Alien : La dérive du Fortune

Chapitre 2 : La Pyramide

3276 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 3 mois

La voix de Corday traversa l’intercom avec son ton habituel, à la fois sérieux et enjoué. Foster, après un instant de flottement, se redressa, agacée d’avoir été tirée de ses pensées mais aussi soulagée de constater que ses collègues allaient bien. Sur son panneau de commande, des moniteurs diffusaient les images transmises depuis les dashcam des casques de ses collègues. Elle appuya sur un bouton pour répondre, sa voix teintée d'une lassitude qu’elle ne prit pas la peine de dissimuler.

— À merveille, capitaine.

Corday entendit plus que des mots à travers la réponse de Foster. Aussi, elle ajusta son timbre pour le rendre moins formel.

— Tu faisais quoi ?

Foster jeta un coup d'œil autour d'elle, les yeux glissant de droite à gauche pour trouver une réponse qui ne nécessiterait pas de longs discours. Pas de sa part, tout du moins, alors qu’elle avait tant de choses à dire.

— Je réfléchissais. À cette pyramide.

— C’est pas le genre de chose à laquelle on s’attend quand on prospecte, hein ? répondit Corday avec une pointe d'incrédulité.

— C’est surtout pas le genre de chose qu’on s’attend à voir ailleurs que sur Terre, répliqua Foster, en jetant un coup d’œil au hublot. Et pourtant, c’est une forme basique en termes d’architecture, alors, je ne devrais pas être étonnée de voir que d’autres civilisations venues d’ailleurs l’aient utilisée. Enfin, je veux dire que ça parait logique.

La pyramide semblait la narguer, distante et immobile au milieu de la tempête. Elle ne sut quoi ajouter quand une autre voix rauque, dure et autoritaire interrompit ses pensées. C’était McClare, le chef d’équipe.

— Hé, gamine ! Au lieu de rêvasser, lance plutôt l’enregistrement !

Foster tourna son regard excédé vers l’écran de la caméra portée de Corday qui cadrait McClare. Comme s’il s’agissait de son propre point de vue, elle gratifia le rabat-joie d’un majeur bien tendu. Venant de lui, le surnom gamine avait une consonance qui l’irritait au plus haut point. Et un s’il te plait n’aurait pas été de trop. Elle s’accroupit sous le tableau de bord pour bidouiller quelques fils à moitié dénudés puis appuya sur une série de boutons.

— C’est bon, l’enregistrement est lancé, dit-elle d’un ton lassé par le comportement de McClare. Tout sera sur disque à votre retour. La transmission vidéo est pas géniale mais ça devrait le faire.

Sur les quatre écrans, Foster put suivre la progression de l’équipe qui traversait le pont qui menait au monument. Les bourrasques perfides et la pluie ardente ne les empêchaient pas d’avancer. Le poids de leurs combinaisons devait aider à contrebalancer la force de la tempête. Les serres à travers lesquelles ils évoluaient devaient aussi amenuiser la force du vent qui se faufilait sous le pont en caressant le fond du cratère. McClare regardait droit devant lui. Corday marchait avec prudence en regardant par intermittence chaque membre de l’expédition pour veiller au grain. Les dashcam de Corman et Cobb permirent à Foster de voir le panorama cauchemardesque tel qu’il paraissait depuis le sol rocheux. Le pont était creusé d’une gouttière striée en son centre et les crochets au-dessus de leurs têtes menaçaient de fondre sur eux à chaque instant. La pyramide commença à dévoiler un peu plus de détails. Elle n’avait pas de porte, mais son ouverture était impressionnante et gigantesque. Cobb leva la tête pour essayer de distinguer le sommet, mais l’atmosphère le lui interdisait. Trop obnubilé par l’objet de son intérêt, il ne fit pas attention à ce qui l’entourait et les autres le virent tomber dans la gouttière. Il poussa un râle de douleur puis laissa échapper un fou rire indiquant qu’il était bien conscient de son idiotie. La voix de Corday retentit à nouveau, un poil plus tendue qu’auparavant.

— On arrive à l’entrée de la pyramide. Cobb s’est foulé la cheville. Rien de grave mais il va bien boiter.

Corman ne put s’empêcher de se moquer de l’infortune de son ami.

— Il boitait pas déjà avant ça ?  

— C’est ça, fous-toi de moi , répliqua Cobb, jouant l’irritation.

— Non mais sérieusement, tu veux pas que je te raccompagne au vaisseau? Poursuivit Corman, imperturbable.

— T’es dingue ? Je veux voir tout ça de mes propres yeux.

Foster esquissa un sourire malgré elle. Cobb avait beau râler, il ne pouvait jamais résister à l’appel de l’aventure. Ça le rendait irrésistiblement sympathique auprès de tout le monde. Même ce sale con de McClare louait son attitude.

