Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 3 : Chapitre 3 : Ruben

5464 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/03/2017 19:22

Aucun mot ne parvint à sortir de ma bouche. Quand il se mit à me caresser la joue, je repris mes esprits.


"Et tu penses que ça te donne le droit de me harceler ? Lâche-moi, Ruben !


Je me dégageai pour continuer à marcher, mais il me suivait toujours. Je réussis à entrer dans le loft en l'empêchant non sans peine de s'y incruster. Je lui claquai la porte au nez quand il me dit :


- Ne crois pas que tu t'es débarrassée de moi, chérie. Tu nous manques bien trop pour que je te laisse filer."


Je me laissai tomber le long de la porte, dépassée. J'effleurai le tatouage de ma nuque en regardant fixement le sol. J'avais à peine réalisé ce qui venait de se passer. 



***



Je restai assise par terre pendant ce qui me parut une hégire.

Je sursautai quand j'entendis le bruit de clés qui tournaient dans la serrure de la porte, au dessus de ma tête. Me levant assez vite pour que Agatha ne me percute pas en ouvrant, je me concentrai pour ne rien laisser paraître.


"Je suis rentréééée ! Et j'ai fait un tour à la boulangerie ! chantonna ma tante aux cheveux bubblegum. Elle tenait un gros sachet en papier kraft

- Salut, Agatha.

- Oh, ma chérie ! Un très beau garçon blond était devant la maison, il m'a laissé quelque chose pour toi !


Oh non... qu'est-ce que Ruben avait encore pu inventer pour me gâcher la vie ? Ma tante me tendit un papier plié en deux. Je pris une grande inspiration avant de l'ouvrir. 


Salut Aurore,

Je suis désolé, tout à l'heure je n'ai même pas pensé à te donner les informations importantes pour la soirée. Il me semblait bien que l'endroit où tu habites se trouvait sur le chemin de chez moi et j'espérais te rattraper. Voici mon adresse : 

16 Rue Edmond de Goncourt, Sweet Amoris

La soirée aura lieu le samedi.

Encore désolé, on se voit lundi !

Nathaniel


Un immense soulagement m'envahit et parvint même à me faire esquisser un sourire. Il était gentil, mais c'était vraiment bizarre de m'écrire une lettre pour me donner une info qu'il aurait pu me livrer en classe.


- Alors ? Alors ?! fit Agatha en se penchant sur mon épaule.

- Quoi, "alors ?" ? Tu pensais qu'il m'avait écrit une déclaration ?

- Avoue que ça ne t'aurait pas déplu, ma fraise des bois ! Il était très beau garçon, et il avait l'air très gentil !


Elle n'avait pas tout à fait tord, mais je n'avais pas du tout la tête à ça. Surtout que Nathaniel n'était pas du tout mon genre. Je lui tendis le mot.


- Je suis invitée à une soirée chez lui dans deux semaines.

- C'est merveilleux ! s'écria ma tante comme si je venais de lui annoncer quelque chose d'incroyable. On doit te trouver une tenue pour ça !


"On" ?


- Non, ça ira, m'empressai-je de dire après m'être imaginée dans une horrible robe rose froufroutante, j'irai faire du shopping avec Alexy.

- Comme tu veux ma chérie ! Hihi !


Je préférais ne pas solliciter son aide en ce qui concernait les vêtements.


- Je t'ai acheté des pains aux raisiiiiins ! » fit-elle en me collant le sachet sous le nez.



***



Comme prévu, j'avais fait les boutiques avec Alexy. Avec beaucoup de persévérance, nous avions réussi à faire venir Armin. Son frère et moi découvrîmes avec surprise qu'il cachait un goût vestimentaire très sûr. Au lycée, il s'habillait toujours de manière très simple : la plupart du temps en pull/polo/t-shirt uni et jeans. Mais il avait trouvé des pièces incroyables sans même faire d'effort. 


"18 ans que je te connais et je savais même pas que tu était un pro de la mode, frangin, lui dit Alex quand je rejoignis les jumeaux au bout de la file d'attente de la caisse.


Armin haussa les épaules.


- C'est pas si compliqué.


Il se tourna vers moi. 


- Et toi, Jack Sparrow, t'as pris quoi ? m'interrogea le geek.


