A Galaxy Railways Story : Reiko
Chapitre 77 : Un tas de viande (pas si) froide
5302 mots, Catégorie: G
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Chap 77 : Un tas de viande (pas si) froide
Reiko poussa un hurlement d’horreur lorsqu’une main blafarde s’écrasa sur la vitre du train.
Elle tomba à la renverse et ses fesses heurtèrent durement le parquet glacé.
“ Ce ne sont pas les défunts qu’il faut craindre, ce sont les vivants…”
- Bull… Bullshit… Mana… Manabu… Permets-moi de… Revenir sur mes paroles. J’aurais plutôt dû te dire…
Elle avala sa salive et toussa quand le fluide s’infiltra dans sa trachée.
- Ce ne sont pas les défunts qu’il faut craindre, ce sont les vivants… Et… Et les putains de morts-vivants.
Une alarme stridente résonna dans la voiture, qui brisa la torpeur dans laquelle la militaire était plongée.
“Tout le monde à son poste de combat ! Je répète tout le monde à son poste de combat ! Alerte de niveau maximal !”, s’époumona Bruce dans les haut-parleurs.
- Bien reçu !
Le cœur battant la chamade, Reiko jeta un dernier regard au-dehors, où un tableau apocalyptique s’étendait au pied de Big1.
Des milliers de cadavres s’étaient animés et, tels des taupes zombifiées, se frayaient un chemin jusqu’à la surface en creusant la glace avec leurs ongles. Ils s’amassaient autour du train comme s’ils voulaient l’ensevelir dans leur tombeau éternel givré.
- Et c’est probablement le cas…, marmonna-t-elle en se ruant hors du wagon.
Leurs visages étaient effrayants, dignes d’un film d’épouvante. Une peau marmoréenne, bleuie par le froid, des yeux blancs et opaques sans iris ou pupille, des dents acérées… Mais le plus dérangeant dans tout ça, demeurait le rictus torve qu’ils arboraient, en collant leur nez aux fenêtres.
- Ces abominations… Ne sont rien d’autre que des pantins…
“Une armée de marionnettes dont les ficelles sont tirées par une entité capable de posséder les morts.”
- Une attaque surprise… À croire que les propos de l'ectoplasme ne sont pas à prendre à la légère. Comme si Noo essayait de nous empêcher… D’exécuter son plan. Ou alors… C’est juste un stupide coup-monté, une mascarade destinée à nous induire en erreur…
“J’ai pas l’opportunité d’y réfléchir… Il y a plus urgent sur le feu… Notre survie par exemple.”
Elle courait maintenant dans les voitures et freina, hors d’haleine, devant les hangars des Space Eagles.
L’adrénaline se diffusait dans ses veines vitesse lumière et elle en oublia les sentiments tumultueux qui se bousculaient dans son esprit.
Piloter et porter secours à son unité.
C’était tout ce qui comptait.
Tout ce qui avait jamais compté.
***
- Les circuits sont endommagés et le bouclier est HS !
Bruce frappa du poing sa console, hargneux.
- Yuuki, tu utilises les pulsars pour entraver leur avancée.
- L’angle de tir…
- Il n’est pas optimal, je sais, mais on n’a rien de mieux. Killian, tu remplaces Louise. Trouve un moyen de nous sortir de là, petit génie !
- Et moi ?, le questionna l’Officière radar.
- Reiko est sûrement dans les hangars de lancement. Rejoins-la et descendez autant de ces saloperies que possible. On doit s’envoler avant que la glace ne cède et qu’on s’enfonce dans les entrailles de la planète. Yûki, rassemble les passagers dans un seul et même wagon. Défends le coûte que coûte, compris ?
L’androïde acquiesça et quitta précipitamment la “control room” en compagnie de Louise.
- David, est-ce qu’on peut encore détacher l’express Atlas ?
- Pas sans risquer de se faire submerger par ces créatures. Il faut défaire l’attelage en manuel mais on est cernés. C’est trop dangereux.
- Atlas est un poids dont nous devons nous débarrasser au plus vite. Reiko s’en chargera. Aussi étrange que cela soit, elle est aussi précise avec ses canons qu’elle est approximative avec un cosmo-gun. David, débrouille-toi pour que Big1 tienne le coup. Killian, une idée ?
Un sourire décidé se dessina sur le minois juvénil du stagiaire du peloton Sirius et futur cadre de direction de la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques.
- Ça se pourrait, boss.
***
- Radars de bord calibrés. Armement… Opérationnel. Circuit principal connecté. System… All green ! Commandant, requiers autorisation de décollage !
