♠ ♦ Alice in Wonderland ♥ ♣

Nous voici tous réunis dans un grand laboratoire éclairé par la lumière du jour, qui ressemble plus à une sympathique cuisine familiale à mon goût : c'est la Salle de Création de Potion, appartenant à Jumonji. Tous les Rebelz sont rassemblés autour du grand comptoir central, sur lequel reposent plusieurs ustensiles et récipients, tels que des flacons ou des bouilloires, accompagnés de machines compliquées. Marshall s'amuse calmement avec quelques cuillères à café qu'il trouve sur un touret derrière lui avec un léger sourire aux lèvres, alors que Edge s'assoit en plaçant le dossier de la chaise devant lui, et que L s'installe tout courbé sur un siège, joignant ses genoux contre son torse comme il a l'habitude de le faire. Kuro, plaçant ses mains derrière sa tête, pose carrément son cul sur le comptoir où Jumonji fait un peu d'ordre dans ses outils. Agon et Unsui, s'asseyant à deux sur le même tabouret, gardant un pied au sol et appuyant l'autre sur l'entretoise, envoient habilement leurs casquettes sur le porte-manteau cloué derrière la porte.

« Dis-moi, ma p'tite sous-merde, me demande Blue en me toisant avec un sourire, sa langue de caméléon pendant au coin de ses lèvres retenant malgré moi toute mon attention, as-tu réussi à trouver tous les ingrédients de la liste ?

-À ce propos... je réponds en baissant les yeux, il m'en manque deux seulement, dont un qui... me pose un peu problème. »

Alors que je me tourne lentement vers Hiruma, qui vient tout juste d’apparaître dans la pièce, Blue comprend de quel ingrédient je veux parler et me chuchote en accentuant son sourire malin : « Vous feriez mieux de discuter un peu, lui et toi. »

À peine sa phrase s'achève que l'homme-chenille s'assied sur une chaise près de Jumonji en posant son narguilé sur une table basse à proximité de lui. Je m'approche alors d'Hiruma, prends tendrement sa main, et lui fait comprendre d'un doux regard de sortir de la pièce avec moi quelques minutes. Il me répond par un petit sourire affectueux et me suit.

« Bon, je murmure avec émotion, le moment est venu.

-Et ouais, Fuckin' Brunette, répond Hiruma avec un large sourire satisfait. Tu vas enfin te souvenir de ta première visite, de ta rencontre avec chaque Rebelz, de tout ce que le camp a parcouru... Son sourire s'éteint un peu. Et aussi de tes relations avec chacun... »

Sans un mot, il caresse mes cheveux en me regardant amoureusement de ses yeux couverts d'eye-liner. Il m'a l'air beaucoup plus triste, soudainement. Toujours silencieusement, il passe sa main dans le col de son haut, et en sort son collier. Il le brandit entre nos deux regards. La Poudre de Lune dans le bocal-pendentif ne brille plus. Pourtant, il a retrouvé son sourire grâce à notre survie. Il retire délicatement son collier, et le pose au creux de mes mains. Je le regarde, très touchée de son geste, car je sais à quel point cet objet est précieux à ses yeux. Il me dit de sa voix cassée, sur un ton très calme et bas :

« Tiens, ma Fuckin' Alice. Il va plus te servir qu'à moi. Il a un petit sourire en coin. Je n'en ai visiblement plus besoin pour sourire. Et à présent, je pense même que j'n'en ai jamais eu besoin, en fait. Comme c'est le dernier souvenir qu'il me restait de ma mère, je croyais dur comme fer que mon sourire venait de la magie de cette putain de poussière... J'ai été complètement con. Il caresse tendrement mes joues en rapprochant son visage du mien. Tant que les Rebelz sont ensemble, mon sourire ne mourra jamais. »

Toute émue, je glisse mes doigts dans ses cheveux, le caressant derrière ses oreilles de chat. Il ronronne en ricanant, alors que je ris aussi de bon cœur. On est si complices. Il continue :

« D'où elle est, ma mère comprend sûrement qu'il est essentiel que je te donne cette poudre. Je garderai seulement le petit bocal, en son honneur. Tu es ma raison de vivre, Alice, mon bonheur. Et je sais qu'elle veut seulement que je sois heureux.

-Elle doit être si fière de te voir épanoui, Hiruma. Dis-je en lui souriant tendrement.

