♠ ♦ Alice in Wonderland ♥ ♣

Les poings serrés et la mâchoire contractée par la colère, Alois me toise. Toujours sur le sol, je lui lance un regard meurtrier accompagné d'un sourire mauvais. Une main chaleureuse apparaît dans mon champ de vision, me proposant son aide pour me relever. Elle est agrémentée d'un diamant orange au majeur et d'une émeraude claire taillée en sphère au pouce. Je reconnaît ainsi Monta, qui me murmure un affectueux et réconfortant : « Aller, lève-toi ma belle. »

Avec un sourire empli de reconnaissance et d'émotion, je saisis sa main et me relève. J'époussette ma robe, et Ciel lance à Alois, en se tenant droit, son sceptre à la main :

« Tu devrais avoir honte de ta conduite, misérable enfant gâté ! »

Alois esquisse un sourire en coin en guise de réponse, tourne les talons et s'en va d'une démarche assurée. Vivien le suit à la trace, en sautillant comme un enfant, un paquet de bonbon à la main, lâchant un ricanement mauvais à l'intention de mes amis et moi. Il est suivi de Riku et Kamiya qui se déplacent de manière synchronisée comme lors d'une marche militaire, mais ayant l'air beaucoup moins solennels et plus... détestables, ouais. Kanagushi rejoint Alois en se retournant si brusquement que sa tresse a valsé au-dessus de sa tête et se balance encore dans son dos lorsqu'il avance. Quant à Ikkyu, il me regarde une énième fois de la tête aux pieds en marchant à reculons et en faisant tourner son sceptre sur le coté, avant de s'en aller définitivement avec les cinq autres.

Vous pouvez pas imaginer comme ça me fait du bien quand ils sont hors de ma vue. Plus ils sont loin et mieux je me porte, croyez-moi.

Honey est finalement resté de mon côté. Marto lui hurle soudainement en frappant dans la paume de sa main avec son inséparable marteau (me demandez pas pourquoi...) :

« Retourne avec Alois toi ! T'es qu'un traître ! »

Il est appuyé par le sourire vicieux que lance Bowser Jr. à Honey, ainsi que du regard noir de Skelerex. Je retiens l'épaule du jeune vicomte aux cheveux dorés fan de marteaux pour le calmer. Sena se poste timidement devant Marto et murmure :

« Honey est loin d'être un traître tu sais. Il est tout simplement l'ami de tout le monde, sans faire de distinction. Si tout le monde était comme lui, tout irait pour le mieux... »

Ciel lui coupe sèchement la parole.

« Mais ce n'est pas le cas, alors restons-en là, et que ceux qui soutiennent Alice me suivent. »

Il se retourne et se dirige vers le banc le plus proche, d'un air si fier et imposant que je l'envie. Malgré tout, même en étant extrêmement sûr de lui au point d'en être hautain, Ciel m'apporte son soutien, et j'en suis attendrie. Monta, son bras autour de mes épaules, me fait un beau sourire pour que je lui en rende un, et une fois que c'est fait, on se dirige à notre tour vers le banc. Ciel y est déjà assis les jambes croisées. Sena s'installe aussi, en arrangeant son petit haut-de-forme en velours rouge sur ses cheveux ébouriffés. J'ai les yeux rivés sur mes bottines. En vérité, je suis attristée. J'en ai marre. Marre d'être considérée comme un être inhumain à cause de mon imagination sans limite. Il est vrai que mes pensées sont parfois bizarres. Il est vrai que chaque nuit je fais le même rêve (ou cauchemar, je ne sais pas trop) et qu'il est diablement étrange. Cela fait réellement de moi une mauvaise personne ? Une fille ridicule qu'il faut fuir comme la peste ?

Je n'arrive pas à digérer le comportement d'Alois et ses amis. Qu'ils ne m'aiment pas, c'est un fait : on ne peut pas plaire à tout le monde, c'est normal... Mais l'intolérance est la pire des choses qui puisse exister à mes yeux. Elle est source des pires conflits et est aussi absurde que cruelle.

« Alice, ça ne va pas ?! »

Je secoue vivement la tête. C'est la voix de Bowser Jr., qui me regarde avec ses grands yeux orange flamme d'un air inquiet.

« Oui, ça va, ne t'en fais pas mon grand. »

Je souris faiblement, mais une larme fugitive m'a trahit. Monta me serre contre lui.

« S'il te plait Alice, ne pleure pas... Ils n'en valent pas la peine.

-Tu sais que nous, on est là pour toi et que l'on t'accepte telle que tu es, murmure Sena. »

Ciel s'exclame, alors que Monta essuie mes larmes du bout des doigts :

« N'y pense pas. L'important c'est que tu sois toi-même et que tu traces ta route. »

Une fois consolée, Honey me pose soudainement une question avec un adorable sourire aux lèvres et un regard pétillant de joie : « Alice, est-ce-que tu peux nous raconter une histoire ? »

Surprise, je sursaute légèrement, ne sachant pas trop comment je devais comprendre cette question. Skelerex semble d'accord avec lui : « Oui, raconte-nous une histoire s'il te plait ! »

Je penche la tête sur le coté, et Sena réplique timidement : « Tu as tellement d'imagination... »

Je pense avoir compris. « Vous voulez que j'invente une histoire grâce à mes idées farfelues, c'est bien ça ?! ».

