Alien : La dérive du Fortune
Foster coupa sa respiration. Elle suivait des yeux la forme noire qui remontait doucement le long de ses bras puis ses épaules. L’angoisse revint sans même avoir eu le temps de comprendre son déclencheur. Elle releva la tête, son regard soudain happé par une silhouette qui venait de glisser sur le pare-brise. Aucun doute sur ce qu’elle avait entraperçu. Une jambe venait de filer au-dessus du cockpit. Elle maintint son attention encore quelques secondes quand des coups et des cliquetis frénétiques firent sonner la coque. Elle tournait la tête en tous sens pour suivre la direction de ses bruits. Elle était dos au pare-brise quand une autre ombre se dessina sur les sièges et les cloisons. La chose était immobile. Foster fit brusquement volte-face et contempla l’alien qui la scrutait en retour. Il semblait très curieux et — Foster ne saurait dire pourquoi — ravi de la voir comme le serait un sadique. L’humaine, seule dans sa cage de métal et de verre, était horrifiée, terrorisée et en état de stupéfaction. Elle n’arrivait pas à décrocher son regard de ce spectacle de cauchemar. Il était plus grand qu’un homme et, par certains aspects, assez similaire en dépit de son corps squelettique et solide, ses membres étirés et son long appendice caudal. Que ce soit sa peau ou autre chose, il était d’un noir de cire. Le plus perturbant était son crâne oblong, au dôme presque translucide, bien qu’il ne permettait pas à Foster de voir ses yeux. Elle se surprit à se demander si la créature en était dotée. Plus hideuse et insidieuse était cette impression qui envahit Foster. Même si ce n’en fut pas un, Foster aurait juré voir apparaître un sourire libidineux quand la bête déploya ses lèvres pour découvrir ses dents chromées.
Le monstre parut excité à l’idée de rejoindre sa proie. Son buste fut pris de frémissements obscènes. Il poussa un long et langoureux feulement étouffé par l’épaisseur du verre et la rage de la tempête. La chose reprit alors son chemin et disparut en un éclair vers la partie supérieure du vaisseau.
Puis Foster vit surgir et disparaître une autre de ces bêtes. À sa droite, elle en surprit une troisième qui fit bruyamment frotter sa queue osseuse contre le verre. Une quatrième fila à sa gauche puis encore une autre. Enfin, ce fut un défilement incessant de têtes, de corps, de queues, de jambes et de dents. Les créatures étaient si nombreuses qu’elles obstruaient le champ de vision de la fenêtre de pilotage.
Foster n’arrivait plus à suivre ce qui se passait, les coups, les grattements, le vent, les chocs. Ce chaos n’en finissait pas. Elle n’en pouvait plus. Foster, putain, reprends-toi! hurla-t-elle en son cœur. Le but de ces monstres était clair. Fais quelque chose, s’il te plait !
— Putain, les salauds, ils vont entrer dans le Fortune! s’écria Foster, les yeux écarquillés de panique. Capitaine ! Ces bestioles sont de retour et elles s’attaquent à la coque du vaisseau.
Son souffle était saccadé, l’adrénaline battant dans ses tempes. À chaque coup sourd contre la coque, elle sentait son corps se tendre un peu plus, ses mains moites sous l'effet de la peur. Elle ne savait pas combien de temps la coque tiendrait, mais ces monstres n'abandonneraient pas.
À l’autre bout de la radio, Corday répondit.
— Quoi ?! Combien ?
Foster tapota sur les commandes pour vérifier les relevés. Les signaux étaient flous, instables à cause des interférences de la tempête, mais elle pouvait distinguer plusieurs signatures thermiques qui bougeaient en masse à la surface du vaisseau. Impossible de distinguer chaque individu.
— Je dirais au moins une trentaine, une cinquante… peut-être plus, répondit Foster, la voix tremblante. J’ai pas encore vu d’alerte de brèche, mais si elles continuent comme ça, elles vont finir par y arriver.
— Oh merde… souffla Corday dans son micro. Je vais m’attacher ici, pas le temps de te rejoindre. Fais-nous vite quitter cette planète. Je suis pas sûre que ces choses apprécieront le voyage.
— A tes ordres. On y va. MAMAN, prépare la procédure de propulsion pour un décollage immédiat !
— Allumage des moteurs. Propulseurs orientés pour un décollage vertical.
