♠ ♦ Alice in Wonderland ♥ ♣
Chapitre 26 : ♠ ♦ Qu'on leur coupe la tête ♥ ♣
2355 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 28/01/2017 18:02
Je le redoutais. Cet affreux silence. Pesant, douloureux, mortel. Bientôt éternel.
Togano, en tirant sur la chaîne d'or, nous fait faire le tour de l'estrade sur laquelle nous allons perdre nos têtes. Ce trajet nous permet d'être vus de toute l'assemblée ici présente. La foule est composée d'individus divers et variés. Il y a les Cavaliers Rouges, pour surveiller la masse, et surtout assister à notre exécution avec un plaisir sadique. Tous les ''lèches-culs'' de Kotaro, comme je les appelle, sont également présents. Il s'agit essentiellement de majordomes et autres sujets hypocrites et snobs. Mais parmi tout ce monde, on peut aussi trouver des esclaves souffrants ou de simples habitants du Wonderland forcés à venir voir ça, qui nous regardent avec plus de pitié et de soutien. Leurs pleurs réchauffent mon cœur : je ne les connais pas, ils ignorent qui je suis, mais ils nous offrent toutes leurs âmes à travers leurs larmes. Je les remercie de tout mon être.
Marshall a le menton levé. Son éternel sourire en coin, celui qui est à peine perceptible si on ne le connaît pas assez, orne ses lèvres. Ses yeux fins ambrés ornés de poches scrutent la foule, avec mépris et fierté. Je l'envie. Malgré cette atroce folie qui le maîtrise, c'est celui qui s'avère le plus fort dans cette histoire. Celui qui semble cracher à la gueule de la Mort.
Edge semble plus anxieux. Ses doigts jouent avec ses menottes nerveusement, la mâchoire contractée, la veine de sa tempe étant apparente. De nous cinq, il est le plus en colère. Son immaturité se lit sur son visage aux traits fins, en plus de son insolence implacable.
Hiruma, lui, est impassible. Son regard vert souligné de khôl noir fixe les Cavaliers Rouges un à un, avec haine et dégoût, leur faisant des doigts d'honneur par moment, mais gardant les crocs sévèrement serrées. Il semble toujours infaillible, mais sa malice me manque.
L, l'ongle de son pouce entre ses dents, semble avoir perdu toute lueur de vie dans ses yeux noirs cernés. Il a l'air perdu, déboussolé, désespéré. Je suis sûre que son esprit le pousse à toujours chercher un plan, une solution, jusqu'à la dernière seconde. C'est perdu d'avance.
Il n'y a rien d'étonnant dans le fait que je pleure encore. J'ai toujours été sensible, ce qui m'a valu le surnom de Cry Baby à Cloverjack's House (c'est bien sûr Monta qui m'a affectueusement appelé comme ça le premier). Mais depuis mon retour, je chiale tellement, que j'ai l'impression que mes larmes pourraient inonder le Pays des Merveilles tout entier. Le menton relevé et les joues trempées, je lève mes yeux humides vers Kotaro, avec arrogance, pour lui montrer que jusqu'à ma mort, je l'emmerde profondément.
Togano avance lentement, tirant la chaîne de toutes ses forces, car le désespoir rend nos corps aussi lourds que nos cœurs. Il semble traîner nos âmes. Il garde la tête haute, arrangeant ses lunettes de soleil teintées orange à quelques moments. On pourrait croire qu'il reste insensible à cette situation, avec ses yeux inexpressifs. Mais sa main droite tremble frénétiquement alors qu'il tient la chaînette, montrant sa nervosité.
Et lui, cet enfoiré, assis à son balcon, les jambes croisées et le buste fièrement bombé, arg, je lui cracherais bien au visage si je le pouvais. Kotaro nous regarde un à un, avec un sourire mauvais aux lèvres, s'accentuant toujours plus à chaque pas que nous faisons. Il sort un peigne de la poche intérieure de son blazer, l'ouvre avec un léger clic, et recoiffe sa mèche délicatement en gonflant ses lèvres d'un air dédaigneux et, accessoirement, détestable. Refermant le peigne et le rangeant à sa place, il lâche un rire tyrannique et raisonnant dans cet étouffant silence. Un rire qui prouve que lui aussi est complètement fou. Mais sincèrement, cette cruelle folie ne me fait pas envie...