Il m'avait fait sortir des mes pensées. J'avais à peine dit un mot depuis qu'on était arrivés.


- Hein ?

- Alors, t'as trouvé quoi ? répéta-t-il.


J'allais lui répondre que rien ne m'avait plu, quand je réalisai que je tenais tout un tas de fringues dans mes bras. J'avais pris au hasard tout ce qui me passait sous la main, histoire de ne pas rester bras ballants et qu'on ne voit pas que j'étais complètement à l'ouest.


- Ah... oui. Tout ça, là, fis-je en secouant mon pactole. Et tu comptes me trouver quarante surnoms différents ?


Alex s'approcha de moi et saisit par le col l'une des robes que j'avais sélectionnées. 


- Tu fais du 44, maintenant ?


44 ? Je vérifiai ce qui était noté sur l'étiquette. 


- Et merde, soufflai-je, blasée.


Déjà que la taille 38 me faisait ressembler à un sac de patates.


- T'as fumé un truc, Aurore ? 

- Ouais, on dirait Armin quand il passe sa nuit devant Dark machin.

- Dark Soul ! corrigea celui-ci.


Quelle idiote, j'étais tellement anxieuse depuis que j'avais croisé Ruben que je n'avais même réussi à le cacher.


- Je suis juste un peu... fatiguée", mentis-je.


Les jumeaux me regardèrent d'un air suspicieux, et je m'efforçai de leur sourire pour qu'ils me lâchent la grappe. Mais, vu leur réaction, je devais avoir l'air plus constipée qu'autre chose.

Ils me tournèrent le dos pour avancer dans la queue. Je les suivis, essayant d'entendre leurs messes basses.


"Qu'est-ce que vous racontez ? demandai-je en voyant que ma tentative d'écoute se soldait par un cuisant échec.


Alexy se tourna vers moi à toute vitesse et contourna ma question :


- T'es consciente que tu vas flotter dans ce truc ? fit-il en désignant ma robe. Va la poser de suite ! Tu veux ressembler à un cachalot ?"


Je n'eus même pas le temps de réagir qu'Armin me prit par les épaules et me conduit jusqu'au centre du magasin avant de rejoindre son frère.


"Tyrans", marmonnai-je en balançant les vêtements sur un portique au pif.



Je restai plusieurs minutes accroupie au milieu d'un rayon, sans chercher à faire un shopping plus convenable. Mes valises chez Agatha étaient déjà remplies à craquer de vêtements, alors je commençais à me demander ce que j'étais venue finalement venue faire ici. En plus, les jumeaux mettaient un temps fou à payer, à croire qu'ils avaient acheté toute la boutique. Je me haussai pour voir ce qu'ils fichaient... Et... ils parlaient à l'entrée du magasin. Qu'est-ce qu'ils complotent ?


Coup de grâce, ma vessie commençait à en faire des siennes.


"Excusez-moi, dis-je à une vendeuse en me tortillant, où sont les toilettes du centre commercial ?

- Ils sont hors service, mademoiselle. Mais le propriétaire du snack en face vous laissera utiliser les siennes.

- Vraiment ? couinai-je, à deux doigts d'exploser.

- Oui, il faut juste avoir l'air assez désespéré, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.


Ça sentait le vécu. Pour ce qu'il était de l'air désespéré, il était déjà peint sur ma figure.


"Ben, où tu vas ?" me demanda Armin en me voyant me ruer dehors.


Lui répondre était le cadet de mes soucis. Pourquoi j'avais bu autant de jus de fruit ce matin-là ?




***



Je sortis du snack. Le gérant avait eu tellement pitié de moi que je n'avais même pas eu à négocier pour utiliser les WC. Alexy m'envoya un SMS pour m'avertir qu'il m'attendait chez Desigual avec son frère.

Desigual ? Beurk. En route pour les rejoindre, je pianotais sur mon téléphone pour lui demander ce qu'ils fichaient dans le royaume de l'épilepsie, quand je percutai quelqu'un. 


Aie... J'avais l'impression de m'être pris une ancre de bateau dans le crâne.

"Oh... Aurore, désolé ! fit-il en posant sa main sur mon bras.


Ça m'avait retourné le cerveau. Je clignai des yeux pour retrouver mes esprits et identifier la personne en face de moi.