-Je... je ne le suis pas complètement. Il me tourne soudainement le dos pour cacher ses yeux qui s'humidifient. Je m'approche alors de lui. C'est grâce à ma Poudre de Lune que tu vas te souvenir de ta relation avec Edge...et que tu ne seras donc plus amoureuse de moi. Il me regarde, les oreilles baissées. Oh, mais ne t'en fais pas pour moi. Même si personnellement je ne serai pas comblé, je serai très content pour vous deux. »

Il baisse la tête. Je relève son visage vers moi, en caressant ses joues. Je susurre :

« Comme je te l'ai déjà dis, notre amour ne sera jamais qu'une illusion. Même sous l'effet de cette putain de potion, nous serons toujours très proches, toi et moi. Je ne peux pas me séparer de toi plus de cinq minutes à moins de suffoquer sous l'attente de revoir ton beau sourire. Je chuchote, à quelques centimètres de ses lèvres. Je t'aimerai toujours, Hiruma.

-Moi aussi Alice, je ne cesserai jamais de t'aimer, et de te suivre comme ton Ombre. »

Sur ces mots, il m'embrasse passionnément, les yeux clos, en glissant ses mains sur mes hanches. Il verse une douloureuse larme, que j'essuie en caressant sa joue. Notre baiser achevé, nous plongeons quelques instants nos regards l'un dans l'autre, puis nous entrons dans le laboratoire, la mort dans l'âme, comme si une page de notre vie se tournait.

Tous les regards se tournent vers Hiruma et moi, alors que ce dernier apparaît près de Kuro dans une brume scintillante, et que je ferme la porte. C'est le regard de Edge qui retient le plus mon attention : la jalousie qu'il a pu éprouver vis-à-vis de ma nouvelle relation avec Hiruma semble s'être volatilisée, comme si il prenait conscience que je retomberai bientôt dans ses bras. Lentement, d'un pas peu assuré, je m'approche de Jumonji, qui me sourit avec bienveillance. Solennellement, il s'exclame :

« Mes chers Rebelz, le moment est venu pour Alice de recouvrir la mémoire. »

Il se tourne ensuite vers moi, et tend ses deux mains à plat. J'y dépose ma liste d'ingrédients, sur laquelle il saupoudre une sorte de poudre bleue pailletée. Elle permet, m'explique-t-il, de retirer la magie de l'encre invisible, et donc de rendre ces écrits visibles pour n'importe qui. Il la place ensuite sur un petit pupitre en bois, et pose un récipient sur le feu : c'est dans cette petite marmite que tous mes ingrédients vont être assemblés.

« Pour commencer, je vais te demander ton thé de folie, préparé par notre cher Chapelier, ma p'tite Alice, me demande Jumonji poliment. » 

Je lui donne alors ce premier ingrédient sous les yeux amusés de Edge, fier de son Rebelz Roses Tea. La boisson remplit une bonne partie de la mini-casserole.

« Ensuite, j'ai besoin de la friandise mâchouillée de L, et de la poudre de balle perdue de Marshall... Le jeune roi marque un temps, pose ses yeux sur l'homme-lièvre et demande. Tu as vraiment raté ta cible ?

-Tss, c'est une longue histoire Ju', répond Marshall avec un léger sourire, en continuant de faire mu-muse avec les cuillères.

-Je vois. Jumonji se tourne de nouveau vers moi et m'explique. Je commence par les ingrédients appartenant aux 3 Fous, car lors de ta première visite, c'est les derniers que tu as rencontrés. »

Je m'exécute en silence, quelque peu oppressée par l'attente de redevenir moi-même. Il jette le reste du macaron à la fraise de L dans la marmite, puis ouvre délicatement le tube à essai contenant la poudre de balle, pour la verser tout aussi précautionneusement. Chaque ingrédient laisse échapper une sorte d'aura magique au-dessus de la casserole, semblable à la fumée émanant d'un plat chaud. Alors qu'il mélange, il me dit :

« Avant eux, tu as eu l'élégante chance de rencontrer Kotaro, c'est pourquoi il me faut la poudre d'or de sa couronne. »

L'ironie de sa voix m'a fait sourire, et des ricanements sarcastiques fusent dans la salle suite à l'expression si chère au Roi de Cœur, ici prononcée par son pire rival. Sagement, je lui donne ce qu'il m'a demandé, et il saupoudre le tout, avant de mélanger de nouveau.

« J'ai une question, Jumonji... je me risque timidement en tripotant une de mes mitaines en résille. Chaque ingrédient appartient à quelqu'un de visiblement important pour moi, que ce soit dans le bon ou le mauvais sens du terme. Pourquoi n'y a-t-il aucun élément appartenant à Blue et toi pour la confection de cette potion ?

