casée, je vois pas qui d’autre peut t’arriver à la cheville, et tu le sais.

- Ambre, peut-être ?


Sa mâchoire se crispa. 


- Dis-le. Dis-le, que t’as couché avec…

- Oui, j’ai couché avec elle, mais je l’ai fait pour toi, et ne commence pas à…


Je fus prise par un fou-rire. 

Pour moi ? « Pour moi » ?!


- Arrête de rire comme une hyène ! s’énerva Armin. J’avais pas le choix ! Tu crois que j’ai pris mon pied avec cette étoile de mer ? Mais arrête de rire ! J’ai dû fermer les yeux et penser à autre chose pendant tout l’acte pour ne pas avoir de panne tellement elle m’écoeurait.

- Tu sais quoi, Armin, t’as l’air de beaucoup tenir à ton plan à la con qui est censé me protéger, mais t’es surtout carrément incohérent.

- Mais arrête de…

- Coucher avec la pire des groupies va me protéger d’elle ? C’est ça que tu veux me dire ?


Il se mordit la langue et roula des yeux.


- Tu crois que tu fais tout ça pour moi, repris-je, mais t’as pas pensé une seule seconde à ce que je ressentais. Il faut que tu le ressentes toi aussi pour comprendre.

- Ne fais pas comme si nos sentiments respectifs étaient comparables.


Armin s’attendait à ce que je réagisse à la nouvelle par de l’indifférence ? Était-il passionné au point de m’en vouloir d’avoir montré une attirance pour un autre que lui, et me le faisait-il payer en m’imposant comme son bourreau ?


- Tu connais pas la teneur des miens, ripostai-je.

- Je sais pas faire plusieurs choses à la fois, Aurore. Quand j’aime une personne, je n’aime qu’elle, et je ne vois qu’elle. Toi pas. Tu partages ton attention, on dirait que tu te rationnes.


Il faisait clairement référence à Lysandre.


- Je suis désolé si cette histoire avec Ambre t’a fait prendre conscience de quelques miettes de sentiments pour moi, mais t’as pas le droit de me faire croire que tu ressens quoi que ce soit de similaire à ce que j’éprouve pour toi.

- Tu sais mieux que moi ce que je ressens, c’est certain, sifflai-je dans un rictus.


Il ne comprenait rien.

Certes, ses sentiments étaient très certainement plus forts que les miens, car il était sûr de ce qu’il voulait et moi pas. Mais il n’avait pas le droit de faire de lui la victime d’un amour non partagé. 

Je l’avais prévenu : la seule façon de le forcer à être empathique était de faire ressentir à Armin ce que j’avais ressenti moi-même.


- J’ai couché avec Dake, hier.


Cette fois-ci, la mâchoire d’Armin se crispa tellement qu’on aurait pu l’utiliser pour briser un roc.


- Tu vois, ajoutai-je en pointant son visage du doigt, c’est pour ça que t’es incohérent. Je me rappelle pas exactement tout ce que tu m’as dit ce matin-là à la piscine quand tu m’as fait tes adieux de martyr, mais je sais que tu m’as dit d’embrasser qui je veux, de coucher avec qui je veux, et que tu t’occuperais du reste. Comme si tout ce qui t’intéressait c’était ma survie dans ce lycée à la con que je quitterai après le bac, soit dans six mois ! Tu te mens, et tu me mens : tu oublies tes propres sentiments, et les miens par la même occasion. Alors si tu veux m’aider, protège-moi d’abord de tes instincts de garde du corps.


Armin me fixait sans froncer les sourcils ni afficher aucune colère. Seule sa mâchoire le trahissait. Marquée d’ordinaire, elle était devenue plus que saillante. 

Le joint était pendu à ses lèvres, et il aspirait sans le toucher. De longues bouffées qui donnaient au blanc de ses yeux un sous-ton de plus en plus rouge, et qui faisait ressortir ses iris comme si elles essayaient de caresser ses longs cils noirs. 


- C’était pas consenti, tout ça, lâchai-je. T’as pris ta décision tout seul, tu m’as laissée m’attacher à toi, et je m’attache jamais ! 


Il avait l’air de rire intérieurement, comme s’il ne me croyait pas, comme s’il se pensait personnage secondaire dans mon environnement. Il avait incliné la tête et plissé les yeux.

Ses yeux.


- Je le sais, que couper les ponts te fait souffrir. Ne fais pas semblant : Alexy s’est même incrusté chez Lysandre lundi soir pour me le dire et pour empêcher un rapprochement entre lui et moi.


Alors que je pensais que la mâchoire d’Armin ne pouvait pas se contracter davantage, je vis que j’avais tort. 

Et si le nom de Dake l’avait rendu muet, m’entendre prononcer celui de Lysandre lui avait contracté les poings. 


- C’est lui, alors, compris-je. Lysandre ? 