- Salut Kentin, répondis-je en me grattant la tempe. C'est ma faute, je regarde même pas où je mets les pieds.

- Tu t'es fait mal ?

- Un peu... T'as des pectoraux en plomb ou quoi ?


Il m'aida à me relever, parce que oui, j'étais tombée par terre comme une merde. 


- Tu es toute seule ? me demanda-t-il.

- Non, Armin et Alexy m'attendent au temple du paintball sur textile. 


Il fronça les sourcils.


- Chez Desigual, traduis-je.

- Ah !


Il sirota le frapuccino caramel qu'il tenait, puis il se rappela brusquement de quelque chose :


- Au fait, personne ne t'a mise au courant !


J'étais toujours un peu dans les vapes.


- Hein ? 

- Les profs ont tous notre adresse mail, m'expliqua-t-il, pour nous prévenir de choses importantes et tout ça.


Je n'aurais jamais imaginé que qui ce soit d'autre que Nathaniel aurait eu la tête à me parler des cours en plein Week-End.


- Et Monsieur Faraize nous a envoyé les binômes et les thèmes pour les dossier d'histoire qu'on doit lui rendre.


Dossiers ? Quels dossiers ? J'étais si peu attentive que ça en classe ?


- Tu es avec moi, ajouta-t-il, et on doit travailler sur le nazisme de 33 à 45.


Soulagement. J'en connaissais un sacré rayon sur ce sujet.


- Je suis pas le meilleur élève de la classe, fit-il, mais je vais essayer de faire de mon mieux. 


Mon téléphone vibra, c'était mon répondeur qui m'avertissait que j'avais six messages vocaux en attente. J'en écoutai un au hasard :

"AURORE KRUGER, SI TU NE RÉPONDS PAS A TON TELEPHONE DANS LA MINUTE JE TE..."

Je raccrochai, vite ! 


Il m'avait bousillé les tympans.


"Bon, Ken... enfin, heu, Kentin, je dois y aller sinon Alexy va m'étriper.

- Ça marche, à bientôt Aurore."



***



Je retrouvai les jumeaux chez Desigual.

"T'as fait le tour de la ville avant de revenir où ça se passe comment ? m'engueula Alexy.

- J'ai juste croisé Kentin. Et vous, vous comptez m'expliquer ce que vous osez faire... ici ?


Je remarquai qu'Armin tenait un sac arborant le logo de la boutique dans ses mains. Sacrilège...


- En plus, vous avez acheté un truc ? m'affligeai-je, fouillant la boutique du regard pour deviner ce qu'ils avaient bien pu trouver de potable.

- Ne t’excite pas, Lara Croft, on est juste venus jeter un œil parce qu'Alex a reçu une carte cadeau du magasin pour sa fête. En route, j'avais pété l'un de mes sacs et une gentille petite vendeuse a accepté de m'en donner un de rechange.


Il fit un signe un une jolie employée rousse derrière moi.


- T'as quand même pas cru qu'on avait acheté quoi que ce soit ici, me lança Alexy qui avait l'air d'avoir zappé qu'il était prêt à me tuer cinq minutes plus tôt.

- Mes yeux souffrent déjà assez avec tous les rayons lumineux de mes jeux vidéos", ajouta son frère.


Nous sortîmes du magasin.

Une carte cadeau Desigual... Quel cadeau de merde, quand même.



***



La semaine se passa sans grande encombre. Ruben n'avait pas donné signe de vie ; les cours de monsieur Faraize étaient toujours soporifiques, et les jumeaux avaient sans cesse l'air de trafiquer quelque chose derrière mon dos, mais je finis par renoncer à l'idée de découvrir ce que c'était.



***



Un après-midi, après une matinée de cours assommante, je m'étais calée devant Corneille et Bernie, mangeant un gros donut au chocolat dont le taux de calories aurait fait pleurer Jean-Michel Cohen.


"Aurore chériiiiiie", chantonna Agatha depuis la cuisine.


Elle accourut, le fixe à la main.


"C'est pour toiiii!"


Je soupirai en saisissant le téléphone. Ça devait encore être Alexy qui voulait que je l'aide à choisir entre deux vestes en cuir identiques en tout point. J'avais éteint mon portable pour qu'il ne puisse plus me harceler, mais il avait dû faire un tour dans l'annuaire.


