Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 4 : Chapitre 4 : Une soirée mouvementée

10697 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/03/2017 19:23

Kentin et Kim arrivèrent presque tout de suite après nous, ils étaient les derniers.


"Ma soeur a insisté pour qu'on se sépare, soupira Nathaniel. Elle reste en bas avec ses invités et on a l'étage pour nous, ajouta-t-il en se dirigeant vers le pied de l'escalier.


Il sursauta en s'apercevant que Castiel était sur ses talons. Ce dernier venait de se sauver de la cuisine en courant, et il n'avait pas l'air ravi.


- Ta sœur me gave, je monte avec vous.


On entendit Ambre questionner certains de ses invités dans la pièce que venait de déserter le rouquin :

"Dites, vous auriez pas vu un beau mec aux cheveux rouges ?"


Nathaniel regarda Castiel avec un sourire sadique puis il lui rétorqua simplement "Non", avant de lui tourner le dos. Snobé comme un malpropre, l'invité clandestin commença à serrer les poings. Ça, ça sent pas bon. Je décidai d'intervenir.


- Hum... à ta place, je ne le laisserais pas sans surveillance, soufflai-je au délégué. Tu devrais le laisser venir, il a l'air si désespéré par ta soeur qu'il devrait rester tranquille.


Nathaniel prit une grande inspiration, puis il fit signe au rebelle de monter. Castiel ne bougea pas, bras croisés, et se contenta de lui répondre par un regard noir. Mais en entendant Ambre l'appeler encore une fois, il monta les marches quatre-à-quatre et se rua dans la première pièce qu'il vit.


- Hey ! C'est la chambre de mes parents ça ! s'écria Nathaniel en l'imitant.


Tout le monde monta à l'étage, sauf moi. Je venais de remarquer que les jumeaux avaient filé à l'anglaise. Je les cherchai du regard dans le salon attenant à l'entrée. Les invités d'Ambre y étaient ; des filles en mini-jupe étaient assise sur les genoux de mecs baraqués. A en juger au nombre de personnes en sous-vêtements, je conclus qu'ils avaient dû faire un strip-poker. J'aperçus la chevelure bleue d'Alexy, qui se baladait au milieu des invités. Il était suivi par un Armin qui ne manquait pas de dévorer des yeux le décolleté de toutes les filles qu'il croisait. Depuis quand ils sont partis, ceux-là ? Qu'est-ce qu'ils sont en train de trafiquer... Parmi les gens encore habillés, je reconnus Peggy et Capucine. Quelque chose me disait que ces deux commères allaient se faire une joie de mettre tout le lycée au courant du moindre détail de la soirée.


Kentin me sorti de ma rêverie :

- Tu ne montes pas, Aurore ? me demanda-t-il en grimpant les marches.


J'avais un drôle de pressentiment.


- Euh... si, si."



***


"Hé ben, tu t'embêtes pas toi, siffla Kim en faisant les cent pas dans l'immense pièce où nous avait conduits Nathaniel.


Rosalya, Iris et Melody étaient déjà là. Nous devions probablement être dans une salle de jeu. Un billard, deux baby-foot, un écran plasma et une grande bibliothèque encadraient une multitude de fauteuils et de poufs moelleux. Il y avait aussi un mini-bar et une énorme chaîne Hi-Fi.


- Le strict minimum, fit Ken en tripotant les mini-statues en marbre de style africain qui décoraient les étagères.

- On peut considérer que ce sera la pièce principale de la soirée puisque ma sœur et ses charmants invités ont réquisitionné le salon, déclara Nathaniel en se grattant la nuque.

Il peut pas arrêter de faire ça ? Ça me donne envie de me gratter, moi aussi.


Non mais... je rêvais ou quoi ? C'était bien du Zaz qui résonnait depuis le salon ? Du Zaz à une soirée ?

Je ne pensais pas qu'Ambre affectionnait ce type de musique.


Voilà, j'allais l'avoir dans la tête pour tout le mois.


Castiel sembla lire dans mes pensées :

- Tu comptes pas nous imposer cette daube toute la soirée, quand même ? grimaça-t-il à l'attention de Nathaniel.


Celui-ci se dirigea vers la chaîne Hi-Fi. Il la contempla sous tous les angles, les yeux écarquillés :

- ... Mais... ou est-ce que...

Il se gratta la tempe avec un air d'incompréhension.


Les jumeaux arrivèrent dans la salle, portant chacun une bonne dizaine de bouteilles. Alexy balaya la pièce du regard et siffla.


- Eh ben... c'est pas mal du tout, ici, observa-t-il.

- Si ta sœur n'éteint pas tout de suite cette soi-disant musique, j'appelle les flics en me faisant passer pour le voisin ! hurla Armin.


Ambre était sourde ou quoi ?! On devait crier pour s'entendre parler.


- Tu comptes nous dire ce que tu cherches depuis tout à l'heure ? lança Castiel à Nathaniel, qui continuait son étrange inspection.

- Ma clé USB ! répondit-il, excédé. Il y a de la musique dedans... Pour couvrir ce boucan. C'est ça que tu m'as demandé, non ?!

- De toute façon je pense pas que ta playlist vaille mieux que celle de ta sœur, railla le rouquin.


...Et ils se mirent à se chamailler.


Génial ! L'horrible musique d'Ambre se mêlait aux cris des garçons, ce qui nous donnait une cacophonie à faire perdre patience à un moine shaolin. Melody jeta un regard plein de sous-entendus à Iris, qui se mit à rougir instentanément. Rosalya s'approcha de nous et expliqua que Nathaniel avait posé la fameuse clé USB près de la chaîne Hi-Fi, avant de partir nous ouvrir. Mais qu'Iris avait réussi à la faire tomber par la fenêtre attenante, pendant son absence, en essayant de montrer un pas de danse à Melody. L'objet était actuellement en train de flotter dans la piscine.


Zaz venait d'achever son horrible chanson, soulagement général.

Sauf que la musique suivante était Barbie Girl d'Aqua.


- Bon, y'en a marre, file moi ton téléphone, me réclama Armin en posant ses bouteilles sur le buffet.


Mon téléphone ?


- Heu... pourquo...


Il me le prit des mains sans que j'eus le temps de faire quoi que ce soit, puis il se dirigea vers la chaîne Hi-Fi, l'y brancha, et se tourna vers moi.


- J'espère que l'hôte de la soirée a un chargeur dans un de ses tiroirs parce que les batteries d'Iphone sont pas les meilleures niveau longévité, me lança-t-il.

Donc il compte lire la playlist de mon téléphone ? Heu...


Armin avait activé la lecture aléatoire. Le son était à fond ; on entendit une guitare électrique commencer à jouer, ce qui intrigua tout le monde et fit taire les garçons. Je reconnus tout de suite B.Y.O.B, de System Of A Down... Au moins, on était sûrs que ça allait couvrir la daube de l'autre blonde.

Tout à coup, le chanteur hurla "YOU !" et fit sursauter toute la salle excepté Castiel, Kim et moi.


- Voilà enfin de la musique, fit Castiel. Je suppose que notre cher délégué comptait nous mettre du Chopin ?

- Je peux encore te virer de chez moi ! le menaça Nathaniel. Ou même pire ; t'enfermer dans une chambre. Seul avec ma soeur.


Et c'était reparti pour les chamailleries.


- Je savais pas que t'écoutais du trash metal, s'étonna Armin au milieu des insultes que se lançaient le blondinet et le rouquin.

- C'est du néo-metal, et c'est l'une des moins agressives que je connaisse. Sinon, tu comptes m'expliquer... ça ? fis-je en désignant toutes les bouteilles que son frère et lui avaient amenées. Et qu'est-ce que vous fichiez en bas au milieu d'Ambre et ses amis ?

- On a fait le plein dans le salon, m'expliqua Alexy, hilare. Les invités d'Ambre étaient trop occupés à admirer un blond bourré faire un strip-tease sur la table pour remarquer qu'on avait fait une razzia ; à l'heure où je te parle, il ne leur reste plus que deux pauvres bouteilles de Jet déjà entamées.


Les jumeaux avaient apporté assez d'alcool pour rendre ivre tout un régiment de l'armée de terre.