Le Valet de Cœur nous fait enfin monter sur l'estrade de pierre, où est sagement installé un billot de marbre rouge. Je déglutis avec difficulté. Il nous laisse nous placer en ligne, allant chercher une magnifique hache d'or, ornée d'onyx, de topazes, et de grenats taillés en forme de cœurs. Je me retrouve au centre de cette ligne. La foule nous fait face. Toujours ce silence redoutable. Aucun Rebelz, y compris moi, ne baisse les yeux. Nos regards sont rivés vers l'assemblée. Un nouveau rire narquois de Kotaro retentit, alors qu'il descend des escaliers, sa majestueuse cape de daim rouge traînant sur les marches. Il veut voir ce ''spectacle'' de plus près, et gagne un balcon plus bas, ainsi plus proche de la ''scène'', selon ses dires. Togano regarde la hache longuement, sûrement pour vérifier si elle est bien aiguisée. Lorsqu'il se tourne faiblement vers le Roi de Cœur, comme pour réclamer un signal, ce dernier lui lance un clin d'œil sournois et se lève. Il hurle :
« Mes chers sujets, nous voici réunis aujourd'hui pour l’exécution des cinq plus dangereux délinquants, que dis-je, criminels du Pays des Merveilles. Il s'agit de deux des trois fondateurs du groupe des Rebelz, Loir Lawliet et Marshall Tokuchi, ainsi que trois autres membres de cette dégoûtante mafia : Hiruma Cheshire, Mad Edge Hatter, et la très charmante Alice Wonderchess. L'ironie de sa voix se mêle à une colère qui redouble à chaque mot. Il a à présent les poings serrés, appuyés sur le rebord du balcon avec hargne, menaçant la foule du regard. Ils ont pourri le Wonderland par leur simple naissance. Leur présence est un poison pour notre monde. Ils ne méritent que leur sort : la décapitation ! »
Un rire dément éclate. Un rire empli de vengeance et de rage, qui donne les frissons à toutes les personnes ici présentes. On ne baisse pas les yeux pour autant.
« Faisons durer le plaisir, lance-t-il en souriant d'autant plus. Laissons-les crier, prier et chialer comme des gosses venant de naître, avant qu'ils ne ferment définitivement les yeux. »
Un nouveau silence s'installe. Kotaro attend que l'on pleure à en hurler de détresse, que l'on implore le Ciel de nous sauver, que l'on le supplie de nous épargner. Mais on ne lâche rien, si ce n'est quelques larmes silencieuses, le regard fier et le menton dignement relevé. Je décide de rompre ce silence. Non pas parce que je craque sous la pression, comme Kotaro le souhaite. Mais tout simplement parce que j'ai envie de faire mes adieux à mes amis.
« Les gars... » J'ai cessé de pleurer . Mais mes joues, ainsi que mes yeux, sont encore humides. Même si ma voix est tremblante et fébrile, elle résonne dans ce calme assommant, comme un coup de feu. Je regarde toujours droit devant moi, tâchant de retenir fièrement mes déchirants sanglots. Je sens les regards des Rebelz, encourageants malgré la tristesse.
« Ne vous attendez pas à un long discours sentimental, hein. J'vais pas faire l'éloge de chacun de vous, l'un après l'autre. On y passerait la journée sinon, et je pense que je serai coupée dans mon élan par un certain Roi de Cœur... »
Je me tourne vers l'intéressé en disant cela. Mes quatre amis en font de même pour le narguer. Kotaro lâche un simple « Tsss » en tiquant de la narine, mais me laisse continuer. Je plonge de nouveau mes yeux dans le vide, vers la foule qui me fait face.
« Je vais tâcher de faire court. Sachez que, malgré ma mémoire qui me joue de mauvais tours, je me souviens de mon enfance, avant ma première visite. J'étais une orpheline timide, voire sauvage, toujours triste et ayant perdu le goût de la vie dés mon premier souffle. Puis, j'ai croisé votre route, et un sourire malicieux s'est dessiné sur mes lèvres. Je suis restée assez réservée et froide, mais je n'ai plus caché mon imagination débordante, et j'ai commencé à assumer ma folie, même si elle ne plait pas à tout le monde.
Mourir à vos côtés est un véritable honneur. Je suis atrocement désolée de ne pas me rappeler de tout et d'avoir échoué à la mission de Blue Habashira. Mais au moins, je suis auprès de vous, mes plus grands amis, ceux qui ont fait de moi ce que je suis.
N’écoutons pas ceux qui nous critiquent, prétendant que notre folie est un ''poison''. La folie est loin d'être un défaut... Cette fois, je fonds en larmes, en esquissant un sourire triste, et articule à travers mes hoquets de sanglots. Qu'importe, si nous sommes fous ?! Les meilleures personnes le sont ! »
J'ai effectué le geste de rébellion qui est cher à notre camp. Même sans les regarder, j'ai senti que mes quatre potes l'ont également fait. J'ai aussi deviné leurs larmes couler sur leurs joues. Et il n'y a rien de plus beau que nos larmes fières et révoltées.
