A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 78 : De la physique quantique ferroviaire

5068 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 23 jours

Chap 78 : De la physique quantique ferroviaire


- Speed, arrête de me fixer en chien de faïence, tu me donnes de l’urticaire, lâcha Harlock, exaspéré.


Maussade, le sniper renifla avant de s’intéresser aux constellations qui défilaient à vive allure de l’autre côté de la fenêtre.

Cette excursion ne lui disait rien qui vaille et il avait bien l’intention de le faire sentir à ses compagnons d’infortune.


- À ce que je vois, tu restes fidèle à toi-même, toujours de bonne humeur ! C’est quand tu souris qu’on doit s’inquiéter, en fait ? 

- La ferme, Daiba. Pourquoi t’es là, d’ailleurs ?

- Pour la même raison que toi, idiot.


Entassés sur une double banquette, Manabu Bruce et Reiko faisaient face à Harlock, Tadashi et Yattaran.


- J’aurais jamais cru monter à nouveau à bord de ce train fantôme, avoua la jeune femme. Destiny… Le train dont le terminus est… L’au-delà, souffla-t-elle en coulant un regard vers son mari. 


Comment oublier la course contre la montre qu’elle avait dirigée aux côtés de Manabu pour empêcher l’homme qu’elle aimait de se joindre à son ancien partenaire, Owen, pour un aller sans retour à destination du Monde des Morts ?


- Sa trajectoire est imprévisible mais l’analyse de  Killian concernant les probabilités de son plan de vol s’est finalement avérée fructueuse.

- Oui, Nabu… Ses talents ne sont plus à prouver. Sans lui, on aurait certainement été réduits en charpie par les zombies de la planète-rebus.


Les deux agents de la Space Defence Force ne poursuivirent pas leur conversation et un silence inconfortable s’installa dans le wagon. 

Le fils de Kanna redressa alors la tête et lança une oeillade circulaire préoccupée. Les revenants assis autour d’eux les ignoraient royalement, mais leur présence demeurait néanmoins étrange. 


- Pour eux, ce sont nous les étrangers, fit remarquer Yattaran, comme s’il avait lu dans ses pensées.

- Sûrement mais… Les esprits, c’est pas mon délire. 

- C’est vrai qu’on les côtoie d’un peu trop près ces jours-ci, abonda Reiko. 


N’y tenant plus, Bruce asséna son poing contre une vitre, qui émit un grincement sonore. 


- Vous êtes naïfs ou juste débiles ? Les indications de ce type vont nous mener tout droit dans la gueule du loup ! Il n’y a que moi qui m’en rend compte ou quoi ? Faire confiance à ce spectre, c’est bien la dernière chose à faire !

- Anata…


Tadashi claqua sa langue contre son palet, irrité par les sempiternels sermons de son beau-frère.


- J’en peux plus de t’écouter radoter toute la sainte journée.


Un grognement rauque franchit les lèvres du Commandant du peloton Sirius. 


- Si tu me cherches, tu vas me trouver, avorton.

- Un problème, tronche de fraise ? 


Les deux hommes n’eurent pas l’occasion de s’attraper par le col car Harlock aplatit une main puissante sur chacune de leurs épaules, les clouant à leur siège. 


- Le premier qui bouge une oreille, je me charge de lui, vu ?

- Irrécupérables, marmonna Reiko en les fusillant tour à tour du regard. Vous croyez que c’est le moment pour ces gamineries ?


Alors que le sniper s’apprêtait à répliquer pour la énième fois que cette mission était une erreur monumentale, Yattaran le coupa dans son élan. 


- D’après moi, il est très peu probable que ce soit un guet-apens. 


Reiko se pencha en avant, curieuse.


- À cause de ce que tu as découvert sur la tablette ?

- Exactement.

- Ouais, à ce propos, il serait peut-être temps de nous mettre au parfum, non ?, s’impatienta Bruce.


Le Lieutenant de l’Arcadia extraya une petite console de sa poche et la déposa sur la table rétractable située entre les banquettes. 


- Bien, laissez-moi éclairer vos lanternes.


Studieux, pirates et agents de la Space Defence Force se turent aussitôt, mettant de côté leurs dissensions, pour focaliser leur attention sur Yattaran. 