- Ce sera toujours lui, Ricky. T’es tombée dans un gouffre. Tu vois plus que lui, il t’obnubile.


J’eus un rire nerveux. Inutile de tenter de réfuter ce qu’il disait. Je devais prendre la chose à contre-courant.


- Je viens de me rendre compte que j’avais remarqué plus d’une fois les légères variations de tes yeux. Leur couleur habituelle est extrêmement claire, un mélange d’écume, de lavande et d’azurin, et surtout d’ivoire, quasiment blanc. Au soleil, elles tournent légèrement au vert, avec des minuscules explosions de jaune par-ci par-là. Mais elles restent bleues, pourtant tout le tour devient vert givré, comme si la chaleur du soleil glaçait l’extérieur de tes iris en pénétrant petit à petit le centre, mais ta pupille libère des filaments dorés, minuscules mais efficaces : ils sont assez nombreux pour estomper le vert si glacé. Mais je te l’ai dit, le bleu reste dominant, on ne voit que lui sans oublier le reste. C’est un bazar organisé, en quelques sortes. Mais ça, c’est seulement quand il y a du soleil, et je sais que t’aimes pas le soleil, alors c’est très rare. À vrai dire, je les ai vus qu’une seule fois, ces yeux-là, et j’ai seulement eu à les fixer une seconde pour mémoriser chaque nuance. Pourtant, il paraît que j’ai une mémoire de poisson clown. Et celle que j’ai vu le plus, celle que t’avais tout le temps, récemment, c’est cette couleur indescriptible que j’ai peur de caricaturer parce que ce serait calomnieux. Tu l’arbores en ce moment même : et les deux couleurs dominantes sont le bleu pétrole et le blanc. Encore ce blanc. Ce blanc qui contraste avec l’ébène de tes pupilles. Et en guise de jonction entre porcelaine et pétrole, un peu de turquoise qui s’évanouit vers ton azurin habituel. Cette couleur, ou plutôt ces couleurs, c’est celles que tes yeux ont quand tu es énervé. Et pas une seule fois, Armin, pas une seule fois depuis que tu as décrété que toi et moi on serait étrangers, j’ai vu tes yeux autrement que pétrole, turquoise, blanc et azurin. Les rares fois où je te croisais dans les couloirs, tes yeux étaient couleur énervé. Alors ose me dire que je fabule, ose me dire que t’es pas contrarié depuis des semaines par ta propre décision.


Armin avait graduellement décrispé sa mâchoire à mesure que j’avais parlé. Elle s’était complètement détendue. J’aurais également pu lui faire une description exhaustive de cette partie de son visage, mais mon joint s’était éteint, et je devais le rallumer.


- Tu vois, repris-je, Ruben m’a vue naître et mourir, et aujourd’hui il me voit survivre en essayant de me faire renaître. Je t’expliquerai peut-être ma mort, un jour, ou bien je te montrerai : elle est sur mon flanc droit. Mais sache seulement que j’ai jamais autant observé quelqu’un sans le faire exprès, hormis cinq personnes : un certain Richard Montepagano, Ruben, Dawn, Lysandre et toi. Alors je vais pas te mentir : Lysandre me fait de l’effet, un effet monstre d’ailleurs. Mais il a été impliqué dans une histoire qui a carrément chamboulé ce que j’éprouvais. J’ai eu des dizaines de chances de sauter le pas avec lui durant les dernières quarante-huit heures, mais je pouvais pas. À cause de toi.


La mâchoire se crispa encore, puis se détendit.


- Pourquoi tu fais ça, Aurore ? souffla Armin.

- J’ai pas arrêté de penser à tes yeux et toi, et ça a donné lieu à une guerre civile qui m’a explosé le cerveau. Encore plus que les taz de MD, les rails de coke, les champignons et les doses d’exta que j’ai pris depuis mes treize ans. Et j’ai pris beaucoup, beaucoup de tous ces trucs depuis mes treize ans. Tu m’as défoncé le crâne pendant que Rich défonçait mon flanc.


Mes mots décrispaient peut-être Armin physiquement, mais ils le contorsionnaient intérieurement. Je compris alors comment il avait tenu toutes ces semaines : il se donnait l’illusion que ses sentiments n’étaient pas réciproques pour pouvoir continuer de m’ignorer, et, peut-être, m’oublier.


- Tu vas faire comment pour jouer les étrangers, maintenant que tu sais que tu me hantes sans arrêt ?

- Arrête, fit-il.

- Non.


Je me levai alors et ramassai mon sac. Le joint était terminé, et je sortis une cigarette que j’allumai. Me voir fumer n’étonna même pas Armin avec toutes les révélations que je venais de lui faire.


- Ruben a peut-être fait quelque chose d’arrangeant, pour une fois, déclarai-je. 

- Un triangle amoureux dans une chambre d’hôtel pendant une semaine, avec deux entremetteurs aux aguets en plus de ça. T’as raison, chapeau bas, « Ruben ».