- Aurore, je pensais que t'écoutais de la diarrhée auditive, mais en fait je me suis peut-être trompé ! hurla Castiel pour que je puisse l'entendre malgré le volume à fond.

- Euh... merci ?


Avec cette remarque, il avait probablement atteint son seuil maximal en matière de compliments.


- Est-ce qu'il y a de la bouffe dans cette maison ? J'ai faim, déclara Alexy.


C'est vrai que ce pauvre garçon n'avait pas avalé de cochonnerie pendant plus d'une heure, un exploit pour lui.


- Moi aussi ! ajouta Kim. J'ai bien envie d'jouer les spéléologues dans ton frigo, blondinet.


Nathaniel déclara qu'il avait commandé des pizzas.


- Je vais guetter l'arrivée du livreur sinon Ambre va l'intercepter et en profiter à notre place", ajouta-t-il en quittant la pièce.




***




"Alors... mangues, fraises, citrons, bananes, ananas... tiens ça, Aurore, ça commence à être lourd.

- J'ai des melons plein les bras, Rosa ! Protestai-je.


Rosalya avait tenu à nous faire le "cocktail légendaire dont elle était la seule à connaître la recette". Le petit frigo du bar de la salle de jeu manquant cruellement de fruits, je m'étais courageusement dévouée pour l'accompagner en chercher dans la cuisine.

Non, je blague, elle m'y avait pratiquement traîné par les cheveux.


- J'ai tout ce qu'il me faut ! On y va ?

- J-j'arrive, lui répondis-je en essayant de ne pas faire tomber tous les fruits qu'elle m'avait donnés.


Pendant que je me contorsionnais pour garder l'équilibre, Ambre entra dans la cuisine. Elle ouvrit des placards pour en sortir des gobelets, puis me jeta un regard en coin.


- Alors comme ça, mon frère a fini par te faire venir toi aussi, fit-elle d'un ton moqueur. Heureusement que Castiel est là, ça rattrape un peu la qualité de sa liste d'invités.

Bonsoir, Ambre, moi aussi je suis très contente de te voir. Comment ? De l'aide pour porter tous ces melons ? Mais non, ne te dérange pas...


Un grand brun en slip arriva dans la salle pour demander à la charmante sœur de Nathaniel s'il pouvait utiliser la coupe de rugby de son père comme un cendrier.


- Les tiens sont pas mal non plus, observai-je une fois ce crétin parti.


Elle soupira et ignora ma remarque.


Après Zaz, Barbie Girl, Mamma Mia et Alexandrie, Alexandra, c'était Marcia Baila qui résonnaient dans le salon.


- Et je savais pas que t'étais fan des Rita Mitsouko ! renchéris-je avec un grand sourire.

- C'est pas moi qui ai composé la playlist ! se défendit-elle. C'est le frère du mec qui vient d'entrer. Il a insisté...


Ça existait encore, les gens avec des goûts musicaux aussi douteux ?


- Il a intérêt à être mignon, alors.

- C'est un euphémisme", me répondit-elle avant de rejoindre ses invités.


Je n'aurais jamais soupçonné qu'Ambre connaisse un mot comme "euphémisme".


Qu'est-ce qu'ils sont lourds, ces melons...

"Aurooooore ! hurla Rosalya depuis les escaliers. Tu attends le déluge ?!"


J'étais arrivée trois semaines plus tôt et on m'exploitait déjà. Cette ville était une véritable dictature à échelle réduite.




***



"C'est ça, ton pseudo-cocktail-légendaire ?! s'insurgea Castiel. De la sangria avec des fruits ?

- Il faut avouer que c'est vraiment bon, déclara Melody. Je peux en avoir un autre verre, Rosalya ?"


Les jumeaux affrontaient Kim et Iris au baby-foot. Celles-ci leur mettaient une pâtée mille fois plus légendaire que le cocktail de Rosa. Pendant ce temps, je sirotais un Gin Tonic sur l'un des fauteuils de la pièce, plongée dans mes pensées.

Cela commençait à dater, mais je pensais à Ruben. Le fait qu'il n'ait donné aucun signe de vie depuis des jours m'inquiétait au plus haut point. Je savais qu'il allait revenir, il me l'avait dit lui-même... et il n'était pas du genre à proliférer ce genre de paroles pour rien. Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir tenter ? S'il mettait tellement de temps, c'était que le coup qu'il me préparait devait être mémorable...


"Et puis ensuite j'ai décidé de faire rôtir mon chien et de le donner en pâture aux dindons du fermier d'en face.

Qu'est-ce que...

- Hein ? grimaçai-je à l'attention de celui qui venait de prononcer ces mots.


Depuis combien de temps il est là, lui ? Je ne l'avais même pas remarqué.


- Ça fait une plombe que je te parle et que tu fais semblant de m'écouter, râla Kentin.

- Ah... euh, désolée. J'ai pas une très bonne capacité de concentration. Tu disais ?

- Non, rien d'important... Au fait, l'autre jour tu devais m'expliquer pour ton tatouage ! me rappela-t-il.


Il y tenait, à son explication.


- Et c'est quoi ces petits trucs autour des chiffres ? Je les ai remarqués seulement l'autre jour. Ca fait partie du tatouage ? demanda-t-il.


Il parlait des minuscules initiales et des petits symboles parsemés autour de la date sur mon biceps.


- Bon, tu veux la version longue, ou la courte ?

- Longue, s'empressa-t-il de répondre. On a le temps.


Sur ces paroles, il attrappa la bouteille de Gin sur la table pour resservir mon verre presque vide. Je pris une grande inspiration.


- 16 Juillet 1942, commençai-je dans un souffle.


Kentin écarquilla les yeux. En voilà un qui était encore moins attentif que moi en cours d'histoire.


- La Rafle du Vélodrome d'Hiver, expliquai-je. Ou "Rafle du Vel d'Hiv".

- On l'appelle aussi Vent Printanier, poursuivit Nathaniel en s'installant face à Kentin et moi. Avec l'accord du maréchal Pétain, plus de 13000 juifs, dont plus du tiers sont des enfants, sont raflés à Paris.

- ... et on compte moins de cent survivants, achevai-je.


Ken nous dévisagea tour à tour avec la bouche entrouverte.


- Vous pouvez éviter de faire ce genre de trucs ? fit-il. Parce que ça me fait un peu passer pour un gros inculte, en comparaison.


Nathaniel nous expliqua qu'il était arrivé trop tard et que le livreur était déjà passé. Comme il l'avait prédit, les invités d'Ambre avaient subtilisé nos pizzas, et il venait d'en commander à nouveau.


- Et, donc... pourquoi tu t'es fait tatouer ça ? me réinterrogea Kentin.


Il ne se souvenait vraiment pas...


- Tu te rappelles Mme Réant ? le questionnai-je. Notre prof d'histoire en sixième. Un jour, elle a voulu nous passer un reportage sur les juifs et la déportation, commençai-je.


Aucune réaction.


-... Il portait surtout sur la Rafle du Vel d'Hiv, poursuivis-je.


Je bus une gorgée de Gin.


Je pensais qu'il se souviendrait de cette histoire à l'évocation du reportage... Visiblement, je m'étais trompée : il me regardait toujours avec des yeux ronds, me poussant à continuer mon explication.


- Heu... tu te rappelles de mes origines, au moins ? tentai-je.

- Bien sûr, répondit Kentin. C'est pas difficile à retenir, "Kruger" c'est allemand.

- ... O-oui, opinai-je, mon père est d'origine allemande. Mais c'est bien plus...complexe, disons.


Je me mordis la lèvre... Par quoi commencer ? Je n'avais jamais eu à parler de mes origines lointaines, avant.


- Tu connais Heinrich Himmler ? l'interrogeai-je.


Le fait que je pose tant de questions trahissait ma difficulté. Nathaniel eût l'air de l'avoir remarqué et il afficha un petit sourire amusé. Kentin fronça les sourcils et eut l'air de réfléchir. Il eut un petit sursaut au moment où le délégué principal ouvrit la bouche pour répondre à sa place :


- Ah, oui Himmler ! Le nazi, bien sûr ! fit-il en se tapant le front. Pourquoi ?

