Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 9 : Chapitre 9 : espèce d'aveugle

20193 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/03/2017 19:32

"Tu ne te rappelles vraiment rien ?

- Non.


Qu'est-ce qu'il foutait là ?

Pourquoi il me souriait ? Pourquoi son sourire m'avait l'air si différent de d'habitude ? Où était l'expression narquoise qu'il s'amusait à m'adresser depuis des mois ?


- On va les laisser, fit Lysandre en entraînant Rosa et Leigh hors du salon avant de refermer les portes qui séparaient la pièce du couloir.


Je n'en croyais pas mes yeux. J'étais en train de rêver, c'est ça ?


- Tu...

- Non, ne parle pas, le coupai-je. T'es un enfoiré. Je te déteste, t'entends ?! T'as pas le droit de me faire vivre un enfer pareil. J'en peux plus ! Là j'ai tellement mal à la tête que j'ai l'impression qu'on me l'a arrachée pour me la mettre dans une machine à laver en marche avant de la revisser sur mon cou, donc je te dis pas à quel point je galère pour parler, alors écoute moi attentivement. Fuis-moi comme Dawn, traite-moi de lâche comme elle le fait, éloigne-toi de moi et arrête de me rappeler le passé, c'est trop dur ! T'es pire qu'un putain de boomerang, à chaque fois que je t'esquive t'arrives de je-ne-sais-où et tu me frappes en plein visage. T'es un enfoiré, un putain d'enfoiré, Ruben, t'entends ?


Il continuait de me fixer sans rien dire pendant que je martelais son torse de coups de poing.


- Pourquoi tu t'obstines ? gémis-je en fatiguant. 

- Je t'aime.


Ces mots me firent m'arrêter de le frapper l'espace de quelques secondes. Je dus lutter contre moi-même pour ne pas croiser son regard. Je décidai de m'écarter de lui, mais je n'eus même pas le temps de lever les yeux qu'il m'avait déjà attirée dans ses bras. 

Ce geste me fit l'effet d'un anesthésiant. Il atrophia tous mes muscles et remplaça mes membres par du chiffon. Ma tête si lourde, si lourde qu'on l'aurait crue en plomb, reposait sur son large torse. Je ne sentais plus mon corps, je ne pouvais plus bouger.

C'était comme si le temps et l'espace n'avaient plus aucun sens. Je savais que ma gueule de bois y était pour quelque chose, mais c'était comme si on m'avait frappée en plein crâne et que Ruben m'avait rattrapée dans ma chute : je ne pouvais pas bouger, j'étais paralysée. 

Depuis combien de temps étais-je dans ses bras ? Deux secondes ? Dix minutes ? Mon cerveau était une noisette de beurre, et Ruben était le pain chaud sur lequel il avait fondu.

Cette étreinte m'emprisonnait à double tour dans le royaume du retour aux sources et des sentiments bruts. J'aimais Ruben, je l'aimais tellement. Je n'en avais rien à faire que mes larmes traversent le tissus de son t-shirt et qu'il sente que je pleurais : il m'avait déjà vue, entendue, sentie pleurer, et il connaissait la teneur de mes sentiments envers lui. Je l'aimais d'un amour incomparable à celui de deux amants ou d'un frère et d'une soeur : je l'aimais comme s'il était une partie de moi, une partie d'un puzzle qui avait été détruit, et j'étais la cause de cette destruction. Je voulais reconstituer ce puzzle, je voulais souder toutes ses pièces ensemble et les recouvrir d'une vitre incassable pour ne plus jamais perdre ce diamant qu'était Ruben. Je l'aimais tellement. Je l'aimais d'un amour que deux personnes extérieures auraient soupçonné d'être celui de deux amoureux, mais ce n'était pas cela. Je l'aimais bien plus que ça, je l'aimais plus qu'un frère, qu'un père et qu'un amant réunis, je l'aimais comme si cela était inscrit dans mes gènes, je ne pouvais pas ne pas l'aimer, c'était comme si un instinct animal couplé à celui de survie m'ordonnait de l'aimer et de ne pas chercher à m'y dérober. Je l'aimais tellement que rien ne pouvait me faire arrêter de l'aimer. Son âme et la mienne étaient comme entremêlées, avec celles de Dawn et de Rich. Car j'aimais ma soeur et Richard de la même manière que jamais Ruben. J'aimais Ruben comme personne n'avait jamais aimé, j'aimais Ruben au point de remettre la puissance du verbe "aimer" en question tant aucun mot n'avait l'air adapté. Tout ce qui pouvait illustrer notre amour étaient des allégories littéraires pleines d'hyperboles, mais notre amour n'était pas romanesque : il était vrai.

Pourtant je lui en voulais. Je lui en voulais de m'aimer. Je lui en voulais de faire tant d'efforts pour me faire surmonter ma phobie du deuil. Je lui en voulais de me faire prendre le cruel chemin de la difficulté plutôt que de me laisser fuir à contrecoeur. Je savais que ce que je faisais était immoral, je savais que ni moi ni Dawn ni lui ne tirions un quelconque bénéfice de ce comportement sur le long terme, je n'avais aucune envie d'agir ainsi, mais je n'arrivais pas à faire autrement. Rich vivait en Ruben, Rich vivait en Dawn, Rich vivait en Paris, et je ne voulais pas qu'il vive en moi. Pourtant, il me hantait déjà. Je ne pouvais pas supporter le moindre de ses souvenir, la moindre miette de nostalgie me faisait plonger dans la dépression existentielle. Quelle égoïste je faisais, et j'en voulais tellement à Ruben d'être si altruiste, si généreux avec quelqu'un tel que moi.


- Laisse moi en paix, murmurai-je contre sa poitrine.

- Jamais, et je te le promets, jamais tu te débarrasseras de moi.


Il avait plongé sa main dans mes cheveux, caressant délicatement mon crâne avec ses doigts. Ses doigts qui étaient presque la continuité du dermographe qu'il utilisait pour me tatouer. Tout comme l'encre qu'il avait l'habitude de m'injecter, j'avais l'impression que son seul toucher me marquait à vie et pénétrait mon épiderme. Qu'il pénétrait mon coeur et mon âme. 


- Qu'est-ce que je dois faire pour que tu arrêtes de me recracher mes quatre vérités à la gueule rien qu'en croisant mon regard ? Laisse moi fuir, Ruben.

- Pour qu'un boomerang ne revienne plus vers toi, il suffit d'arrêter de le lancer, répondit-il.


Je levai les yeux. Pourquoi avait-il toujours raison ? Pourquoi était-il toujours la voix de la sagesse ? Pourquoi causais-je tant de tord à un diamant pareil ?


- Je te déteste.

- Et moi je t'aime.

- Arrête de m'aimer !

- Toi aussi tu m'aimes.

- Tu peux pas me ramener à la raison !

- Tu n'arrêteras jamais de m'aimer.

- Ruben ! Laisse moi fuir, merde ! Je suis une lâche !

- T'as aucune envie que je te laisse tranquille.

- Je vous fais du mal ! Je suis un parasite !

- De toute façon tu seras jamais tranquille en fuyant.

- T'as réussi à avancer et moi je te fais faire quatre pas en arrière à chaque fois qu'on se voit ou qu'on se parle !

- Tu m'en fais faire cinquante en arrière à chaque fois que tu fuis ; j'avance de cent pas à chaque fois que tu cèdes.

- Pourquoi tu t'obstines ???

- Est-ce que Paris me lasse quand je m'en éloigne ?


Mon coeur rata un battement. Pourquoi tapait-il toujours dans le mille ? Pourquoi était-il si fort ? Pourquoi chacun de ses mots était-il plus calibré que tout un discours diplomatique ?

Plus je fuyais, plus Ruben me poursuivait. Plus il quittait Paris, plus il en était fou.


- Tu hais Paris quand tu y es, lui rappelai-je.

- Tu suggères que je puisse te haïr si tu cessais de me fuir ?


Je hochai la tête, et cela fit redoubler mon mal de crâne. 


- Admettons que je te cède, commençai-je, que je décide de faire demi-tour et que je revienne vers toi et Dawn. Après quelques temps, ma lâcheté, mes erreurs, tout refera surface et comblera le manque qui te fait me courir après. Tu ne verras plus que mes failles et tu te rappelleras pourquoi je suis partie, puis tu te mettras à me détester avant de t'éloigner comme tu le fais à chaque fois que Paris te lasse. Après quoi tu reviendras vers moi en prétendant m'aimer, en omettant mes tords au profit du manque qui découlera de la distance phys...

- Tu me connais depuis beaucoup trop longtemps pour croire en ce que tu dis, me coupa Ruben.


Il caressait toujours mon crâne, j'étais toujours blottie contre sa poitrine. Je ne savais pas si c'était lui qui m'attirait vers lui ou bien si je logeais dans ses bras de mon plein-gré. Mon corps ne me répondait qu'à moitié, seule ma bouche, pâteuse, m'obéissait complètement en lui adressant les répliques maladroites que ma tête en pleine gueule de bois trouvait à répondre à ses phrases habiles. Je parlais trop, et chaque mot que je prononçais faisait à mon pauvre crâne un mal de chien. 


- Depuis quand, poursuivit Ruben, je suis assez prévisible pour qu'on puisse résumer mon fonctionnement en une minute ?


Il avait raison. Encore.

Ruben était tellement complexe qu'il était ridicule de penser pouvoir prévoir ce qu'il fera, ne fera pas, pensera ou ne pensera pas à n'importe quel moment. 

Mon silence le fit rire.


- Tu vois, tu réalises à quel point ça n'a pas de sens. Tu cherches à fuir, Aurore.

- Bien sûr que je te fuis ! m'emportai-je. Je le sais que je suis une lâche.

- C'est pas seulement moi que tu fuis, c'est toi.


Tellement cliché, mais aussi tellement vrai. Je pris une grande inspiration.


- Tu t'obstines dans cette fugue de la raison, tu te complais dans une situation absurde, tu sais que ce que tu fais c'est débile.

- Et comment tu peux savoir ça ? l'interrogeai-je vivement.

- Parce-que tu as beaucoup trop bu."


La fée verte lui avait tout dit. 



***



"Il a l'air cool, ton chéri.

- C'est PAS mon chéri DU TOUT, répétai-je pour la millième fois. 


Rosalya fit une moue signifiant qu'elle ne me croyait pas du tout.


- Imagine qu'Armin et Alexy sortent ensemble. Ben Ruben et moi ça serait à peu près aussi dégueulasse, voire encore plus. 

- De la consanguinité ? pouffa Rosa. T'exagères pas un peu ? T'as même pas d'attirance physique ? Il est vraiment très, très trèèèès beau pourtant.

- Je sais, mais non. Ruben est juste... Ruben. Y'a pas d'ambiguïté ; je suis tout sauf attirée par lui. C'est le premier visage, après celui de ma mère, que j'ai vu à ma naissance.

- Il était venu à l'accouchement de ta mère ?!


J'acquiesçai. Ruben était comme un fils pour mes parents. Ces derniers étaient même plus affectés par mon éloignement de lui que de Dawn.


- Il est où d'ailleurs ? m'interrogea-t-elle. J'ai bien cru qu'on allait devoir vous laisser discuter toute la journée, et quand le salon est enfin disponible, il disparaît. J'aurais bien aimé discuter avec lui.

- Je crois qu'il est dans le showroom avec Leigh. Ils doivent parler photo.

- Ruben est photographe ?

- C'est lui qui prend toutes les photos de ma soeur.


D'ailleurs, savait-elle qu'il était là ? Devais-je la prévenir ? Où était mon téléphone ??? Je me relevai d'un coup du divan, que je n'avais toujours pas quitté, et je regrettai rapidement ce geste. 


- Oh... bordeeeeel, fis-je en m'attrappant le crâne pour qu'il arrête de danser la lambada.

- Je crois que tu vas rester ici jusqu'à ce que tu ailles mieux.


Je me mis alors en position foetale, maudissant Jack Daniels, Ballantine et Clan Campbell.


- Je boirai plus jamais de whisky coca de ma vie. En fait, je boirai plus jamais de ma vie. Et je ne veux plus jamais entendre le mot "absinthe".

- Tu veux manger quoi ? Je te le prépare.


Rosalya était le messie dans un duffle-coat. Je rêvais d'un bon gros burger-frites.


- Par contre, pas de gras ! me prévint-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. C'est mauvais pour toi dans cet état-là. D'ailleurs, faut que tu boives beaucoup, beaucoup d'eau. 


J'acquiescai, la tête dans un coussin. J'étais tellement déshydratée que je comprenais plus que jamais le sens de l'expression "gueule de bois".



***



Mourir. 


"Je t'ai déjà vue dans des états bien pires. Après s'être fait tatoué les côtes pendant quasiment vingt-quatre heures, la douleur est censée devenir quelque chose de dérisoire. 


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. 


- Je vais profiter du fait que tu aies décidé de souffrir en silence pour te parler sans être interrompu. J'ai appelé Dawn.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. 


- Tu t'en doutes : elle m'a incendié. J'ai posé le téléphone sur la table, je suis allé pisser et quand je suis revenu elle gueulait encore à l'autre bout du fil. 


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Elle m'a raconté pour Agatha, Libby et tout ce qui s'en suit. Et elle s'est accessoirement foutue de ta gueule en voyant la photo que j'ai prise de toi pendant que tu dormais. Tu baves.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Enfin, je vais arranger ça. Libby ne gagnera pas. Et le pire, c'est que je ne vais même pas rentrer dans son jeu.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Je te l'ai déjà expliqué mais... Vu le taux de whisky que tu avais ingurgité je pense que tu ne t'en souviens plus. J'étais bien à l'hôpital, mais c'était parce qu'un vieux à moitié borgne a eu la super idée d'ignorer le feu rouge. Ma cheville a été bizutée. Je m'en tire avec une atelle que tu n'as même pas dû remarquer. Je suis décidément pas fait pour être piéton. 


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Tu as de la chance d'être tombée sur ces gens. Ils m'ont l'air vraiment réglos.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Je peux te laisser ici sans crainte. D'ailleurs je te déconseille d'essayer de rentrer maintenant. Repose toi ici, miss beuverie.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Lysandre m'a demandé de te transmettre ce message : rendez-vous dans sa chambre pour bosser dès que tu te sens d'aplomb.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- En temps normal je serais réticent à te laisser seule dans une chambre avec un mec que je connais depuis à peine seize heures, mais Leigh m'a assuré que son frère n'avait pas de MST. 


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Et puisqu'il vaut mieux prévenir que guérir, je te laisse des capotes sur l'étagère du couloir. Je veux pas être grand-père.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Moi, je vais pas tarder. Je vais finir par connaître chaque jointure des planches du parquet de cet appartement si je reste ici plus longtemps.


