Alien : La dérive du Fortune
Elle se redressa soudain sur son siège en sentant l'habitacle se comprimer autour d’elle.
— Euh… Capitaine, un ping a été capté de votre côté il y a environ dix secondes. Apparemment, ça venait du plafond. Vous avez remarqué quelque chose d’anormal ? Un bruit peut-être ?
La radio resta silencieuse un court instant, avant que Corday ne réponde.
— Pas du tout. Et derrière, vous avez vu quelque chose ?
— RAS , répondit McClare de son côté, sec et direct.
Cobb et Corman firent de même, et sans inquiétude particulière.
— Rien du tout, Foster.
Foster avait beau faire confiance à son équipe, l’inquiétude ne cessait de lui faire frissonner la nuque et chauffer le lobe de ses oreilles. Elle réfléchissait à une explication plausible quant à ce qu’elle venait de voir. Ce bref signal allait l’obséder. Elle scruta les relevés, les yeux plissés, comme si elle espérait voir quelque chose qu’elle avait raté. Une friction, même légère, qui n’aurait été causée par aucun de ses camarades, une fluctuation de température dans la zone, n’importe quoi. Le problème était que ça sortait de son champ d’expertise et que tous ces chiffres compilés étaient très compliqués à interpréter.
Le vaisseau Fortune émit un grondement sourd, une autre vibration émanant de ses entrailles, comme si la vieille carcasse métallique se plaignait aussi des événements qui prenaient forme. Foster posa son regard sur la console centrale, cherchant une distraction dans le flux sans fin des informations techniques du vaisseau.
La voix de Corday revint à la radio, toujours calme mais teintée d’une légère frustration.
— Bon, je viens de revoir ce qu’on a pu capter ici. Ça a dû m’échapper. Donc, d’après les données, y a bien eu un truc, mais le point est allé d’un coin à l’autre de la pièce, trop rapidement pour que ce soit un être vivant qu’on ait pu rater. Il aurait fait un boucan du diable.
— Vérifie que tu n’as pas eu une alerte de bug de ton côté, Foster , conseilla Corman.
Foster acquiesça sans conviction, les yeux toujours fixés sur les relevés. Elle se mit à parcourir l'historique des événements enregistrés les deux dernières minutes. Elle trouva ce qu’elle cherchait. Elle n’avait pas halluciné, mais ce n’était pas un bug.
— Je vais régler la sensibilité des capteurs , intervint McClare, pragmatique comme toujours. Ils ont dû détecter des poussières qui tombaient du plafond. On continue d’avancer, Foster.
Foster soupira, davantage par frustration que par soulagement. Elle voulait y croire, croire que ce n’était rien de plus que des interférences. Mais cette pyramide, cette tempête, ces problèmes de connexion qui n’avaient pas de sens… Tout, dans cet endroit, semblait jouer contre eux.
Le grésillement de la radio résonna à nouveau.
— Ah merde !
C’était Cobb, sa voix fatiguée exprimait une douleur non dissimulée.
— Quoi encore ? , demanda McClare, plus exaspéré qu'inquiet.
— Ma cheville me fait un mal de chien. Si je dois escalader ces grandes marches, ça va être la galère.
Un silence pesant se fit entendre à la radio, avant que Corday ne reprenne la parole, sa voix ferme, mais compatissante.
— Bon, Cobb, je sais que ça va pas te plaire, mais il vaut mieux que tu restes là.
— Je sais. De toute façon, cette salle est superbe. Je vais prendre des photos, admirer les murs, tout ça.
— Okay. Foster, on poursuit l’exploration .
— Bien reçu, répondit-elle, plus par automatisme qu’autre chose.
Sur la reproduction en trois dimensions, elle regardait le témoin lumineux de Cobb rester immobile tandis que les autres points représentant Corday, Corman et McClare continuaient à se diriger vers les premières marches qui les menaient vers l’étage supérieur de la pyramide. Corday semblait essoufflée.
— Bon sang, chaque marche doit faire un mètre de haut. Les locataires devaient avoir de sacrées jambes. Cobb, je te confirme que la grimpette, c’est pas pour aujourd’hui.
— Tes exercices de cardio vont bien te servir, alors.
— T’en fais pas, je reviens vite, puis on explorera tous les deux quand on t’aura soigné ça , dit Corman.
— Je sais bien, ma grande. Allez, amuse-toi bien. Je coupe pas ma radio si vous avez besoin que j’accoure à la rescousse.
— Avancez, Corman , se plaignit McClare, agaçant sa collègue.
— C’est bon, la concurrence ne va pas s’amener dans la minute. Respirez un peu. Capitaine, tu peux pas lui dire de pas stresser comme ça ?
— On se calme les enfants. Foster, on poursuit l’exploration.