Le regard perdu, Togano fixe la hache qu'il tient fermement, d'un air pensif. Aucun bruit ne nous entoure. Seuls quelques chuchotements parviennent jusqu'à mes oreilles. Ceux de la Mort qui m'appelle, et me dit de me laisser aller à elle. Ses murmures sont reposants, d'ailleurs. J'en ai presque envie de mourir au plus vite. L'attente est insoutenable. Suis-je devenue folle ? Je veux dire, atteinte de cette folie meurtrière qui a rongé Marshall coincé dans sa camisole ? Aucun moyen de le savoir...
« Togano ! » La voix de Kotaro résonne encore. Cette intonation si sévère et sèche a sorti le Valet de Cœur de ses pensées. Il remue la tête brusquement, arrange une nouvelle fois ses lunettes, puis hoche la tête d'un air déterminé en réponse à son supérieur. J'entends ses pas, sur l'estrade. Il s'approche de moi, tapant le manche de la hache contre sa paume à plusieurs reprises, comme pour se préparer à commettre l'irréparable. Il se place derrière moi, et lâche un soupir déchirant, qui laisse comprendre à n'importe quel idiot qu'il n'est pas sûr de lui, qu'il a peur, je dirais même qu'il redoute son acte à venir. Il se tourne vers Kotaro, comme si il cherchait du soutien. Il ne reçoit qu'un simple signal de la part du Roi de Cœur, qui glisse lentement son index sous son menton avec un sourire satisfait. Pour se donner du courage, Togano en fait de même, laissant son pouce tracer un trait le long de son cou.
Ce geste a écœuré les Rebelz, en particulier Edge qui a lâché un « La con de toi ! » à l'intention de Togano, et Hiruma qui a murmuré un « Va crever ! » entre ses dents. L ne dit rien, mais se contente de légèrement plisser les yeux. Ce geste, semblant si peu significatif si il est réalisé par n'importe qui d'autre, prouve que l'homme-loir est empli d'une rage immense. Je suis si triste que la haine soit le dernier sentiment qu'ils éprouvent.
Marshall, perdant son fidèle sourire dément, lance à Togano, de sa voix lente et douce : « Tu n'es pas capable de tuer ta vraie famille... »
Cette phrase a eu l'effet d'un coup de feu. Le souffle de Togano s'est coupé, et ses yeux sont devenus humides. Sa respiration s'est faite plus forte et douloureuse. Oui, cette simple phrase de l'homme-lièvre l'a touché au plus profond de son cœur. À tel point que j'ai eu l'impression qu'il possédait toujours son pouvoir de Manipulation Empathique sur lui... Mais j'ai la preuve que quelques mots de Marshall peuvent contrôler un esprit tourmenté, même lorsque sa montre est dans la poche d'un certain Kotaro. Pour toute réponse, après un léger temps sans parler, le Valet de Cœur murmure : « Je suis vraiment désolé... »
Edge, sous la colère, hurle « T'es qu'un sale traître ! », en se débattant, comme si il voulait retirer ses menottes. Hiruma, lui, lâche une liste d'insultes à l'intention de Togano, qui appuie fortement sur mes épaules pour que je me mette à genoux. Je serre les dents et gémis de douleur sous la pression de ses mains. Le sourire cruel de Kotaro s’amplifie.
« Une dernière parole ? » me demande Togano en se penchant à ma hauteur derrière moi, tapant une nouvelle fois le manche de la hache contre sa paume, alors que je suis agenouillée face à ce billot froid ayant vu passer plusieurs têtes innocentes avant la mienne.
« Tu t'en mordras les doigts, Togano... Longue vie aux Rebelz... » Je n'ai articulé que ça. Simplement. En tâchant de cacher les sanglots de ma voix.
Le Valet de Cœur pose alors sa main sur mon épaule, me penchant en avant, au dessus du billot. Putain, la dernière chose que je verrai dans ma vie sera donc ce marbre rouge... Togano chuchote à mon oreille, avec une intonation pleine de trahison, de mépris, mais aussi de faiblesse : « Gloire au Royaume de Cœur. »
Trois de mes larmes viennent s'écraser sur la pierre. Les gouttes de sang vont bientôt en faire de même. Je ferme les yeux. Je sens que les quatre Rebelz ont brusquement tourné le regard. Togano a violemment soulevé la hache au-dessus de moi. Je ferme brutalement les yeux. C'en est fini. La lame s'abat sur ma nuque.