Les moteurs commencèrent à vrombir et exprimèrent toute leur puissance. La carlingue grinça sous l’effet des réacteurs qui produisaient de fortes vibrations. Les monstres frappèrent le Fortune de plus belle. Un véritable concert de tambours crissants. Ils étaient invisibles, mais Foster les savait à quelques mètres à peine au-dessus de sa tête. Elle jeta un coup d'œil rapide à travers la baie vitrée du cockpit, mais tout ce qu'elle pouvait voir, c'était le voile épais de la tempête qui enveloppait le Fortune. À peine vit-elle un éclair illuminer de vert la silhouette de la pyramide. Cette ultime vision du monument la remplit de colère. Puisse cet astéroïde se fracasser contre un autre corps céleste et faire disparaître ses secrets.
Les doigts de Foster dansèrent sur son clavier pour faire cracher le feu à son vaisseau. Elle se mit à la place du pilote et empoigna le levier de commande et le sidestick.
La voix calme et robotique de l’intelligence artificielle résonna dans le cockpit.
— Décollage en cours. Avec le cisaillement du vent, le risque de crash est estimé à 16 %.
— 16% ? Merci, MAMAN, mais j’en n’ai rien à branler !
Le vaisseau commençait à trembler en soulevant avec pesanteur son immense carcasse au-dessus du sol rocailleux. Foster serra les dents, sentant son cœur battre dans sa poitrine. Les moteurs firent frémir ses muscles et vibrer ses os.
— Allez, dépêche, lève ton gros cul… murmura-t-elle, les mains crispées sur les commandes.
La gravité semblait lutter contre le vaisseau, la tempête battait de plus en plus fort contre la coque, mais le Fortune gagnait de l’altitude. Foster pouvait presque sentir les monstres s’agiter dehors et se plaisait à penser qu’ils avaient deviné que leur fin était proche. Ils redoublaient d’efforts au cours de l’ascension du Fortune, mais ne trouvaient toujours pas de point d’entrée. Le vaisseau prenait de la vitesse et Foster ressentait la friction avec l’atmosphère qui gagnait en rudesse. Elle vit plusieurs monstres tomber devant ses yeux. Ils tentaient de se cramponner à la moindre aspérité qui se présentait à eux dans leur chute. Ils se cognaient les uns aux autres et s’agitaient avec maladresse. Foster éprouvait un grand plaisir à les voir désemparés. Mais ça ne suffisait pas. Ils étaient trop nombreux et paraissaient aussi opiniâtres que résistants. Les survivants s’acharnaient à vouloir pénétrer le Fortune à l’aide de leurs griffes d’acier qui raclaient le métal dans un vacarme atroce.
Le Fortune s’était enfin extirpé des nuages et avait atteint l’orbite moyenne, moins contraint par la gravité de cette sphère morte. Il pouvait d’ores et déjà s’éloigner et dire adieu à KDT-0340. Mais Foster avait une autre idée en tête. Elle jeta un œil à l’écran des capteurs thermiques et constata que des créatures étaient toujours cramponnées au vaisseau. Et autant dire qu’elles étaient en nombre conséquent. Là était l’occasion de se débarrasser de ses bestioles.
— Corday, j’espère que tu as le cœur bien accroché.
— Pardon?
— Oui, c’est ça. Pardon.
Foster était plus que déterminée à éradiquer ces monstres jusqu’au dernier. Quoi qu’il en coûte, il était hors de question de leur laisser la moindre chance de survie. Elle appuya sur plusieurs boutons pour réduire la vitesse ascensionnelle puis fit brusquement piquer du nez au vaisseau. Foster transmit toute sa rage dans les muscles de ses bras pour tenir le manche, prête à accomplir une folie. Corday devait avoir tout à fait compris ce qui se passait.
— Hé ! Hé ! Ma grande ! Je l’ai senti, ça, tu t’en doutes ?
— C’est que je te disais. Pardon, Corday.
— Tu sais que c’est pas une bonne idée, hein ? C’est pas bien ce que tu fais là !
— J’ai dit pardon !
Le Fortune fondit alors droit vers l’atmosphère de l’astéroïde, gagnant en vitesse et faisant vibrer le vaisseau tout entier. MAMAN avait noté que la situation se présentait mal.
— Le Fortune est en chute libre. Le risque de crash est estimé à 66%.
— Ta gueule, MAMAN, répondit la voix tremblotante de Corday.