- Ben, c'est à dire que... mon arrière-grand-père le connaissait plutôt... bien, répondis-je. Même très, très bien. Il s'appelait Friedrich Kruger.


Les yeux de Nathaniel s'arrondirent :

- Friedrich-Wilhem Kruger ? Tu veux dire que...

- Non,l'interrompis-je. Je vois de qui tu veux parler, mais non. C'est pas du tout lui, même s'ils ont à peu près le même... parcours, disons. En fait...


Je sursautai en sentant qu'une main se posait sur mon épaule.


- Donc tu descend d'une longue et vilaine lignée de SS ? plaisanta Armin en s'installant à côté de moi, imité par son frère.


Je pris une grande inspiration. Un petit point au coeur...


- ... Je vais essayer de faire court, fis-je. Friedrich Kruger, le grand-père de mon père, était un médecin nazi. Cruel, sadique, fanatique d'Hitler, et il avait une sainte horreur des juifs et des tziganes. Son job, c'était de sélectionner des déportés pour les utiliser comme cobayes, et faire des choses comme...


Je me mis à regarder fixement le fond de mon verre, comme s'il allait me donner le courage de continuer.


- ... vous savez, poursuivis-je, des trucs comme injecter un produit dans l'utérus d'une femme juste pour s'amuser... ou bien, faire des expériences de greffe de peau sans aucun intérêt, et sans anesthésier le sujet... Tester tous les médicaments possibles sur les détenus... ou encore, enfermer des... des tziganes dans une chambre à gaz pour voir ce que ça donne, et attendre, jusqu'à ce que leurs poumons éclatent et sortent par chacun des orifices de leur corps, et aussi...

- ... T-tu sais Aurore, t'es... pas obligée d'en parler, me coupa Kentin dans mon élan.


Autant finir ce que j'avais commencé ; garder ça pour moi n'allait pas diminuer mon serrement de cœur. Au contraire, il fallait que ça sorte.


- On n'entend pas beaucoup parler de lui aujourd'hui, poursuivis-je en ignorant l'intervention de Ken, mais il avait une certaine importance au sein du milieu nazi. Disons que... son efficacité l'a fait sortir du lot. Il allait exercer son sadisme d'un camp à l'autre : Auschwitz, Dachau, Natzwiller, Ravensbruck... Il est monté de grade très vite, il prenait même le thé avec son collègue Himmler... Entre deux scéances de torture sans anesthésie, il écrivait beaucoup à son fils, mon grand père. Dans chacune de ses lettres, il lui décrivait tout ce qui se passait dans les camps, sans rien minimiser. Il racontait avec fierté comment les déportés maigrissaient à vue d'oeil, combien avaient succombé à ses expériences, comment ces dernières prouvaient "l'infériorité des juifs devant la race aryenne"... et c'était loin de rebuter Friedrich Kruger junior. Si la plupart des enfants aiment qu'on leur lise des histoires de fées ou de pirates avant de dormir, mon "papy" préférait qu'on lui répète encore et encore les aventures de son père dans les camps de Dachau et Buchenwald. Et ce sont ces mêmes histoires qu'on a raconté à mon propre père.

- Donc ton père aussi a des tendances nazies ? m'interrompit Alexy.

- Non, pas du tout, au contraire. Au plus grand damne de mon grand-père, mon père voyait Friedrich Kruger senior comme un malade qui percevait le monde comme une partie grandeur nature de Docteur Maboule. Et sa famille n'a pas vraiment accepté qu'il épouse une Hannah Hauffmann dont les parents viennent chacun de Tel Aviv et Eilat en Israel, si vous voyez ce que je veux dire. En bref, c'est la guerre entre les Hauffmann et les Kruger. Mes parents ont un peu coupé les ponts avec leur famille respective ; les parents de ma mère voient mon père comme un nazi sans scrupules, et ceux de mon père voient ma mère comme une nuisible à cause de ses origines juives. Ils se sont mariés à 20 ans, malgré le contraste de leur naissance, et je suis très fière d'eux pour ça. J'ai voulu leur rendre hommage à ma manière, en me faisant tatouer un symbole du paradoxe. Quelque chose qui, malgré son manque d'originalité, traduise la complémentarité parfaite que deux éléments parfaitement opposés peuvent constituer.


Je fis signes aux quatre garçons de s'approcher pour leur montrer les deux signes du Ying et du Yang qui étaient aux deux coins inférieurs de mon tatouage.


- Pendant que les grand-parents paternels de ma mère étaient bien loin de l'Holocauste, en Tunisie, ses grand-parents maternels ont été raflés le 16 Juillet 1942... Tout autour de mon tatouage, il y a les initiales des raflés de ma famille : Esther Keren-Hauffman, mon arrière grand-mère, et sa mère Sarah Hauffmann. Noah Hauffmann, mon arrière grand-père, Levi et Dana Hauffmann, ses parents, et tous leur frères et soeurs. Mes parents m'ont expliqué très jeune d'où je viens, la complexité de leur mariage, mais ils n'avaient jamais eu le courage de me montrer des images pour illustrer leurs propos...


Je m'étais éparpillée, mais je ne pouvais pas faire autrement. Dès que je buvais une goutte d'alcool, je disais tout ce que j'avais sur le coeur, dans n'importe quel ordre et parfois très crument. Le principal, c'était que tout ce que je gardais pour moi soit explusé pour que je me libère d'un poids. Encore un seul verre et tout le monde savait tout sur Ruben.


- Donc, pour revenir à ce foutu reportage, repris-je, un jour en sixième, Mme Réant nous passe un court métrage sur la Rafle. Et, au bout de dix minutes je...

- Tu as fondu en larmes et tu es partie de la classe, acheva Kentin. Je me rappelle, maintenant. T'avais complètement pété un plomb, on se demandait tous ce qui t'arrivait. T'étais complètement livide pendant les deux semaines qui ont suivi.


Ça me faisait me sentir tellement idiote, de repenser à tout ça. Le gros cliché de la petite fille trop émotive qui se sauve en pleurant. Toute mon école m'avait regardée de travers après ça, mais je m'en fichais. Parce qu'ils ne soupçonnaient même pas le mal que je ressentais en regardant ces images. Il ne se doutaient pas que le pseudo sentiment qu'ils apparentaient à de la peine en entendant parler de ces tristes faits historiques n'était qu'un leurre, que provisoire, qu'il était mille fois décuplée chez moi. Chaque photographie de chambre à gaz me faisait me sentir étouffer, asphyxier, suffoquer. Je mourrais comme les victimes elles-même avaient péri.

Je pris une nouvelle inspiration.


- ... mes parents ont le même que moi, déclarai-je en regardant de mon tatouage. Au même endroit. Quand Friedrich Kruger senior allait dîner chez la famille du chef du camp de Buchenwald, il arrivait toujours avec un cadeau très original dont raffolaient ses hôtes. Rien n'était trop beau pour ses amis nazis, alors il leur apportait des lampes... dont l'abat-jour était fait à partir de la peau tannée des déportés... tatoués.


Kentin avait eu son explication, j'aurais pu m'arrêter. Sauf que je n'y arrivais pas, trop de détails se bousculaient dans ma tête. Peut-être les garçons allaient-ils penser que mes petites anecdotes sordides n'avaient plus grand chose à voir avec mon tatouage et que je pouvais me contenter de dire que ce dernier avait été réalisé dans l'optique de rendre hommage à mes ancêtres raflés, mais c'était plus que ça pour moi. Le fait même de se faire tatouer avait non seulement un lien avec ce que les Hauffmann avaient subi, mais aussi avec ce que Kruger avait fait subir à des milliers d'hommes et de femmes, et indirectement à leur famille et leurs descendants. Et cela ne se bornait pas à mon arbre généalogique ; pour moi, ça s'appliquait à l'Humanité. On voit la Shoah comme quelque chose de lointain, qui ne pourra plus jamais se reproduire parce qu'elle nous a traumatisés, mais c'est faux. La nature humaine ne change pas en un siècle ; on fait du mal, et on ne soupçonne parfois même pas les conséquences que cela entraîne. On ne soupçonne pas que sa propre famille puisse se faire ancrer dans la peau des chiffres qui viendront honorer les souffrances que l'on a soi-même infligées à quelqu'un.