Ce dernier effleura l’objet métallique qu’il avait apporté et un hologramme rougeoyant se matérialisa. 


- Pour ceux qui ne l’avaient pas encore vue, voici la tablette récupérée sur la lune par le Capitaine, Koko et Dashi. À mon avis, elle provient de l’un des vestiges du Cercle de L’Existence ou… De la porte de Yedar elle-même.

- Ces écritures… De quel genre de hiéroglyphes s’agit-il ?, l’interrogea Manabu.

- D’un idiome démonique antédiluvien. Notre ordinateur central a fait office de Pierre de Rosette et j’ai pu déchiffrer près des trois-quart de ces inscriptions. 


Le Lieutenant agita la main et la relique pivota sur elle-même.


- La tablette est divisée en trois parties. La première résume la légende contée par la déesse du temple de la face cachée de la lune. Elle comporte aussi des informations sur la corde de l’espace et la flèche du temps qui ont rejeté Noo aux confins de l’univers. Quant à la seconde partie… Pour vous l’expliquer, je dois remonter aux origines du cosmos. Savez-vous de quelle manière il a été créé ?


Tadashi roula des yeux, agacé qu’on le prenne pour un benêt.


- Le big bang.


Yattaran eut un sourire en coin.


- Le macrocosme né du big bang était tout d’abord une singularité, un point d’une densité infinie et d’une taille proche du néant. Il a ensuite acquis le concept d’espace et s’est étendu pour former l’univers tel que nous le connaissons. Toutefois avant de “grandir” il devait, au préalable, atteindre l’envergure d’une particule élémentaire puisque, au départ, sa dimension était nulle. Vous suivez ?


Son auditoire acquiesça.


- Cependant, avant qu’il ne parvienne à se muer en molécule, il y eut une étape intermédiaire que les scientifiques ont désigné comme étant “le mur de planch”, une courte intervalle apparue dix exposant moins quarante-trois secondes après le big bang.


L’hologramme se brouilla et se transforma en un entonnoir schématique représentant les différentes phases de la création du cosmos.


- Période durant laquelle Noo régnait par la peur, clarifia le fils d’Harlock.

- Oui. Après que l’univers eut dépassé la taille d’une particule et que la matière eut donné naissance au temps et à l’espace, selon les lois de la physique, les choses ont changé. 

- C’est là que ça se complique, prévint le Capitaine de l’Arcadia.


Reiko, qui était déjà perdue, retroussa le nez, s’efforçant de se concentrer au maximum.


- Temps et espace possèdent des axes aux coordonnées cartésiennes positives. Cette période est nommée “temps imaginaire”. Le renversement de ce temps imaginaire en temps réel et continu s’appelle le spin. Le spin détermine le sens de rotation des molécules. Chacune d’entre elles dispose d’un seul spin, d’un seul sens de rotation, qui est soit en haut soit en bas.


La jeune femme, qui n’avait jamais été fondue de physique quantique, s’avachit dans la banquette, renonçant à suivre le développement intellectuel de son ami.


- C’est pourtant pas difficile !, s’exclama Tadashi devant les mines décomposées des deux équipiers de la SDF.

- En conclusion, reprit le pirate, il existe un autre système en expansion où l’état du spin est à la fois en haut et en bas, où le chat de Schrodinger est à la fois mort et vivant !

- La dimension dans laquelle Noo est censé être retenu prisonnier, termina Bruce qui, contrairement à ses partenaires, avait parfaitement appréhendé le raisonnement de Yattaran. 

- En effet, Speed. Enfin, vous devez comprendre que c’est en inversant le spin des particules élémentaires dans le sens de l’axe imaginaire qu’on réussira à renverser l’indice de la ligne du temps. 

- Jusque là, je saisis, l’interrompit le sniper, mais en quoi c’est supposé nous aider ?


Harlock, qui avait déjà assisté au cours magistral de son Lieutenant, choisit de mettre un terme au suspense.


- La deuxième partie de la tablette contient les plans d’un canon à densité séquentielle permettant d’inverser le spin et de sceller le démon. Le hic…

- C’est que je n’ai pas encore décrypté l’intégralité de ces idéogrammes. Si nous utilisons l’artillerie lourde de façon approximative, nous risquons de renverser le spin inversé et de délivrer Noo en érigeant involontairement un pont entre son univers et le nôtre.