Foster coupa le mode vocal de MAMAN pour ne plus avoir à supporter ses avertissements. Elle était déjà tout à fait consciente du danger. En traversant l’exosphère, la friction de l’air sur la coque du vaisseau se mit à flamboyer. Des flammes et des étincelles à l’extérieur envahirent le pare-brise. Toute la structure était mise à rude épreuve. Foster ne lâchait rien, manœuvrant son engin de façon à le maintenir brûlant le plus longtemps possible. L'énorme masse de métal incandescent pouvait céder à tout instant et finir par s’écraser au sol. Corday supplia :
— Foster, par pitié, remonte
Foster aurait pu répondre qu’elle allait s’y mettre, mais elle refusait de perdre la moindre seconde de concentration. Elle jeta un œil à l’écran. Le capteur thermique saturait presque de blanc. Il fallait tout arrêter maintenant. Elle rajusta la puissance des moteurs et la direction des propulseurs. Elle devait réussir à contrebalancer les forces en opposition. Pianotant sur les boutons de commandes et prenant en mains les leviers, elle fit ralentir le Fortune qui trembla de toutes ses jointures. Il paraissait souffrir au point de rompre la moindre de ses soudures. Malgré toute l’énergie consommée, Foster constata que le colosse allait bientôt ne plus pouvoir éviter le crash. Pourtant, elle avait confiance en ce vieux tas de ferraille. Ce bon garçon allait bien finir par obéir, sinon Foster allait se fâcher. Puis il y eut une décélération nette qui renversa tout un tas d’outils et de câbles autour du poste de pilotage. Mais ça y était : Le Fortune avait arrêté sa chute. Foster afficha un sourire satisfait. Plus large fut-il quand elle exulta de joie en voyant que dehors pleuvaient des membres, des têtes et des corps calcinés. Quelques-uns encore entiers et en flammes tombèrent mollement en crépitant, et d’autres en s’agitant de douleur. Elle avait carbonisé ces créatures. Cependant, il n’était pas encore venu le temps de sabrer le champagne. Foster coupa quelques systèmes d’alimentations pour concentrer toute l’énergie sur les propulseurs. Le Fortune avait besoin de plus de poussée pour remonter aussi vite que possible. C’était reparti pour les secousses. Le vaisseau était redressé juste ce qu’il fallait pour actionner la manette des boosters. Il s’élevait droit à travers le ciel, traversa l’épaisse couche de nuages électriques puis rejoignit enfin le vide de l’espace. Foster coupa l’allumage des réacteurs ascensionnels pour activer les propulseurs arrière. En une puissante déflagration, elle catapulta l’engin qui fila comme une balle aussi loin que possible de l’astéroïde. Puis, elle coupa la propulsion, profitant de la poussée initiale du vaisseau. C’était fini.
Tout autour de Foster s’était apaisé. Elle réactiva les alimentations secondaires et remit tout le système à la normale. C’était comme s’il ne s’était rien passé. Elle n’entendait plus que le ronronnement étouffé des moteurs. Bon sang, quelle douce musique. Quel calme salvateur. Elle souhaita que le temps s’arrête là et qu’elle profite de l’instant à jamais, en savourant la première cigarette d’un paquet neuf récupéré dans la poche de la veste de Cobb, accrochée à son siège. Merci, papi, pensa-t-elle, comme si son ami était mort depuis bien longtemps. Tout comme Corman qui était restée en bas avec McClare. Tout cela était dorénavant loin derrière elle. Elle refusa de se laisser submerger par la douleur et la tristesse. Pas maintenant. Et d’ailleurs, elle n’avait toujours pas de nouvelles de Corday. Elle jeta un œil à la caméra du sas de décompression et vit Corday, toujours en combinaison, remuer sur un siège. Elle n’avait pas encore défait son harnais de sécurité.
— Toujours en vie, capitaine ?
Après quelques râles, Corday retira son casque, tourna sa tête vers l’objectif et tendit deux doigts à l’attention de Foster. Elle rit par nervosité.
- Tu m’as collée dans les vappes, espère de barge. Mais tu nous as sortis de là. Tu es une sacrée pilote.
— J’espère que tu en as bien profité parce que je ne compte pas remettre ça de si tôt.
— Ouais, et encore moins en gardant un passager enfermé dans un sas de décompression. Bon sang, j’ai cru être dans un four.
— Au moins, je les ai fait rôtir.
— C’était bien joué. Allez, je vais retirer cette combinaison. Tu peux me déverrouiller l’ouverture de la porte, s’il te plaît ?
— À tes ordres. Je t’attends sur le pont. MAMAN ? Diagnostic des dommages après le décollage, s’il te plaît, ordonna-t-elle.