- ... l'Humanité est un paradoxe, pensai-je à haute voix. L'adjectif "humain" est censé être synonyme d'altruisme et de bienveillance, mais je pense que c'est plutôt un antonyme. Les humanistes du 16e siècle ont placé toute leur confiance en l'Homme, mais même Montaigne a fini par comprendre qu'on n'était bon qu'à nous entretuer comme de vulgaires coqs de combat. Cette date, achevai-je, c'est un hommage à mes arrière-grand parents, et le principe même du tatouage permet de nous rappeler que, derrière ces chiffres et ces énumérations de faits historiques, il y a des actes et des blessures qui perdurent de génération en génération.


J'avais fixé le fond de mon verre pendant tout mon monologue, et quand je relevai la tête, les garçons étaient tous en train de me regarder avec la même expression.


- Vous devez me prendre pour une espèce de folle, fis-je dans un rire nerveux.


Ce fut Nathaniel qui interrompit le blanc que j'avais installé.


- Tu es... étonnante, dit-il.


Je n'avais aucune idée de comment prendre cette remarque. Je cherchai les jumeaux du regard, trouvant leur silence assez troublant.


- Je... je pensais pas que c'était aussi compliqué, me dit Kentin, gêné.

- Quand je parlais de "version longue", il fallait me prendre au pied de la lettre.

- T'es trop dark comme fille, en fait, railla finalement Armin avec un sourire en coin.


Je lui répondis par un coup de poing sur l'épaule.


- Arrêtez de faire cette gueule, on dirait que vous attendez votre tour pour vous faire exécuter, leur lançai-je.

- C'est pas tous les jours que tu parles autant de toi, me dit Alexy. On doit se remettre de nos émotions !"


Et ce n'était pas prêt d'arriver à nouveau. Je décrétai sollenellement que je n'allais plus boire que de l'eau, merci aux effets secondaires du Gin Tonic.




***




Les pizzas étaient arrivées. Nathaniel les avait à peine posées sur la table que les jumeaux s'étaient jetés dessus.


"Laissez m'en, bande de rapaces ! s'insurgea Castiel en essayant d'attraper une part de Royale.

- On ferait mieux de s'grouiller, déclara Kim. Ces deux là vont finir par bouffer même le carton."


A ce moment là, Ambre toqua pour nous signaler sa présence.


- ... Hey, nous salua-t-elle timidement.


Castiel essaya de se faire le plus petit possible. Avec une couleur de cheveux pareille, ce n'était pas évident.


- Tu viens de te rappeler l'existence de ton grand frère bien-aimé ? claironna Nathaniel.

- Je... Oui. Voilà... balbutia-t-elle. Ça se passe bien, ici ?


Elle s'approcha de nous d'un pas hésitant. Je doutais que cet anti-modèle d'empathie et de bienveillance ait eu l'initiative de venir voir si son frère allait bien alors qu'elle était entourée de beaux mecs au rez-de-chaussée.

Voyant que tout le monde la regardait avec un air suspicieux, elle cracha le morceau :


- Bon... en fait, tous mes invités sont complètement gaz ! explosa-t-elle en se laissant tomber sur l'un des poufs. La moitié s'est endormie, et l'autre a décidé d'aller profiter de la piscine... Il reste seulement Peggy, et je l'ai semée parce qu'elle ne fait qu'essayer de me tirer les vers du nez pour avoir des infos à donner dans le journal du lycée.


Voilà une raison plus vraisemblable. Les amis d'Ambre allaient se transformer en MrFreeze avec le temps dehors ; rien que le trajet jusque chez Nathaniel m'avait donné l'impression que mes neurones gelaient.


- Hé ben maintenant que tu es là, reste avec nous, dit son frère en lui tendant une part de pizza.


Elle l'observa longuement, comme si elle comptait le nombre kilomètres qu'elle allait devoir courir pour éliminer toutes ces calories, puis elle l'arracha presque à Nathaniel avant de l'engloutir avec une rapidité effrayante.


Sans ses sbires et ses manières de diva, Ambre avait presque l'air d'une fille sympathique. Avec un peu moins de fond de teint, elle aurait été radicalement différente.


- Tu savais qu'elle connaissait le mot "euphémisme" ? soufflai-je à Alexy.

- Elle connaît auchi "pléonachme" et "subchéquemment", répondit-il la bouche pleine. Elle che donne des airs d'idiote, mais elle pourrait conccurencher Nath au rang de premier de la clache.


J'attrappai une serviette en papier pour essuyer les postillons qu'il avait craché sur ma joue.


Ambre, une intellectuelle ? Drôle de perspective, mais pas autant que celle d'un couple formé par Castiel et elle-même. D'ailleurs, je me demandais bien comment elle pouvait s'intéresser à ce point à un mec qui l'ignorait royalement alors que, vu ses invités au rez-de-chaussée, elle n'avait pas l'air de manquer de contacts masculins bien moins froids à son égard.




***




Il était un peu plus de deux heures. Kentin préparait un nouveau cocktail ; Ambre et Rosalya parlaient chiffons ; Melody, Iris et Kim dansaient en chantant en yaourt les chansons que mon téléphone diffusait, et Castiel lançait des piques à "Natha-chou" avec un plaisir sadique. Quand à moi, j'étais coincée sur le canapé entre Alexy et Armin.


- ...Anthony Kiedis.

- David Beckham !

- Chris Brown !

- ... Justin Bieber ?

- Bon, vous avez fini de m'insulter ?! râlai-je.


Les jumeaux avaient décidé de me trouver le plus de surnoms possibles. Ils m'avaient quasiment cité toutes les célébrités tatouées...


- Cara Delevingne ! s'écria Alexy en ignorant ma réprimande.


La musique se stoppa. Plus de batterie, sûrement. J'en profitai pour m'éloigner d'Armin et Alexy et de leur jeu stupide. En checkant mon téléphone, je m'aperçus que ce n'était pas la batterie.


- On m'a appelée, je reviens, expliquai-je en filant de la pièce pour m'isoler.

- Ouais, profites-en ! Ne crois pas qu'on en a fini avec toi ! cria Armin depuis le canapé.



J'étais entrée dans la première pièce que j'avais trouvée. Vu la tonne de produits de beauté et de magazines VOGUE, j'en déduisis qu'il s'agissait de la chambre d'Ambre. Je repoussai d'un coup de talon la porte derrière moi.


4 appels manqués d'un numéro qui ne me disait rien...


Après un moment de réflexion, j'étais sur le point de rappeler. Mais ce même numéro me devança.


"Heu... a-allô ? hésitai-je.


Aucun bruit pendant quelques secondes...


- Décidément, même Manuel Valls doit être joignable plus facilement que toi... répondit enfin une voix familière.

- Qu'est-ce que...

- Toujours autant à la ramasse, on dirait, se moqua la voix.


Ce rire... ce ton ironique et moqueur. Est-ce que ?

- Dawn ?! m'écriai-je en omettant de cacher mon enthousiasme. Je suis sûre que c'est toi. Ça fait tellement longtemps ! Où tu es ? Et comment tu...

- Ne t'éparpille pas, Aur', me coupa Dawn d'un ton glacial. Je ne t'appelle pas pour avoir de tes nouvelles.


J'avais oublié que nos relations n'étaient pas fameuses depuis ce...

- ... qu'est-ce que tu veux ? l'interrogeai-je sur le même ton.

- Où est Ruben ?


Ruben... c'était donc pour ça.


- C'est toi qui la envoyé ?! fis-je vivement.

- Il est parti te rejoindre ?! Quel con ! Dépêche-toi de me dire où il est.


Même si j'avais l'habitude que Dawn me traite comme une moins-que-rien, je n'étais pas d'humeur à encaisser sa façon de me parler. Des mois d'absence et j'avais seulement le droit à être rabaissée par téléphone.


- Je te conseille d'être un peu moins brusque, répondis-je. Parce qu'il me suffit d'appuyer sur un seul bouton pour te la fermer.


Dawn eut un rictus.

- Ben dis donc, c'est que mademoiselle s'est affirmée depuis tout ce temps. Elle est où, la gentille petite Aurore qui avait autant de personnalité que la princesse du conte de fées ?