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


- Rosalya t'a préparé un milk-shake plein de vitamines. C'est pas un donut mais dans cet état là tu vas pas faire la fine-bouche."


Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir. Mourir.


Je le sentis m'embrasser sur le front.



***



Je m'étais assoupie juste après la visite de Ruben. Quand je réouvris les yeux, mon mal de crâne avait diminué mais était encore très, très présent. 

Quelle heure il est ? Et combien de temps j'ai dormi ?

J'attrapai mon téléphone posé sur la table basse. 19h40.

J'avais cinq appels manqués et six messages. Il s'agissait des jumeaux... ou plutôt d'Alexy. Armin m'avait seulement envoyé un texto.


Armin (14h) : on se capte aujourd'hui ?

Alexy (11h00) : toi. Moi. Aujourd'hui. Shopping

Alexy (11h01) : oh mais tu m'as pas raconté ton escale chez Lysandre ! C'est comment chez lui ?

Alexy (15h10) : réponds quand je t'appelle !

Alexy (15h35) : soit les tatoués ont vraiment un sommeil de plomb, soit t'as perdu ton téléphone, soit tu essaies de me faire mariner.

Alexy (15h53) : j'irai chier sur ta tombe. Ou même pire : j'irai estampiller ta stèle du logo Desigual.


Quel mongole celui-là. Je décidai de le rappeler. 


- Ha ! répondit-il aussitôt. J'étais sûr que mes menaces porteraient leurs fruits.

- Salut Alex.

- "Salut Alex" ? Trêve de banalités, où es-tu ? 

- Chez Lysandre, fis-je dans un bâillement de fatigue. 

- Oh, moi je suis dans ta chambre. 


Hein ?!


- Avec Armin, on est passés chez toi puisque tu ne daignais pas nous répondre. Et devine sur qui on est tombés ?

- À moins que ce soit le porte manteaux qui vous ait ouvert la porte je dirais... mhhh, Dawn.

- Touché !


J'étais étonnamment détendue face à cette nouvelle. Jusqu'ici, la perspective d'une rencontre entre ma soeur et les jumeaux m'avait pas mal rebutée.


- Et tu avais parfaitement raison, poursuivit Alexy. Ta soeur est une bombe. Armin a l'air particulièrement de mon avis. 

- Laisse moi deviner, elle est à moitié à poil ?

- En peignoir, corrigea-t-il.

- Les peignoirs de Dawn ne sont pas très couvrants.

- ... oui, à moitié à poil.


J'entendis un bruit de fracas à l'autre bout du fil. Cela fit se décupler mon mal de crâne. Qu'est-ce qu'il fabriquait ?!


- Oups, fit-il. Je crois que tu vas devoir racheter un pot à crayons. 

- J'ai un pot à crayon ?

- Oui. Enfin, plus maintenant. 


Ce mec était un vrai bulldozer.


- Pour en revenir à ta soeur et à son corps de déesse, je l'ai laissée dans le salon avec Armin. J'espère qu'il n'a pas trop bavé sur ton parquet. 

- Elle a dû lui faire le coup de l'étirement qui se transforme en quasi-strip-tease.


Dawn était amatrice de beaux garçons. En ouvrant aux jumeaux, elle avait dû se sentir comme à Noël. Et si elle avait vu les frères Mogarra...

Elle avait un vrai don pour aguicher. Elle n'y allait pas par quatre chemins : sa technique préférée était celle qui consistait à s'étirer longuement en prenant soin de découvrir sa peau au maximum. Le peignoir qu'elle portait devait être retombé sur ses épaules; juste assez pour qu'on voit la moitié de sa poitrine provocante.


- Déjà fait quand j'étais encore au salon, m'informa Alex. Ça n'a pas vraiment eu d'effet sur moi, mais Armin avait la même expression que Ambre quand elle voit Castiel.

- Comment ça se fait que tu couches avec des filles alors que t'as aucune attirance envers elles ?

- Faut bien faire la vidange, répondit-il d'un ton léger. 

- Baaaah, Alex !


Je connaissais bien ma soeur. Elle aimait séduire, mais cela ne signifiait pas forcément qu'elle voulait aller plus loin avec le garçon. Elle avait beau voir la vie comme un chibre géant, elle avait trop de scrupules pour se taper un mec qui vient rendre visite à sa soeur parce qu'il s'inquiète du fait qu'elle ne réponde pas au téléphone. 


- Je vais devoir raccrocher, informai-je Alexy. Je dois aller bosser avec Lysandre.

- Mmh, je doute que le verbe "bosser" soit le plus approprié, chantonna-t-il.".



***



Il avait changé. 


"Et là on pourrait placer une ouverture un peu plus littéraire, proposa-t-il. Quitte à jouer les fouines, autant le faire joliment. 


Son regard avait changé. 


- Heu, oui oui, répondis-je. Ce serait aussi plus original.


Il m'avait l'air moins lointain, moins inaccessible, mais toujours aussi mystérieux et charmeur.

Sa manie de passer sa main dans ses mèches ivoire n'avait pas disparu.


- On fait ça alors. 


Tout comme celle de caresser ses lèvres de son pouce avant de se mordiller celle du bas, en prenant un air soucieux et en fronçant les sourcils.


- Tu veux bien t'en charger ? me demanda-t-il.


Oui. C'était sans nul doute son regard qui avait changé. Il était toujours aussi pénétrant, intimidant, sensuel. Mais il avait l'air plus avenant, moins méfiant. 


- Lysandre ?


Il tourna rapidement la tête vers moi, comme s'il s'attendait à ce que je l'apostrophe ainsi. Ses yeux m'invitèrent à lui poser ma question.


- Qu'est-ce que Ruben t'a dit hier soir ?


Il referma son PC, par politesse, comprenant que ce qui me préoccupait avait besoin d'une attention particulière et qu'aucun écran ne devait l'acaparer. Il était tout à moi.


- Il ne m'a rien dit, répondit-il. 

- Je suis peut-être encore un peu dans les vapes mais je suis loin d'être aveug...

- C'est toi qui m'as dit des choses, me coupa-t-il.


Oh non. L'alcool me faisait perdre tout contrôle de ma langue, alors avais-je avoué à Lysandre que j'avais envie de faire de lui mon quatre heures ?


- Enfin, tu m'as surtout montré des choses, précisa-t-il.


Je commençais à voir où il voulait en venir. 

Lysandre se redressa, appuyant son dos contre le mur. Il baissa les yeux jusqu'à mes clavicules, avant de remonter le long de l'ovale de mon visage. Il s'éclaircit la voix avant de m'expliquer la teneur de mon abus d'alcool. 

Je me rappelais du début de notre soirée : Leigh, un peu entamé, Lysandre encore sobre et moi déjà ivre à cause de l'absinthe que j'étais la seule à avoir bue, essayions de trouver ce à quoi Rosa ressemblait le plus dans son duffle-coat trop grand. Elle avait fini par mal le prendre et était partie se coucher, suivie par un Leigh hilare qui essayait de la consoler. Lysandre et moi étions donc restés seuls, et à partir de là ma mémoire s'était floutée, mais je savais que j'avais beaucoup, beaucoup bu.

Lysandre me raconta que je m'étais levée d'un coup pour m'emparer de la bouteille de whisky, et que j'avais descendu ce qu'il en restait cul-sec sans aucun diluant. Il s'était mis à s'inquiéter de mon état, avant de comprendre que j'allais très bien et que j'avais l'habitude. J'avais ensuite appelé mon père, qui s'était moqué de mon intonation de pochtronne, pour lui soutirer le numéro de Ruben que j'avais perdu. J'avais ensuite appelé Ruben en personne, et Lysandre m'avait seulement entendu lui donner l'adresse des Mogarra avant de raccrocher. Une demie heure plus tard, Ruben était là.

Il m'expliqua que j'avais accueilli Ruben avec les larmes aux yeux, et que je lui avais présenté des milliers d'excuses que Lysandre ne comprenait pas. Ensuite, j'avais retiré tous mes vêtements et je m'étais mise à raconter à Lysandre tout ce que mes tatouages voulaient dire, prétendant vouloir prouver à Ruben que je n'avais "pas peur".


- Je t'ai... tout montré ? demandai-je avec un regard significatif.

- Ruben avait une lampe UV sur lui.

- Ah. Il ne l'oublie jamais... murmurai-je.


Cela signifiait que Lysandre avait vraiment vu tous mes tatouages.


- Ensuite, poursuivit-il, tu t'es couchée.


Quoi ? C'est tout ? Aucun détail ?!


- Bon... et qu'est-ce que j'ai fait en attendant Ruben ?

- Tu m'as tout dit. Dawn, Ruben, Richard, Libby. Et ensuite tu m'as embrassé. 


Je crus m'étouffer alors que je n'étais même pas en train de manger. Comment avais-je pu ne pas me rappeler de ça ? J'avais vraiment beaucoup trop bu. 


- Tu rigoles ? l'interrogeai-je.


Lysandre secoua la tête. Il affichait un léger sourire en coin, et son regard bicolore me perforait littéralement le coeur. 


- Je devais sentir le whisky à dix kilomètres, bredouillai-je.


Lysandre poussa son ordinateur pour s'avancer vers moi. 


- J'aime beaucoup le whisky.


Il passa sa langue sur sa lèvre inférieure. Ce geste pourtant si simple avait le don de me faire vibrer dès que c'était lui qui l'exécutait. Il était beau, si beau.


- Ce qui était paradoxal c'est que c'était assez... sucré, ajouta-t-il.


Il plongea ses yeux dans les miens, puis il me pris délicatement le poignet en y dessinant des cercles avec son pouce. Sa main remonta ensuite le long de mon bras, à mesure que son corps se penchait sur le mien pour me faire basculer en arrière. Avant que je ne retombe sur le lit, sa main vint se nicher au creux de mes reins pour me soutenir. J'avais l'impression de flotter, Lysandre me faisait léviter. Il fit glisser les doigts de son autre main dans mes cheveux, puis il approcha son visage du mien pendant que je me délectais de la perfection de ses traits, des angles de sa mâchoire, de l'asymétrie des mèches qui encadraient ce minois sensuel.

Il me laissa lentement tomber sur le lit, sans retirer ses mains de là où elles étaient. Il rapprocha encore son visage, caressant mon nez avec le sien, mêlant nos respirations ensemble. Le temps s'était arrêté.

Ses doigts continuaient de me caresser le crâne, avant de glisser jusqu'à mes tempes, puis le long de l'ovale de mon visage. Mes mains à moi ne bougeaient pas, elles étaient spectatrices. J'étais à la merci de Lysandre Mogarra. Il pouvait faire de moi ce qu'il voulait, et je l'aurais tout laissé faire. 

Il avait visiblement décidé de faire durer cette torture préliminaire. Son visage frôlait le mien avec des mouvements lancinants et circulaires. Ses longs cils caressaient mes pommettes pendant que ses yeux mi-clos dévoraient les miens. Ses lèvres passaient de temps à autre juste au-dessus des miennes sans les toucher. Je mourrais d'envie de franchir les quelques millimètres qui nous séparaient. Il me plaisait. Il me plaisait tout entier. 


"Peggy vous donne des devoirs vachement sympas on dirait !


Merde.

Merde.

Merde.


- Oh non non non, claironna Rosa en reculant, continuez ! Je voulais juste vous prévenir que... mmh, ça peut attendre en fait. 


J'étais tellement gênée qu'il me fallut quelques instants pour remarquer qu'elle avait troqué le duffle-coat pour une belle robe bodycon gris foncé longueur mi-mollets. Elle avait aussi enfilé des Pigalle noires, un collier plastron argenté et sublime perfecto en cuir noir XXL, il devait appartenir à Leigh. C'était mille fois mieux que le cosplay de yack qu'elle avait juré de garder. Le styliste avait-il cédé ou bien Rosalya avait elle trop chaud ?


- Dis-le nous, maintenant que t'es là, fit Lysandre qui avait l'air incroyablement à l'aise malgré la situation. 

- Quoi ?! Mais je suis pas là ! Travaillez bien ! 

 

Rosalya s'éclipsa aussi vite qu'elle était apparue, nous l'entendîmes pouffer derrière la porte.


- Désolé de ce petit débordement, me dit Lysandre en ré-ouvant l'ordinateur. 


Débordement ? Il avait deux personnalités ou quoi ? J'étais encore allongée, me soutenant sur mes avant-bras.

La température était redescendue d'au moins vingt degrés.


- On s'attaquera aux interviews demain pendant la pause du midi et...


Il s'arrêta de parler pour se mordiller le pouce, puis il passa sa langue sur ses lèvres pendant ce qui me sembla être une éternité. Je ne savais pas si c'était lui qui faisait volontairement durer ce moment ou bien si cette lancinance était due à l'effet incroyable qu'il me faisait, mais le temps semblait s'arrêter à chaque fois que sa langue caressait ses lèvres. 


- ... et on se séparera pour aller poser ces questions à chacun d'entre eux.


Ce qu'il disait était d'une simplicité quasi biblique, pourtant il avait l'air très concentré, fixant son écran en plissant ses incroyables yeux et en mordillant légèrement ses lèvres. L'atmosphère avait repris trente degrés.


- Je m'occuperai de Dake, parvins-je à déclarer.

- Et je veux bien me consacrer aux deux autres, répondit Lysandre en fixant toujours l'écran. Ça ne me dérange pas.


J'acquiescai doucement en me redressant. Se rendait-il compte de l'ascenseur émotionnel qu'il m'avait fait emprunter ? Se rappelait-il qu'il était sur le point de m'embrasser à peine cinq minutes plus tôt ? Bien sûr que oui, Lysandre était loin d'être aveugle, il était bien trop intelligent pour ne pas se rendre compte de choses aussi évidentes. 

Il s'amusait donc à jouer la carte du chaud-froid ? S'il était au courant des conséquences de son comportement, cela ne pouvait être que cela. Lysandre Mogarra était bien plus joueur qu'il n'en avait l'air et, bien que j'eusse douté que cela fusse possible, cela le faisait me plaire encore d'avantage.


- Je... j'ai quelque chose sur le front ? bredouillai-je en me le frottant du bout des doigts. 


Lysandre me fixait du coin de l'oeil, soutenant sa tête avec sa main plongée dans ses cheveux. Un sourire en coin s'esquissait sur son visage outrageusement divin : il s'amusait de l'effet qu'il me faisait. 


Il n'avait toujours pas répondu à ma question, et je commençais à sentir mon coeur battre bien trop vite dans ma poitrine.


- Lysandre ? 


L'apostropher fut le seul moyen que je trouvai pour briser le silence ravageur qu'il avait instauré entre nous. La symphonie de Lysandre reprenait, et le rythme allait crescendo : il me faisait remonter la pente qui allait me mener jusqu'au sommet de sa pyramide de volupté tortueuse.