— Bien reçu.
Elle sentait que l’atmosphère devenait de plus en plus tendue à mesure que l’équipe s’enfonçait dans la pyramide. La modélisation de la structure interne perdait peu à peu en précision au fil de leur ascension, marche après marche. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Son cœur s’emballa quand elle appuya sur le bouton de communication. Elle laissa un temps de silence pour ne pas avoir l’air affolée.
— Corday? Je ne reçois plus les relevés des louveteaux.
Pas de réponse. Elle allait répéter son appel quand Cobb rompit le silence.
— Foster, si ça ne répond pas, c’est parce que l’épaisseur de la pyramide coupe le signal. Tant qu’on est dans le hall, ça va, y a une grande porte qui donne sur l’extérieur. Mais te fais pas de souci, va. C’est normal. Et puis je pense qu’il y a suffisamment d’écho pour que j’entende s'il y a du grabuge.
La voix posée de Cobb avait un timbre très apaisant. Cela n’effaçait pas les craintes de Foster, mais ça en atténuait les effets.
— D’accord. On attend qu’ils reviennent, donc.
— Tout à fait. Ça va bien se passer. Puis, on se tient compagnie, c’est pas mal. Allez, on va regarder d’un peu plus près les détails de cette surface. Je vais gratter pour récupérer des échantillons puis je t’envoie l’analyse. À deux, on pense mieux. Ça te va?
Voilà ce dont Foster avait besoin. De quoi penser. Avoir l’esprit focalisé sur une tâche reposante. En elle-même, elle cherchait les mots justes pour dire à Cobb à quel point elle lui était reconnaissante qu’il soit ce qu’il est. Mais au moment de reprendre la parole, sur l’écran attitré à Cobb arrivèrent des photos du hall et autres données. Ici encore, impossible pour elle d’y comprendre quoi que ce soit. Mais pour ce qui en était des images, quelque peu brouillées par le signal défaillant, l’interprétation était plus aisée. Sur celle-là, on voyait les pieds de Cobb. Le sol noir autour de lui disparaissait dans une très fine couche de brume. Sur celle-ci, on voyait, lointain, l’escalier aux dimensions absurdes qui menaient au niveau suivant. On pouvait aussi apercevoir des colonnes, aussi sombres que le sol et les murs. Elles étaient complexes, aux galbes étranges, creusées et ornées de motifs aux allures mécaniques. Leur base ainsi que le point de contact avec le plafond étaient plus épais, grouillant de circonvolutions bizarres. Sur ces autres clichés, Cobb avait capturé le plafond. Difficile de voir de quoi il était fait, mais en son centre se trouvait un puits de lumière verte. En hauteur et à contre-jour, on pouvait distinguer des passerelles assez fines et des tuyaux tendus comme des muscles qui s'entrecroisaient en allant d’une paroi à l’autre. On eût dit un macabre attrape-rêve. Sur les dernières images, la surface noire des murs dévoilait un peu plus de détails que les colonnes, mais il y avait de toute évidence une cohérence dans l’architecture. Ils étaient sculptés dans une matière qui - elle ne saurait expliquer pourquoi - n’avait pas grand-chose de minéral.
— Cobb, tu pourrais me dire de quoi sont composés les murs? Je ne sais pas interpréter tes chiffres, demanda Foster à travers la radio, sa curiosité prenant le pas sur son inquiétude.
— Je relis ce que je t’ai envoyé… Okay, j’y suis. Eh bien, on peut dire que c’est pas banal.
Foster fronça les sourcils, attentive à la suite.
— Comment ça ?
Cobb avait du mal à retrouver son souffle. Peut-être était-ce dû à sa blessure, mais Foster se dit que les analyses de Cobb l’avaient perturbé.
— Euh… Je suis pas encore bien sûr, mais s'il n’y a pas eu de contamination de mes prélèvements, on dirait que cette surface est organique et métallique. Elle n’a rien de végétal, mais elle aurait tout aussi bien pu pousser. Je vais dire quelque chose d’étrange, mais c’est comme si un arbre avait de lui-même décidé de devenir un bâtiment industriel. Et cette paroi devant moi est composée d’éléments et d’ornements à la fois artistiques et fonctionnels. Je n’y avais pas fait attention mais il y a tout un réseau de tuyaux qui parcourent cette matière à la manière de veines et qui continuent leur chemin sur le sol. En hauteur, ces tuyaux tournent de façon anguleuse, mais une fois par terre, ils serpentent vers… Oui, c’est un puits. Tu verras, lui non plus, n’a rien de manufacturé. J’ai beau porter ma combinaison, j’ai comme l’impression qu’il en sort un souffle. J’espère que tu vas vite recevoir les images.