— Bon sang, je crois que notre officier scientifique vient d’expérimenter l’émerveillement , lança Corman.

— Je veux qu’on note dans le rapport que Corman est un trou du cul , grommela Cobb, un poil bougon.

— Tu déconnes mais ça me ferait une superbe épitaphe.

Le sourire de Foster s’élargit. Elle se pencha en avant sur son fauteuil pour tenter de distinguer ne serait-ce qu’un mouvement de silhouette de ses camarades à travers la grande paroi de verre. Mais impossible. La tempête et la pluie ruisselante troublaient l'observation de l'environnement extérieur. Même la pyramide était devenue une floue.

— Radine comme t’es, tu ferais graver ça sur une plaque de polystyrène.

Les voix se mélangèrent à la radio, des rires étouffés de Corday et Corman résonnèrent dans les haut-parleurs. Mais Foster sentit une pointe de tension percer quelque part. Elle n’en n’était pas certaine. Ce silence lourd, ce sentiment de solitude à bord du Fortune, loin de l’équipe, pesait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle allait se lever pour s’étirer quand les caméras coupèrent net. 

— Corday, on a un problème. Je ne reçois plus votre transmission vidéo.

— Merde. Ça doit être la tempête. On entre dans la pyramide. Une fois à l'abri je reboot le signal.

Foster écouta les bruits de pas qui frottaient les derniers mètres de roche qui les menaient au hall. Elle entendait s’amenuiser le choc des débris projetés par le vent qui fouettait leurs combinaisons. Les sons devinrent d’un coup moins violents et agressifs. Le contact des bottes sur le sol résonnait dans un écho assourdi par le verre de leurs casques.

Ils étaient entrés.

La voix de Corday retentit à nouveau à travers l’intercom.

— On est à l’intérieur. J’ai relancé une tentative de connexion. J’imagine que tu ne captes toujours pas nos vidéos ?

Foster prit une longue bouffée de cigarette avant de répondre, en scrutant les écrans avec une frustration qu’elle sentait s’insinuer.

— Non, toujours rien.

Foster leva la tête et s’adressa à l’ordinateur de bord du Fortune.

— MAMAN? Pourrais-tu trouver un moyen pour que nous puissions recevoir les signaux vidéo des caméras portées ?

Après un crachotement à hérisser les poils, comme si les haut-parleurs s’étouffaient avec la poussière accumulée sous leur membrane, la voix froide et synthétique de l’IA répondit du tac au tac.

— Impossible d’obtenir un signal suffisant pour capter un flux vidéo stable.

— Et merde, jura Foster à mi-voix.

Elle savait que les systèmes du Fortune étaient quelque peu vétustes mais suffisamment performants pour affronter ce genre de situations extrêmes. Même l'équipe n'en était pas à son premier rodéo et ils s’en étaient toujours bien tirés jusque-là.

Cet astéroïde, c'est du grand n’importe quoi , pensa-t-elle en écrasant sa cigarette. Elle passa en revue les options disponibles, ses doigts glissant sur les claviers usés et frappant les boutons graisseux.

— Attends, MAMAN, qu’est-ce qu’on peut espérer capter d’autre que la vidéo des caméras portées? demanda-t-elle, essayant de trouver une solution.

La voix synthétique de MAMAN résonna à nouveau dans le cockpit exigu, son ton monocorde contrastant avec l’impatience de Foster.

— Le signal radio est correct. Il existe un risque de bug selon la distance entre le point d’émission et le Fortune.

— Oui, ça je le sais déjà. Merci pour rien, marmonna Foster en tapotant sur la console.

MAMAN poursuivit, indifférente aux états d’âme de l’équipage.

— Le signal des capteurs topométriques est très lent avec un temps de traitement estimé à dix secondes pour cinquante mètres cubes de calcul des scans 3D. Le signal de réception photographique est faible avec un temps de traitement estimé à trente secondes par cliché envoyé. Risque de bug par intermittence.

Foster leva les yeux au ciel. Même si dans les faits cela n’avait aucun sens, ça signifiait qu’elle recevrait les images en différé, avec de potentielles interruptions. Un autre obstacle sur cet astéroïde où rien n’était normal. Elle avait l’impression de vivre à l’âge de pierre.

— Bordel, c’est pas logique, lâcha-t-elle, frustrée par la situation.

— Ok, on s’en contentera , répondit Corday à l’autre bout de la radio. On enregistre les vidéos depuis nos casques et on t’enverra des clichés, histoire que tu profites un peu de notre aventure. Je lance les louveteaux pour réaliser la topométrie des lieux.