"Allô ? fis-je.

- Mademoiselle Kruger ? Bonjour.


Ça, c'était pas la voix d'Alexy.


- Euh, bonjour, répondis-je.

- Je suis la directrice du lycée Sweet Amoris. 


Oh la dèche. A tous les coups, un des profs s'était plaint de mes tatouages.


- Mademoiselle ? fit la vieille pour s'assurer que j'étais toujours là.

- Euh oui, désolée.

- J'appelle pour vous parler de votre choix d'options.

- D'options? répétai-je avec un ton qui trahissait un peu trop mon soulagement.

- Oui. Vous avez choisi l'option espagnol renforcé, n'est-ce pas ?


Choisi ? C'est parce qu'il n'y avait plus de places nulle part qu'on m'avait forcé à aller là dedans, alors que je détestais l'espagnol, et qu'il me le rendait bien.


- En fait je n'ai pas vraiment eu le ch...

- Hé bien, comparés à ceux de vos camarades, vos résultats sont ridicules dans cette matière, mademoiselle !


C'était pas considéré comme une forme de harcèlement, d'appeler un élève en dehors des cours pour l'engueuler parce qu'il est médiocre dans une matière ?


- Je sais, madame, mais je n'ai jamais été très douée en espa...

- C'est pourquoi je tenais à vous prévenir que votre moyenne au bac pourrait être en danger ; vous devriez changer d'option.


Est-ce qu'on se foutait de ma gueule ?


- Je croyais qu'il n'y avait plus de places.

- C'était le cas, mais beaucoup d'élèves ont très mal choisi leur option, et nous avons dû les en changer même si certains cours risquent d'être en sureffectif.

- Ah... et quelles autres options sont proposées ?


Nathaniel ne me l'avait pas dit, il m'avait d'office placée en espagnol puisque les autres options étaient toutes complètes.


- Nous avons les mathématiques, l'EPS...


Ça commençait bien, tiens. Un frisson me parcourut l'échine. Berk.


- ...le théâtre, la musique, le club de jardinage...


Je détestais la scène, le seul instrument de musique que j'avais touché de toute ma vie était ma flûte Maped au collège, et même les cactus avaient une espérance de vie de deux jours avec moi. 


-... et enfin, l'anglais renforcé et le journal du lycée.


Elle aurait pas pu commencer par ça ?


- Journal du lycée, tranchai-je.


Elle parut contente de mon choix. Bien trop contente. 


- Excellent ! Cette option est celle qui a libéré le plus de places !


Donc tout le monde avait déserté parce que c'était complètement nul ?


- Je dois appeler d'autres élèves. Au revoir, mademoiselle Kruger.

- Au rev..." *biiip, biiip, biiip* 


J'étais à la fois plutôt contente parce que je venais de quitter l'option espagnol et donc mon prof complètement sadique, et affligée parce que mon donut avait fondu dans ma main.

Je me levai pour aller nettoyer ma paume dégoulinante de chocolat, quand quelqu'un sonna à la porte.


"Je vais ouvriiiiiir !" chantonna Agatha en se dirigeant vers l'entrée.


Je me séchais les mains dans la salle de bain, quand ma tante accourut pour me prévenir qu'un "très beau brun" demandait à me voir.

Un beau brun... Armin ? 


Je partis voir qui c'était.

"Salut Aurore, dit le fameux garçon qui était dans le salon.


Ah, oui, j'avais donné rendez-vous à Ken au loft pour qu'on fasse le travail d'histoire.


- Salut, tu vas bien ? lui demandai-je.

- Ça va, par contre toi ça a pas l'air.


Bah quoi ? Le décès de mon donut m'avait sacrément déprimée.


- Non, non, c'est rien ne t'inquiète pas, assurai-je.


Il me contempla de la tête aux pieds, puis il détourna vite le regard.

Et merde, je venais de réaliser que j'étais en pull-culotte-méga chaussettes Bob l’Éponge. 


"Heu... je vais me changer", dis-je en montant les escaliers à reculons pour qu'il ne voit pas tout mon échafaudage.




***



En trois heures, Kentin et moi avions bouclé quasiment tout le travail. 