Il me fit un sourire, un sourire dont lui seul avait le secret, un de ces sourires où la bouche reste fermée mais où ce sont surtout les yeux qui sourient. Sa mâchoire saillante s'était contractée, et ses deux iris me chantaient une sérénade de sublime sorcellerie.


- Tu connais la correspondance de Flaubert ? me demanda-t-il.


Je parvins à acquiescer malgré ma paralysie émotionnelle. 


- Alors sois ma Louise Colet. Tout ce que tu as à faire c'est de rester telle quelle. Tu es ma muse dans toute ta perfection, toute ton imperfection, dans ta douleur sculpturale. Tu es une histoire à toi toute seule, Aurore, et je t'ai lue.


Lysandre m'avait mise à nue, il avait fait ce qui me terrifiait : il m'avait analysée et il m'avait comprise. Il connaissait tous les détails de ma vie, toutes les saccades du fil de mon existence.


- Tu peux refuser. Tu peux ne pas vouloir être au courant que tu m'inspires, mais saches que tu m'inspireras quand même. Il me suffit de te regarder et d'essayer de percer à jour ton mystère pour que me viennent en tête des dizaines, des milliers de vers qui découleraient de la beauté de ton aura et de la perfection de tes traits.


Lysandre était le lyrisme. Il transpirait la passion littéraire, il avait un parchemin en guise de coeur, une plume en guise de langue, des aiguilles en guise d'iris. 


- Tu es le livre le mieux écrit qu'il m'ait été donné d'ouvrir. Impossible de te classer dans un genre littéraire, impossible de compter le nombre de symboles qui te composent et rythment ta vie. Tu incarnes à la fois la complexité et la simplicité. Une belle simplicité, une lueur avant le lever du soleil, une aurore. Aurore.


Son regard me souriait toujours, tout en pénétrant mon âme de tous les côtés. Mon corps était devenu un orifice. Lysandre m'avait subordonnée ; je dépendais de lui.

 Il s'approcha doucement de moi, maintenant notre contact visuel comme si nos iris étaient respectivement les extrémités d'une planche de bois sur laquelle aurait reposé une vasque pleine d'eau, et que tout mouvement brusque l'eusse faite se renverser. 


- Dommage que tu ne te souviennes de rien.

- Pourquoi ? l'interrogeai-je tout bas.


Il s'avança jusqu'à ce que je puisse sentir son souffle chaud sur mon visage.


- Tu t'exprimes extrêmement bien avec les mots, mais tu le fais encore mieux avec les gestes.


Il rompit finalement notre contact visuel pour poser ses yeux sur mes clavicules nues dévoilées par le débardeur trop grand que Rosa m'avait prêté. 


- Tu es sûre de ne rien te rappeler ? me murmura-t-il au creux de l'oreille.


Ses doigts vinrent caresser les os de mes clavicules. Il semblait témoigner un intérêt bien particulier pour cette partie de mon corps.

Je l'avais vraiment embrassé ? Si cela avait été le cas, comment eusse-je pu oublier le parfum à la fois muscé et sucré que sa nuque, sa gorge et ses cheveux dégageaient ? Comment ne pas me souvenir de ces fils d'argent satinés qui me caressaient les pommettes et le cou ? Comment eusse-je pu ne pas me rappeler ces lèvres qui appelaient les miennes comme les sirènes appelaient Ulysse lors de sa traversée des prairies de l'île jonchée d'ossements et de chairs en putréfaction ? Et surtout, comment aurais-je pu m'arrêter de l'embrasser après avoir commencé notre baiser, à moins qu'une force mystique me tirant vers l'arrière soit venue l'écourter à ma place ?


- Le véritable nom de George Sand était Aurore, chuchota-t-il encore plus près.


Je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais plus de cette voix suave qui m'ençorcelait, de cette respiration saccadée qui berçait mes lobes comme une brise brûlante.


- Tu m'as parlé de Heart Shaped Box.


Je sentis mes sourcils se froncer instinctivement. Heart Shaped Box était une chanson du groupe Nirvana, et je trouvais les paroles brillantes, percutantes. Me connaissant, j'avais dû lui faire part de mon analyse personnelle du texte. 


- Kurt Cobain avait déclaré que cette chanson parlait des enfants atteints de cancer, poursuivit Lysandre. Mais tu m'as décrit cette "heart shaped box", cette "boîte en forme de coeur", comme une métaphore du vagin.


La main de Lysandre passa brièvement entre mes jambes pour caresser mes adducteurs. Mon coeur failli défaillir.


- Tu m'as dit que la femme aurait la clé, qu'elle pourrait emprisonner l'homme dans cette boîte rien qu'en ouvrant les cuisses. Et puis tu m'as embrassé. 


Lorsque j'avais bu, toutes mes passions, tous les sons, mots, textes, personnages, fictifs ou non, qui m'avaient marquée étaient au centre de mes attentions. Je ne parlais que d'eux.


- Ensuite, tu m'as parlé de Madame Bovary. Tu m'as expliqué que cette oeuvre était pour toi en constante tension entre lyrisme et réalisme. Tu m'as décrit l'agonie d'Emma comme si tu l'avais toi même vécue, tu m'as décrit tout le bouquin comme une "désillusion romantique". Et puis tu m'as encore embrassé.


Je sentais que Lysandre, en s'approchant progressivement, me faisait m'enfoncer dans le matelas moelleux de son lit. Pourtant, c'était d'une lenteur incroyable. Je me sentais tomber au ralenti, assez longtemps pour pouvoir profiter de chaque petite pression de son corps contre le mien.


- Tu m'as parlé du Spleen baudelairien. Tu m'as récité le poème Spleen 78, complètement torchée, mais avec tellement de conviction que ç'en était sublime. Tu m'as dit que tu ne trouvais rien de pire que l'ennui existentiel du Spleen, que la mélancolie, que le fait de ne pas "savoir habiller son existence". Ensuite tu m'as parlé du poème "L'albatros". Je trouve même pas les mots pour définir la puissance de ton analyse. C'était brillant, superbe.


L'albatros. Prince des nuées dont les ailes gênaient la démarche. Tout ce poème était comme une définition allégorique de Ruben.


- Et ensuite ? demandai-je alors que sa main dans mon dos me fit me cambrer.

- Ensuite, je t'ai embrassée.


Il enfouit alors son visage dans mon cou. Je sentais ses lèvres, ses cils, les angles et courbes enchanteresses de son visage caresser ma peau comme un voile de soie. Sa main longiligne passa sous mon débardeur, non pas pour me tripoter vicieusement mais pour venir caresser mon...


- Pas ça, s'il te plaît, l'interrompai-je en me redressant.


Lysandre ne sembla pas étonné que je lui refuse l'accès à mon flanc droit. Il m'adressa un regard à la fois doux et défiant.


- Réessaie, fit-il. Sans whisky ni absinthe.

- Mais je...

- Réessaie de te mettre à nue. Je suis habitué au nu, j'y verrai non seulement un sublime corps tatoué mais aussi et surtout une preuve indéniable de courage. Tu es courageuse.


Je tournai la tête vers la droite. J'eus un rictus.


- Les rares fois où j'ai agi comme hier, c'était parce que l'alcool me guidait.


Il redressa délicatement mon visage pour que nous nous fassions face.


- L'alcool n'est qu'un révélateur de ce que tu es vraiment. Et en y réfléchissant, la seule personne à qui tu as révélé des choses ce soir là, c'est toi-même. 


Il parlait comme Ruben.


- Quelque part, je savais déjà tout ce que tu m'as dit. Quand je te dis que ton aura est belle à tomber, que tu es une fille fascinante au point d'engendrer la dévotion des gens qui te découvrent, c'est pas juste à cause de l'épisode d'hier soir. Ça fait un moment que je pense tout ça.


Lysandre prit ma main droite et entrecroisa nos doigts. 


- Et plus j'en découvre, plus je suis avide de voir le reste.


Ma main serrait la sienne un peu plus fort pour lui faire comprendre que, malgré mon mutisme, ce qu'il me disait me bouleversait dans tous les sens du terme.

J'étais sur le point de lui répondre, quand il lâcha ma main et bondit hors du lit.


- L'ordi va s'éteindre, observa-t-il en cherchant le câble d'alimentation."


Je retombai sur le lit en soupirant. Ce mec était sinusoïdal.



***



"Ruben et Leigh vont travailler ensemble ! s'écria Rosalya à la seconde où elle me vit franchir le seul du salon. 

- Euh, ça risque d'être compliqué puisque Ruben ne reste jamais quelque part plus d'une semaine, répondis-je.

- Oh ça je sais, d'ailleurs il est déjà parti je-ne-sais-où. Ils vont travailler via Skype et Ruben reviendra de temps en temps. Le projet a venir c'est le défilé de la nouvelle collection ! Castiel et Lyschou s'occuperont de la musique, Leigh et moi des tenues -j'espère que tu nous aideras d'ailleurs-, Ruben des décors et des photos. On couvrira l'événement pour le blog. J'espérais que ta soeur accepterait de défiler parce que... Orphée Puiségur et Dimitri Lag seront là !

- Pardon ?!


Orphée Puiségur et Dimitri Lag étaient les deux plus grands bloggueurs mode du continent. Aucune fashion week n'avait lieu sans qu'ils ne fussent au premier rang. J'avais appris à lire rien que pour lire leurs articles. 


- On voulait faire venir Garance Doré et Louise Ebel, mais elles nous ont envoyé balader, pesta Rosa.

- On s'en fout de ces deux clampines, on a Lag et Puiségur ! fis-je en tapant dans mes mains.

- J'étais tellement contente pour Leigh quand il me l'a annoncé que j'ai accepté d'enlever le duffle-coat ! Il a eu la nouvelle pendant que Lysandre et toi vous bécotiez, c'est ça que je voulais vous dire !

- On ne s'est pas... bon c'est pas grave, continue. 

- On fête ça ce soir, donc j'exige que tu restes ici. Je te prêterai des fringues si tu veux te changer pour aller au lycée demain, et la douche est à ta disposition. Bien sûr, elle est assez grande pour deux. 

- Rosalya... la blâmai-je en comprenant son allusion. 


Je n'en revenais toujours pas. Puiségur et Lag !


- Dawn acceptera de défiler, tu penses ? Ruben a dit qu'il passerait la voir pour lui demander. 

- Puiségur et Lag, répétai-je. Bien sûr qu'elle acceptera.

- T'as raison, faudrait être fou pour refuser. D'ailleurs, ce soir tu vas éviter de picoler.


Ma tête me bizutait encore un peu. 


- J'avais prévu de laisser un peu de repos à mon foie, répondis-je. Pour toujours, en fait.

- Lysandre a compté le nombre de verres que tu t'es enfilé. 15, Aurore, sans compter la bouteille que t'as finie au goulot. Ça m'étonne que t'aies pas fait de coma éthylique. 


Je haussai les épaules. 


- J'ai l'habitude.


J'avais été alcooliquement baptisée il y avait longtemps. La veille de mon brevet des collèges, je m'étais enfilé une demie bouteille de Jack à moi toute seule parce que je m'étais disputée avec Ruben.


- Je sais, fit Rosalya. Je sais reconnaître un amateur d'alcool quand j'en vois un, et toi tu tiens vraiment trop bien pour être une débutante. Même s'il semble te suffir de quatre verres pour te confier un peu plus facilement...


Je compris immédiatement où elle voulait en venir. Cela signifiait que Lysandre n'était pas le seul devant lequel je m'étais mise à nue.


- Leigh et moi avons quand même dû revenir dans le salon quand Ruben est arrivé. On s'est inquiétés en entendant une voix inconnue en plus de la tienne et celle de Lysandre. Ruben nous a expliqué ce qu'il faisait là, et ensuite t'as enlevé tes fringues. 

- Donc vous connaissez aussi toute l'histoire ? 


Rosalya hocha la tête. 


- "Je suis complexée par mon corps", hein ? fit Rosalya en me donnant une tape sur l'épaule. 


Elle faisait réfèrence à la fois où je lui avais fait croire être trop pudique pour me changer devant elle, alors que tout ce que je voulais c'était cacher les tatouages sur mon flanc droit.


- Sinon, Lysandre et toi ça avance ?


Je manquai de m'étrangler.


- Ne me fais pas croire qu'il ne te plaît pas, me prévint-elle. Une fois que les yeux d'une fille entrent en contact avec les abdos de ce mec, c'est impossible qu'il ne lui retourne pas le cerveau. 

- Sauf si cette fille c'est toi, j'imagine. 

- Leigh en caleçon, c'est aussi quelque chose. Et je pense que tu ne laisses pas Lyschou indifférent. Je l'ai jamais vu se caresser la lèvre inférieure ou se la mordiller autant de fois que quand t'es dans les parages. Il est très fort en séduction. 


Je poussai un soupir de confirmation.


- Et vu l'état dans lequel je vous ai surpris tout à l'heure, il n'y a plus de doutes permis. Enfin, ça ne m'étonnerait pas que tu joues les fines bouches : vu le nombre de beaux garçons au lycée, tu as l'embarras du choix. 


Je françai les sourcils. Elle marquait un point : j'avais beau chercher, il m'était impossible de nommer un seul garçon à Sweet Amoris qui ne fusse pas outrageusement agréable à regarder.


- Tous les moches de ce lycée se font virer ? raillai-je.

- C'est un peu ça en fait. Tu n'as pas eu de rendez-vous avec la directrice avant ton admission ?

- Euh... si.


Quand mes parents m'avaient annoncé que j'allais vivre à Sweet Amoris avec Agatha, j'avais dû venir pendant les vacances de la Toussaint uniquement pour un entretien avec notre meringue de principale.


- Et elle t'a posé beaucoup de questions ?

- Euh... Une seule en fait. 


Je me rappelais être entrée dans son bureau, avoir répondu à la question "quelle personnalité, morte ou vivante, aimeriez vous rencontrer ?" puis ressortir. J'étais d'ailleurs un peu furax d'avoir fait tout le chemin pour ça. 


- C'est normal, fit Rosa. Les seuls critères d'admission à Sweet Amoris, c'est le physique et le charisme. 

- Pardon ?!


Pourquoi personne ne me l'avait dit ? C'était quoi ce lycée ?!


- Tu n'as pas remarqué que tous les élèves sans exception sont à tomber par terre ? Tous les mecs sont beaux, grands, musclés et intelligents ; toutes les filles pourraient jouer dans un film ou devenir mannequin.


Les visages de Pierre Barma, Léopoldine Hirsch, Ambre, Li, Charlotte, Marnie de Raffin, Nora Galvanier, Aaron Alami, Justine Sobra, Juna Lozano, Rose Delpras, Aymeric Van Grohl, Castiel, Nathaniel, Kentin, Alexy, Armin et enfin Lysandre me vinrent en tête. 