- Clair comme de l’eau de roche, railla Reiko. 

- En somme, il nous manque une pièce du puzzle pour tester cette arme sur la Porte de Yedar, compléta Tadashi. 


La pilote, qui avait lâché à la moitié de la démonstration scientifique, fit néanmoins le rapprochement avec les dires de l’ectoplasme de la planète-rebut. 


- Donc, ce sont ces plans qui te font penser qu’on peut croire ce spectre ? Car il les a mentionnés ? 

- Et parce qu’il a sous-entendu qu’une seule et unique personne est en mesure de fabriquer ce canon. 


Tadashi et Reiko prirent une profonde inspiration.


- Tôchiro, annoncèrent-ils en cœur. 


Le regard d’Harlock se voila mais il garda le silence.


- Et comme le terminus de Destiny est le Monde des Morts…, précisa Manabu.

- C’est là qu’on a les meilleures chances de le trouver, répondit sa coéquipière. 


Songeuse, cette dernière entortilla une mèche de ses cheveux bruns bouclés autour de son doigt.


- L’élément manquant aurait-il un lien avec le sceau… Le serment de sang et cette histoire de sacrifice ou bien… ?

- J’espère que la fin de la transcription de la tablette nous le dira, intervint le Capitaine.


Le Commandant de l’unité Sirius, qui était resté étrangement calme tout au long de cet exposé, ne put se contenir davantage.


- Il y a encore beaucoup de zones d’ombre, protesta-t-il. Et je n’aime toujours pas l’idée que l’on s’aventure… Dans un endroit où les vivants ne sont pas les bienvenus. 

- Je partage ton opinion, Speed, mais nous n’avons guère d’autre choix que de suivre cette piste. Je ne veux pas être spectateur de la fatalité de notre destin. 

- Dans ce cas, je refuse que Reiko s’y rende. C’est ma condition sine qua non et elle n’est pas négociable.

- Bruce !

- Accepté, trancha Harlock sans ciller.

- Papa !


Le sniper croisa les bras, maîtrisant difficilement son humeur massacrante. 


- Je suis ton supérieur, tu obéis et c’est tout. 

- Tu n’as pas le droit ! On n’est pas en mission ! Tu abuses de ton autorité !

- J’en ai rien à carrer. Si je dois te ligoter, je le ferai. Ta place est auprès de Sayuri. Sûrement pas là-bas. C’est valable pour toi aussi, Yuuki !

- Hein ? Mais pourquoi ?, s’offusqua l’artilleur de Big1.

- Parce que je l’ai décidé.

- Et Kanna me ferait sauter la cervelle si je t’autorisais à te balader dans l’au-delà, plussoya Harlock d’un ton sans appel. 


Reiko, qui n’avait aucune envie d’en rester là, se contraint toutefois, pour l’instant, à ne pas envenimer la situation. De plus, il lui paraissait maintenant évident que ni son père ni son époux, n’avaient eu l’intention de la laisser déambuler librement dans un pays occulte peuplé de fantômes et de sinistres entités. 


- Vous me saoulez, grommela-t-elle dans sa barbe.


Bruce ne se donna pas la peine d’argumenter, considérant que le sujet était clos.


- Bien, je récapitule. Un, on part à la recherche de ce Tôchiro. Deux, il bricole le canon. Trois, on finit de décoder la grosse pierre pour achever le mode d’emploi de cette arme et ne pas libérer Noo par accident. Quatre, on enferme - pour de bon - le Néant derrière la porte de Yedar dans sa dimension au spin inversé. Cinq, on se remet au boulot parce que j’ai un peloton à faire tourner. 


Yattaran hocha la tête avec un demi-sourire.


- C’est ça, même si l’évocation de ce serment de sang me chiffonne. Je suis persuadé que l’avertissement du revenant de la planète-rebut n’est pas à prendre à la légère.

- Sans oublier qu’il a conseillé à Koko de garder Sayuri en sécurité. J’ignore pour quelle raison mais soyez assurés qu’à bord de l’Arcadia elle est hors d’atteinte de toute attaque mentale ou physique, déclara Harlock. 