- Au moins, ça t’empêchera de te défiler. Ou de coucher avec Ambre.


Sentant que mon oeil droit devenait humide, je détournai la tête et respirai lentement pour calmer mes nerfs.

J’entendis Armin prendre une grande inspiration.


- Ambre va répéter à Peggy ce qui s’est passé entre nous, m’annonça-t-il. Et je vais confirmer.


Cette fois, je le regardai droit dans les yeux, sans me soucier qu’une larme puisse couler ou pas sur ma joue.


- C’est pour ça que tu t’es tapé Ambre ?! Pour qu’elle aille le répéter à Peggy et qu’elle devienne la légende du lycée parce qu’elle a atterri dans ton lit comme à peu près la moitié de la ville ? C’est ça que ton frère n’a pas voulu m’annoncer lui-même chez les Mogarra ?

- Elle sera au centre de l’attention et elle t’oubliera provisoirement ! C’est comme ça que ça marche ici, merde !


Il se leva pour être à ma hauteur, mais il me dépassait d’une demi-tête alors que je portais des talons hauts.


- Il fallait te taper Violette si tu voulais que ce soit épique et qu’on n’en parle pas que provisoirement, comme tu dis, sifflai-je. Et maintenant que Ruben est venu faire son numéro au lycée et a fait croire à toutes les filles de la classe qu’il me faisait un traitement de faveur, en prenant soin de spécifier que je le connaissais, il va marcher, ton plan ? Tu pensais qu’il n’y aurait aucune embûche ? 

- Ambre est la plus dangereuse ! Tu la connais pas, Aurore ! Elle est vingt fois plus intelligente que cet intello de Nathaniel. Elle trouve tes points faibles et elle les titille tout doucement, jusqu’à ce que tu sois à bout, et puis elle tire d’un coup et elle te casse en deux ! 

- Ambre est une sainte à côté de Libby Vanderbilt.


Armin eut un rire nerveux et me dévisagea en secouant la tête. Que savait-il de Libby ? Il m’avait avoué ne pas la porter dans son coeur, mais Armin n’aimait pas beaucoup de monde. Pensait-il que je la méprisais pour des raisons assez futiles pour qu’elle puisse apparaître comme une simple peste de couloirs d’école ?


- Libby Vanderbilt n’a jamais bousillé la vie de quinze lycéennes et poussé l’une d’entre elles au suicide de sang-froid, fit-il.


Je levai la tête vers Armin, plongeant ma main dans ses cheveux pour rapprocher nos visage, et plantai mes yeux dans les siens comme l’ancre d’un asphaltier dans des abysses. 


- Libby Vanderbilt a tué Richard Montepagano, murmurai-je. Je n’ai plus rien à perdre.


Je lâchais Armin et reculai légèrement tout en observant son visage se décomposer et passer d’une colère se voulant instructrice à une déconcertation déconfite.


Je ramassai mon sac et attendis qu’il reprenne ses esprits pour lui jeter un regard significatif avant de courir vers le lycée. Il venait de comprendre que je m’apprêtais à faire quelque chose qui illustrerait mes derniers mots.


- C’est pas vrai, fulmina-t-il en se lançant à ma poursuite. Aurore ! »




***




Jeudi 3 décembre, 11h50. 

Couloir principal du lycée. 

Bondé de monde.

J’avance d’un pas quasi-mécanique. C’est comme si mes Jeffrey Campbell, malgré leurs douze centimètres, rendaient ma démarche et mon chemin évidents, et me faisaient esquiver les obstacles.

J’ai réussi à semer Armin grâce aux premières S qui se sont attroupées dans l’entrée pour avoir des frites au réfectoire.

J’ai un seul but, et il se trouve au bout du couloir. Couloir plein de lycéens et professeurs divers et variés auxquels je n’aurais, jadis, pas prêté la moindre attention. 

Désormais, je suis dotée d’un scanner qui classe chaque individu dans l’une des deux cases suivantes : « complice de Ruben », « étranger à Ruben ».

Les premiers me sont hostiles, les seconds sans intérêt.



Cible atteinte.



« Qu’est-ce que tu veux, Kruger ? fit Peggy en ne levant pas les yeux du torchon qu’elle écrivait, adossée à son casier.


Je lui subtilisai son bloc-note, ce qui ne manqua pas de la faire geindre, puis je l’empoignai par le bras et l’entraînai avec moi vers ma seconde mire.


- Mais t’es complètement cinglée ? brailla-t-elle en essayant de récupérer son bien. Lâche-moi tout de suite !

- Oh, la ferme et sors ton appareil photo.


Comprenant que j’avais quelque chose à lui montrer, Peggy s’exécuta et obéi à son instinct de connasse ambulante… enfin, je veux dire, de reporter.