Foster hocha la tête, même si personne ne pouvait la voir. Les louveteaux étaient des petits drones de reconnaissance qui permettaient de cartographier en trois dimensions des zones inaccessibles. Elle ajusta les paramètres sur son écran pour observer les premières données.

— Ok, y a une certaine latence. C’est agaçant mais rien de bien méchant. Ça charge, au moins.

Sur l’écran de contrôle, les premiers mètres cubes de l’intérieur de la pyramide commencèrent à apparaître, se matérialisant à très faible débit. La pièce dans laquelle l’équipe de Corday se trouvait était immense. Foster observait la reconstitution numérique, fascinée malgré elle par la taille démesurée de cette structure. Le hall de la pyramide devait être impressionnant à explorer. Pour autant, son envie d’en voir plus était en conflit constant avec ses appréhensions.

La voix de Cobb, impressionné, résonna dans l’intercom.

— Putain, matez-moi ça. C’est magnifique.

Corday répondit d’un ton plus pragmatique, bien que non dénué d’un certain émerveillement.

— Le signal radio est assez fluide, Foster ?

Foster sourit, laissant échapper un rire nerveux.

— Comme papa dans maman.

MAMAN intervint alors, sans comprendre la blague.

— Oui, lieutenant Foster ? Je vous écoute.

Les rires de Corday, Cobb et Corman éclatèrent dans l’intercom, brisant l’atmosphère tendue du cockpit. Foster plaqua une main sur sa bouche, regrettant sa plaisanterie.

— Okay, je sais plus où m’mettre, admit-elle en souriant malgré elle.

Mais le rire ne dura pas longtemps. McClare, toujours aussi sévère, rappela à l’ordre, sa voix froide tranchant net l’ambiance légère.

— Bon, sinon, est-ce qu’on pourrait aller plus vite ? J’aimerais qu’on s’en aille rapidement.

Foster prit une grande inspiration. McClare avait ce don pour toujours casser la moindre tentative de relâchement, surtout quand celle-ci s’avérait nécessaire. Il était du genre à vouloir garder un contrôle total sur chaque situation, même dans des moments où personne ne savait à quoi s’attendre. Il avait au moins son professionnalisme pour lui. Il aurait aussi bien pu être un robot, ça lui aurait fourni une excuse pour son comportement.

— Bon, McClare a raison. En route, mauvaise troupe, reprit Corday.

— Foster , intervint Cobb. Je t’envoie les toutes premières photos de l’événement. Tu ne vas pas en croire tes yeux.

— Merci, papi. Fais bien attention à ta patte folle.

— Ha! Ha! Didascalie, Cobb se marre, lâcha-t-il, sarcastique.

Foster contempla l’écran sur lequel commençaient à apparaître les premières images tridimensionnelles de l’intérieur de la pyramide. Un simple brouillard numérique au début, puis, vague d’informations par vague d’informations, le hall d’entrée prenait enfin forme. Sur un autre moniteur, une notification l’avertissait de l’arrivée d’un fichier image. Les premiers clichés mettaient du temps à s'afficher. Il était certain que les interférences incessantes étaient dues à la composition de l’atmosphère de l'astéroïde. Foster observa les images se télécharger pixel après pixel, révélant dans une progression lente l’intérieur de la pyramide. Les clichés étaient très granuleux, mais on pouvait distinguer des formes sombres, des angles parfaits, des murs qui semblaient faits de matières à la fois métalliques et organiques. 

— Ça y est? Tu as bien reçu les photos ? demanda Cobb, comme s’il venait d’envoyer un cliché de vacances à sa famille.

Foster éclata de rire, micro fermé. Elle ne put s’empêcher de se dire que Cobb méritait bien son surnom de papi. Elle se reprit du mieux qu’elle put avant de lui répondre.

— Ça arrive. C’est très, très lent, mais ça arrive.

— Tu parles d’un temps de chargement... C’est complètement con, grommela Cobb , sa voix résonnant dans son casque. J’ai une meilleure connexion internet dans mon bidonville.

— Allez, Cobb, répondit Foster en ajustant ses écrans. Dis-toi qu’après cette mission, c’est fini le bidonville.

— Pas encore , rétorqua Cobb, un brin de mélancolie dans la voix. D’abord une petite maison pour ma fille. Moi, ce sera pour la prochaine fois.

Il y eut un silence dans l’air, comme si la mention de la fille de Cobb ramenait un peu d’humanité dans ce Mordor. Bon sang, bien qu’il l’ait eue à vingt-trois ans, les trajets successifs en hyper sommeil cryogénique avaient creusé l’écart d’âge entre lui et sa fille. Il ne la voyait que pendant ses courts temps de repos sur Terre. À son retour, Cobb, cinquante ans, aurait l’allure du grand frère de sa propre fille. Ce voyage devait à tout prix être son dernier. Foster ne le savait que trop bien.