- ... Au revoir, Dawn.

- Attend ! Espèce de sale..."


Je lui raccrochai au nez.


Il ne me manquait plus que ça pour me saper totalement le moral. Tâchant de ne rien laisser paraître, je partis rejoindre les autres.




***




Peggy nous avait finalement rejoints, et elle avait proposé de jouer à "je n'ai jamais". Trois bouteilles entières y étaient passé ; chaque invité devait dire quelque chose qu'il n'avait jamais fait, et ceux qui l'avaient déjà fait devaient boire. Ce jeu, mise à part sa faculté de rendre ses participants bourrés en un clin d'oeil, permettait d'apprendre de vilains petits secrets dont personne n'avait jamais soupçonné l'existence. Ne voulant pas risquer de livrer malgré moi des détails trop personnels de ma vie, surtout devant la trop curieuse rédactrice en chef du journal du lycée, j'avais décidé d'être seulement spectatrice et de ne pas jouer. Abstention, Aurore. Le verre de Gin de tout à l'heure était ton dernier.


Pour le moment, j'avais surtout retenu que Castiel et Kentin avaient déjà été en garde-à-vue, qu'Alexy avait eu une période Totally Spies, et que Rosalya avait jadis été une adepte des rayures horizontales et des pantalons de jogging.

C'était au tour d'Iris.


"Je n'ai jamais... eu de sentiments pour qui que ce soit dans cette pièce.

- Bon travail, Iris ! la félicita Peggy en se frottant les mains.


Melody bu, ce qui ne surprit personne à part Nath. Il était vraiment aveugle de ne pas voir qu'elle craquait pour lui au point d'avoir l'air de vouloir tuer toutes les filles qui l'approchaient. Ambre sembla hésiter, mais elle dû se rappeler soudainement que de toute façon tout le monde savait déjà qu'elle aimait Castiel, puisqu'elle attrapa son verre et le vida presque d'une traite. Kentin me jeta un regard gêné avant de boire une gorgée lui aussi. J'avais encore du mal à réaliser que lui et le petit binoclard à coupe au bol qui était fou amoureux de moi au collège ne faisaient qu'un.


"Alex, je t'ai vu ! s'écria Armin. On va avoir une petite discussion, toi et moi.


Alexy reposa son verre, il venait d'en boire discrètement une gorgée.


- Bah quoi ? J'avais soif ! se défendit-il.

- Euh... je crois qu'on va bientôt devoir arrêter, déclarai-je en désignant Ambre, Iris et Melody.


Elles avaient un regard vitreux et tanguaient comme des bateaux. Les jumeaux se jetèrent un regard significatif qui ne m'échappa pas.


- Je meurs de faim, fit Armin en se levant.


Faim ? Il avait mangé plus de pizza que la moitié d'entre nous.


- Moi aussi, dit Alexy. Il faut que j'avale quelque chose qui contienne au moins 90% de sucre et/ou de chocolat et/ou de friture. T'as ça dans ton frigo ? demanda-t-il à Nathaniel.

- Ma mère a officiellement décrété qu'aucun aliment de plus de deux cent calories n'entrera dans cette maison, répondit-il.

- Je confirme, ajouta Castiel. J'ai quasiment retourné son frigo ; y'a rien d'autre que des fruits et du tofu ici.

- J'ai vu des Pépito dans la cuisine quand Rosa m'a exploitée tout à l'heure.


Je reçus un coup de coude.


- Hé ! objecta-t-elle. Dis tout de suite que je suis tyrannique...


J'aurais pu, mais je tenais à la vie.

Les jumeaux décidèrent de partir en excursion dans la cuisine.




"Vous aviez vraiment besoin de moi pour trouver un pauvre paquet de gâteaux ? râlai-je en examinant les placards.


Armin et Alexy m'avaient forcée à les suivre, me traînant par le poignet jusque dans la cuisine. J'avais à ce point une tête de victime pour que tout le monde s'amuse à me réduire en esclavage ?

Où ils sont ces foutus biscuits ? J'espère que les invités d'Ambre ne les ont pas tous bouffés ; quand les jumeaux ont faim, ils sont vraiment insupportables.


- Ah, les voilà !


J'attrapai le paquet de Pépito, que quelqu'un avait eu la merveilleuse idée de cacher dans le micro-ondes, avant de le tendre à Armin.

Les deux frères s'échangèrent un nouveau regard qui ne me rassurait pas.


- J'aime pas les Pépito, grimaça le geek en faisant voler les gâteaux d'un revers de main.


Quoi ?! Il voulait ma mort ?


- Je veux des chips Barbecue. Tout de suite ! meugla-t-il en tapant du pied comme un enragé.

- Tu entends ça, Erin Wasson ?! s'écria Alexy à mon attention. Nous avons une quête ! On doit vite lui amener son offrande sinon il risque de nous faire subir son courroux !"


Hein ?


Il m'attrapa par le bras et m'entraîna dehors avec lui avant que j'aie le temps de lui demander pourquoi il s'était mit à me donner lui aussi des surnoms .


"Courrons ensemble au magasin de chips ! fit Alexy, bras droit tendu devant lui comme Superman.


Quelque chose me disait que les effets de l'alcool commençaient à monter en lui.


- J'ai vraiment l'impression d'être votre baby-sitter, parfois..." fis-je dans un soupir.


Il m'entraîna dehors avec lui.




***




"Alors, mademoiselle l'alcoolique, je savais pas que tu pesais aussi bien tes mots quand tu disais "tenir l'alcool", me lança Alexy.

- J'ai pas tellement bu, objectai-je. En plus, il suffit que je boive un seul verre pour raconter ma vie en détails à tout le monde. Et je débite tellement de trucs que j'ai moi-même du mal à me suivre.

- J'avais remarqué ! claironna-t-il. C'est pas souvent que j'entends parler de la Rafle du Vel d'Hiv, du Ying et du Yang, et du "paradoxe humain" en l'espace de quinze minutes.


Il fit volte-face et commença à marcher à reculons, comme ça, pour le fun, bras relevés et mains derrière la tête.

Ca faisait un petit moment qu'on marchait, et j'avais l'impression de faire du sur-place. Et qu'est-ce que je foutais là, moi ? Cet abruti m'avait vraiment entraînée dehors, sachant qu'il faisait 14 degrés à tout péter, pour acheter des chips ? Il avait l'air de connaître le quartier aussi mal que moi ; on était passés trois fois devant le même portail bleu en fer forgé.


- Heu... et sinon, tu sais où tu m'emmènes au moins ? finis-je par le questionner.


Son sourire suspicieusement niais me donna la réponse.


- ... Ok, je vois, conclus-je. Qu'est-ce que tu manigances ?


Il s'arrêta instentanément de marcher et me regarda avec des yeux ronds.


- Moi ? fit-il, main sur son torse. Mais, rien du tout !

- Allez, ne joue pas à ça avec moi. Vous me cachez un truc, Armin et toi. Vous êtes vraiment bizarre depuis quelques temps.


Il soupira puis regarda aux alentours avec méfiance, comme s'il essayait de s'assurer que personne ne nous écoutait.


- Bon, commença-t-il. On a trouvé une combine pour t'éloigner de chez Nath parce que Peggy est à l'affut de tout et qu'on a aucune envie qu'elle écrive un article sur ce je vais te dire. Enfin bref, on a un énooorme service à te demander avec mon frangin.


La phrase que je détestais le plus après "faut qu'on parle" et "quoi de beau ?". Franchement, est-ce qu'on fait pire que "quoi de beau ?" dans la catégorie affreusement-niais-et-relou ?


- Ma grand-mère maternelle arrive chez nous mercredi. C'est une vieille peau complètement coincée et hypercatholique, genre Christine Boutin. Elle approche des 93 ans et elle est hypeeer cardiaque, il suffit de lui apprendre une nouvelle un peu trop violente pour qu'elle pète un infarctus. Vu qu'on veut pas la tuer, personne ne lui a dit que j'étais gay. Et c'était très bien comme ça ! Sauf que notre boulet de cousin Mathieu en a parlé tout naturellement au milieu d'une conversation, l'autre jour...