Si je suivais le raisonnement d’Armin, faire de Ambre « celle qui a officiellement couché avec l’un des sex symbol de Sweet Amoris » était censé me soustraire de sa liste noire, et faire à nouveau d’elle le personnage principal de la rubrique people du journal du lycée. Il voulait que je me fasse oublier, en somme.

Ça n’allait pas se passer comme ça.


- Hey, Ambre, l’apostrophai-je alors qu’elle piaillait avec cette idiote de Charlotte à, deux pas de mon casier.


Elle m’adressa un regard dédaigneux en passant sa main dans ses boucles blondes.


Castiel fouillait nonchalamment dans le capharnaüm qui lui servait de casier, ou plutôt d’étui pour sa guitare, son ampli et quelques vêtements roulés en boule. Il en sortit sa veste en cuir noire, et navigua sur son téléphone sans remarquer le silence de mort qui régnait dans le couloir.

Personne n’en manquait une miette.


J’attendis d’apercevoir Armin, qui venait d’atteindre le milieu de la foule de lycéens, pour tapoter l’épaule de Castiel, qui fit volte-face. 

Lysandre, qui venait de sortir de la salle de classe attenante, posa ses yeux sur moi, puis sur son meilleur ami, et fronça les sourcils en esquissant un mouvement de protestation. 


Devant le flash du Nikon de Peggy, j’embrassai impétueusement le seul ex petit-ami de ma soeur.




***




« Dawn ?

- Oui, la naine ?

- Tu connais l’adresse actuelle de Ruben ?


Elle me jeta un regard curieux. Comme si Ruben avait déjà eu une adresse.


- Tu veux lui envoyer des fleurs ? railla-t-elle en s’approchant de mon ordinateur.

- Plus précisément, six combinaisons en latex, soixante-quinze tubes de lubrifiant, une perruque blonde en fils synthétiques et un maillot de bain Borat. 


Dawn se pencha en avant et s’appuya sur mon bureau, lâchant les pans de son déshabillé en satin noir sous lequel elle n’avait qu’un body transparent. 


- « Minous et gourgandines », lu-t-elle dans un rictus. Où tu vas chercher des sites comme ça ?

- Ta lingerie m’inspire.

- Cette semaine, il est censé rester en ville. Choisis la livraison rapide si tu veux pas le louper avant qu’il embarque encore une fois pour l’autre bout du continent.


Ruben devait certainement loger dans un hôtel. J’allais lui demander duquel il s’agissait, mais Dawn remarqua la carte de crédit posée à côté de ma main.

Elle s’en empara et se mit à l’observer. Cette carte était totalement transparente, avec seulement les quelques chiffres importants écrits en bleu nuit. Aucun doute, c’était bien la American Express Cristal Reign que Ruben avait offert à chacune d’entre nous, et sur laquelle il avait procuration totale. Il l’avait créée lui-même exprès pour Dawn, Rich et moi-même. Ainsi, nous étions seulement trois dans le monde à l’avoir eue en notre possession. Ruben savait que la drogue et l’alcool coûtaient cher, et que bon nombre d’accros finissaient par voler à leurs parents pour financer leurs addiction. Il avait donc décidé que, puisqu’il nous avait fait plonger là-dedans, il était le seul responsable de nos dépenses aussi sulfureuses qu’elles fussent. Je n’avais plus utilisé cette carte bancaire depuis la mort de Rich, et Dawn et Ruben le savaient très bien puisque ce dernier pouvait voir la totalité des transactions bancaires que je menais à terme.

Inutile de décrire la surprise de ma soeur lorsqu’elle comprit que j’avais décidé de m’en servir à nouveau. 


- Qu’est-ce qui s’est passé ? me demanda-t-elle.


Je me tournai vers elle et lui adressai un regard aussi neutre que possible. Ce n’était certainement pas moi qui allais lui annoncer que Ruben avait fait d’elle un appât pour Castiel et de moi un sujet d’étude.


- Tu me manques, Svetlana ! râla une voix bourrue depuis la chambre de ma soeur.

- « Svetlana », pouffai-je.


Dawn laissa tomber son déshabillé sur le sol et prit le pire accent russe qui soit.


- On verra ça plus tard, fit-elle. Ajoute à ta commande une poire à lavement de ma part. J’ai un bortsch solianka à déguster dans mon isba.


Je secouai la tête et revins à ma commande après qu’elle soit allée rejoindre son coup du soir. 

Cigarette en bouche, j’insérai le numéro de portable de Ruben, sélectionnai un point-relai, et cliquai sur le bouton « commander ».


La sonnette retentit. Dawn n’avait quand même pas prévu de plan à trois ?

En entendant les onomatopées équivoques de ma soeur et de son bortsch, je compris qu’il ne restait que moi pour aller ouvrir.


- … Viktor ?


Je tirai de aussitôt sur le bas du pull que je portais sans rien dessous, pour tenter de cacher autant de peau que possible. Qu’est-ce que le cousin de Ruben fichait à Sweet Amoris ?