- C'est n'importe quoi ce bahut, commentai-je éberluée.

- Ça m'étonne que tu n'aies toujours pas remarqué ça, on se croirait limite dans Gossip Girl tellement tout le monde est beau à S.A. Et la directrice a l'oeil : avec une seule question elle arrive à déterminer le potentiel intellectuel de l'élève. 

- Il doit y avoir un nombre incalculable de candidats qui se font refouler.

- Tu n'as jamais entendu parler de Mandraconis ? 


Ce nom me fit grimacer.


- C'est qui, lui ?

- C'est un lycée, pouffa Rosa. Le seul lycée de la ville avec S.A. Et c'est là-bas que vont tous les gens trop simplets ou pas assez beaux selon la directrice. Tous les élèves de ce lycée nous détestent.


Je n'arrivais pas à croire à ce que j'entendais. La directrice avait vraiment des délires bizarres, on aurait dit qu'elle cherchait à recréer une race aryenne ou bien une secte.


- Elle n'a pas eu de problèmes ? C'est pas vraiment dans l'esprit de la déclaration des droits de l'homme. 

- Elle n'a jamais cessé d'en avoir, me répondit Rosa. Ce qui la sauve, c'est nos 99% de réussite au bac, alors que Mandraconis en a à peine 70. Ça lui permet de rétorquer aux parents en colère que sa technique de sélection drastique marche. Les seuls dont le physique n'a aucune importance, c'est les profs.


Je ne comprenais pas quel lien le physique des élèves avait avec leurs résultats. Surtout que la directrice elle-même n'était pas un canon. 


- Et c'est pour ça que la dirlo a notre classe à l'oeil, poursuivit Rosa. On est de vrais flemmards, et notre classe compte à elle seule plus de fumeurs de marijuana que toutes les autres réunies. Si on fait chuter le pourcentage de réussite, Sweet Amoris risquera gros. 


Ce serait bien fait pour cette tarée de directrice. 


- D'ailleurs, qu'est-ce que tu as répondu à la question ? m'interrogea Rosalya. 

- Friedrich Kruger, mon ancêtre nazi. Pour lui cracher au visage."



***



"Pardon ?!

- Tu as très bien entendu.


Alexy cligna des yeux à plusieurs reprises.


- Et... c'est tout ? Vous êtes pas passés à l'étape supérieure ?


Cette question me fit soupirer longuement. S'il savait à quel point Lysandre m'avait fait galèrer.


- Toi, t'as des choses à me raconter, comprit-il.


Armin nous rejoint devant le lycée. Il était allé faire tamponner un mot d'absence à la salle des délégués. Pourquoi n'était-il pas allé directement en classe ?


- Hey frangin, tu devineras jamais qui a pécho cette bombe sexuelle de Ly...

- Peggy a dépassé les bornes, le coupa Armin.


Il nous tendit le journal du lycée.


"Un récent article de notre hebdomadaire vous avait présenté le palmarès des garçons les plus courtisés du lycée. À Sweet Amoris, la concurrence est rude tant le niveau est élevé. Nous avons la chance, filles comme garçons, d'avoir un large éventail de camarades aux physiques plus agréables les uns que les autres. Certains se détachent pourtant du lot. On vous rappelle le podium des garçons les plus courtisés du lycée : Castiel Desproges et son inaccessibilité de rockeur sont toujours en tête, suivis par le beau et mystérieux Lysandre Mogarra, qui ne manque pas de faire chavirer les coeurs avec son regard charmeur. Troisième du classement, notre cher Armin Galienne, à qui il n'a pas fallu bien longtemps pour se voir créer une vraie fanbase... et le nouvel arrivant, Dake Foster, semble s'être imposé dans ce palmarès en seulement trois jours ! Bien que plus facile à approcher que ses trois congénères, ce dernier n'avait encore montré aucun intérêt particulier pour aucune des filles de ce lycée.

Il faut quand même se l'avouer, le lycée regorge de belles filles... Il n'y a même que ça. Alors comment peuvent-ils jouer les fines-bouches à ce point ? Il y a déjà eu des hypothèses d'homosexualité qui nous faisaient de la peine à croire. Vous vous rappelez le deuil que nous les filles avons traversé en apprenant que le sublime Alexy Galienne était gay ? Eh bien je doute que trois autres coming-out, surtout s'il s'agit de nos quatre dieux vivants, seraient supportables. 

Il existait donc une certaine solidarité entre nous, pauvres mortelles de la gent féminine ignorées par nos bien aimés. La belle Ambre Ottaviani, malgré ses formes provocantes et sa belle chevelure dorée, est la première à courir sans succès après l'un de nos inaccessibles apollons. Les filles de Sweet Amoris, ne trouvant toujours pas comment faire craquer leur garçon coup de coeur, stagnent toutes au même niveau.

Si vous êtes l'une de ces filles et que vous avez peur de perdre tout espoir, arrêtez de lire cet article... Si vous êtes un garçon et que vous avez craqué pour une certaine bombe tatouée, on vous conseille aussi de refermer ce journal, à moins que vous ne vous appeliez Desproges, Mogarra, Galienne ou bien Foster, auquel cas on vous tire notre chapeau ! 

En effet, il semblerait que la charmante Aurore Kruger ne manque pas de succès auprès des mâles de l'établissement, et en particulier ceux de sa classe de terminale littéraire. Tout le monde a l'air d'avoir remarqué que la brune tatouée n'a pas franchement la côte auprès des filles, qui ont l'air d'accord pour la qualifier de "croqueuse d'hommes" et de "nymphomane". La belle n'a quasiment jamais été aperçue en compagnie féminine, à part Rosalya Kerr-Wilden. Cette dernière étant tout aussi gâtée par la nature que miss Kruger, on remercie le ciel qu'elle soit déjà casée. Imaginez un peu si elles avaient formé un duo de bombasses célibataires ? Plus aucune chance pour les autres candidates.

Enfin, Aurore n'a pas besoin de ça pour nous casser quand même les pieds. Toujours entourée par un harem de garçons aux regards langoureux, elle semble être la seule à ne pas être au courant de son succès. "Mystérieuse", "à l'ouest mais vraiment jolie", "elle a un truc", voilà la définition de Kruger selon la gent masculine du lycée Sweet Amoris.

Vous vous demandez probablement comment nous sommes venus à la conjecture du début d'article ? Avons-nous des preuves du rapprochement de notre tatouée avec les coqueluches lycée ? Les images parlent d'elles mêmes. 

Notre reporter a d'abord surpris Aurore avec Castiel pendant un intercours (photo 1). Alors que certains s'activent pour se rendre en classe, ces deux-là profitent que le couloir soit désert pour s'échanger ce qui a tout l'air d'être un baiser ! Une certaine blonde sulfureuse risque de ne pas apprécier. Pas besoin de vous révéler son nom, vous l'avez déjà en tête. 

 Concentrons-nous maintenant sur le couple Aurore-Armin. Une initiale en commun, et une complicité indéniable ! Aurore et les jumeaux Galienne ne se sont pas lâchés d'une semelle depuis l'arrivée de la belle à Sweet Amoris, mais il semblerait que la nature de leur relation avec elle ne soit pas identique : alors que la tatouée et Alexy ne sont visiblement que des amis, Armin et elle se tiennent la main en rêvassant au pied d'une colline, c'est pas mignon (photo 2) ? 

Le rapprochement de notre princesse de la séduction avec Dake Foster n'est un secret pour personne : tout le monde au lycée a bien vu que le bel australien lui fait signe à chaque fois qu'il l'aperçoit, ignorant sa foule de groupies en délire... mais saviez-vous qu'ils se sont rencontrés avant même qu'il n'intègre le lycée (photo 3) ? Pratique de se faufiler dans un café bondé pour immortaliser les deux tourteraux partager un repas. Oh mais... regardez ce pied baladeur qui caresse la cheville d'Aurore ! Oups, on était obligé de le faire remarquer.

Le dernier cas n'est pas non plus un simple flirt dans l'enceinte du lycée. Notre reporter est allé jusqu'à l'appartement des Mogarra, en centre-ville, où Aurore devait retrouver Lysandre, pour réaliser que celle-ci n'avait pas quitté l'immeuble du week-end ! À la rédac', on a du mal à croire en la perspective d'une innocente partie de cartes qui aurait duré deux jours et deux nuit... à moins que les règles du jeu eussent été un peu plus libidineuses. L'apollon aux yeux vairons et sa belle ont-ils fait chambre à part ? Cela reste à vérifier.

Résumons : en à peine deux mois, Aurore Kruger s'est hissée en position de reine des abeilles si l'on adopte un point de vue masculin, mais elle est l'ennemi public numéro 1 en ce qui concerne la gent féminine. Les filles, et si le tatouage avait des propriétés aphrodisiaques ? Ce qui est sûr, c'est qu'il y en a une qui sait comment s'amuser ici !


Peggy Shapiro et Capucine Torres"


Je relevai la tête vers Alexy, et nous éclatames de rire à l'unisson.


- "Reine des abeilles" ! pouffai-je.

- "Princesse de la séduction !", explosa-t-il en se tapant la cuisse.


Peggy avait effectivement pété un plomb : c'était l'article le plus ridicule qu'il m'eût été donné de lire. J'étais assez choquée par le fait qu'elle m'ait fait suivre jusqu'à chez Lysandre, mais son écriture caricaturale rendait le tout vraiment trop risible.


- Ça vous fait rire ? s'indigna Armin. Ce torchon te traite de nymphomane !


Il m'arracha le journal des mains et l'agita sous mon nez.


- J'en ai rien à faire de ce qu'on pense de moi, répondis-je en haussant les épaules. 

- Peggy va te faire vivre un enfer, tu vas devenir la cible numéro 1 des cinglées de ce bahut ! s'exclama-t-il.

- J'm'en branle de ça. 

- Pas moi !


Armin fit un pas vers moi. Il me perforait de son regard azurien, ses sourcils noirs étaient froncés, une veine battait la chamade sur sa tempe. C'était la première fois que je le voyais aussi énervé, et il me faisait... quand même un peu peur.

Alexy vint à mon secours. 


- Frangin, intervint-il, je sais mieux que personne que dans ces moments-là la meilleure des ripostes c'est de se marrer un bon coup. 


Armin laissa tomber son bras le long de son corps, serrant le poing si fort qu'il en froissa le journal. La sonnerie retentit à ce moment-là, marquant le début de notre première heure de cours. 


- Tu sais surtout mieux que personne que je suis pas du genre pacifiste quand on s'attaque à certains, siffla-t-il.

- Ce qui ne veut pas dire que t'as raison d'agir comme ça, riposta Alexy. Et le fait que tu agisses comme ça transforme mes doutes en certitude. 


Quels doutes ?!

Ça prenait une tournure vraiment inquiétante. Le regard d'Armin était bien trop sombre et sérieux pour que les jumeaux ne fassent référence qu'à l'article du journal.


- À quoi vous jouez, là ?

- Si j'entends une seule messe basse, ne sois pas étonnée de me voir remettre son auteur à sa place, me répondit Armin en se dirigeant vers le lycée.


Alexy me jeta un regard anxieux avant de m'emboîter le pas pour aller en cours. 


- T'inquiète pas, chuchota une voix à mon oreille, personne ne cherchera à se faire casser la gueule."


Se faire... casser la gueule ?

C'était Castiel. Il traça sa route dans la direction opposée à la mienne, il allait sûrement encore sécher.



***



"Comment ça "quitter le club" ??? s'écria Peggy.

- T'as cru au père Noël, non ? Je suis pas une pigeonne. C'est le cadet de mes soucis d'être la cible de tes potins à deux balles, déclarai-je. Mais je me vois mal continuer de bosser sous tes ordres alors que tu me traites ouvertement de croqueuse d'hommes et que tu engages une écervelée pour me suivre pendant une semaine. 

- Et j'aime pas beaucoup le fait que cette même écervelée attende devant chez moi pendant tout un week-end, ajouta Lysandre.

- Je suis pas une écervelée ! protesta Capucine.

 

Peggy fit craquer ses poignets et prit une grande inspiration. 


- Je vous avais prévenus que je riposterais si j'apprenais que vous parliez de notre anticipation journalistique. Et TU as parlé aux jumeaux de l'article que Lysandre et toi devez écrire, fit-elle en pointant vers moi un index accusateur.


Génial. Elle avait vraiment les oreilles partout. 


- Tout le monde savait déjà que le lycée allait accueillir des élèves étrangers, me défendit Lysandre. 

- Ça, j'en ai rien à cirer, ricana la rédactrice en chef. Je vous avais dit de la fermer, pas de compromis. Pour être honnête, Aurore était la seule éleve sur laquelle je n'avais encore aucun article à publier en cas de trahison, donc j'ai envoyé Capucine faire le plein de potins, juste au cas où. Et j'ai visiblement bien fait d'être prévoyante puisque tu as été la seule à avoir la langue un peu trop pendue. J'ai rédigé le papier le plus vite possible.

- Faut vraiment être tordu pour faire suivre l'un de ses rédacteurs jusqu'en dehors du bahut, crachai-je entre mes dents. 


Derrière mon dos, j'entendis Pierre Barma traiter Peggy de psychopathe en toussotant.


- De toute façon, vous pouvez pas quitter le club. La directrice ne va pas se taper une autre galère avec les options à cause deux deux élèves qui se plaignent d'un article un brin hyperbolique à propos de...

- Tu crois vraiment qu'on va gentiment faire nos devoirs et te fournir tes fichus articles alors que tu t'amuses à nous traquer ? la coupa Lysandre.


Peggy leva les yeux ciel et se laissa tomber dans son siège. 


- Bon, je n'utiliserai plus ces méthodes-ci, concilia-t-elle.

- Mais tu te permets de créer de toute pièce des rumeurs infondées, pesta Rosalya depuis le premier rang. On voit très bien que la photo d'Aurore et Castiel a été prise dans un angle précis pour faire croire à un baiser.

- Les enfants, vous avez signé un contrat à votre inscription. Il stipule que j'ai une liberté absolue concernant ce que j'écris à votre sujet tant que rien n'est ni ostentatoire ni gore ou à caractère pornographique. 


Un contrat ? Elle voulait parler des trois feuilles de blabla en Times New Roman taille 11 qu'elle nous avait fait signer à notre arrivée au club ?!


- Personne ne lit ces machins et tu le sais ! m'emportai-je.

- Eh ben vous auriez dû, répliqua la dictatrice. Maintenant, merci de bien vouloir arrêter de jouer les anarchistes : ce club est une matière, pas un passe-temps. Contentez-vous de rendre vos articles pour avoir les notes qu'ils méritent, je suis votre prof ici.

- En général, c'est rare que j'aie un an et demi de plus qu'un professeur, lança Pierre qui avait redoublé sa terminale. 