- Vaudrait mieux pour vous, ronchonna Bruce.


Manabu toussota pour attirer l’attention du petit groupe.


- Et sinon, à votre avis, qu’y-a-t-il de l’autre côté de cette… Porte ? 


Le train émit un sifflement strident.


- On ne va pas tarder à le découvrir, conclut le Capitaine.


***


- Cet endroit n’a pas changé, murmura Reiko en se rapprochant de son mari. 


Celui-ci enroula un bras autour de la taille de sa femme et la pressa contre son torse. 


- C’est bon chérie, la volonté de mourir m’est passé depuis longtemps. Je n’irai nulle part. 


Il était tout à fait conscient des souvenirs douloureux que cette station non répertoriée du Galaxy Railways évoquait à la pilote. 

Après tout, si elle n’avait pas mené une chasse à l’homme, il ne serait plus de ce monde et aurait d’ores et déjà rejoint Owen et feus ses équipiers.


- Cette gare est une plateforme flottant dans l’espace, s’étonna Tadashi. Pourtant, on peut respirer sans problème. Est-ce que la Compagnie a installé une sorte de bulle oxygénée ? Bizarre pour un lieu fréquenté uniquement par des gens qui n’en ont pas besoin. 

- Pour le personnel, peut-être ?, suggéra Manabu.

- C’est pas comme si il y avait des infrastructures à entretenir…


Yattaran fit quelques pas, fasciné.


- Et donc, nous voici à l’entrée du Pandémonium.


Quant à Reiko, ses yeux ne quittaient pas l’arche de fumée noire dans laquelle les ectoplasmes disparaissaient les uns derrière les autres. 

Finalement, elle n’était plus aussi déterminée que ça à explorer l’inconnu.


- Anata, je ne veux pas que tu y ailles, balbutia-t-elle en cédant à l’anxiété.


Bruce lui adressa une oeillade surprise.


- Koneko ?


Harlock, qui avait clairement entendu ces paroles inquiètes, s’avança alors, résolu.


- Je partirai seul. C’est à moi et à personne d’autre de chercher mon vieil ami.

- Otto-san !, se rebella sa fille.

- Permets-moi au moins de t’accompagner, se proposa Tadashi.

- Non, il faut que tu regagnes notre vaisseau et que tu commandes en mon absence.

- Moi ?

- Évidemment, toi, Dashi-kun. Le Lieutenant te fournira toute l’aide nécessaire.


Le sniper acquiesça, satisfait que ni le frère ni la sœur n’aient à pénétrer dans cette antre obscure.


- C’est sans doute pour le mieux. Inutile de tous nous risquer là-dedans. 

- Non, papa… Non…

- Poussin, la coupa-t-il avec un sourire rassurant, les morts n’ont pas de prise sur moi. Je serai revenu avant que tu n’aies le temps de dire “Destiny”.


Elle ravala son angoisse et étreignit son père de toutes ses forces. 


- Attendez-moi ici. Et si je traîne trop, retournez sur l’Arcadia. Je vous retrouverai, lança-t-il en récupérant l’holographe de son Premier Lieutenant.

- Non…


Harlock caressa la chevelure de la jeune femme avec tendresse.


- Tout ira bien. Je serai vite de retour.

- Promis ?

- Je te le promets.


Cape au vent, le hors-la-loi se détourna avec solennité. 

Bruce soupira, parfaitement conscient du goût de la mise en scène de son beau-père. 

“Il abuse de son aura de Capitaine ténébreux sans peur et sans reproche.”, songea-t-il en dévisageant ses compagnons dont les regards dégoulinaient d’admiration.


- Sois prudent Captain !

- Tto-san, salue Tôchiro de notre part…

- Dépêche-toi d’en finir ou je prendrai mes aises dans ton fauteuil.

- Faites attention à vous monsieur Harlock !


Le Commandant de la section Sirius se râcla la gorge.


- Ouais, n’oubliez pas de surveiller vos arrières. Ça m’embêterait de ne plus pouvoir me moquer de vous quand Sayuri vous déguise en princesse. 

- Et loin de moi l’idée de te décevoir. 