- Toujours aussi sexy, me salua-t-il.

- Viktor Talba a du temps pour jouer les touristes en province, maintenant ? répondis-je.


C’était physique, je ne pouvais pas blairer ce mec. Tout ce qui comptait pour lui, c’était doubler chaque année les gains de la société qu’il avait hérité de son oncle, le père biologique de Ruben. Et pour atteindre ses objectifs, il n’avait jamais eu de scrupules.


- Viktor Talba n’est malheureusement pas le seul actionnaire de l’entreprise qui porte son nom, reprit-il en parlant de lui-même à la troisième personne.

- Entreprise qui ne porte que ton nom de famille, corrigeai-je en m’écartant à contre-coeur pour le laisser entrer.

- Ruben m’a informé d’une nouvelle combine des Vanderbilt pour vous pourrir la vie à Dawn et toi. Apparemment Agatha a déguerpi à Bruxelles ?


Il s’avança dans le hall et se mit à tripoter une statuette cubiste posée sur le meuble TV.


- J’avoue que je n’ai jamais compris pourquoi Libby met tant d’énergie à détester deux provinciales.


Dit-il alors qu’il est né à Valenciennes.


- Je n’ai pas trop de temps à perdre, alors pourrais-tu dire à ta soeur de faire une pause et de descendre ?


On entendait d’en bas le lit de Dawn grincer sous le poids de ses ébats avec son plan cul du soir, malgré la musique que j’avais mise à fond dans la chaîne Hi-Fi. 


- DAAAAWN ? l’appelai-je. Le père fouettard veut te voir.


Les grincements s’arrêtèrent et on entendit ma soeur pester. La porte de sa chambre s’ouvrit au bout de quelques secondes, laissant apparaître sa chevelure blond cendré en bataille, et surtout son corps complètement nu sous son déshabillé en satin.


- Ruben, ça peut pas attendre, pour une… AAAH !!!


Elle se rua à l’intérieur de sa chambre en découvrant que c’était Viktor qui me tenait compagnie.


- Alors comme ça elle devient pudique ? railla-t-il.

- Même Dawn est assez raisonnable pour avoir fait de toi l’exception à ses habitudes exhibitionnistes.


Ma soeur et moi connaissions les tendances perverses du cousin de Ruben depuis le début de notre puberté.


- Tu peux éteindre cette horreur ? maugréa-t-il en pointant du doigt les enceintes qui diffusaient Smoke On The Water de Deep Purple.

- Tu me donnes combien ? lançai-je en m’éloignant vers la chaine Hi-Fi.


Viktor roula des yeux. Il pensait que j’allais oublier cette fois où il m’avait proposé de l’argent si je passais dans son lit ? Quand Ruben l’avait su, il s’était empressé d’utiliser ses parts de l’empire Talba pour les investir dans une micro-entreprise qui vendait des cerf-volants. Il avait ainsi fait perdre des millions à la société, uniquement pour faire rager Viktor qui ne vivait que pour l’argent.


- Bon, Aurore, qu’est-ce que Satan fiche ici ? lança Dawn en dévalant les escaliers.


Elle avait enfilé un trench qui descendait jusqu’à ses chevilles.


- Tu n’aurais pas dû le ceinturer, railla Viktor. 

- T’es vraiment qu’un vicelard.


Avec sa taille de guêpe, sa chute de rein et sa poitrine généreuse, Dawn se serait faite mater même en portant un tchador iranien.

Je baissai le volume de la musique assez pour pouvoir entendre Viktor, mais laissai tout juste assez fort pour le torturer avec du rock’n’roll.


- Vous savez les filles, ça me chagrine que vous me traitiez comme ça alors que je m’apprête à faire une bonne action, pleurnicha-t-il.

- Tu vas t’exiler ? fit ma soeur.

- Je vais rapatrier Agatha, corrigea-t-il.


Agatha ? J’avais quasiment oublié l’existence de ma tante, que Libby avait envoyé en Belgique, alors que je vivais dans son propre loft.


- Si tu comptes convaincre Vanderbilt de revenir sur sa décision, je doute que lui demander poliment suffise.

- Aurore chérie, tu m’as pris pour un amateur ? geignit-il. Agatha va démissionner de Vanderbilt pour rejoindre la belle famille Talba.


Tante Agatha était manager de design stratégique, et elle gagnait un salaire astronomique. Comme si Viktor allait employer un nouveau manager alors qu’il avait déjà les meilleurs sous la main et qu’il s’adonnait régulièrement à des vagues de licenciements pour faire du bénéfice.


- Ruben t’a soudoyé ? suspecta Dawn qui avait certainement eu le même raisonnement que moi.

- Évidemment. Mais en différé. 