- ... et donc ? fis-je pour l'inciter à continuer.

- ... et donc, étonnamment, elle n'est pas morte sur le coup. Elle a du mal à croire que je suis gay, mais elle a quand même des doutes. Donc elle arrive spécialement de l'autre bout du pays pour "constater les dégâts" et décider si, oui ou non, elle doit faire un AVC. Et mes parents sont très paniqués. Enfin, ma mère, parce que mon père s'en fout vu qu'il la déteste. Quand elle a appris qu'on n'était pas baptisés, Armin et moi, tout le monde a bien cru qu'elle allait crever ! Et je t'assure qu'elle est capable de faire une crise cardiaque si elle apprend que son petit Alexy préfère les garçons. Donc... ma mère a eu l'idée de me trouver une fille qui puisse jouer ma copine pendant que ma mamie sera là.

- ... et donc ? insistai-je à nouveau en me gardant de lui demander quel genre de mère pouvait trouver ce type d'idées tordues.


Alexy se mit à genoux, face à moi, et joignit les mains dans une position monacale.


- Aurore, sauve ma mamie !


Oh non...

- Alex, sérieux, pourquoi moi ?! meuglai-je. Je suis tellement un boulet que je risque de faire un lapsus toutes les deux secondes. Pourquoi tu ne choisis pas Iris ?

- Elle est encore plus maladroite que toi, répliqua-t-il en se relevant.

- Melody ?

- Elle me hait depuis que j'ai comparé Nathaniel à Martin Prince dans les Simpson.

- Violette ?

- Je lui ai fichu un rateau quand elle pensait encore que j'étais hétéro... Ca serait bizarre de lui demander de jouer ma petite amie après ça, c'est trop récent.

- ... Kim ?

- Hey ! Je veux pas que ma copine ait l'air plus virile que moi. Vive la crédibilité !

- Alors Rosal...

- Roh, Aurooooore, arrête ! me coupa Alex. Tu dois juste te présenter comme ma copine pour que ma grand-mère nous lâche un peu et reste en vie. C'est tout ! Allez, s'il te plaîîîîît !


Il se mit à me faire des yeux de chien battu.


- Bien essayé, le coup du regard de Chat Potté, déclarai-je, mais de toute façon je doute que ta grand-mère apprécie que ta "petite copine" soit tatouée comme un évadé du bagne.

- On est à la fin du mois de Novembre, tu mettras un pull !


La météo était tellement étrange ici que des 26° auraient pu surgir en plein Noel.


- Et puis elle sera tellement soulagée de voir que je ne "suis pas" gay qu'elle ne remarquera même pas tes tatouages, renchérit-il.


Alexy était toujours en train d'essayer de m'amadouer avec son regard de cocker... Et le pire, c'est que cette vieille technique avait l'air de marcher.


- ... Raaah, je te déteste ! capitulai-je. C'est bon, je vais t'aider à passer pour un gentil petit hétéro comme Jésus les aime.

- Génial, t'es la meilleure ! s'écria-t-il en me sautant au cou.


Il m'étouffait sans s'en rendre compte, comme d'habitude.


- Par contre, évite de m'asphyxier... Ce serait bête que je crève avant que ta mamie n'arrive."


Nous nous remîmes à marcher, sous la lumière tamisée des lampadaires.


"Et c'est pour me demander ça que tu m'as entraînée jusqu'ici ? demandai-je.

- Ouaip, acquiesca Alexy. En plus de Ken et Nath qui te collaient comme de la glu, le volume de la soirée n'était pas vraiment favorable à l'explication de notre plan."

C'est vrai qu'un mélange d'ABBA et System Of a Down, c'est assez violent comme fond sonore.


Il m'expliqua qu'Armin et lui, convaincus que je refuserais, s'étaient trituré les méninges pendant des jours pour trouver un moyen de me convaincre de les aider. Ils avaient fini par vouloir me faire boire pour me filmer bourrée. Avec ça, ils voulaient me menacer de m'afficher sur la toile si je n'acceptais pas leur plan. Evidemment, en plus d'être totalement tordue, cette idée tombait à l'eau puisque je m'étais arrêtée de boire après quatre verres. Ces deux idiots étant à court d'idée, et le problème "Peggy" n'arrangeant rien, ils ont improvisé avec leur délire du paquet de chips.


Nous arrivâmes devant... le magasin Bazar ? Ce truc était visiblement ouvert 24h/24. Alexy entra et me fit signe de faire de même. Je commençais à me demander si l'histoire de la quête des chips était une simple excuse bidon pour m'entraîner loin de Peggy, ou si Armin allait vraiment "nous faire subir son courroux" si l'on ne lui fournissait pas ses cochonneries en sachets.




***




"Alors ?! s'enquérit Armin quand nous le rejoignîmes chez Nathaniel.

- Elle a accepté ! s'écria joyeusement Alexy.

- Ah bon ? Cool alors. Mais je parlais de mes chips. Elles sont où ?! Ne me dites pas que vous les avez oubliées !


C'est beau, le sens des priorité...


Son frère sorti du sachet de courses un paquet de Lays format familial, puis il le lança à Armin qui s'empressa de l'ouvrir, manquant de le faire éclater. Evidemment, Alex avait fait le plein à l'épicerie. Bonbons, biscuits salés, chips, boissons... quand on le présentait comme un accro du shopping, ça ne s'appliquait pas qu'au monde du textile.


- Ah oui, il s'est passé un truc de dingue, en haut ! gloussa Armin en avalant toute une poignée de chips.


Nous montâmes pour retourner dans la salle de jeu, mais nous fûmes accueillis par une Iris et une Melody essoufflées, un Castiel, une Kim et un Ken hilares, une Ambre bourrée et une Rosalya à l'air dépassé.


Il manquait quelqu'un au tableau...

- Heu... il se passe quoi ? m'enquéris-je. Il est où, Nathaniel ?


Rosalya me répondit, mais sa voix fut couverte par le fou-rire de Castiel, qui s'était accentué. Celui-ci se tenait les côtes en pointant du doigt la porte d'entrée derrière les jumeaux et moi.


Qu'est-ce que...


- Aurooooooore regardeeee j'ai un tatouaaaaaage moi aussi ! s'écria une voix familière dans mon dos.


Oh non.


Je fis volte-face et me retrouvai nez-à-nez avec un Nathaniel en caleçon à motifs tartan. Il avait accroché un rideau autour de son cou pour se créer une cape, enfilé des chaussons en velours trop petits qui devaient appartenir à sa mère, et avait le bras sérigraphié au marqueur.


- Ah ! Tu es là ! s'exclama Melody en se dirigeant vers lui.


Il se roula en boule et se cacha derrière son rideau en poussant un petit cri porcin. Déclarant qu'il ne voulait pas que "l'affreuse Méduse ne le transforme en statue".


- Vous étiez, où ?! me fit Iris qui, étrangement, portait une chemise pour homme à la place du t-shirt avec lequel elle était arrivée. Alexy et toi, vous avez disparu pendant au moins une heure ! Nathaniel et Ambre sont complètement ivres !


Elle m'expliqua que, même s'il tenait toujours debout après la partie de "je n'ai jamais", pendant laquelle Castiel faisait en sorte de forcer Nathaniel à boire, en disant des trucs comme "je n'ai jamais été blond", le blondinet ne tenait pas du tout l'alcool. Ainsi, quand il avait bu par mégarde dans le verre de Castiel (un whisky très fort avec seulement une larme de Coca), sa sobriété l'avait quitté. Ambre avait, quant à elle, bu comme un templier depuis que nous avions quitté la maison, Alex et moi. Le délégué principal et sa sœur étaient désormais complètement torchés.


- Nath t'a cherchée partout pour te montrer le "tatouage" que lui a gentiment fait Castiel au marqueur indélébile, poursuivit Armin. Il a pété un câble parce qu'il ne te trouvait pas, et Ken, Iris et moi on a dû l'attacher à son lit pour qu'il ne sorte pas ; il voulait aller jusqu'au compteur électrique de la ville pour faire clignoter toutes les lumières et t'avertir qu'il te cherchait.

- Une technique de sioux ! s'exclama Alexy, riant.