Tandis que tous retenaient leur souffle, le pirate s’approcha de l’écran de fumerolles noirâtre et sauta à l’intérieur, confiant…

Avant de pousser un grognement de souffrance rauque.


- Bordel de merde, depuis quand la fumée ça a la consistance d’un parpaing ?, pesta Bruce.


*** 


- Rien de cassé, Ojii-san ? 


Harlock, un peu sonné, avait atterri sur les fesses. Ses deux enfants l’entouraient, préoccupés, et s’appliquaient à essuyer le sang qui coulait abondamment de ses narines. 

Le Commandant de l’unité Sirius retint une grimace narquoise et s’agenouilla aux côtés du vieux loup de mer.


- Je vais bien, maugréa-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé ?, demanda-t-il, acrimonieux, en imbibant d’hémoglobine la manche de son uniforme élimé. 

- Vous vous êtes mangé un mur, répondit Bruce avec un sourire mi-figue mi-raisin.

- Comment est-ce possible ? 


Yattaran se gratta le menton, plongé dans une profonde réflexion, dont lui seul avait le secret. 


- Vous vous êtes fait salement rejeter, Captain.

- Votre charisme en a pris un coup, s’amusa Bruce. C’était moins grandiose que prévu mais honnêtement c’était plus marrant.


Le pirate se releva, le nez et l'orgueil blessés par l’arche enfumée. 

Le Lieutenant s’avança vers la brume épaisse mais, tout comme son supérieur, ne parvint pas à la traverser. 


- Ce phénomène est étonnant. Je n’ai jamais rien vu de tel.


Manabu tenta également une percée avec la pulpe de ses doigts qui, à sa grande déception, se solda par un troisième échec.


- Est-ce qu’il y aurait un moyen de briser cette barrière ?, s’interrogea-t-il à haute voix en effleurant son cosmo-gun.

- La manière forte est superflue contre cette forme de… D’énergie. Elle aspirera probablement le rayon laser et, dans le pire des cas, te le renverra en miroir.


Tout scientifique qu’il était, Tadashi, à l’instar du Professeur Daiba, ne pouvait rester indifférent face à une énigme si intrigante. 


- Quelle est donc la composition chimique de cette matière ? Ce n’est vraisemblablement pas du monoxyde de carbone ou des oxydes d’azote… Peut-être des particules fines d’origine extrater… AAAAAH !


Tous sursautèrent lorsque la main du jeune homme disparut au milieu du nuage opaque. 


- Aniki, s’affola Reiko. Comment t’as fait ça ?

- Je… 

- Dashi, recule !, lui intima le hors-la-loi.

- Je… Je…

- Merde, qu’est-ce que t’as foutu, Daiba !


Abasourdi, les yeux écarquillés par le choc, ce dernier fit marche arrière en maintenant son poignet engourdi.


- Je ne sais pas… Il n’y avait aucune résistance. 

- C’est incroyable… Nii-san… Ta main… Tu n’as rien ?

- Je vais… Bien, balbutia-t-il, décontenancé, en inspectant sa peau.

- Qu’as-tu ressenti ?, le questionna Yattaran, curieux. Du froid ? Du chaud ?

- Plutôt… Une “douceur”... Surprenante. Comme si… Je m’étais immergé dans un océan de coton. 


Reiko, qui n’avait pas encore essayé de franchir cet écran de fumerolles, fit quelques pas, saisie d’un doute atroce.


- N’y pense même pas, gronda son époux.

- Je veux juste vérifier…

- J’ai dit non ! Sérieux, tu ne m’obéis jam… !


La voix de Bruce s’étrangla tandis qu’une chape d’horreur s’abattait sur ses épaules. 


- C’est une putain de blague… 


La jeune femme fit volte-face, la respiration saccadée et le corps agité de spasmes incontrôlables. 


- Yattaran, est-ce que tu pourrais… M’expliquer… Pourquoi…


Elle jouait avec les émanations volatiles, tentant maladroitement de les capturer entre ses phalanges.


- Pourquoi… Moi aussi, j’y arrive ?


***


- C’est non.

- Speed…

- J’ai. Dit. Non. 


Depuis que Reiko avait réussi l’exploit de passer au travers de cette sombre nuée, elle n’avait pipé mot, se contentant d’écouter les arguments des uns et des autres. 