- Accordée ! Protège le wagon trois en priorité. Les voyageurs, le contrôleur et Yûki sont à l’intérieur. Et désarrime Atlas, il gêne notre départ en urgence.
- Entendu.
- Bon vol et sois prudente.
Le toit de la voiture se rétracta et la pilote enclencha ses propulseurs à pleine puissance.
Les mâchoires verrouillées, elle se prépara à engager les hostilités.
- Voyons voir si la viande froide passe au barbecue…
Elle monta en chandelle pour prendre de la hauteur.
- Fais chier ! C’est pire que prévu, pesta-t-elle.
Les deux trains avaient presque été complètement engloutis sous un tsunami de morts-vivants et des failles aussi grandes qu’un être humain lézardaient le sol de la planète.
“- Big1 s’enlise déjà dans la glace !”, s’affola Louise dans l’émetteur.
Reiko darda une œillade à tribord et aperçut le second chasseur qui s’était extrait des hangars de lancement.
- Ouais, on n’a pas beaucoup de temps. Je désarrime Atlas. Il est perdu de toute façon.
Toutefois, c’était plus facile à dire qu’à faire. La masse de zombies ne lui permettait pas de visualiser clairement le crochet de remorquage entre les express.
- Merde… Je vais devoir shooter à l’aveugle.
“- Tu vas y arriver ?”, s’inquiéta l’Officière radar.
- Je sais pas… Je…
Elle plissa les paupières et régla son viseur pendant que Louise faisait le ménage parmi les corps qui escaladaient la locomotive.
“Shimatta*… Je vois… Rien...”
- Alea jacta est, grogna-t-elle entre ses dents, consciente qu’attendre davantage était du suicide.
Fébrile, elle appuya sur le bouton du manche directionnel.
Un faisceau rougeoyant, brûlant, fusa hors de ses tourelles tout droit entre Big1 et Atlas.
- Pas le nôtre… Pas le nôtre…, psalmodia-t-elle tandis que des gouttes de transpiration ruisselaient le long de sa nuque.
Une explosion retentit et macchabées comme fragments de carlingues furent catapultés dans les airs.
Elle se pencha en avant, haletante, priant silencieusement pour sa réussite. Lorsque la fumée se dissipa, elle laissa échapper un soupir à demi soulagé.
- Désolé Bruce, j’ai un peu abîmé la voiture de queue, avoua-t-elle d’une voix tremblante dans son microphone.
“- Ça fera l’affaire. Donne-nous de l’espace.”
- À tes ordres, anata. Kiwotsukete.**
“- Toi aussi.”
Elle manœuvra en immelmann, revint sur les lieux et ouvrit le feu. Ses tirs étaient suffisamment ajustés pour anéantir les pantins animés sans toucher Big1. Cependant, pour chaque cadavre qu’elle réduisait en cendre, des dizaines surgissaient des crevasses pour poursuivre cet assaut sans pitié.
- C’est inutile. Anata… Vous devez dégager ! On ne les retiendra pas longtemps. Partez tant que vous le pouvez.
Elle effectua une descente en piquée, rasa dangereusement l’étendue d’eau givrée et joignit ses efforts à ceux de Manabu, qui maniait les pulsars sans interruption, pour annihiler un groupe de zombies particulièrement tenace.
- C’est un affrontement qu’on ne peut pas remporter. Le nombre de ces choses ne fait qu’augmenter. Bruce !
“- On bosse dessus.”, lui assura-t-il avec nervosité. “Faites-nous gagner quelques minutes supplémentaires, les filles.”
- Ro… Roger !
Le nez de la pilote se retroussa et elle fronça les sourcils, déterminée.
- Approchez saletés… Si vous l’osez !
***
- David !
- L’énergie est redirigée à 80% vers les moteurs. Il me faut encore dix petites minutes…
- Je t’en accorde cinq !
Impuissant, le Commandant de l’unité Sirius s’accouda au siège de Killian. La tension raidissait ses épaules et il n’était plus qu’une boule de nerf dont le sang-froid était mis à rude épreuve.
- C’est bon ?
- Oui, j’ai recalibré la portée de notre émission radio en basculant sur la fréquence générale. J’ai boosté nos capacités système à 200% .
- J’espère que ça ira, grommela Bruce. Tu as piraté leurs plans de vol ?
- Rien de plus simple pour moi que d’infiltrer le pare-feu du QG. J’ai expédié un signal aux coordonnées stratégiques.
- Pourvu que ça fonctionne. Je compte sur toi, gamin.