Ruben nous avait prévenues qu’il avait un plan pour faire revenir Agatha et libérer Dawn de son obligation de me servir de baby-sitter. Cette dernière alla d’ailleurs s’installer sur un fauteuil et ouvrit la petite boîte posée au centre de la table basse. Elle en sortit un post-it et un sachet en plastique contenant une poudre blanche que je connaissais bien.


- Vous n’avez pas changé, les junkies, lança Viktor en observant d’un air moqueur ma soeur rouler le post-it en tube pour prendre une trace de cocaïne.


Je roulai des yeux. 


- Bon, t’accouches ? m’impatientai-je.

- Il paraît qu’il y a un gros défilé de mode qui va avoir lieu sous peu, fit Viktor en allant s’installer dans un canapé sans y avoir été invité.

- C’est pas vrai… maugréai-je.


Ce défilé commençait à me courir. Non seulement j’allais devoir faire chambre commune avec Lysandre et Armin, défiler devant les ignobles lycéens que je me coltinais tous les jours et aider aux préparations, ce qui impliquait certainement d’autres nuits blanches, mais en plus Viktor était au parfum et risquait de ramener sa fraise lui aussi ?


- Ruben m’a assuré une part des recettes, expliqua-t-il. Et elles risquent d’être pharaoniques.

- C’est simplement le défilé qu’un ami organise pour se lancer dans la haute couture, redescends sur terr…

- Lag et Puiségur seront au premier rang, entre autres, et les plus grands magazines de mode vont couvrir l’événement. À la fin, il y aura une vente privée pour le prêt-à-porter et des enchères pour la haute-couture et la lingerie. Sans parler de Romy agency, qui a investit gros dans cet événement et qui va à coup sûr rameuter Carine Roitfeld et Caroline de Maigret.


Je ne pus m’empêcher d’ouvrir la bouche, et Dawn eut un léger hoquet. Comment se faisait-il que Viktor avait eu plus d’informations que nous sur le défilé alors que nous y participions ?


- Romy agency ? répétai-je en détournant les yeux pour réfléchir.


Ce nom me disait vaguement quelque chose.


- Diana et Vicky Mogarra sont des génies de la com’, fit-il en sortant une cigarette de son sac cartable. 


Cette fois ce fus moi qui eus un hoquet. L’image du livre intitulé « Romy », que j’avais vu dans le couloir des Mogarra, me revint aussitôt en tête.


- Leur mariage a été un événement, s’amusa-t-il en me voyant éberluée. Tu n’as donc pas vu la couverture du Vogue pour laquelle elles ont posé ensemble en 2013 ?

- Viktor, je te hais.

- Je sais, Aurore.

- Mais là on va faire une exception. Tu vas tout m’expliquer sur l’organisation de ce fichu défilé. »




***




« Hiiiiiiiiiiiiii !!!

- Alexy !

- Hiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!

- Alexy !!

- Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii….

- ALEXY !!!!!


L’hystérique aux cheveux cyan se stoppa net et croisa les bras en me fusillant du regard.


- T’es pas normale, comme fille, fit-il. Tu vas défiler devant Lag et Puiségur, Chiara Ferragni et Caroline de Maigret, et tu restes calmes ?!

- J’ai pas fini.


Il s’installa à mes côtés sur le canapé en toile de son salon, avec un regard qui indiquait qu’il buvait désormais mes paroles.


- Tu connais les deux mamans de Lysandre et Leigh, je suppose ?

- Bien sûr, ce sont mes modèles de vie.

- Elles vous ont fait un speech au début de l’année, apparemment, lui rappelai-je. D’après Diana, elles sponsorisent le lycée. Qu’est-ce qu’elles ont dit exactement ?


Alex me regarda bizarrement, puis eut l’air de s’être enfin souvenu que je n’étais arrivée qu’en octobre.


- Alors, commença-t-il, Rosa t’a expliqué que Mme Shapiro ne choisit que des élèves beaux comme des dieux pour intégrer L.S.A ?


Il m’avait fallu un temps d’adaptation pour m’habituer à entendre les abréviations de « Lycée Sweet Amoris ». Il paraît que c’était plus commode, pour ne pas confondre le lycée avec le nom de notre ville… « Sweet Amoris ».


- Elle ne fait pas ça par hasard, elle veut avoir les meilleurs scores d’insertion professionnelle en garantissant à ses élèves une carrière dans le cinéma, la mode ou…

- Ou le porno ? raillai-je.

- Ne te moque pas, il paraît que c’est déjà arrivé.


Je fis une grimace.


- Romy agency est une énorme agence de mannequins et…

- Et elle a conclu un contrat avec le lycée pour engager les élèves qui ont le profil mannequin après leur bac, devinai-je.


C’était donc pour ça que ni Lysandre ni Rosa ne m’avait jamais parlé de ce « détail ». Lysandre était à tous les coups dépité que ses parents participent au manège de notre directrice, et Rosa avait préféré rester muette là-dessus pour ne pas contrarier son beau-frère en m’avouant qu’il était le fils des sponsors de L.S.A.