Silencieuse, elle pesait le pour et le contre, réfléchissant aux potentielles conséquences de sa future décision. 

Yattaran, qui comprenait le dilemme que vivait la fille qu’il avait vue grandir, s’assit en tailleur à côté d’elle. 


- Ça fait sens, non ?, constata-t-il, détendu, en extirpant un casse-tête chinois de sa poche.

- Oui, répondit-elle simplement.

- Dès le début, vous étiez visés. Toi et Tadashi. Vous êtes les seuls à avoir eu ces rêves. Les premiers à être entrés en contact avec Noo.

- Je suis d’accord mais… Pourquoi ?

- Je l’ignore encore. Cependant, si je me souviens bien, sur SSX tu m’as raconté que le Chaos avait mentionné que la nébuleuse du sablier serait : “L’ultime demeure des Sakumarachi et des Daiba”. 

- C’est vrai ! J’avais complètement oublié ça… Pourtant, l’unique chose que nous ayons en commun, Aniki et moi… C’est Harlock. 

- Hum… Le chemin s’éclairera en temps voulu… Pour le moment, que comptes-tu faire ?


Reiko nicha son nez entre ses genoux. 


- J’ai peur… C’est ce que Noo veut et j’ai pas envie de lui donner gain de cause. 

- Je vois…

- Mais… Bruce… Il refuse catégoriquement… 

- Depuis quand tu octroies aux hommes le droit de te dicter ta conduite ? 


Les mâchoires de la pilote se contractèrent. 


- C’est pas si facile, il est mon Commandant en plus d’être mon mari. 

- Vous n’êtes pas en service et le Monde des Morts n’est pas sous la juridiction de la Compagnie. 


Elle se mordit la lèvre, perplexe.


- Je suis pas sûre d’en être capable.

- Tadashi sera avec toi et tu sais parfaitement que vous n’avez pas besoin de parler pour fonctionner. Vous êtes comme les rouages d’une même montre. 

- Nous deux… ?

- Vous aurez la force de vous en tirer sains et saufs. 


La jeune femme patienta encore quelques secondes et, une fois les battements de son coeur tranquilisés, se leva.

Terrifiée mais aussi…

Déterminée. 


- Je vais le faire.


Personne ne l’entendit, les aboiements des uns couvrant ceux des autres.


- Je vais le faire !


Tous se turent et se tournèrent vers Reiko. 


- Bruce, j’ai conscience que tu es effrayé mais je ne serai pas livrée à moi-même. Mon frère sera là.


Ses poings se verrouillèrent et elle poursuivit, opiniâtre.


-  On s’en sortira. On rentrera à la maison. Tôchiro nous y aidera, j’en suis persuadée. Alors, je vous supplie… De me faire confiance…


Elle s’inclina cérémonieusement à l’instar de ses ancêtres du Japon féodal. 


- Onegaishimasu !


*** 


Il fallut encore une heure pour convaincre le sniper qu’il n’existait aucune autre solution envisageable valable dans l’immédiat. Toutefois, celui-ci ne rendit pas les armes sans avoir lutté et exprimé son désaccord avec virulence. 


- Je devrais te regarder descendre aux enfers et la boucler ? Je devrais… T’envoyer là où tu m’as empêché d’aller ? C’est trop me demander… C’est trop… Me demander.


La voix de Bruce se brisa et, pour la première fois depuis longtemps, il parut vulnérable, sur le point de s’effondrer.


- Si Tôchiro est là-bas, ça ne peut pas être si horrible. Et Tadashi assurera mes arrières.


Le Commandant de la section Sirius ferma les paupières un bref instant avant de les ouvrir à nouveau, résigné. 

Toute lumière avait quitté ses prunelles et il semblait près de s’évanouir.


- J’en suis malade. Tu t’obliges à y aller alors que tu es terrorisée et moi… Je suis putain d’impuissant. Putain. D’impuissant. 

- Je suis désolée… Je n’abandonnerai pas mon frère… Mais je te promets d’être prudente et attentive au moindre danger. J’ai été à bonne école avec toi. 


Les mots moururent dans la gorge de Bruce. 

Le seul sentiment qui l’étreignait à présent était le désespoir.