Foster resta silencieuse pendant un moment, son esprit essayant d’assembler les pièces du puzzle. Organique ? Associer les mots organique et architecture lui glaçait le sang. L’idée même que la pyramide pouvait être une chose vivante la révulsait. Dans son imagination, elle laissa vagabonder les concepts les plus étranges. Une structure qui aurait été cultivée comme un végétal. Une forme de vie consciente, sentiente, capable de se manifester. Capable de sentir ces petits être venus d’ailleurs et qui explorait ses entrailles. Capable de les piéger et de les digérer. Aussi eut-elle une légère inquiétude quand elle se figura Cobb debout au seuil d’une gueule béante. Elle secoua la tête, tentant de chasser cette pensée irrationnelle et consulta à nouveau chaque image.
Un détail la surprit alors. Dans l’entrelacement de lignes formé par les passerelles et les tubes qui entouraient le puits de lumière, une forme se présentait de façon différente entre deux photos. Sur la première, on aurait dit une tige longue et courbe qui pendait mollement d’une des plateformes. Un câble, peut-être. Mais sur la suivante, en revanche, ce câble se serrait un peu plus autour de la plate-forme. Encore deux autres clichés et la chose n’avait pas changé de forme. Alors peut-être était-ce un effet de parallaxe, mais Foster en doutait. Qu’est-ce que c’était, bon sang !? Le cœur de Foster se mit à battre plus fort. Un simple effet d’optique, ou un élément architectural qu’elle avait mal appréhendé. Il fallait que ce soit ça. Elle prit une grande inspiration avant de parler à travers la radio, tentant de ne pas alarmer Cobb.
— Cobb… Tu peux faire un truc pour moi? J’aimerais que tu bombardes de photos tout ce qui t’entoure. En priorité au-dessus de toi.
— Quelque chose ne va pas ?
Elle s’efforça de répondre sur un ton neutre.
— Envoie-moi juste des photos, s’il te plaît. Je ne veux rater aucun détail.
— Ah, on sent bien que tu voudrais être ici, toi. T’en fais pas, dès que les autres auront tout vu, toi Corman et moi, on fera une petite sortie touristique ici avant de redécoller. Allez, c’est parti, je fais ce que tu m’as demandé.
— Merci, papi, c’est gentil.
Elle écoutait tout ouï les sons diffusés par les haut-parleurs. Elle écoutait la peine qu’éprouvait Cobb à respirer, le bruit sourd de ses mouvements et le frottement faible du tissu de sa combinaison. Des petites choses qui lui permettaient de visualiser les gestes de son ami. Et en nappe sonore mugissait ce vent interminable et cette maudite pluie qui giflait le pare-brise par vagues successives ajoutant l’exaspération à son anxiété. Le temps exerçait une pression malveillante sur ses nerfs et s’allongeait tandis qu’elle attendait le téléchargement des fichiers. Trente secondes. Trente secondes de différé sur une distance si infime, c’était très long et anormal. Elle s’apprêtait à demander si Cobb avait terminé sa tâche quand arriva l’annotation attendue.
Une dizaine de fichiers étaient encore en train de charger, mais elle put ouvrir les deux premiers. Cobb avait commencé par le bas. Ce n’est pas ce qui intéressait Foster. Deux autres images. Cobb avait commencé à photographier un peu plus haut. Une autre encore, mais toujours pas le cadre voulu.
— Allez, Cobb, hausse la tête, par pitié, supplia Foster en serrant les dents, consciente que personne ne l’entendait.
Puis, l’image arriva. Le puits de lumière, le tissage de structures, le rayon verdâtre en son centre, la passerelle incriminée et… La chose enroulée autour. Elle n’avait pas changé. Foster ferma les yeux et poussa un long souffle pour se détendre. Peut-être s’était-elle inquiétée pour rien. Sur la photo suivante, un angle un peu différent, mais toujours rien d’inattendu. L’élément discordant était à sa même place. Foster prit une grande et lente inspiration par le nez avant de passer au fichier qui venait de finir de charger.
Foster sentit son estomac se nouer.
Cobb avait cadré plus à droite pour revenir vers le mur, mais l'entrelacs supérieur était toujours dans le champ à gauche. Cependant, la chose sur la passerelle s’était déployée imperceptiblement comme mue par une volonté consciente. En zoomant, Foster découvrit avec horreur que ce qu'elle pensait être un câble était articulé par des vertèbres. Les doigts de Foster tremblèrent avec fébrilité quand elle appuya sur les touches du clavier pour comparer les deux images. Ça avait bougé. Ce n’était pas une question d’angle, pas un effet de parallaxe ou une déformation de la lentille de la caméra de Cobb.
Quelque chose de vivant se déplaçait sur la passerelle.