"Il faudrait une ouverture pour la conclusion... observa-t-il en se grattant le front.


Je réfléchis un moment.


- Hum... une autre problématique, peut-être, proposai-je. Pourquoi pas "si Adolf Hitler s'est éteint le 30 avril 1945, l'empire idéologique qu'il a créé lui a survécu. Cette étude du nazisme pourrait donc outrepasser cette période restreinte entre 33 et 45 : il semble pertinent d'élargir cette thématique et de se demander comment les nazis parviennent à faire perdurer cette vision du monde promue par le dit Führer, ainsi que d'étudier leurs objectifs. Le nazisme d'aujourd'hui est-il le même que celui de l'Allemagne entre 33 et 45 ?". Enfin, un truc de merde dans ce genre. L'ouverture, c'est pas le truc le plus important.


J'avais marqué des pauses entre mes phrases pour que Kentin puisse les noter.


- T'es vraiment calée sur le sujet, remarqua-t-il en écrivant les derniers mots.

- Hum...


J'étais en débardeur parce que je mourrais de chaud. Kentin essayait de le faire avec discrétion, mais je remarquai qu'il dévorait mes tatouages des yeux.


- Je me demandais... enfin, qu'est-ce qu'elle veut dire, cette date sur ton bras ? se décida-t-il à demander.


J'étais un peu étonnée.


- Tu te rappelles rien ? À Morpert, ça fait cinq ans qu'on m'en parle, pourtant.

- De quoi je devrais me rappeler ? demanda-t-il en fronçant ses sourcils.


Un téléphone sonna. Impossible qu'il s'agisse du mien, il était encore éteint.

Kentin fourra sa main dans son sac, en sortit son portable et décrocha :


- Oui ?


Il laissa la personne au bout du fil parler, ne lui répondant que des "mmh" lassés.

Quelque chose était sorti de son sac quand il avait fouillé dedans. Je reconnus le papier bleu des Prince de Lu dont il avait toujours raffolé. Il était peut-être devenu un beau brun musclé, il restait en lui une part du Ken que je connaissais.


- A tout de suite, fit-il en raccrochant.


Je l'interrogeai du regard.


- C'était ma mère, m'expliqua Kentin. Elle a encore perdu ses lunettes.


Ses... lunettes ?


- Et, elle a... besoin de toi pour les retrouver ?

- Elle est très, très myope, dit-il en ramassant son sac. Je suis désolé, mais je dois y aller. Merci, et je suis content qu'on ait aussi bien avancé.


Waouh. Trop bizarre.


Je le raccompagnai à la porte.


- Au fait, Nath organise une soirée Samedi, je vais déjà incruster les jumeaux et j'aimerais bien que tu viennes aussi.


En fait, ça m'était égal, j'y avais juste pensé sur le coup.

Kentin sembla hésiter.


- Je sais pas... Ambre sera là ?

- Oui, répondis-je. Mais on compte pas trop rester en sa compagnie, si c'est ce qui t'inquiète.


Armin m'avait expliqué que Kentin n'étais pas le plus grand fan de la soeur de Nathaniel.


- Bon... c'est d'accord ! finit-il par trancher. Merci pour l'invitation, et à demain Aurore."


Je refermai la porte, soufflant de soulagement. Si sa mère ne l'avait pas appelé, je me serais embarquée dans une explication interminable de mon tatouage.


"Agathaaaa ! criai-je en allant vers la cuisine. Il reste des donuts ?!"



***



J'étais venue au lycée pour 8h, comme à mon habitude, mais je fus ravie de constater que ma prof était absente. Personne de ma classe n'était venu, ce qui voulait dire que tout le monde était au courant, sauf moi. Génial, hein ?

Je m'étais installée dans la salle de classe qui faisait office d'étude et que personne ne surveillait grâce à l'organisation fabuleuse de ce lycée. Hillgrass Bluebilly de Left Lane Cruiser résonnait dans mes oreilles. 

Je gribouillais sur une feuille ce qui me passait par la tête tout en balançant mes pieds en rythme avec la musique. Au moment où j'ajoutai un tutu à ma caricature ratée de Groucho Marx, quelqu'un toqua.

C'était Nathaniel. Je vis sa bouche bouger, mais je n'entendis rien à cause de la musique. J'enlevai mes écouteurs.


"Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il en s'asseyant face à moi.

- Je pensais avoir cours, je savais pas que la prof s'absentait aujourd'hui. Et toi ?


Cela m'aurait étonné qu'il n'eût pas été au courant lui non plus, ça aurait été bizarre pour un délégué principal.


- J'ai beaucoup de travail en ce moment avec les changements d'options, expliqua-t-il, donc je suis venu plus tôt.


Ça paraissait plus logique.


- Tellement d'élèves que ça changent d'option ? l'interrogeai-je.


Il hocha la tête en soupirant.


- T'as l'air complètement épuisé, remarquai-je.

- Tu peux le dire... Heureusement, cette histoire est bientôt réglée. Au fait, tu as choisi ta nouvelle option ? Il me semble que tu n'aimais pas beaucoup l'espagnol.


Ça se voyait tant que ça ? 


- Je suis complètement nulle, déclarai-je sans euphémisme. J'ai toujours fait de l'allemand, mais mon dernier cours d'espagnol remonte à mon CM2.

- Dommage que le lycée ne propose pas de cours d'allemand renforcé, alors, dit Nathaniel avec un sourire compatissant.


Et heureusement qu'il proposait l'allemand en LV1, parce que j'étais aussi nulle en anglais. 


- Sinon, pour répondre à ta question, j'ai choisi le journal du lycée.


Il eut une réaction bizarre.


- Oh... c'est super. Mais tu...


Il s'interrompit et eût l'air de réfléchir intensément.


- ... Je... ? répétai-je pour l'inciter à terminer sa phrase.


Nathaniel se gratta la nuque. J'avais remarqué qu'il faisait tout le temps ça quand il était nerveux.


- Tu sais, hésita-t-il, Peggy la rédactrice en chef... on dit qu'elle est très... enfin je n'aime pas me fier à de simples paroles. On dit qu'elle est très autoritaire avec les autres élèves.


J'eus un petit rictus. 


- Peggy ? répétai-je. Celle qui se balade toujours avec son magnétophone ? Autoritaire... C'est-à-dire ?

- Elle a beau n'être qu'une élève, quand il s'agit de journalisme elle est encore plus exigeante qu'un prof. Le professeur de l'option n'en était plus vraiment un, d'ailleurs. S'il ne venait pas au lycée et que Peggy était là, le cours se faisait quand même et elle le remplaçait. Il s'est absenté de plus en plus, et il a fini par ne plus jamais venir.


C'était définitif, ce lycée était vraiment organisé bizarrement.


- C'est normal qu'une élève dirige... un cours ? Elle a le droit de faire ça ? demandai-je au blondinet.

- Normalement, pas du tout. Mais ça arrange la directrice d'avoir un prof en moins à payer. Et Peggy peut écrire en une semaine tous les articles qu'il faut pour constituer l'hebdomadaire du lycée.


J'étais très curieuse de voir ça. 


- Bon, moi je retourne au boulot, souffla Nathaniel en se levant. 


Le pauvre, il avait besoin de se détendre un peu. La soirée qu'il organisait allait lui faire du bien.


- N'hésite pas à me prévenir si tu veux encore changer d'option, dernier délai : demain soir", m'informa-t-il avant de quitter la salle.



***



Les jumeaux m'attendaient devant la salle du club du journal du lycée. Je venais de finir mon premier cours avec la charmante Peggy, qui était exactement comme Nathaniel me l'avait décrite.


"Alors, Aurore, t'as réussi à ne pas lui faire gober son magnéto ? s'enquit Armin dès qu'il me vit sortir.

- Ça fait plaisir que tu m'appelles par mon prénom, pour une fois. Elle est chiante, oui, mais c'est un ange à côté de mon prof d'espagnol renforcé. Et ça m'arrange pas mal que ce soit une élève qui nous note.


Alexy haussa les sourcils.


- Elle vous note ? répéta-t-il. C'est pas le boulot d'un prof, ça ?

- Je suis arrivée il y a trois semaines, mais j'ai l'impression d'avoir compris plus vite que toi que ce lycée est bizarre", répondis-je.


Nous devions aller en littérature. Les jumeaux marchaient en arrière. Ils parlaient tout bas pour ne pas que je les entende, et ils s'arrêtèrent net dès que je me retournai vers eux.