Ambre fouillait dans les tiroirs du bar depuis un moment. Elle en sortit un rouleau de papier alu, et elle se mit à courir vers Castiel.


- Viens ici, mon petit cabillaud ! Hihiiiiii ! cria-t-elle au rouquin en tendant l'aluminium devant elle.


Celui-ci était étalé sur le canapé, encore mort de rire, mais il se remit vite de ses émotions pour bondir sur ses pieds et esquiver la blonde, qui s'était jetée sur lui. S'en suivit une course poursuite ponctuée par les jurons de Castiel et les gazouillements d'Ambre. Ken et Kim étaient hors service, tout comme Alexy. Ces trois là étaient étendus sur le sol et riaient jusqu'à avoir du mal à respirer. Melody ne pouvait pas s'approcher de Nathaniel ou il se mettait à gueuler "Méduuuuuuuuse ! Méduuuuuuuuse !" d'une voix insupportablement stridente.


- Aurore, Armin. Occupez-vous de Nath, ordonna Rosalya. Je refuse qu'il me dégueule dessus comme il l'a fait avec Iris.


Cela expliquait pourquoi celle-ci s'était changée.


- Moi, je vais essayer d'empêcher Ambre de transformer Castiel en papillote, acheva-t-elle.

- Dépêche-toi !" meugla celui-ci, qui s'était réfugié sous la table.


Armin avait l'air de faire des efforts surhumains pour ne s'écrouler de rire comme son frère. Le fou-rire qu'il retenait le démangeait et déformait son visage, lui donnant un air de Gollum sous extasy.


- Aurooooooooooore, mon tatouaaaaaaaage représeente la libertééééé ! hurla Nathaniel, toujours sous son rideau, en agitant son bras à toute vitesse.


Je ne savais pas que la liberté pouvait être symbolisée par un énorme pénis moustachu surmonté d'un sombrero. Castiel, le meilleur tatoueur de tous les temps.




***




Nathaniel riait comme un enfant au milieu du hall où Armin et moi l'avions entraîné.


"Arrête de bouger comme ça ! beuglai-je, perdant patience. T'as bu combien de verres ?!


Le blondinet tituba, regarda ses mains un moment puis indiqua le chiffre deux avec ses doigts.


- ... Coooomme ça ! annonça-t-il fièrement.

- J'ai dit "verres", pas "bouteilles" !


Nath nous glissa littéralement des main pour se ruer dans la salle de bain.


- C'est pas vrai... soupirai-je.


Armin semblait trouver la situation très amusante.


- Qu'est-ce que je donnerais pas pour avoir amené mon appareil photo, fit-il en gloussant.


T'as préféré prendre ta PSP, dommage hein ?


- Bouge-toi, Armin !" lui lançai-je en partant rejoindre le blond.


Mieux valait éviter de laisser cet ivrogne seul dans une pièce pavée de carrelage.




Nathaniel était en train de tirer les cloisons de la cabine de douche. Quand il me vit arriver, il se mit à sourire d'un air béat en tendant les bras vers moi.


"Aurooooore ! Viens te laver de tes péchééééés ! me fit-il.

- Heu..."


Il me tira par le bras, glissa sur le sol et perdit l'équilibre pour finalement retomber sur les fesses. Il parut choqué pendant un moment ; il fixait le vide, avec ses yeux et sa bouche grand ouverts. Puis il se mit à s'étirer, s'étendit de tout son long et tomba de sommeil.

J'entendais Armin se marrer derrière moi, je fis volte-face et vis qu'il était accompagné de Castiel, qui avait l'air de s'être débarrassé d'Ambre. Celui-ci riait tellement qu'il avait du mal à rester debout.


- C'est en partie de ta faute s'il est dans cet état, rappelai-je au squatteur. Tu pourrais au moins venir m'aider !


Il me regarda et ouvrit la bouche pour répondre, mais un nouvel éclat de rire le coupa dans son élan.


Armin se calma un peu et prit Nathaniel par l'épaule.

- T'es pas marrante, me dit-il en réprimant un gloussement. Il a pas tellement bû ; ne t'inquiète pas, il fera pas de coma éthylique ton Nathaniel chéri.


"Mon Nathaniel chéri" ?!


- Bon. Aide moi à l'emmener dans sa chambre. Elle est où ? Tu l'y as bien amené tout à l'heure, non ? le questionnai-je en plaçant le bras du délégué autour de mon épaule de sorte qu'il s'appuie dessus.


Nous sortîmes de la salle, laissant Castiel plié en quatre, en portant tous les deux Nathaniel. Et Armin regarda à gauche et à droite comme s'il attendait que le feu passe au vert.


- Ok, je vois, déclarai-je. Tu sais pas où c'est.


Il avait beau être entré dans cette pièce quelques minutes plutôt, il avait du mal à la retrouver.


- Hein ? Pfff, bien sûr que si... répondit le geek. Regarde : elle est juste là."


Il désigna du menton la porte marbrée qui se trouvait face à nous.




Il faisait complètement noir, on n'y voyait rien du tout. La lumière du couloir, qui passait par la porte ouverte, n'éclairait qu'une petite partie de la pièce.


"Il est où son lit ? demanda Armin.

- Comment tu veux que je le... aie !


Je ramassai le foutu objet sur lequel je venais de marcher. J'en devinai la nature sans peine, en le tâtant rapidement.


- Pourquoi il laisse traîner ses LEGO par terre ?! m'insurgeai-je.

- La vraie question, c'est : pourquoi joue-t-il encore aux LEGO ?"


Nous traversâmes la chambre à tâtons, essayant de trouver ce fichu lit.


"Il dort par terre ou quoi ?! râla Armin après quelques minutes de recherche.


La chambre était immense ; il y avait plus d'un mètre entre chaques meubles.


- Bon, j'en ai marre, déclarai-je après avoir manqué de trébucher à cause d'un autre LEGO. Je vais allumer la lumière et tu le mets dans son lit.


Je me dirigeai vers la porte et me mis à tâter les murs pour trouver l'interrupteur.


- J'ai trouvé son lit ! s'écria Armin depuis le fond de la pièce toujours obscure.


Pas trop tôt.


J'entendis un bruit sourd provenant de derrière moi. Oh non... il n'avait quand même pas balancé le blondinet par la fenêtre ? Où il est ce foutu interrupteur ?!


Je pus enfin allumer, et je me précipitai vers Armin, qui était penché au dessus d'un...

- ... Un lit pour bébé.

- C'est peut-être pas sa chambre, tout compte fait.

Quelle perspicacité, cet Armin.


Il devait avoir jeté Nathaniel dans le lit, sans se douter qu'il était bien plus profond qu'il ne le pensait. Le mètre 80 du délégué était plié en quatre au milieu des barreaux de protection du plumar, mais il avait l'air de dormir paisiblement.


- Ca, c'est ce qu'on appelle une belle partie de Tetris, déclara Armin. Mais on est obligés de le réveiller, il est sur le dos et c'est impossible de le retourner.

- ... et alors ? fis-je.

- Faut jamais laisser quelqu'un de bourré dormir sur le dos, Ricky. Il pourrait s'étouffer si jamais il vomit.

Ah, ouais. Comme Bon Scott ou Jimi Hendrix.


- ... Pourquoi "Ricky" ? l'interrogeai-je.

- Parce que "Rick Genest" c'est trop long. Allez, aide moi à sortir ce cadavre de là !

- "Comment j'ai fait une crise d'identité à cause des centaines de surnoms que deux jumeaux bizarres m'ont donnés", c'est pas mal comme titre de bouquin, non ?"




***




Après des efforts surhumains, nous avions fini de nous occuper du cas Nathaniel. Celui-ci dormait profondément, dans le lit taille adulte qui se trouvait dans sa véritable chambre.


"Eh ben, il va avoir une sacrée gueule de bois demain", déclara Armin.


Le pauvre. Au moins, il allait rattraper toutes les heures de sommeil pendant lesquelles il avait dû réviser.


Nous allions descendre au salon pour profiter de l'apparente absence du DJ d'Ambre pour éteindre son affreuse musique, quand je remarquai une masse rouge qui guettait quelque chose, au pied de l'escalier.