- C’est vraiment bizarre, concéda Alexy, je crois que Shapiro a envie de vivre par procuration un vieux rêve de mannequinat corrompu par son mètre vingt et ses cent-dix kilos… Mais bon, au moins ça ramène de l’effectif à l’industrie de la mode, et ça crée des emplois.

- D’après le cousin de Ruben, Romy agency va prêter ses mannequins stars à Leigh, ce défilé va être un phénomène.


J’avais l’impression d’avoir quitté le système scolaire et d’avoir été enrôlée de gré ou de force dans l’armée en talons aiguilles de Leigh Mogarra.


- T’as pas l’air enchantée d’être sous les feux des projecteurs, remarqua Alexy.

- J’ai rien fait pour, c’est Ruben, à tous les coups.

- Faudra que tu m’expliques qui c’est, ce mec, un de ces jours.


Alex s’empara de mon paquet de Gitanes et en sortit une comme s’il avait toujours fait ça. Sauf qu’il n’était fumeur que depuis quelques jours, et que passer des Vogue à mes cigarettes n’était pas une très bonne idée : il eut une quinte de toux au bout d’une demi-taffe.


- Mais c’est infect, ce truc !

- Si Gainsbourg t’entendait… raillai-je.


Je sortis de mon sac un paquet de Marlboro 100’s et lui tendis.


- T’as un bureau-tabac caché dans ton portefeuille ? fit Alexy.

- J’aime bien alterner.


Il haussa les sourcils et inclina la tête en allumant sa cigarette. Je lui adressai un regard noir. Il avait tiqué en m’entendant parler d’alternance : Armin lui avait certainement répété notre conversation.


- Ben quoi ? se défendit-il. Tu vénères Lysandre pendant quelques semaines, puis tu avoues à Armin qu’il à en quelques sortes ses chances et que Lysandre est sur la touche, mais qu’il reste quand même en jeu. Aurore, je suis habitué aux histoires compliquées, mais là je suis paumé.

- J’ai seulement dit à Armin ce que je ressentais : il pense que je ne vois que Lysandre, mais c’est faux, sinon tout serait plus simple pour moi.

- Et ce baiser avec Castiel, on en parle ?! m’ignora Alexy.


J’eus un rictus.


- J’ai foutu tout son plan en l’air, déclarai-je.

- En beauté !

- Tu vas pas me dire que j’aurais dû jouer son jeu ? Comme si j’avais peur d’Ambre et ses copines…


Alex se mordilla la lèvre inférieure et plissa les yeux.


- J’avoue qu’elle est dangereuse, fit-il.

- Alex ! Tu vas pas t’y mettre toi aussi !

- Mais pas pour toi.


Alexy tira une bouffée de la cigarette. 


- Il m’a vraiment tout dit, tu sais.

- Donc t’as compris, conclus-je. Une ancienne droguée qui a perdu l’un des êtres les plus importants pour elle n’en a pas grand-chose à faire des intrigues de lycée.

- Ambre a déjà bousillé des vies, mais ses autres victimes étaient bien plus faibles. Faut croire que t’as déjà bien dégusté, donc je comprends pourquoi tu trouvais débile que mon frère te protège pour « si peu ».


Je pris une inspiration. J’avais déjà perdu Rich, j’étais tellement dévastée que même le fait de savoir Libby Vanderbilt en liberté ne me faisait plus peur. Les piques et combines des groupies de Castiel ou Armin m’auraient à peine fait l’effet de pichenettes.


- Mais si tu nous avais parlé de ça, reprit Alex, Armin aurait réagi autrement. Il aurait compris automatiquement que ce qu’il faisait ne servait à rien.

- Et qu’est-ce qu’il va faire, maintenant qu’il sait ?


Alexy haussa les épaules et tapota sa clope dans le cendrier.


- Aucune idée, répondit-il. Il avait l’air de vouloir continuer son cirque même après tes révélations, mais je crois que ton baiser avec Castiel lui a définitivement fait comprendre que tu te moques complètement des dangers dont il veut te préserver.


Je jetai un oeil à mon iPhone. C’était le moment de retourner au lycée : monsieur Faraize s’était absenté toute la matinée, probablement traumatisé par la prestation de Ruben la veille, et nous avions eu la matinée de libre. Plus que deux heures d’anglais et c’était enfin le week-end. J’allais pouvoir dormir quarante-huit heures et rattraper mon autre nuit blanche passée à tirer à Viktor les vers du nez.


- C’est l’heure, annonçai-je à Alex en enfilant ma veste en cuir.


Il m’ignora totalement et s’alluma même une autre cigarette.


- Par contre, si quelque chose est maintenant indéniable, c’est qu’Armin est complètement amoureux de toi.


Je fermai les yeux et soupirai. Alexy ne m’apprenait rien, mais j’en avais assez d’entendre ça comme un reproche.