Encore leurs messes basses...


"Vous comptez me dire ce que vous trafiquez depuis des jours ?! leur lançai-je.


Ils prirent tous les deux le même air innocent. Quelle bande de comédiens.


- De quoi tu parles, Oli Sykes ? On n'a rien fait, se défendit Armin. On discutait juste de ce qu'on allait apporter pour la soirée de Nath.


C'est vrai que c'était le surlendemain.


- D'ailleurs, tu tiens bien l'alcool ? m'e demanda Alexy.


Je le regardais avec suspicion. 


- Heu... oui.

- Et t'aimes la pina colada ?


Où voulait-il en venir ?


- ... Vous avez quelque chose derrière la tête, vous deux.

- Tu délires, affirma Armin. Trop d'encre dans l'épiderme, peut-être."


Et c'est le mec qui se lobotomisait le cerveau en jouant des heures à Soul Sacrifice qui me disait ça ?



***



Le samedi arriva vite. J'avais rejoint Armin et Alexy chez eux pour me préparer là-bas et aller avec eux chez Nathaniel. J'étais arrivée en jean, gros pull et bottines en cuir Acne Studios ; et je ressortis de la salle de bain des jumeaux en short en cuir taille haute, aussi noir que ma blouse en crêpe Saint Laurent et mes bottines en velours. Leurs talons de 13cm me permettaient à peine d'atteindre le mètre 80 d'Alex.

Ma seule touche de couleur était un rouge à lèvres corail, pour ne pas me faire traiter de gothique toute la soirée. 


"Waouh, mademoiselle, c'est ce qui s'appelle un changement radical ! siffla ce dernier en me voyant prête.

- Dis tout de suite que j'étais un cageot avec mes fringues de tout à l'heure, râlai-je.


Quelle chieuse, quand je m'y mettais.


Armin réagit sans même lever les yeux vers moi :


- Mais n'importe quoi, t'es toujours canon.


Son frère fit des "ouuuuh" suggestifs.


- Euh... merci", répondis-je.



Les jumeaux et moi avions prévu de partir de chez eux vers 20h, mais c'était sans compter sur les efforts qu'il nous aurait fallu pour décoller Armin de la Xbox.

A neuf heures passées, nous marchions sur les avenues huppées de Sweet Amoris, à la recherche de la rue Edmond de Goncourt. Alexy avait tenu à habiller Armin "pour l'occasion", mais celui-ci avait pris en otage le casque audio de son frère pour qu'il le laisse tranquille. Il avait quand même fait des efforts vestimentaires immenses.


"Hé ben, monsieur le geek, murmurai-je à Armin... Tu t'es mis sur ton trente-et-un ce soir.


Il commença à se pavaner comme un mannequin.

- Tu trouves ? fit-il en me regardant par dessus son épaule. T'entends ça, frangin ? J'ai pas besoin de toi pour être la queen du catwalk.

- Ouais, c'est ça, fit Alexy d'un ton moqueur. En attendant, arrête de te dandiner comme ça, on dirait Ambre quand elle passe devant Castiel.


Armin portait une veste de blazer anthracite avec un pull gris chiné dont sortait le col d'une chemise bleue ciel, et un pantalon noir en... eh mais qu'est-ce qui dépassait de sa poche ?


- ... Armin, dis-je. T'as quand même pas apporté ta PSP...


Il mit instinctivement sa main sur sa console. Alexy se faufila discrètement derrière lui et mit son index sur sa bouche pour me faire signe de ne rien dire.


- Hein ? gémit-il en simulant l'incompréhension. N'importe qu...

- Et hop ! Confisqué ! fit son jumeau en lui piquant sa console.

- Rend moi ça de suite ! cria Armin en poursuivant Alexy autour d'une voiture.

- Roh ça va, c'est qu'un jouet ! répliqua son frère en agitant la PSP au dessus de sa tête.


Ils se mirent à courir dans la rue.

- Un jouet à 200 balles ! meugla le geek.


Quelle bande de gamins. Ils continuèrent de se pourchasser pendant que je marchais tranquillement. 


Heu... ils sont un peu loin, là.


- Hé ! Vous avez pas honte de laisser une fille marcher toute seule en pleine nuit ?! leur hurlai-je. Et en short, en plus !