Je m'apprêtais à revenir sur notre affaire, quand Lysandre croisa mon regard. Il semblait m'inciter à ne pas chercher plus loin.


- Tu sais très bien quelles vont être les conséquences, dit-il à Peggy en la regardant droit dans les yeux. 

- Arrêtez avec ça, on n'est pas à la mafia ici, s'exaspéra-t-elle.


Faisaient-ils allusion à ce dont Armin m'avait parlé ce matin-là ?


- De toute façon, c'est pas comme si j'étais pas habitué à ta désinformation, siffla Lysandre en allant s'asseoir. 

- Désinformation ?! s'indigna Peggy. Toutes ces fois où tu as fait l'objet d'articles, c'était uniquement pour dépeindre la vérité : ne nie pas que tu as du succès et que les filles te placent sur le même piédestal que Castiel et Armin, pour ne citer qu'eux !


Le garçon aux yeux vairons sembla ne rien trouver à répondre à cette remarque. Il se mordit la langue en fixant le vide, comme pour essayer de se calmer. 


- Et toi, Aurore, me fit la journaliste, je trouve mon article plus flatteur qu'autre chose. J'ai seulement révélé au grand jour ce que filles et garçons pensaient de toi, et je suis sûre que tu étais déjà au courant de toute façon. J'ai seulement peut-être dépassé les bornes en envoyant Capucine te suivre alors que tu fais partie de mon équipe. Mais il fallait que je te prouve que je plaisantais pas quand je vous menaçais à la moindre fuite de notre projet journalistique !

- Mais bordel Peggy, ton "projet journalistique" n'est qu'un tableau classant toutes tes trouvailles de fouine spécialiste du forcing ! meugla Pierre.

- C'est un projet jour-na-lis-tique ! répliqua cette dernière. 

- C'est comme appeler le frisbee "ultimate" alors que c'est qu'un pauvre disque en plastique qu'on balance dans le vide !

- Ne compare pas mon projet journalistique à un frisbee !


Je devais bien m'avouer que ça ne me déplaisait pas de me voir accolée cette image. Je ne n'avais pas menti à Armin en lui disant me contrefoutre de l'avis des gens, mais ça ne fait de mal à personne de voir que son succès fait des jaloux. Ce qui m'avait donné envie de quitter le club de journalisme, ce n'était pas une peur du jugement d'autrui, c'était le comportement de Peggy à mon égard. Ma fierté m'empêchait de travailler pour quelqu'un qui me cassait du sucre sur le dos. J'étais prête à laisser couler pour cette fois, mais si celle-ci s'apprêtait encore à me suivre comme un paparazzi, j'aurais été bien moins conciliante.



***



"De l'absinthe ?! s'écria Armin. Je vais leur apprendre à te saouler ! C'est quoi ces alcooliques ?

- Calme toi, Armin, j'ai été forcée à rien. C'est moi l'alcoolique.

- De l'absinthe ! répeta-t-il.


Je roulai des yeux. Armin était vraiment un amour à être aussi protecteur avec moi, mais parfois il abusait vraiment. 


- Moi, fit Alexy, la seule chose qui m'importe c'est la partie charnelle avec Lysandre. Vous avez "fait chambre à part" comme l'écrit si bien Peggy ?


J'hésitai à répondre. Armin avait réagi assez bizarrement en apprenant notre baiser avec Lysandre. Alexy l'avait mis au courant en cours d'anglais renforcé, pendant que j'étais au club de journalisme à écouter Peggy nous expliquer qu'elle avait le droit d'écrire ce qui lui chantait sur nous grâce à un foutu contrat. Nous n'avions pas cours de l'après-midi à cause des grèves, et nous étions allés chez les jumeaux. J'avais tout juste expliqué aux garçons comment je m'étais retrouvée ivre chez les Mogarra. Je n'avais pas encore évoqué la nudité de Lysandre... ni l'effet quasi-morphinique que son corps parfait avait sur moi.

En me demandant des explications quant à ce baiser, Armin avait eu l'air à la fois suspicieux et étonné. Et j'avais moyennement envie de lui expliquer que j'avais dormi dans les bras de Lysandre.


- Oui, mentis-je. J'ai dormi dans la chambre d'ami. Sinon, il ne s'est rien passé à part quand j'étais ivre, et que je l'ai embrassé... enfin c'est ce qu'il m'a expliqué le lendemain.

- Qui te dit que c'est pas lui qui t'a embrassée ? m'interrogea Armin. Et qui te dit qu'il n'y a eu qu'un baiser ? Peut être qu'il a profité de toi pour se vider les burnes. Une fille torchée au whisky et à l'absinthe, tu peux lui faire croire ce que tu veux le lendemain de sa cuite : pour peu que t'aies versé un truc dans son verre, elle se rappelle rien.


Lysandre, un obsédé sexuel doublé d'un menteur ? Quelle drôle d'idée.


- Je lui fais confiance sur ce point, répondis-je. De toute façon j'ai pas vraiment le cho...

- Il te plaît ? me coupa le geek.

- Heu...


Il avait l'air très impatient que je lui donne une réponse à sa question. Ses beaux yeux bleus fixaient les miens, et je détournai rapidement le regard. Son regard était tellement perçant qu'il était impossible à soutenir.


- Ben, il est vraiment pas mal, bafouillai-je. Surtout en serviette de bain...


Alexy écarquilla les yeux ; Armin fronça les sourcils. 


- Leigh avait fermé le dressing à clé mais Rosalya lui avait emprunté son duffle-coat ! 

- Duffle-quoi ? grimaça Armin.

- T'as vu Lysandre à poil ?! s'écria Alex.

- En serviette de bain, corrigeai-je. Et puis... en caleçon. 


Alexy ouvrit la bouche tellement grand qu'on aurait dit qu'il cherchait à me montrer sa glotte.


- Et tu oses prétendre qu'il ne s'est rien passé d'un peu libidineux ? fit-il.

- Je vois pas pourquoi tu fais une fixette là dessus, répondis-je. Si je devais compter le nombre de mecs que j'ai vus en caleçon ou bien que j'ai embrassés après avoir trop bu alors on...

- Lysandre c'est pas la même chose, me coupa encore Armin.


Il y avait chose d'amer dans sa voix. Je lui jetai un regard interrogateur auquel il ne répondit pas.


- Lysandre est l'inaccessibilité incarnée, au lycée, tout comme Castiel, m'expliqua Alexy. Ces deux-là ont passé leur première année de lycée à instaurer un maximum de distance entre eux et leurs groupies pour avoir la paix, leur deuxième année à profiter au maximum de cette tranquillité tout en restant les deux idoles indetrônées... et cette année, tu débarques comme une fleur et ils vont vers toi sans que tu ne fasses aucun effort. 

- C'est le schéma qu'à dépeint Peggy dans son article, quoi, synthétisai-je.

- Cette harpie s'est amusée à faire de ces deux-là et moi-même les attractions principales de sa rubrique people, maugréa Armin.


"Rubrique people" ? Il y avait vraiment une rubrique people dans le journal du lycée ?


- Tu fais partie du club de journalisme et tu n'as encore jamais lu le journal du bahut, conclut Alexy en voyant mon air étonné.

- Euh... Non. 


Armin s'étira longuement.


- Dans sa rubrique people, Peggy soutient fermement qu'il existerait une sorte de guerre froide débile entre Castiel, Lysandre et moi.

- Au début, ajouta Alex, Castiel et Lysandre étaient les deux seuls chouchous du lycée. Enfin, surtout Castiel puisque Ambre a des vues sur lui ; c'est ridicule à dire mais cette pauvre fille est un peu la reine ici. Le fait qu'elle soit complètement dingue de Castiel a rendu toutes les autres filles dingues de lui... effet de mimétisme. Donc en gros, l'an dernier = d'un côté Ambre qui faisait la pluie et le beau temps et qui était adulée par toutes les filles, et de l'autre côté on avait deux beaux mecs ténébreux qui ne s'intéressaient à personne malgré leur succès, ce qui laissait un peu d'espoir aux petites pucelles qui rêvaient qu'ils leur donnent leur premier orgasme.

- Et puis Alex et moi sommes arrivés cette année et, je sais pas pourquoi, mais les filles se sont mises à nous idolâtrer.


Je levais les yeux au ciel. Comment pouvait-il en être étonné avec un physique pareil ?


- C'était pratique pour tirer son coup de temps en temps, poursuivit Armin, mais ça nous a vite gonflés, donc mon frangin s'est dépêché de faire savoir qu'il était gay et j'ai été contraint de sortir la carte de la distance comme Castiel et Lysandre. Ce qui a fait s'imaginer à Peggy un scénario de concurrence entre nous trois. Et maintenant, elle te décrit comme un élément perturbateur qui fait soi-disant tourner toutes les têtes. 


Il avait l'air réellement contrarié par cet article. Quand Capucine avait pris la photo de nous, il m'avait pourtant dit que personne ne croyait ce que le journal publiait, que je ne devais pas m'en faire si cette photo était dévoilée. 


- Je pensais pas qu'elle allait te consacrer tout un article, fit Armin comme s'il avait lu dans mes pensées. Je me suis dit qu'elle allait intégrer cette photo dans un article Lysandre-Castiel-Armin ou bien dans la rubrique Gossip entre deux ragots bidons. Mais en fait elle a choisi de faire de toi l'une de ses nouvelles têtes d'affiche, et ça, ça change tout. J'en ai rien à faire qu'elle piaille sur mon compte, mais si c'est toi, ça me gêne. Certaines filles de ce lycée sont de vraies folles. Elles ont toutes un coup de coeur : soit pour moi, soit pour Castiel, soit pour Lysandre, soit deux d'entre nous ou bien même les trois. Et l'australien qui vient de débarquer s'y est ajouté. Sauf que tu es bien plus proche de nous quatre que toutes ces filles réunies, c'est déjà un fait. Mais Peggy la fouine n'arrange rien, bien au contraire. Elle fait croire à des relations amoureuses entre toi et chacun d'entre nous. Le pire, je pense que c'est le cas Castiel : vous avez l'air de vous embrasser sur cette putain de photo. J'ai peur que ces tarées, et surtout Ambre qui est la plus timbrée, décident de t'éliminer du tableau.


J'arquai un sourcil suspicieux. On aurait dit qu'il parlait d'une sorte de mafia. Il exagérait pas un peu ?


- Je dis pas qu'elles vont te tuer ou bien venir te frapper après les cours, mais elles sont vraiment malignes, ces vipères. En additionnant leurs taux de sournoiserie, on obtiendrait rapidement les ingrédients nécessaires pour te faire virer du lycée ou bien carrément changer de ville.

- Un lycée de Libby édulcorées, sifflai-je. Mes parents auraient pas pu me trouver meilleur établissement. 


Alexy pinça les lèvres en regardant son frère. 


- C'est pas de ça dont j'ai le plus peur, moi, frangin, intervint-il.

- J'allais y venir, fit Armin. Je sais pas comment je réagirai face à une attaque de ces cinglées ou bien d'un mec jaloux qui viendrait te chercher des noises, mais ce qu'il faut savoir c'est que ça risque de pas être beau à voir. Je suis vraiment pas doué pour contrôler ma colère quand elle dépasse un certain seuil.


Les mots de Castiel ce matin-là me revinrent en tête. 


- Tu t'es déjà battu, c'est ça ? l'interrogeai-je.


Il hocha lentement la tête. 


- Armin et moi avons fait beaucoup d'arts martiaux quand on était plus jeunes, mais alors que j'ai seulement retenu la partie spirituelle et la laideur des kimonos, mon frère a perfectionné sa technique en cassant la gueule à tous ceux qui l'ouvraient sur mon homosexualité. Il s'est fait virer de tous les lycées de notre ancienne ville, un à un, donc nos parents ont decidé de déménager, et vu que notre oncle et notre tante habitent pas loin et qu'ils nous ont conseillé le lycée Sweet Amoris parce qu'il suffit d'une belle gueule et de bonnes notes pour rester, on est arrivés quelques semaines avant toi. 

- Et Alex m'a fait promettre de le laisser régler ses comptes tout seul, fit Armin en soupirant. Au début, je suis un peu parti en vrille. Un certain Simon Vasnier a eu la langue un peu trop pendue quand à l'homosexualité de mon frère. Il était pas au lycée, mais Peggy a réussi à savoir que je lui avais mis une raclée. Depuis, je suis assez respecté ici, enfin plutôt craint, donc personne n'a encore osé me provoquer part rapport à Alexy. Mais là, je commence vraiment à sentir que je vais pas garder mon poing dans ma poche si jamais quelqu'un s'attaque à toi.

- Ok, et où tu veux en venir ? m'enquéris-je.


Les jumeaux semblèrent étonnés par mon intonation, qui trahissait mon léger agacement. J'appréciais l'implication d'Armin, le fait qu'il eut été assez téméraire pour défendre son frère bec et ongles. Mais que voulait-il réellement me faire comprendre ? Son discours avait une réelle fonction informative puisqu'il me donnait des détails sur le passé des jumeaux dont je ne connaissais rien jusqu'ici, pourtant j'avais l'impression qu'Armin lui-même n'avait pas les idées claires. Voulait-il me faire culpabiliser pour m'être montrée imprudente ? Voulait-il me faire m'éloigner de Lysandre, Castiel et Dake en prétextant un danger ?


- T'es nouvelle, ici, répondit-il sur le même ton. T'as besoin qu'on t'explique comment fonctionne ce lycée de tarés. 

- Tu insinues que je suis incapable de comprendre comme une grande comment...

- Faudrait un master 2 en sociologie pour piger tout seul le fonctionnement de Sweet Amoris en un mois, me coupa-t-il sèchement. 


Qu'est-ce qui lui prenait ? Je ne connaissais pas Armin depuis bien longtemps, mais j'avais l'impression d'être face à une nouvelle personne. Le beau geek un brin protecteur, avec un tempérament bien trempé mais une certaine discrétion, s'était muté en boule de nerfs qui respirait la rancune et la colère. Quelque chose me disait que j'étais la cause de cette émotion bien trop forte. C'était comme si le volcan Armin, ou plutôt la veine qui s'était remise à battre sur sa trempe, menaçait d'exploser et de ravager tout ce qui l'entourait. 


- T'as évidement même pas remarqué que Castiel s'est éloigné de toi, fit-il.

- Quoi ?

- Il fait plus le trajet du matin avec toi depuis quelques jours, il ne reste plus avec nous devant le bahut, il a compris que c'était dangereux pour toi.


Je fronçai les sourcils. Il avait raison, je n'avais même pas remarqué que Castiel m'avait fichu la paix en arrêtant de me questionner sur Ruben et Dawn. En y réfléchissant bien, il ne m'avait pas adressé un seul mot durant toute la semaine qui avait précédé mon séjour chez Lysandre, à part le jour où la photo avait été prise.