"Euh... Castiel ? Qu'est-ce que tu fais là ? l'interrogeai-je.


Il sursauta en m'entendant l'appeler.


- Shhhhht ! fit-il avec de grands geste. Ne gueule pas comme ça ! Tu vas me faire repérer !


Il me rappelait les malades mentaux qui avaient peur d'être localisés par les satellites, mais je conjecturai qu'il cherchait à échapper de nouveau à sa groupie blonde.


- Lui aussi il est bourré ? me lança Armin en commençant à descendre les marches.


Une tornade blanche le bouscula.


- Désolée ! s'excusa Rosalya. Je n'avais pas vu l'heure, je dois rentrer !


L'heure ? Bon sang, j'avais complètement oublié ce détail !

Je me mis à tâter mes poches pour trouver mon portable, quand je me rappelai que celui-ci servait de DJ, dans la salle de jeu.


- Il est quelle heure ? demandai-je.

- Quatre heures passées ! répondit Rosa en enfilant rapidement son manteau par dessus sa belle robe noire à col de chemise blanc. Au fait, Cast', Ambre est tombée de sommeil. La voie est libre.


Oh pétard ! C'était passé tellement vite.


- Hey, où tu vas ? me demanda Armin en me voyant faire demi-tour.

- Chercher mon téléphone, lui répondis-je. Je rentre : je dois absolument être chez ma tante avant cinq heures.

- Tu rentres toute seule ?! s'insurgea-t-il. Hors de question. T'as pas assez de tissus sur le dos pour traîner dans la rue à cette heure-ci.


Il remonta les marches pour arriver à ma hauteur. Il avait vraiment dit "Hors de question" ?


- Pourquoi tu ris ? s'étonna-t-il.

- Tu me rappelles mon père, parfois.


Armin, un protecteur. Qui l'eût cru ?


- J'adore cette chanson ! m'écriai-je en ignorant le regard interrogateur qu'il me jetait.

- Passer d'un groupe de metal à Ophélie Winter... Tu es vraiment étrange, Ricky.

- Très drôle, je parle de la musique de mon téléphone.


Dieu m'a Donné La Foi retentissait toujours depuis le salon puisque nous n'avions pas pu éteindre la playlist hyper kitsch du DJ improvisé d'Ambre. Dans la salle de jeu, en revanche, c'était Monster de Skillet qui était diffusée. Je vous laisse imaginer le mélange de ces deux registres.


- Tu vas te transformer en souillon comme Cendrillon si tu rentres un peu plus tard ? J'ai l'impression qu'on est arrivés il y a une heure.

- Moi aussi, répondis-je au geek. Mais ma tante part de la maison à cinq heures, et j'ai pas encore de double des clés. Je vais me retrouver enfermée dehors si j'arrive trop tard.


Armin n'eût même pas l'air surpris par le fait que tante Agatha doive se lever aussi tôt. Je supposai qu'il était courant à Sweet Amoris que les gens aient un travail dans une métropole loin de notre petite ville paumée qui les oblige à faire deux heures de route tous les matins.


- Si tu veux rester, t'es pas obligé de me suivre, ajoutai-je.

- Tu plaisantes ? Quel genre de personne avec un minimum de jugeote te laisserait te balader en mini-short et talons à quatre heures du matin ? Tu connais même pas la ville en plus.

- Un point pour toi.

- Appelle ta tante et préviens la, je suis sûr que Nath te laisserait dormir ici.

- Ou alors, t'as qu'à venir avec moi. Je me tire, annonça Castiel qui était arrivé derrière nous.


Armin le regarda bizarrement, exactement comme mon père quand il rencontrait un des mes amis garçon.


- Hey, je vais pas la violer hein, fit-il à l'attention du geek.


Castiel passa sa main autour de mes épaules.


- C'est pas mon truc les planches à pain, de toute façon", ajouta-t-il.




***




"Comment t'arrives à marcher avec ces échasses ?

- C'est le genre de choses qui prouvent la supériorité flagrante des femmes sur les hommes.


En fait, mes talons me faisaient souffrir le martyr.


- Et féministe, en plus, railla Castiel.


Alexy ayant lui aussi fini complètement bourré, Armin avait dû renoncer à me raccompagner. Apparemment, son frère était un danger public quand il avait bû ; il avait essayé de couper les cheveux d'Iris, déclarant que "seules les tentacules de feu pourraient nous sauver de la colère des titans". Armin étant le seul invité resté totalement sobre, il était obligé de me laisser partir avec Castiel pour pouvoir surveiller son frangin.


- Alors, tu t'es tapé lequel ? demanda tout naturellement Castiel.


H-hein ?!


- Armin, Ken ou Nath ? précisa-t-il devant mon air ahuri.

- Qu'est-ce que tu racontes ?! m'insurgeai-je.


Il marchait, mains dans les poches, un air insouciant sur le visage.


- En plus d'être une planche à pain féministe, t'es longue à la détente, déclara-t-il. Les trois clowns, ils veulent être plus que tes amis.

- Tu joues les cupidons, maintenant ? Si c'est la cas, tes théories laissent franchement à désirer.

- Ah oui ? Argumente.

- Déjà, Armin est et restera seulement un ami...

- C'est mignon, railla Castiel. T'es complètement à l'Ouest toi. J'avais pas vraiment l'impression qu'il me regardait comme l'aurait fait un simple ami, quand j'ai proposé de t'accompagner chez toi.

- Bon ! Un ami très protecteur, alors.

- Quand à Natha-chou, il n'avait d'yeux que pour toi. C'en était même vexant ; il ignorait totalement les vannes que je lui lançais, fit Castiel en essuyant une larme imaginaire.

- Tu t'es incrusté chez lui, tu l'as réduit à l'état de Barney Gumble, et entretemps tu t'es foutu de sa gueule toute la soirée. Il fallait bien qu'il se focalise sur quelqu'un d'un peu moins casse-burnes pour ne pas péter un plomb, sifflai-je.

- Et le petit Kentin est vraiment nul en drague, déclara-t-il en ignorant mon excuse. A moins que ce soit toi qui ait un problème d'attention ? A chaque fois qu'il vient te parler, tu écoutes la moitié de ce qu'il dit. Je sais qu'il est petit, mais quand même, c'est dégradant d'oublier la présence de quelqu'un.

- N'importe quoi ! Kentin ne me drague pas. Il était peut-être amoureux de moi, avant, mais c'est fini. Ca fait un bout de temps quand même, il faut tourner la page à un moment.


Castiel me jeta un regard amusé.


- Tu te justifies tellement que j'imagine que c'est pour masquer la réalité. Pas de cache-misère avec moi, la tatouée, je suis bien plus observateur qu'on ne le croit.


Il était vraiment flippant comme garçon. D'habitude, c'était le genre à se foutre royalement de tout ce qui touchait aux autres, alors pourquoi il se mettait à me parler de ma vie sentimentale ?


- Je... Tu... tu fais le malin maintenant, mais c'était une autre histoire quand Ambre te courait après pour t'envelopper dans du papier d'alu !


Non, ceci n'était pas une technique complètement lâche pour faire dévier la conversation.


- Que c'est petit, se moqua Castiel.


Nous étions arrivés devant le loft.


- J'habite là, signalai-je.

- Je sais.


Ma tante était déjà réveillée. Elle m'ouvrit par l'interphone, et je remerciai Castiel de m'avoir raccompagnée.


- J'espère que je ne t'ai pas fait faire de détour.


J'eus le droit à un gloussement en guise de réponse.


- J'habite à une rue d'ici, tu n'avais pas remarqué qu'on prend le même chemin matins et soirs ? Au fait, rentrer seule du lycée, c'est dangereux, médite là-dessus.


Que... quoi ? Qu'est-ce qu'il voulait dire ?!

Castiel s'éloigna à reculons.


- J'aime pas du tout quand tu parles en énigmes ! lui criai-je depuis le pas de la porte.

- Bonne nuit, la tatouée.


Il essaya de prendre un air mystérieux, à la Lysandre, ce qui lui donnait plus l'expression d'un psychopathe qu'autre chose.


- Ou devrais-je dire... chérie", ajouta-t-il.

Laisser un commentaire ?