Aucune réponse. 


J'essayai de les rattraper, ce que mes talons ne facilitèrent pas. Ce quartier était loin d'être craignos, mais je n'étais pas rassurée.


"Alors, ma jolie, on se promène toute seule ? fit une voix masculine derrière moi.


Oh non... j'allais pas me faire agresser dans une rue sombre, comme toutes les filles dans les fan fictions sur les One Direction... Si ?

Je fis volte-face en me cachant derrière ma pochette, m'attendant à être nez-à-nez avec Jack l'éventreur ou bien Hannibal Lecter.


- Heu... qu'est-ce que tu fais, la tatouée ? lança le gars qui m'avait interpellée.


Qu'est-ce que...


- C-Castiel ? C'est toi ? l'interrogeai-je en plissant les yeux.

- T'en connais beaucoup, des Apollons aux cheveux rouges ? Oui, c'est moi.


Castiel, ou l'archétype de la modestie.


- Qu'est-ce que tu fous toute seule dans la rue, en pleine nuit ?

- Ah... ça, faut demander aux jumeaux, marmonnai-je. On allait à la soirée de Nathaniel quand ces deux abrutis ont...

- "La soirée de Nathaniel" ? répéta-t-il avec un sourire en coin. Cette espèce de coincé fait la fête, maintenant ?

- Euh... oui.


Il avait l'air très intrigué. J'en avais peut-être trop dit.


- Je sors d'une répet' chez Lysandre, j'allais rentrer direct mais j'ai bien envie de jeter un oeil chez môsieur le délégué principal.

- Nathaniel va me tuer... geignis-je.


Pour une fois qu'il avait l'occasion de se détendre avec des gens qu'il appréciait, le délégué principal allait devoir supporter son ennemi numéro 1 pendant toute une soirée.


- Mais non, je dirai que j'ai vu de la lumière et que je suis entré, déclara Castiel en m'emboîtant le pas. Allez, magne-toi."


Armin et Alexy étaient officiellement en tête de ma liste des personnes à éliminer. Juste après Ruben et Christine Boutin.



***



*Ding dong*


"Même sa sonnerie m'énerve, maugréa Castiel avec dédain.


Nous étions devant la porte de l'immense villa dans laquelle, d'après la musique assourdissante, devait se dérouler la soirée.


- C'est une sonnerie tout ce qu'il y a de plus normal...


Pour toute réponse, je reçus un regard encore plus dédaigneux.


Les jumeaux arrivèrent à ce moment-là. 


- Ben, Aurore ! s'exclama Alexy. T'étais où ?


Je rêve.


- Vous m'avez abandonnée comme une malpropre, bande de mufles ! les accusai-je.


Ils devaient s'être pourchassés dans tout le quartier.


- Ah ouuui, c'est vrai, répondit Alex en riant à moitié.

- Et... qu'est-ce qu'il fait là ? demanda Armin en pointant Castiel du doigt.

- J'ai ramassé votre copine dans la rue, elle était complètement paumée, déclara celui-ci. 


N'importe quoi...


- Bon, il ouvre ce crétin ?! s'impatienta-t-il en martelant la porte de coups. 


Quelqu'un nous ouvrit enfin. Je priai pour que ce ne soit pas Nathaniel, j'avais encore une chance de semer Castiel et de mettre sa présence sur le dos de quelqu'un d'autre...


- Salut Aurore ! dit le délégué principal en me voyant. Désolé, j'étais occupé à...


Son regard se posa sur le squatteur.


- ... Castiel.

- Content de me voir, Nathachou ? dit-il en entrant dans la maison sans y avoir été invité.


Nathaniel me jeta un regard noir.

- Eh ! J'ai rien fait ! ripostai-je en levant les mains en l'air.


Il soupira.

- Heureusement, ma sœur risque de tellement le coller qu'il devrait être hors d'état de nuire. Entrez.


Nous nous exécutâmes. A l'intérieur, Castiel était déjà parti explorer la cuisine. 

- ELLE EST OU LA DESPE ?! cria-t-il.

Un bruit de vaisselle cassée retentit.


Nouveau soupir de Nathaniel.

- Je sens que cette soirée va être très, très longue", prédit-il en refermant la porte.

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