- Tu es en train de me dire que c'est la bonne chose à faire ? M'éloigner de Castiel pour éviter de subir les pauvres coups tordus d'une bande de gamines ? Selon toi, je devrais en faire de même avec Lysandre et Dake, j'imagine ?

- Tu connais ce Dake depuis une semaine ! s'emporta-t-il. Tu vas risquer de t'en prendre plein la gueule à cause de lui ? Et Lysandre, il te plaît, hein ?

- C'est quoi le rapport ?!

- Mais t'es vraiment aveugle, ma parole ! Il communique avec toi en classe avec des bouts de papier, il t'envoie des textos avec une discrétion de loup, il ne t'adresse quasiment jamais la parole au lycée, et en dehors du bahut il se trimbale à poil devant toi et il te roule des pelles dès qu'il est sûr que vous êtes à l'abri. Il ne veut pas que vous soyez vus ensemble pour les mêmes raisons que Castiel ! Il a compris dès le début que toute fille dont il se montre trop proche risque d'avoir des problèmes. Lysandre a l'air humble comme ça, mais il est conscient de son succès !

- Tu dis toujours pas où est le rapport !

- Le rapport, c'est que si sa majesté Mogarra te plaît, ça se verra ! Tous ses efforts se verront ruinés parce que tu le regarderas trop, que tu essaieras de lui parler ou bien que tu retourneras chez lui ! 

- Donc selon toi je dois arrêter de le voir à cause d'un soi-disant risque ?! Dans cette ville de tarés faut se soumettre à un leurre et auto-censurer son existence ?

- Tu comprends pas le danger que c'est ! Toute personne avec un minimum de jugeote s'en rendrait compte ! Même Castiel, qui est bien trop fier pour céder à n'importe quelle menace, a décidé de se ranger et d'éviter les hostilités alors qu'il avait l'air de beaucoup t'apprécier même si tu l'envoies chier constamment !

- Tu fais partie de ces mecs adulés, alors pourquoi tu continues de me fréquenter ? Tu fais exception à la règle ?!


Idiote. Idiote. Idiote. Idiote.

Je ne savais même pas où je voulais en venir. Je reprochais intérieurement à Armin de vouloir m'éloigner de personnes contre mon gré, mais au lieu dextérioriser mon aversion pour cette idée, je suggèrais que je voulais m'éloigner de lui... et c'était tout le contraire. 


- Si tu t'es pas encore faite lynchée par toutes ces filles qui te jalousent, cracha-t-il, c'est parce que tu es proche de moi. Et ne commence pas à jouer les féministes enragées en me traitant de misogyne : cet avantage, je le dois seulement à la réputation qu'un certain journal m'a créée.


Je jetai un oeil du côté d'Alexy. Alors que son frère et moi-même nous étions levés pour nous disputer, il était resté assis, fixant le sol, le menton posé sur sa main. Il avait l'air en colère sans pour autant froncer les sourcils, il était muet comme une carpe.


- Pourquoi tu veux absolument me protéger ? questionnai-je Armin. Ici c'est Sweet Amoris, pas le Bronx.

- "Ici c'est Sweet Amoris" ? Tu connais même pas cette ville ! T'es encore une touriste !

- Je sais pas dans lequel de tes jeu vidéo tu t'es cru mais c'est pas parce que je suis proche de certains garçons que je risque de m'en prendre plein la gueule. 

- Ah, je vois ! En fait t'es ce genre de personnes qui attendent qu'une merde leur arrive pour finalement dire "oh ben flûte alors ! J'aurais peut être dû écouter Armin !".

- Il ne va RIEN m'arriver.

- Castiel et Lysandre ont l'air de cet avis ? Je dois te rafraîchir la mémoire ? Ils ont compris la menace : ils ont pris leurs précautions pour que tu sois hors de danger, alors ne fais pas comme si j'étais le seul à penser que ça vaut mieux !


J'étais éreintée.


- Bon, je rentre, déclarai-je en tournant les talons. 


Je voulus faire un pas pour sortir, mais Alexy se leva et me bloqua le passage. 


- Alex, gémis-je.

- Vous pouvez m'expliquer quel était le putain de but de votre putain de non-conversation ? fit-il en se massant les yeux. 

- Je sais pas ! explosai-je. J'ai jamais demandé à être protégée comme ça !

- Tu crois que mon frère a demandé à tomber amoureux de toi ?


Je ne sais pas quelle expression j'ai eu à ce moment là, ni quelles onomatopées j'ai réussi à produire.


- Alex, tu te fous de ma gueule ?! s'indigna Armin.

- Faut vraiment que j'y aille."


Je quittai rapidement la maison des jumeaux, mes pas allant au rythme des battements de mon coeur. 



***



"Je tourne le dos deux minutes et j'apprends que l'enfoiré que je cherche depuis des semaines est avec toi, fit Dawn en m'ouvrant la porte du loft.

- Il est resté avec moi seulement quelques heures. 


La Dawn un peu plus sympathique avait provisoirement refait surface. Elle était vêtue d'un jean boyfriend bleu ciel et d'un débardeur blanc bien trop grand. Ça me faisait toujours bizarre de la voir habillée. Elle avait dû sortir.


- Il est passé au loft ? la questionnai-je.

- Évidemment. Il est peut-être sadique au point de me faire lui courir après, mais il m'aime cet enculé. 


Elle ouvrit le frigo pour en sortir une bière qu'elle décapsula avec les dents. Elle but une gorgée et posa ses deux mains sur le plan de travail de l'îlot central. 


- Lag et Puiségur, fit-elle dans une expiration.

- C'est pas incroyable ?! me laissai-je emporter. T'acceptes de défiler, alors ?

- En lingerie seulement.


Dawn détestait poser ou défiler habillée... tout comme elle détestait s'habiller de manière générale. 


- Armand et Alexandre sont passés samedi, m'informa-t-elle nonchalamment. 

- Armin et Alexy, corrigeai-je. Je suis au courant. 


J'avais essayé de ne pas y songer, mais cela m'obsédait complètement. Armin... amoureux de moi ? Rien n'avait été confirmé par le principal intéressé, et je ne savais ni quoi penser ni comment définir l'effet que les mots d'Alexy avaient eu sur moi. J'avais peur, j'étais en état de choc, j'étais émue, triste, au bord des larmes, inquiète, je me sentais coupable mais bizarrement heureuse, j'étais un cocktail.

Dawn alluma la télévision et mit Ink Master. 


- S'ils ressemblent tous à ça dans cette ville, ça me sera moins pénible de rester plus longtemps. 

- Dans la ville, non, mais dans mon lycée oui. J'ai appris que tout ce qui importait la directrice c'était le physique de ses élèves. 

- Jules Ferry s'en retournerait dans sa tombe. Heureusement que t'as pas la gueule de Sid Vicious. Sinon, tu t'es tapé lequel ?


Castiel m'avait posé exactement la même question quelques semaines avant.


- Si c'est le gay, chapeau.

- Comment tu sais qu'il est gay ? la questionnai-je.

- Il regardait mon décolleté comme si c'était une boîte de conserve. Réponds à ma question.

- Pour l'instant, mon nombre d'ébats sexuels à Sweet Amoris s'élève à : zéro. 


Dawn faillit s'étouffer avec sa Grim blonde. 


- Tu t'es tapé la moitié de Morpert en un an et t'as encore rien fait ici en un mois ?! s'étrangla-t-elle.

- T'as pas besoin de me rappeler mes antécédents, maugréai-je.

- Tu vas pas te mettre à avoir honte de ton succès. Tu me faisais presque de la concurrence.

- Se taper la moitié de Morpert, c'est pas se taper la moitié de Paris.


Dawn amenait un mec dans son lit tous les soirs depuis qu'elle avait seize ans. Tout le quartier latin avait visité sa culotte.


- D'ailleurs, ce qui est étonnant c'est que TU n'aies encore ramené personne ici, fis-je. T'as tes règles constamment ou quoi ?


Elle eut un petit rictus. 


- T'as pas cru que je restais gentiment dans mon bain moussant pendant que tu dors ?


Je fronçai les sourcils d'incompréhension. 


- Tu veux dire que tu te fais la malle pendant la nuit ?

- Faut bien que je m'occupe, se défendit-elle. Je trouvais pas Ruben et j'avais envie de l'étriper, alors j'avais besoin de décompresser un peu. 

- Il y en a eu combien ? 

- Pour l'instant, six... ou sept. Dont un habitué du Rock'n'roller grâce à qui j'ai pas besoin de faire la queue. Et je me suis arrangée pour avoir toutes mes consos gratuites d'ici un bout de temps. 


Le Rock'n'roller était la boîte de nuit la plus populaire du centre-ville. Ironie, son nom était aussi celui d'une position sexuelle.


- Ils t'a présenté le vigile ?

- Je me suis tapé le patron, corrigea-t-elle. Il risque pas de l'oublier vu comment il a kiffé.


Comment avais-je pu ne pas me douter que ma soeur ouvrirait la chasse en arrivant ici ? Elle faisait partie de celles qui voyaient les hommes avec qui elles couchaient par pulsion comme des proie, ou au meilleur des cas des compagnons chasse. Impossible qu'elle fusse lassée du sexe. Dawn, tout comme Ruben, Rich et moi-même, lui trouvait bien trop de nuances. Il y avait la baise de l'instinct, celle à laquelle elle s'adonnait sans vraiment y avoir été préparée ni sans avoir vraiment cherché à s'y vouer. Il y avait aussi les courses. Dawn, comme le garde-manger d'une famille nombreuse, avait besoin d'être remplie, mais... sexuellement. C'était comme un besoin biologique pour elle. Si elle n'en venait pas à bout, c'était elle qui était à bout. C'était ça qu'elle avait fait avec ces six ou sept mecs, soulager ses pulsions. Troisième catégorie : l'accolade. C'était le fait de coucher avec une personne dont on se sentait complice sans ressentir sentiments amoureux pour cette même personne. Cette nuance du sexe était la garantie de l'évaporation des complexes et des réserves. Personne ne ressortait bredouille d'une accolade. Léger problème, il était rare que les deux partenaires eussent considéré le rapport sexuel comme tel. Alors que l'un voit l'autre comme un simple ami très expansif, l'autre peut ressentir bien plus que cela et lui donner le témoignage d'une réelle passion. On en vient à la quatrième nuance : l'amour. Cliché, connoté, niais à souhait, mais tellement idyllique. Faire l'amour, c'était le saint-graal du sexe, le plus haut degré de sa luxuriance. Faire l'amour, c'était faire converger sa conscience et son inconscient, consommer tout ce qui était consommable, et même l'inconsommable. C'était maudire le dieu Chronos de laisser passer le temps au lieu de l'arrêter pour nous laisser passer le restant de nos jours à nous délecter de l'amour. C'était beau mais mieux quand c'était réciproque. 

Telles étaient quelques unes des maintes catégories qui formaient le sexe. Voilà pourquoi Dawn la dissymétrique se complaisait tant dans cette activité : elle lui garantissait la possibilité de la variation, la fuite de la routine qui lui inspirait tant d'aversion. Je savais qu'elle n'était pourtant pas du genre à écarter ses cuisses sans réfléchir. Elle était dominante, pas dominée. Si elle couchait, c'était pour son plaisir, son intérêt avant tout. Et j'avais toujours craint qu'elle eut fini par tomber dans l'excès de cette recherche d'intérêt.


- Si Ruben apprend que tu fais ça, lançai-je, il t'incendie.

- Il sait très bien que je peux pas passer plus d'une semaine sans sexe. Il apprendra rien du tout. 

- Coucher avec un patron de boîte par intérêt, c'est juste de la prostitution.


Dawn posa sa bière sur la table.


- C'est sûr que le faire avec le premier venu pour soulager des pulsions nymphomanes, c'est mieux, m'attaqua-t-elle.

- Tu recommences avec ça ?!

- J'ai jamais arrêté "avec ça". Rappelle-toi qui t'a appris à te respecter, et ensuite tu viendras remettre en doute mes valeurs morales.


Cette fois-ci, elle allait trop loin. Je n'avais aucun scrupule à attaquer Dawn sur un plan tabou.


- Ah ? m'emportai-je. Et c'est laquelle de tes personnalités qui m'a éduquée sexuellement ? C'est qui qui t'a soufflé tout ce jargon du "respect de soi" et de la suprématie féminine au pieu ? Ton psy ?


C'est alors que Dawn, peut-être sans le vouloir, illustra mes mots par son agissement. Elle baissa le volume de la télé et se redressa. Son regard était redevenu noir. La seconde polarité de Dawn avait pris le dessus. 

J'avais visé un point sensible, mais c'était de bonne guerre.


- T'as l'air maligne à te complaire dans cette image de fille inaccessible et indifférente à tout ce qui l'entoure. N'oublie pas qu'il suffit et qu'il a toujours suffi d'une belle gueule et d'une paire de pectoraux en congestion pour te faire oublier jusqu'à ton prénom. Y'a ceux qui essaient de se protéger en sachant qu'ils ont besoin d'un bouclier, et y'a les autres comme toi qui se croient réellement invincibles et qui oublient leurs failles principales. Alcool, beaux mecs, ganja, t'as combien de talons d'Achille ?

- Oh, mais j'assume mes failles, répliquai-je. J'ai des addictions, certaines ont été atténuées et d'autres pas, mais au moins je ne fais pas émerger ma seconde personnalité pour cracher du feu comme un dragon sur tous ceux qui viendraient me rappeller que quelqu'un a réussi à me faire dépendre de lui !


Elle se leva du canapé et se rapprocha lentement de moi. La lancinance de ses mouvements avait quelque chose d'inquiétant, peut-être car couplée à l'expression ténébreuse de son visage. 


- Alors comme ça, fit-elle d'une voix glaciale, je "fais émerger" volontairement ma seconde personnalité ?


Elle eut un petit rire nerveux. J'avais énormément de choses à lui répondre, mais je me retenais. J'avais l'impression d'avoir été déjà bien trop virulente dans mes propos.


- Tu penses, espèce d'aveugle, que mes rendez-vous chez cet incapable de psy étaient un passe-temps ?


Dawn avait vu des psychologues de ses 14 ans à ses 17 ans. C'était quand Rich était mort qu'elle avait arrêté tout rendez-vous psychiatrique. Je savais que ma soeur était dotée d'une intelligence hors-normes, qu'elle avait un côté misanthrope et qu'elle était extrêmement pessimiste. J'avais pensé à une dépression minime, à des recommandations de professeurs mal lunés, mais elle était en train de m'expliquer que si elle allait voir des psy c'était parce-qu'elle était victime d'un...


- ... tu as un trouble de la personnalité, devinai-je.


Elle ferma ses yeux un moment en croisant ses bras sous sa poitrine.