 Corman fut la première à briser ce moment de mélancolie.

— Je t’ai déjà dit. Tu pourrais habiter chez nous.

Foster ressentit une chaleur intérieure en entendant cette proposition. Corman, derrière son humour tranchant et ses piques incessantes, était toujours celle qui veillait sur les autres. Elle-même connaissait les contraintes dues à leur travail. Quand il serait de retour au bercail, la femme de Corman serait bien plus âgée qu’elle. Pour les familles des passagers du Fortune, il y avait bien la solution de la cryogénie des familles et conjoints sur Terre, mais les prix étaient exorbitants. Alors chacun et chacune devait avoir foi en ses proches en espérant qu’aucun drame ne se produise au cours de leur absence. Une opportunité illusoire et inatteignable.

Foster sortit un carton de sa poche : une image d’elle, petite, dans les bras de sa mère. Cela lui rappela l’impossible contrainte de sa condition de navigatrice pour la Compagnie. Après avoir quitté son sommeil cryogénique une semaine plus tôt, un message provenant de la Terre l’avait informé que sa mère s’était éteinte quatre mois auparavant. La seule famille qui lui restait avait disparu pendant ses rêves. Dire qu’elle était partie en mission pour lui offrir une bonne retraite. Cinquante-quatre ans, ce n’est pas un âge pour mourir. Elles auraient pu encore vivre de belles choses. Elles auraient pu les vivre ensemble, mais le temps et le travail les avait arrachées l’une à l’autre. Sans un dernier mot échangé. Sans une dernière étreinte.


Elle contempla la photo un instant, en silence, passant une paume ferme sur son œil humide, avant de coller le carton au module au-dessus de sa tête.

— Nah, Corman, je suis très bien tout seul. reprit Cobb

Un léger tremblement dans sa voix trahissait une affection réelle pour sa camarade, mais aussi une certaine réticence à trop s'impliquer.

— Bravo, vieux grincheux , railla Corman avec douceur.

— Je suis pas grincheux. C’est juste que j’aime pas embêter les gens. Je passerai voir ma fille de temps en temps chez elle. Je lui offrirai une belle vie comme elle le mérite et moi, je rempilerai pour un dernier coup, histoire de financer mes vieux jours.

Foster, un sourire tremblant, se frotta la joue puis les yeux pour les sécher des larmes qui commençaient à couler. Ce type de discussions au milieu du néant aidait à maintenir un semblant de normalité et une chaleureuse humanité. Elle sentait cependant que poursuivre le sujet sur cette voie pourrait quelque peu saper le moral de ses amis. Elle intervint donc.

— Ouais, puis chez Corman, c’est plus un lupanar qu’une maison, ajouta-t-elle pour charrier son amie.

— Mais je t’emmerde, va. Attends que je revienne te botter tes bonnes fesses , rétorqua Corman dans un éclat de rire.

Foster allait répondre quand le vaisseau poussa une plainte subtile mais assez significative pour qu’une vibration sourde traverse sa coque. Plus que jamais, elle sentait bien que le Fortune tout entier était un patchwork de réparations improvisées et que la force du vent allait au gré de son humeur. Une notification sonore ramena son attention vers un écran : les nouvelles photos révélaient des décors incroyables à l'intérieur de la pyramide. Des formes angulaires s'entrecroisaient et certaines surfaces semblaient recouvertes d'une texture luisante d’un noir iridescent. Foster ne savait comment décrire ce qu'elle voyait. Des motifs complexes serpentaient sur les murs, comme des veines sous une peau translucide.

Elle tira par réflexe une autre cigarette de sa poche, l’alluma et fixa le cliché sans trop y prêter attention, les relevés topométriques de la pyramide s’affichant à une vitesse frustrante. La structure dessinait peu à peu un assemblage d’angles abrupts et de volumes immenses. L’éclairage froid du moniteur était une des seules sources de luminosité stables dans le cockpit, et son intensité vacillait à chaque rafale à l’extérieur. Le scan révéla des couloirs, des chambres et des escaliers monumentaux. Quelque chose, cependant, dans cette structure la dérangeait. Peut-être étaient-ce les proportions colossales des lieux ou, plus terre-à-terre, le silence qui régnait en dehors des échanges à la radio.


Le silence fut soudain brisé par une autre notification. Foster fronça les sourcils en remarquant une anomalie. Une petite icône rouge clignotait sur le plan tridimensionnel, indiquant un mouvement capté par les senseurs. Il clignota quelques secondes sans bouger puis Foster ne put s’empêcher de frémir en le voyant disparaître aussi vite qu’il était apparu.


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