Bowser Jr. approuve d'un signe de tête et Marto se met à sautiller d'impatience.

Je me gratte la nuque. « À vrai dire, pour inventer des histoires, je ne suis pas vraiment douée... »

Monta me donne un léger coup de coude. « Dans ce cas, raconte l'un de tes rêves. »

En fait, je n'ai pas très envie de leur expliquer ça... Mais bon, cela peut me faire du bien de ne plus le garder pour moi. Et ce n'est qu'un rêve, après tout. Ce n'est pas comme si c'était moi qui avait inventé cet univers insensé. Je fini donc par me jeter à l'eau. « Pour tout vous dire... Il n'y a qu'un seul rêve, qui se répète chaque nuit et que, je vous avoue, j'ai beaucoup de mal à comprendre... »

A peine ai-je commencé à parler que je remarque Honey, Bowser Jr., Marto et Skelerex tous assis en tailleurs sur le sol, m'écoutant attentivement. Sena me regarde en souriant, Ciel attend la suite en se grattant le bout du nez avec son pouce, et Monta m'encourage à continuer en me caressant le dos gentiment.

« Au début de ce rêve, je fais une chute libre, et j'atterris dans une pièce lugubre remplie de miroirs et de portes. Derrière l'une d'elle se trouve un monde magique plein de couleurs où les habitants sont... inhabituels. »

Bowser Jr. s'exclame : « Mais quels sont ces habitants Alice ?! »

Je ris de bon cœur : « Laisse-moi t'expliquer... Il y a des fleurs, des insectes aussi... Mais surtout des animaux. Et tous parlent comme des humains. Vous savez, c'est troublant, donc je ne me souviens pas de tous les détails, même en faisant ce rêve toutes les nuits. Ce dont je me rappelle, c'est d'un lapin blanc, avec un gilet, qui me conduit dans ce pays. Puis, il y a aussi un loir qui boit du thé avec un drôle de chapelier... Un lièvre complètement timbré... Une chenille bleue qui fume... Et aussi, un chat... Un chat qui sourit. »

Monta hausse les sourcils en souriant : « Tout le monde sait que les chats ne sourient pas. »

Je baisse les yeux et ajoute : « C'est fou, n'est-ce-pas ? » 

Ciel pose amicalement sa main sur mon épaule et murmure :

« C'est surtout à l'image de ton imagination débordante, Alice... »

Je souris. Soudain, Marto réplique tristement: « C'est déjà fini ? »

Je me retourne vers lui et dit en secouant ma tête de droite à gauche :

« Non, ce n'est pas fini. Tu sais, ce rêve est très complexe, donc il se peut que j'en oublie des éléments. Ne m'en voulez pas. »

Tous me sourient, ce qui me rassure au fond de moi. Je m'apprête à continuer mon récit :

« Ensuite, me semble-t-il que deux rois règnent sur ce monde, se disputant la couronne. Puis, en guise de nourriture, il y a de délicieux gâteaux mais... »

Un lapin blanc ! Tout en racontant mon rêve, j'ai furtivement aperçu un lapin blanc courir dans les buissons, loin derrière le bâtiment de Cloverjack's' House, mes camarades qui m'écoutent ne pouvant pas le voir de là où il sont assis.

La pause que j'ai marqué intrigue Ciel qui me tapote le bras en me demandant si je vais bien. Je continue l'explication en jetant de temps à autre de vifs coups d’œil en direction des arbustes, secoués par les mouvements du lapin. Ce dernier revient sur ses pas et se dresse sur ses pattes arrières en me regardant, comme pour attirer mon attention. Je suis abasourdie lorsque je remarque qu'il porte un gilet. Il sort une montre à gousset dorée de sa poche, la regarde en agitant ses longues oreilles, et se remet à courir. Une montre à gousset ? Je ne rêve pas ?!

Mes amis me regardent, attendant probablement que je leur raconte la suite. Affolée, je ne possède en ce moment-même qu'une seule envie : suivre ce lapin.

Je trouve rapidement une diversion : je regarde l'horloge située au-dessus de la porte d'entrée de l'école. Il est 15h15, fin de la récréation. Je hurle à la cantonade :

« Je suis désolée mais je dois partir ! J'avais oublié : j'ai mon cours de dessin dans cinq minutes à peine ! Je vais être en retard ! »

Je me lève brusquement et suis retenue pas la main de Monta sur la mienne :

« Mais, Alice... Et ton histoire ?! »

J'étais prête à lui dire qu'elle est sans importance. Mais je me rend compte que, derrière lui, tous les autres, et en particulier les plus jeunes, semblent déçus que je ne finisse pas mon récit. Complètement perdue, je lance un rapide regard vers l'endroit où était le lapin il y a à peine quelques secondes et réfléchis à ce que je vais faire.

Seulement, je pense que ma vie en dépend, je DOIS le suivre... Je regarde alors mes amis avec un sourire un peu triste aux lèvres et promet : « À mon retour, je continuerai de vous raconter mon rêve. Ne vous en faites pas. »

Sur ces mots, je me suis mise à courir en direction des buissons situés derrière l'établissement pour retrouver le lapin blanc qui guide mon rêve chaque nuit.