- T'es bipolaire comme Savta, c'est ça ?

- Dysthymique, corrigea-t-elle. C'est la maladie la moins considérée en psychiatrie puisqu'elle est moins hardcore que les autres.

- J'en reviens pas...


Qui était déjà au courant ? Pourquoi personne ne me l'avait dit ? Depuis combien de temps Dawn savait-elle qu'elle était "dysthymique" ?


- Ruben est le seul à savoir, m'informa-t-elle. 

- Et nos parents n'ont...

- Je veux pas qu'ils sachent, me coupa-t-elle. J'étais déjà émancipée quand j'ai été diagnostiquée, à Paris. Donc j'avais le choix d'épargner à maman une seconde dose de stress après Savta.


"Savta" signifiait "grand-mère" en hébreu. Notre mère nous avait raconté le calvaire qu'elle avait enduré avec la maladie de sa propre mère. En épousant mon père, ma mère s'était faite reniée par toute sa famille. Elle était donc libérée du poids de la bipolarité de Savta. Dawn n'avait pas envie de lui refaire vivre le même schéma avec sa fille, car le seul fait de savoir Dawn dysthymique aurait rendu ma mère plus anxieuse que jamais.


- J'te l'aurais dit si t'avais pas fui comme une lâche.


Je ne répondis pas. À quoi bon ? Elle avait raison : j'avais fui.


- Moi qui pensais que t'avais juste un caractère de merde.

- Mais j'ai un caractère de merde, corrigea-t-elle. Pitié, ne commence pas à être toute gentille et mielleuse avec moi à cause de ce que tu viens d'apprendre. Si je dois te supporter pendant une durée indéterminée, j'ai pas envie de me sentir en colocation avec Soeur Sourire.


Son ton était toujours aussi condescendant, mais il s'était radouci.


- Quoique, ça risque pas, reprit-elle. Parce-que toi aussi t'as un caractère de merde."



***



"Tiens, tiens, mais qui voilà ? C'est miss-je-suis-un-sex-symbol-parce-que-je-suis-tatouée...

- Ok Ambre, soupirai-je. Pousse-toi d'ici, j'ai cours.


Elle fit un pas vers moi. Elle croisa les bras sur sa poitrine et je poussai un juron d'exaspération.


- Des cours ? répéta-t-elle. T'as pas plutôt des mecs avec qui aller flirter ?

- Et toi t'as pas un morceau de salade à aller vomir ?


Je la bousculai pour sortir des toilettes.


- Fais gaffe à ton petit cul, m'avertit Ambre. Tu comprendras bien assez vite ce qui me vaut ma réputation.


Je levai les yeux au ciel en remontant la manche tombante de mon pull sur mon épaule. On se serait cru dans un mauvais teen movie.


- Aurore ! m'appela Nathaniel depuis son casier ouvert.


Il existait encore, celui-là ? J'avais l'impression de ne pas l'avoir vu pendant des lustres.


- Salut, me fit-il. J'ai appris que tu avais eu envie de quitter le club de journalisme ?

- C'est vrai. Peggy m'a traquée toute une semaine.


Nathaniel sortit un livre de son casier avant d'en refermer la portière.


- Je sais, répondit-il dans un soupir. Je suis désolé de te l'apprendre mais ce ne sera pas la dernière fois.

- Comment ça ? Elle m'a dit qu'elle n'emploierait plus ces méthodes. 

- Peggy dit ça a tout le monde, mais elle a carte blanche donc elle en profite.


C'était quand même dingue, quel lycée de tarés.


- Et la directrice ne fait rien ? m'indignai-je.


Nathaniel eut l'air étonné. 


- ... personne ne te l'a dit ?


Je fronçai les sourcils d'incompréhension. Il jeta un oeil du côté du bureau de la dirlo, dont la porte était fermée. 


- Peggy a la directrice dans sa poche tout simplement parce que c'est sa grand-mère, m'expliqua Nath.

- QUOI ?! m'exclamai-je.

- Chhhhht ! Moins cette pistonnée nous entendra parler d'elle, mieux ce sera. Déjà qu'elle a pas l'air de te porter dans son coeur, vu ce qu'elle écrit.


Sa... grand-mère ?!


- T'as jamais remarqué qu'elles avaient le même nom de famille ?

- Euh... je connais même pas le nom de famille de la dirlo, répondis-je.


Nathaniel me prit par les épaules pour me faire pivoter sur moi-même, avant de me désigner du doigt l'écriteau sur la porte du bureau de la directrice.


- Madame Shapiro, lus-je éberluée.

- Tu passes devant tous les jours et tu ne l'as même pas vu ? me demanda-t-il avec un sourire moqueur.


J'étais vraiment encore plus perchée qu'on le disait. C'était carrément inquiétant. 


- En y réfléchissant, fis-je, c'est vrai que Peggy est peut-être la seule éleve au physique un peu moins... avantageux que les autres élèves. 


Elle était loin d'être laide, mais, dans un établissement où tout le monde était outrageusement beau, la dictatrice en chef du journal du lycée faisait un peu tâche...


- Oui, elle a échappé à l'épreuve d'admission, maugréa Nath. Je vois que tu as été mise au courant de la petite particularité de notre lycée.

- "Petite" ? C'est le truc le plus hallucinant qu'on m'ait jamais annoncé depuis mon arrivée ici !


Il poussa un long soupir. 


- Si ce lycée n'était pas aussi excellent malgré son organisation de merde, je ne me serais jamais inscrit. L'ambiance ici est très spéciale.

- J'avais remarqué, répondis-je en suivant du regard deux filles qui marchaient en se faisant des messes basses sur mon compte. 

- Fais pas attention à elles. Elles toutes, je veux dire. 


 Le délégué principal commença à s'éloigner.


- De toute façon, t'es protégée, ajouta-t-il.


Protégée ? Est-ce qu'il faisait allusion à...


- Armin ? devinai-je.

- J'ai un devoir à déposer en salle des profs. À la prochaine, Aurore."



***




"Si t'avais pas séché mon dernier cours, Kruger, t'aurais été au courant !

- J'ai même pas de maillot !


Elle pivota sur ses talons cornés pour se pencher sur une grosse caisse en plastique rouge. Elle me sortit un...


- Enfile ça, m'ordonna-t-elle avec un sourire carnassier.


... vieil une pièce marron complètement troué.


Hors. 

De. 

Question. 


- T'es sourde ?! meugla-t-elle en voyant que ne bougeais pas. Tous les autres sont déjà dans les pédiluves.


Les pédi-quoi ?!


- Oh j'avais oublié ! mentis-je. Je peux pas me baigner à cause de mes derniers tatouages !


En réalité, cela faisait au moins deux semaines que ma peau avait parfaitement cicatrisé. La prof examina des yeux mes bras nus, mes clavicules, mes chevilles, et elle sembla abandonner sa quête en comprenant que j'avais bien trop de tatouages pour qu'elle trouve ceux dont je parlais. 


- Ne crois pas que tu vas t'en sortir comme ça, m'avertit-elle. La prochaine fois, tu nages ! Maintenant, va attendre dans les vestiaires !


J'étais un génie. 

Je fis demi-tour, toute contente de pouvoir passer deux heures à siester au lieu de me noyer.


- Eh, on ne court pas au bord du bassin ! cria ma prof dans mon dos à l'attention d'autres élèves. 


Par curiosité, je jetai un oeil du côté des trublions, qui venaient de quitter le vestiaire des garçons, et ce que je vis fit rater à mon coeur un battement.

Il n'y avait que neuf garçons dans ma classe de terminale L, mais ils avaient tous des corps de rêve. Le plus reconnaissable était Lysandre qui, de dos, arborait son magnifique tatouage que je connaissais déjà. Il était tellement divin qu'il en semblait irréel. Je ne pus m'empêcher de dévorer son corps du regard en perdant tout sens de la discrétion et toute notion du temps. Était-ce seulement possible de dépasser à ce point la perfection ?

Castiel, à ses côtés, me faisait comprendre son succès auprès des filles, avec ses abdominaux impeccables. Mais, j'ignorais pourquoi, j'étais complètement indifférente à son charme. Kentin était bien moins massif, mais il avait des muscles très dessinés, et ses pectoraux d'acier m'avaient marqué par leur solidité la fois où je me les étais pris en plein nez. J'avais encore du mal à croire que c'était lui, Ken, le nain à lunettes qui m'avait couru après depuis la maternelle. Nathaniel cachait vraiment bien son jeu. Je l'avais déjà vu en caleçon, mais j'étais plus concentrée sur le rideau qu'il s'était accroché autour du cou que sur son corps athlétique. Pierre Barma et Aaron Alami avaient exactement la même carrure : ils étaient grands, minces, musclés sans l'être, mais incroyablement sexy. C'était certainement leur charisme qui les rendait si attirants. 

Les jumeaux, eux, étaient taillés différemment. Si Alexy avait surtout des obliques bien marqués et une ligne abdominale dessinée, Armin était musclé de partout. Son corps avait été sans aucun doute sculpté par une activité physique. Je m'arrêtai un moment sur lui. Comme par automatisme, je ne m'étais jamais vraiment intéressée à son physique. Bien entendu, j'avais remarqué qu'il était exceptionnellement beau, mais alors que d'habitude les physiques comme le sien me donnaient au moins un semblant d'arrières-pensées, il n'en fut rien avec lui. Cela devait être parce qu'il était entré dans ma vie dès mon premier jour à Sweet Amoris, et que j'étais bien plus titillée par l'inaccessible que par le tout cuit... Mais depuis cette dispute entre nous, je le percevais différemment. Il s'était affirmé. Et je le voyais enfin sans filtre. Objectivement, il avait un corps presque aussi parfait que celui de Lysandre, même si ce dernier restait un idéal impossible à égaler, et des muscles aussi saillants de Castiel. Mais, alors que la plastie de ces deux derniers était plus un aphrodisiaque, une beauté sexuelle, le corps d'Armin était rassurant, comme si chaque centimètre cube illustrait le protecteur et le mâle qu'il était. Le corps de chacun dégageait une aura, et celle d'Armin était comme une fumée dense et apaisante qui vous faisait vous endormir, qui vous ordonnait de lâcher prise. Mais son visage disait tout le contraire. Il était glacialement divin, froidement royal. Il mettait des barrières avec les autres, il se méfiait. Et ce contraste entre son aura et son expression montrait à quel point il n'était pas lui-même.

Je ne lui avais pas reparlé de l'épisode de la veille.

... À vrai dire, je ne lui avais pas vraiment parlé. J'avais fait le trajet en car du lycée à la piscine à côté de Rosalya. J'avais seulement salué les jumeaux de manière très brève. Je les évitais, mais était-ce inconscient ?


Alors que j'observais son corps, Armin leva les yeux vers moi. Ils étaient aussi bleus que l'eau qui emplissait les bassins. Son regard était toujours indéchiffrable. Que voulait-il me dire ?


- Bouh !

- AH ! m'exclamai-je en manquant de glisser sur le sol. 


C'était Dake. Il était tellement grand que mes yeux virent automatiquement se poser sur... ses tablettes de chocolat absolument divines. 


- T'es pas en maillot de bain ? fit-il. Dommage, j'avais bien envie de faire des jeux aquatiques avec toi.


Il avait des tatouages carrément craignos, mais il était tellement bien foutu que je n'en avais rien à faire. 


- Plus tard tu pourras toucher avec autre chose que les yeux si tu veux, ajouta-t-il avec un sourire hollywoodien. 

- Foster, arrête de draguer et amène-toi ! Et toi Kruger, t'es toujours pas aux vestiaires ?! hurla ma prof de sport depuis l'autre bout du bassin. 


Je pivotai en direction d'elle et des élèves, séparés en deux rangs selon leur sexe. Mes yeux, devant ce festival de biceps et de pecs en pleine congestion, m'ordonna de rester exactement là où j'étais.


- Je pourrais pas assister à la séance ?" demandai-je.



***



Ambre pensait visiblement que son bikini bleu électrique, quasiment inutile par sa couvrance minimaliste, lui donnerait l'attention tant escomptée de son Castiel.


- C'est qui ton prof de fitness ? lui demanda Marnie De Raffin. T'as de ces abdos, c'est dingue !

- Et regarde ses fesses, s'extasia Li, on dirait Jessica Alba...


Le rockeur était concentré sur ses longueurs de bassin. Il semblait compter sur l'EPS pour compenser son manque d'assiduité en cours, et il pouvait se le permettre : sachant qu'il avait pris sport en option facultative et en option obligatoire pour le bac, cumulant un coefficient de six dans cette discipline, et qu'il devançait les déjà doués Justine Sobra et Aaron Alami, qui nageaient en même temps que lui, d'au moins six longueurs, il était indéniablement excellent. Et la prof de sport était limite en extase devant ce prodige. 

Pendant ce temps, Ambre et certaines de ses groupies, qui attendaient leur tour, mouillaient leur culotte en dévorant des yeux le rouquin. D'autres se cambraient excessivement dans le but d'attirer le regard de Dake ou de Lysandre, qui était en train de rêvasser en fixant l'eau turquoise des bassins pendant que l'australien profitait de l'échancrure des maillots féminins pour se rincer l'oeil, et le restant d'entre elles matait le corps d'Armin. Il leur jetait un regard noir dès que l'une d'entre elles osait lui sortir une niaiserie.


Moi, je me délectais du ridicule du bonnet de bain de chacune de ces pauvres filles. Ambre, particulièrement, avait l'air d'une véritable capote sans son brushing de candidate à un concours de mini-Miss. Pourtant, il me fallait avouer que son corps, bien que très mince, ne suivait pas. Ambre était bien gaulée. Elle était à des kilomètre de la perfection du corps de Dawn, mais elle était vraiment bien. Si mon corps à moi m'avait complexée, j'aurais probablement été verte de jalousie, mais c'était loin d'être le cas.


- Tu observes le zoo qui nous sert de classe ? fit Rosalya en s'asseyant à côté de moi. 

- T'as deviné. Pourquoi tu portes pas de bonnet ?


Ses sublimes cheveux argentés aux reflets lavande tombaient en cascade dans son dos. Son maillot de bain une pièce noir à découpes lui allait à ravir. Il s'agissait à tous les coups d'une production de Leigh : la touche à la fois raffinée et épurée des finitions du buste et des bretelles, la minutie des fronces dans le dos résumaient à elles seules les collections Mogarra. Et Rosa rendait encore plus justice à cette sublime pièce. Cette fille était une bombe. 


- J'ai déjà nagé cinq fois et le cours est bientôt fini, me répondit-elle. Dès que je suis sortie du bassin j'ai enlevé cette horreur qui compressait mon crâne. 

- Tu as nagé ? m'étonnai-je. Je t'avais même pas remarquée.


Rosalya souria en designant le quatuor Lysandre-Castiel-Armin-Dake du menton.