“Pourquoi… Pourquoi…? Je préférerais mille fois prendre sa place… Tout plutôt que de la laisser faire face à pareille situation.”


- Je t’en prie, je suis un agent de la SDF, continua-t-elle. Papa et toi m’avez préparée à affronter n’importe quelle menace. 


Harlock posa une main qui se voulait réconfortante sur l’épaule de son gendre.


- J’ai élevé une fillette intrépide qui est devenue une adulte capable. Si Tôchiro se trouve dans cette dimension, elle n’a rien à craindre.


Bruce serra sa femme contre lui, les bras tremblants.


- S’il lui arrive quoi que ce soit… 


Sa phrase demeura en suspens dans les airs mais chacun capta ce qu’elle sous-entendait.


- Anata, ça ira.


Les “au-revoir” furent déchirants et les résolutions de Reiko vacillèrent à plus d’une reprise.  


- Je t’aime, murmura-t-elle à son oreille.

- Ces mots sont loin d’être à la hauteur de l’amour que je te porte…

- Fais-moi confiance, répéta-t-elle. Je ne veux pas être réduite à une chose fragile que tu te dois de protéger. 

- Je ne t’ai jamais considérée de la sorte…

- C’est pourtant ainsi que tu agis…

- C’est parce que… 


Bruce s’efforça de respirer calmement.


- Tu es… Toi et Sayu vous êtes… Tout ce qui… Tout ce que…

- Chéri… 

- Je… Te fais confiance. Je suis juste terrifié.


Quelques minutes filèrent encore durant lesquelles le sniper rassembla son courage en vue de relâcher son épouse.


- Daiba, t’as intérêt à prendre soin d’elle. Sinon… Je m’occuperai personnellement de ton cas.


Ce dernier abaissa le menton, solennel. 


- Je le jure.


*** 


Main dans la main, Tadashi et Reiko se tenaient devant l’arche enfumée.


- Qu’est-ce qui nous attend de l’autre côté ?

- On verra lorsqu’on y sera, Koko. 

- Tôchiro… Tu crois qu’il a changé ? 


Le jeune homme garda le silence, entièrement focalisé sur la brume épaisse et opaque qui séparait le Monde des morts de celui des vivants.

Harlock s’approcha alors et glissa l’holographe de Yattaran dans la poche de sa fille.


- Il est trop risqué que vous partiez avec la vraie tablette. Cet objet sera plus facile à transporter.

- Otto-san, veille sur Bruce et sur Yuyu s’il-te-plaît. 

- Compte sur moi. Et n’oublie pas que les fantômes n’ont pas les moyens de t’atteindre.

- Tu penses que Noo s’en prendra à nous là-bas ? 

- Je ne peux pas le certifier. Au cas où, emportez ça. Le mieux, c’est que Dashi-kun s’en serve. 

- Ton cosmo-dragoon ? Contre une entité démoniaque ? 

- Rien ne prouve que l’au-delà a été investi par le Néant mais, si cela devient nécessaire, ce pistolet vous couvrira.


Reiko prit une profonde inspiration et tendit l’arme à Tadashi, qui la passa à son ceinturon.


- Allons-y. 


Elle sentait les yeux de Bruce rivés sur son dos, plus brûlants que les rayons lasers de l’Arcadia.


- Aniki, prête quand tu l’es.


Sans se concerter, le frère et la soeur firent un pas en avant et disparurent à l’intérieur de l’antre obscure.

C’est à cet instant que les jambes du Commandant du peloton Sirius cédèrent sous son poids et qu’il tomba à genoux sur la plateforme flottante. 

Manabu se précipita à ses côtés, alarmé.


- Harlock, l'interpella Bruce sans aménité.


Impassible, le pirate se tourna vers son gendre. Cependant, malgré sa tranquillité apparente, il lui avait été pénible d’assister au départ de ses enfants vers l’inconnu.


- Je fais le serment d’exploser cette foutue porte si elle tarde trop. Et si, à son retour, il lui manque ne serait-ce qu’un seul cheveu ou si… Par malheur… Elle ne me revenait pas…


Une douleur lancinante figea les traits de son visage et raidit son corps.


- Je raserai la dimension de Noo et toutes les autres en prime. 


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