-Laisse-moi répondre à sa place, lance Blue après avoir recraché la fumée de son narguilé. Nous sommes également tous les deux présents dans la fabrication de cette potion, mais différemment. Jumonji est celui qui la prépare, et moi je suis celui qui l'a inventé. Il tire une nouvelle latte en riant. Tu ne pensais tout-de-même pas que lui et moi n'étions pas importants pour toi lors de ta première visite quand même ? »

Je lui réponds par un sourire. Ma curiosité me pousse à poser des tonnes de questions, et elles ne sont pas toutes très intéressantes. Mais qu'importe, ça me plait de les poser.

« Alors maintenant, il me faut... continue Jumonji en prenant un grande inspiration, comme si ça lui faisait mal d'évoquer ce nom... le cheveu de Togano. Il se ressaisit et dit avec espièglerie. Bordel, je me demande comment tu t'es démerdée pour lui arracher un cheveu !

-C'est en partie ce qui a faillit me coûter la vie, je réponds en passant nerveusement ma main sur ma nuque. Mais, comme l'a si bien dit Marshall, c'est aussi une longue histoire. »

Se saisissant du tube à essai que je lui tends, Jumonji attrape à l'aide d'une pince l'un des quelques cheveux de Togano que j'ai réussi à prélever, et le plonge dans la mixture.

« Juste avant lui, c'est Hiruma que tu as rencontré dans la Shadow Forest. »

Je lui donne immédiatement le bocal-pendentif du Cheshire. Jumonji, comme tous les autres Rebelz, semble surpris que l'homme-chat ait fini par me le donner. Ce dernier accentue son beau sourire pour toute réponse. Le Roi de Pique verse alors la précieuse poussière dans le récipient et baisse légèrement la puissance du feu, après avoir rendu le bocal à Hiruma.

« À ton arrivée, c'est les Tweedle qui t'ont accueillie dans le Wonderland. Il me chuchote avec complicité. Tu es parvenue à prélever cet ingrédient, Alice ?

-À dire vrai, je ne leur en ai même pas parler, Jumonji. Dis-je avec un sourire gêné.

-Je te comprends. Jumonji sourit avec insistance aux jumeaux, qui comprennent de suite que leur élément est un peu spécial. Prêts à vous faire mal, les gars ?

-Pardon ? Demandent Unsui et Agon à l'unisson.

-Quelques gouttes de vos sangs me sont nécessaires... »

Je pensais qu'ils allaient hésiter. Mais pas le moins du monde. D'une démarche plus qu'assurée, ils se sont avancés vers la casserole, ont détaché la broche qu'ils portent à leurs manteau (la même, cela va de soit, mais avec des couleurs inversées), et se sont piqués le poignet avec l'épingle à nourrice.

Ils lâchent un léger gémissement de douleur, accompagné d'un sourire en coin pour Agon, et d'un grincement de dents pour Unsui. Une goutte du sang chaud d'Agon tombe dans le récipient, suivie de celle du sang froid d'Unsui. Alors que je regarde avec une fascination étrange les deux taches rouges se mêler à ce liquide bizarre, Jumonji soigne d'un geste les légères blessures des jumeaux, qui ré-attachent leurs broches en retournant à leurs places. En silence, je pose le dernier tube à essai dans la main du Roi de Pique.

« Et enfin, la larme de Kuro, celui qui t'a fait venir dans notre merveilleux monde. »

Jumonji retire le bouchon dans un « Pop » retentissant, place le flacon au-dessus de la marmite, et le retourne, laissant la larme couler dans le mélange.

« Cela n'a pas dû être facile de le faire pleurer, lance-t-il en souriant à son ami d'enfance, tout en mélangeant la potion à l'aide d'une cuillère en bois.

-J'avais mes raisons. Mes bonnes raisons. Lâche Kuro en lui souriant en retour, me regardant tendrement ensuite. »

Même si je parviens à lui rendre son doux sourire, je commence à stresser. Le moment tant attendu approche. Le moment de vérité. Je commence à jouer avec les pans de ma robe : ça veut dire que j'angoisse, je me connais trop. Jumonji éteint la cuisinière, et verse le contenu de la casserole dans un petit flacon en cristal. Il me le donne, et me murmure « À ta santé, Alice » en se plaçant en ligne avec les autres Rebelz, les uns à côté des autres derrière le comptoirs, en face de moi.

Avec méfiance, alors que je sais pertinemment de quoi est composée cette potion, je retire le bouchon argenté et sens la mixture. Cette senteur est si insolite, un mélange farfelu entre la fraise du macaron de L, la cannelle du thé de Edge, et l'odeur métallique du sang des Tweedle. Je lance un regard furtif aux Rebelz, croisant chacun de leurs regards un à un, avant de boire la Potion de Mémoire, par plusieurs gorgées mais jusqu'à la finir.