- Faut croire que t'avais autre chose pour t'occuper les yeux. 

- La directrice a soulevé leurs t-shirt à leur entretien d'admission pour s'assurer qu'ils soient tous aussi bombesques ? m'enquéris-je. 

- Ça, je préfère ne pas le savoir.


Un lycée composé uniquement d'élèves au physique agréable. Je n'y croyais toujours pas. 


- Je compte sur toi pour ne pas te faire dispenser la semaine prochaine. Hors de question que je me retape les messes basses et les ragots de toutes ces pauvres écervelées.


Elle désigna cette fois-ci le troupeau de filles qui bouffait les mecs du regard en piaillant. La pauvre. La prof avait séparé les filles des garçons, et Rosalya était forcée de les supporter au lieu de rester avec Lysandre et Castiel comme elle en avait l'habitude. 


- Y'a bien Kim, mais elle est tellement à fond dans le délire de la prof que c'est comme si elle était pas là. Violette est la fille la moins bavarde du monde, et Iris squatte les vestiaires parce qu'elle a ses règles.

- ... Melody ? suggérai-je.

- Elle me hait parce-que je suis ton amie, fit Rosa en riant. Nathaniel t'aime bien, donc t'es son ennemie. En fait, vu que Lysandre, Castiel, Armin, Alexy, Pierre, Aaron, Kentin, Nath et tout ce qui possède une paire de couilles t'aime bien, toutes les filles hétérosexuelle du lycée te haïssent. 

- Quelle coïncidence, un certain journal d'un certain lycée a récemment publié un article dépeignant exactement ça. 


Rosa et moi posâmes alors instinctivement les yeux sur Peggy qui, dans son maillot une pièce kaki, avait l'air d'une éleve bien trop normale. Son visage illustrait son manque d'aisance sans son armure : elle n'était pas assise derrière un bureau, ne portait pas de magnétophone, ne tenait aucun carnet en main. Il suffisait de lui ôter ses armes pour la vulnérabiliser.


- Elle est toute seule, me fit remarquer Rosalya. Elle est toujours toute seule, et c'est tout ce qu'elle mérite. Même son caniche la laisse tomber. 


En effet, Capucine n'était pas avec Peggy. Elle gloussait avec les autres idiotes en reluquant les garçons pendant que la petite fille de la principale restait dans son coin, bras croisés. 

Adossées au mur carrelé, sur l'estrade près du tas de serviettes et de l'étagère à brassards, Rosa et moi avions une vue panoramique et exhaustive sur le grand bassin et ce qui l'entourait. 

J'eus une étrange envie de penser à voix haute. 


- Je passe ma vie à fixer le vide en cogitant sur mon passé, en réfléchissant comme une dingue. J'oublie d'observer ce qui m'entoure. Je fais sans cesse abstraction de mon environnement. Je suis peut-être trop égocentrique. 

- Alors change ça, fit Rosalya en posant sa main sur mon épaule. Arrête de te prendre la tête. 

- Les jumeaux me manquent, annonçai-je soudainement. 


Elle me lança un regard interrogateur. 


- On s'est éloignés, expliquai-je. Ça date d'hier mais j'ai l'impression que ça fait des semaines. 

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?


Je n'en savais rien. Était-ce à cause de la suprotection d'Armin envers moi ? Ou bien parce que...


- Armin est amoureux de moi. Enfin, d'après Alexy.


Rosalya tourna la tête vers le bassin. Les jumeaux étaient à la fois identiques et opposés. 

Alex s'amusait à faire tourner la prof en bourrique avec Pierre et Aaron. Il était incapable de rester dans son coin. C'était un peu le clown de service, mais il était loin d'être lourd. Il avait l'air de trouver la vie si simple, si enfantine... 

C'était le garçon du verre a moitié plein.


Armin attendait encore son tour pour nager. Bras croisés sur son torse musculeux, regard de ciel plus perçant que jamais, on aurait dit qu'il essayait de figer l'eau, de cristalliser son mouvement. À quoi pensait-il ? M'en voulait-il ? 

Je m'en voulais. 


- Je sais pas quoi en penser, m'avoua Rosa. Tu sais, tout le monde considère Castiel comme le mec ténébreux et inaccessible, mais c'est Armin le pire. Je comprends pas grand-chose à ce garçon.

- Je pense que le plus mystérieux, soufflai-je, ça restera Lysandre.

- Définis Lysandre en un mot, me défia Rosalya.


C'est alors que ce dernier sortit du bassin, ruisselant. 

Ses ailes noires semblaient scintiller sous les innombrables gouttelettes qui perlaient le long de son dos avant de s'écraser sur ses reins.

Il passa devant le troupeau de filles, secouant sa chevelure ivoire pour en chasser l'eau, puis il y plongea sa main avec nonchalance. 

Le temps sembla s'arrêter à mesure qu'il marchait : personne ne parlait, la prof d'EPS s'était arrêtée de gueuler. Les deux élèves qui nageaient encore se dépêchèrent de finir leur longueur pour découvrir la causer de ce soudain silence. Les filles avaient stoppé leurs gloussements pour mieux ouvrir la bouche d'admiration.

Tous les yeux sans exception étaient braqués sur cette beauté. Castiel affichait un sourire narquois, s'amusant de l'effet que la simple vue du corps de son ami avait sur l'assemblée. Je crus entendre Alexy pousser un juron d'enthousiasme pendant que Lysandre s'étirait de tout son long. Il avait l'air de savoir parfaitement qu'il était responsable de cette effervescence, mais il y semblait tellement indifférent. Peggy, qui avait soudainement retrouvé le sourire, était à tous les coups en train de se réjouir d'avance des articles que cet épisode quasi-surnaturel lui inspirait déjà.

La prof reprit alors ses esprits en réalisant le retard que le cours avait pris, et elle hurla aux suivants de sauter à l'eau. Ceux-ci s'exécutèrent rapidement, éclaboussant tout le monde. L'eau avait dû faire décuver les élèves puisque le cours se poursuivit comme si de rien n'était. 


Lysandre se dirigea vers nous pour attraper sa serviette. Il ne me jeta pas un regard. Il se contenta de passer son pouce sur sa lèvre captivante. Je ne sais pas pourquoi, mais j'eus l'impression qu'il me dédiait exclusivement ce geste.


- Séraphique, répondis-je enfin à Rosa sans parvenir à le quitter des yeux.


Il m'entendit, cela le fit sourire. Il s'éloigna avec sa serviette, comme pour laisser à mes yeux un peu de répit après cette symphonie de volupté esthétique. 


- Et Armin ? m'interrogea Rosa.


Sa question me prit de court. Armin était... il était...


- Protecteur ? proposai-je avec peu de conviction dans la voix.

- Avec toi et son frère, peut-être. Mais en général ? Son aura, elle dégage quoi ?


Je me remis a l'observer. Je ne m'étais jamais vraiment questionnée sur Armin de cette façon. Il était protecteur avec moi, généreux, peut être assez possessif, très méfiant envers les autres, introverti... et... et...


- Je sais pas, réalisai-je. C'est impossible de le définir avec un seul mot. 

- Ça veut dire qu'il est plus complexe que Lysandre. Enfin, que tu arrives moins à le cerner. 

- Peut-être que ce qui fait que j'ai réussi a trouver un mot-clé pour Lysandre c'est juste parce qu'il me fait un certain effet. C'est sur cet effet-là que j'ai réussi à placer un mot.


Le visage de Rosalya se fendit alors d'un immense sourire. Qu'est-ce que j'avais encore dit ?


- Tu vois qu'il te plaît ! 

- Il plairait à une lesbienne aveugle ! me défendis-je comme si j'étais coupable de quelque chose. 

- J'étais sûre qu'il te plaisait.


Je haussai les épaules. Je n'avais pas vraiment de but avec lui. Ma seule envie était de me faire tatouer par Ruben, parce-que j'étais vraiment en manque.


- T'as même pas envie de concrétiser un peu les choses ? s'étonna Rosalya.

- J'en sais rien.

- Ça doit aussi être pour ça que ces filles te haïssent tant : t'as les ingrédients pour faire ce dont elles rêvent et toi tu cherches même pas à alimenter cette flamme, pourtant elle continue de brûler. 

- D'après Armin, cette flamme risque de se transformer en feu de la Saint-Jean. Ou plutôt en bûcher. Pour me crâmer comme Jeanne D'Arc.


Comme si cette bande d'attardées eût été capable de faire fonctionner les spaghettis qui leur servaient de neurones pour échafauder autre chose qu'une misérable combine découlant d'une convergence de leurs ridicules quotients intellectuels.


- Je vois, fit Rosa. Il a peur pour toi...

- C'est un euphémisme, répondis-je. Il croit que le lycée est une espèce de jungle où...

- Il a raison, me coupa-t-elle, fais gaffe.


Je me sentais tout à coup très, très seule. Rosa aussi voyait Sweet Amoris comme le QG de la mafia ?


- Continue de voir et parler à qui tu veux, mais sois super discrète.

- La discrétion et moi, ça fait douze, répondis-je. 

- Pas faux, ricana-t-elle. De toute façon, les principaux intéressés ont l'air capables de te protéger à leur manière. Cast en s'éloignant de toi, Lysandre en étant discret comme un loup, et Armin est un peu ton garde du corps, dans tous les sens du terme.


C'est à ce moment-là que Dake arriva pour attraper une serviette. Ses groupies le bouffaient littéralement du regard, mais il les ignorait à moitié. 


- Alors, c'est quand qu'on a un petit moment en tête à tête ? me demanda-t-il en m'aveuglant avec son sourire immaculé.

- Foster !!! meugla la prof pour qu'il revienne.


Il me fit un clin d'oeil et rebroussa chemin.

Les fans de Dake me jetèrent toutes des regards noirs de haine, avant de suivre leur apollon en se remettant à glousser. Flippant. 


- Par contre, le celui-là n'a pas l'air de vouloir suivre le même chemin que les autres", acheva Rosa.


La prof siffla pour indiquer la fin du cours. Je devais aller chercher mon sac dans les vestiaires.



***



"Chhht ! Merde, je t'ai fait peur ? Désolé. Non, ne dis rien. S'il te plaît. Tu te demandes si je suis bien amoureux de toi, c'est ça ? Ben je sais pas, je sais pas et je m'en contrefous. Oublie ce que mon frère t'a dit, oublie tout ça. Je tiens à toi au point de vouloir te défendre selon n'importe quelles circonstances. Je veux juste que tu te sentes bien. Avant, pour que j'aille bien, il fallait qu'Alex lui-même aille bien, sans quoi je déprimais à sa place et je cherchais sans répit la source de son malheur pour la détruire immédiatement. Maintenant que t'es là, il faut non seulement que mon frère aille bien mais que toi aussi tu ailles bien. C'est le seul moyen pour que j'aille bien moi-même. J'ai senti que t'avais un truc dès que je t'ai vue, Ricky. T'es différente tout en étant si banale. J'ai jamais rencontré personne d'aussi bizarre que toi, espèce d'alien. T'as toujours l'air ailleurs, t'as l'air triste. Je te l'ai déjà dit ça, donc je vais pas épiloguer là-dessus. Sache seulement que, même si t'es nulle en maths, y'a juste une formule à retenir : toi heureuse = moi heureux. Peut-être que je t'aime, j'en sais rien, mais tu vas galérer à te débarrasser entièrement de moi si c'est ça que tu veux. Je veux pas forcément que tu t'ouvres à moi ou que tu me racontes tes secrets... parce que, oui, je sais que t'as plein de secrets, et pas seulement pour moi. T'es carrément un secret ambulant. Enfin bref, je veux pas que tu te forces à t'ouvrir pour me faire plaisir, c'est même l'exact contraire de ce que je veux que tu fasses. Aujourd'hui, j'ai passé tout ce putain cours d'EPS à fixer la flotte en me demandant ce que j'allais bien pouvoir te dire. Et puis j'ai levé mes yeux de merlan vers toi et j'ai compris que t'étais aussi paumée que moi. T'es toujours paumée de toute façon. Peut-être que ça donne une autre formule : toi paumée = moi paumé. En tout cas, écoute moi bien Ricky. J'ai juste un ordre à te donner : sois heureuse bordel. De la manière que tu veux, dans les bras de qui tu veux. J'ai réfléchi, et j'ai décidé de compenser ton insouciance. T'es carrément têtue, t'as pas l'air de piger à quels risques tu t'exposes. Chhhht j'ai dit ! Commence pas à me répliquer que je suis parano, t'es une fille "normale" qui a deboulé dans un lycée de malades : pas étonnant que tu te rendes pas tout de suite compte des conditions. Mon frangin va me passer un sacré savon quand il va savoir ça, mais j'ai décidé de multiplier ma protection par deux, juste pour toi. Fais ce que tu veux, embrasse qui tu veux, couche avec qui tu veux, je serai là pour mettre des bâtons dans les roues de toutes les vipères de ce lycée. Impossible pour moi de surveiller à la fois les groupies de Lysandre, de Castiel et de cet abruti d'Australien qui n'a rien compris au danger, en plus des miennes. Je me fiche de passer pour un prétentieux, mais y'a tellement de pauvres filles qui ont flashé sur moi ici, je vais pas me voiler la face. Me débarrasser de cette menace là, ça me retirera déjà une sacrée épine du pied. Et la seule manière d'en faire autant, c'est de m'éloigner de toi. Il faut que mes groupies se désintéressent de toi en croyant que je me désintéresse de toi, alors que tu seras toujours dans mes pensées puisque tu seras la cause de mon attitude, le centre de gravité de mes priorités. À partir de maintenant, je vais faire comme si on n'avait jamais été amis. Je me débrouillerai avec Alex, ne t'inquiète pas, il ne coupera aucun pont avec toi. Le seul qui va s'estomper de ta vie, c'est moi. Raaaah, mais ne dis rien ! Tais-toi, je t'en supplie. Y'a rien à dire. Ce lycée est une vraie arène, et visiblement il te faut un temps d'adaptation. C'est pas ta faute tout ça. Trop intéressante, trop intelligente, trop spéciale, trop tatouée, trop belle. T'es pas passée inaperçue, je pense que tu l'as remarqué. La rubrique people continuera de parler de toi, mais au moins le danger sera réduit. D'ailleurs, Peggy l'enflure, si t'es planquée dans l'un des putain de casiers de ce putain de vestiaire pour retranscrire ce que je viens de dire dans l'un de tes putains d'articles, je te conseille de changer de projet à moins que t'aies envie que je vous transforme toi, Capucine et Ambre en centipède où tu serais au milieu. Aurore, c'était un plaisir. Je vais peut-être aller m'habiller, je suis encore en maillot et le car va repartir sans moi. On se verra tous les jours au lycée, mais je doute qu'on se reparle."

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