- Qu’est-ce qui t’a convaincu ? le questionnai-je.

- Armin a déjà été amoureux, mais d’une manière plutôt saine, jamais passionnément. Il a même déjà vécu une relation libre dans laquelle la fille fréquentait d’autres mecs, mais il n’était pas plus jaloux que ça. À la piscine, quand il t’a assuré que tu pourrais faire ce que tu veux avec n’importe quel mec à part lui et qu’il couvrirait seulement tes arrières, il…

- Il s’est menti, fis-je dans un rire nerveux.

- Il n’a pas menti. Il pensait t’aimer comme il avait déjà aimé d’autres filles avant. C’est juste qu’il s’attendait pas à souffrir autant en te sachant ou même en t’imaginant avec un autre garçon. Plus il s’éloignait de toi, plus il devenait dépendant de toi.


Et réciproquement.


- Il voulait pas l’avouer, mais il s’en rendait compte malgré lui. Et au fil des jours, il regrettait de t’avoir fait ce discours idiot où il te disait clairement que ça ne lui posait pas de problème si tu allais voir ailleurs. Il vivait dans la crainte que tu décides d’appliquer ce qu’il avait dit.

- Alors pourquoi ne pas être venu changer les termes du contrat ? m’exaspérai-je. Contrat unilatéral, bien sûr, puisque je n’ai rien signé et que tout s’est fait à mon insu ! Il pensait que j’allais l’attendre gentiment ?

- Il pensait surtout que c’était avec Lysandre que tu irais coucher, pas Dake.

- Pourtant, quand je lui ai annoncé avoir couché avec ce dernier, crois-moi qu’Armin n’avait pas l’air en joie.

- Détrompe-toi, il était plutôt soulagé : si tu couchais avec Lysandre, c’était fini. Parce qu’il t’attire physiquement, sexuellement, et qu’il t’intéresse spirituellement. L’australien, c’était pour le sexe.

- Alors il aurait dû mettre un petit astérisque et préciser « offre soumise à conditions, ne s’applique pas pour Lysandre Mogarra qui est mon rival number one que je souhaite embrocher lors d’une joute médiévale pour montrer ma dévotion sans communiquer comme les gens normaux ni entraver ma fierté ».


On entendit une porte grincer à travers le couloir. Armin voulait à tous les coups nous faire comprendre qu’il nous entendait : il avait coupé la musique de son jeu vidéo.


- J’ai l’impression que les rapports entre lui et moi se résument à une dispute perpétuelle, j’en ai ma claque. S’il tient à moi, qu’il me le montre autrement que par un nombrilisme ahurissant. Comment peut-on faire passer sa fierté avant la personne qu’on est censé aimer ?


Alexy se contenta de me fixer avec un petit sourire bienveillant.


- Quoi ?! 


Il se leva et s’approcha de mon oreille pour que son frère n’entende pas.


- J’ai bon espoir, murmura-t-il. Vous avez les mêmes yeux quand vous vous énervez. »




***




Le cours interminable de Mme Sharp m’avait exténuée. J’allais enfin pouvoir rentrer et DOR-MIR.


« Aurore ! 


Oh non.

Rosa sprinta jusqu’à moi, je continuai de marcher comme si de rien n’était en direction du loft.


- On a besoin de toi pour le défilé, haleta-t-elle. Tout le monde se réunit dans le showroom de Leigh tout à l’heure, les couturières sont arrivées ce matin, on doit finir la mise en scène avec le groupe et le trajet des mannequins, Diana va s’occuper de la disposition des invités, Vicky doit nous faire essayer nos tenues pour les retouches et…

- Rosalya. Je suis K.O.

- Je savais que tu dirais ça.


Elle sortit de son sac cabas une petite boîte en carton blanc cassé de la boulangerie Chez Paul et l’ouvrit avec un grand sourire.


- …

- Il me semble que ça fait longtemps que tu n’as pas mangé de donuts, chantonna-t-elle en agitant la boîte sous mon nez.

- Ça fait aussi longtemps que je n’ai pas eu de nuit digne de ce nom.


Je ne pus toutefois résister et m’emparai des pâtisseries tout en continuant à marcher.


- Tu as dormi pendant tout le cours d’anglais ! me rappela-t-elle.

- Et pour une fois, la prof m’a laissé faire. Tu vois, même les sadiques comprennent que j’ai besoin de sommeil.


Rosa poussa un soupir.

Je me remémorai alors le stress de Leigh le jour où j’avais rencontré ses mamans. Il avait clairement une pression indécente sur les épaules. J’en voulais à Rosa de ne m’avoir rien dit pour Ruben, mais Leigh ne méritait pas qu’on le laissât tomber.


- Bon, je te suis, concédai-je. Mais je ne veux plus entendre parler de ce défilé de tout le weekend.

- Que tu le veuilles ou non, tu entendras parler de ce show pour le restant de tes jours. »

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