Killian lui offrit un sourire rassurant.
- Faites confiance à l’as des as.
***
- Mange ça !
Reiko émit une clameur de défi avant d’envoyer tout ce qu’elle avait, visant prioritairement les larges anfractuosités pour empêcher les créatures d’émerger de cette terre maudite.
Louise s’occupait quant à elle de nettoyer les alentours du train de la SDF afin de lui conférer l’espace nécessaire pour décoller.
- Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?, s’interrogea Reiko avec anxiété. Sans Atlas, c’est maintenant ou jamais !
Une vrille succéda à un tonneau et elle répandit les flammes de l’enfer à la surface de l’ancien lac.
- Du feu sur la glace !
Bien qu’il s’agît d’une besogne sisyphéenne, la militaire réquisitionnait tout le potentiel de son Space Eagle pour venir à bout de ces monstruosités, prenant des risques inconsidérés à la seule fin de protéger son peloton.
- Crevez ! Crevez toutes !
Les canons du chasseur ne tarissaient pas de rayons lasers et des centaines de morts-vivants tombaient, s’enflammant comme des feuilles de papiers.
Toutefois, c’était loin d’être suffisant pour freiner l’avancée de cette armée infernale.
- Bruce, je t’en prie, le supplia-t-elle en activant son micro.
Son mari n’eut pas l’occasion de répliquer car un sifflement perçant envahit l’atmosphère de la planète-rebut.
- Ce ne serait pas ?
Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent quand elle reconnut la machine qui venait de faire une entrée fracassante au beau milieu de cette bataille apocalyptique.
- Ce blason…
Elle se mordit la muqueuse de la joue au sang.
- Pourquoi fallait-il que ce soit eux ?
***
- DAVID !
- Pression de la chaudière au maximum ! Moteurs à 150% !
Le sniper serra les dents.
Tout se jouait à cet instant précis. La moindre petite erreur pouvait leur coûter très cher. L’intégrité de Big1, la sécurité de son équipage, la vie des passagers d’Atlas…
- On fiche le camp d’ici avant que ça nous pète à la gueule. Mizar va nous ménager une issue de secours.
- Commandant, la glace va céder !, s’alarma Killian après analyse des courbes de son écran.
- Décollage immédiat !, tonitrua Bruce.
- C’est parti !, marmonna l’Officier Navigateur en enclenchant les manettes face à lui.
***
- C’est sûr que ça change la donne…
Reiko observa les faisceaux violacés qui s’échappaient du Silver Bear et brûlaient sans discontinuer les marionnettes désarticulées qui s’en prenaient à Big1.
“- Encore une idée de Killian”, lança Louise sur le canal des jets.
- Probable. Il a dû transmettre un signal de détresse amplifié à la section la plus proche.
“- Qu’est-ce qu’on fait ?”
- On leur file un coup de main. On ne va quand même pas les laisser s’attribuer tout le mérite de cette mission.
“- En vérité, c’est pas ça qui te met en colère, hein ?”
- Louise, c’est pas le moment.
“- Ne fais rien de stupide.”
- Mêle toi de tes affaires !
La pilote baissa les yeux vers le train de la SDF et eut un hoquet de panique.
“- BRUCE !”
La locomotive s’était mise en marche mais, sous ses essieux, le verglas craquait de manière inquiétante.
- Allez-vous en ! Allez-vous en !, s’écria-t-elle dans son émetteur.
L’absence de réponse l’affola, d’autant plus que certaines roues patinaient dans le vide. Cependant, après ce qui lui parut être une éternité, l’express parvint enfin à se mouvoir.
Reiko actionna ses tourelles une dernière fois, joignant ses ressources à celles de l’artillerie du Silver Bear, pour libérer le passage à Big1.
Les corps se consumaient par dizaines, exhalant une fumée noirâtre toxique qui viciait l’air ambiant.
Pour chaque zombie tué, le train progressait d’un mètre, réussissant peu à peu à gagner de la vitesse.
- Vous y êtes presque… Vous y êtes presque…
Elle contracta ses mâchoires, tendue à l’extrême.
- Décolle ! Décolle !
***
- Décolle ! Décolle !
Comme un écho aux paroles de sa bien-aimée, Bruce récitait ce laïus d’encouragement en espérant qu’il atteindrait la conscience de Big1 puisque, il n’en doutait pas, cette machine était dotée d’une volonté qui lui était propre.
- On… Y… Est !, les avertit David. On y est… Presque !
Les phalanges crispées sur les leviers directionnels, la peau noyée par la sueur, l’ingénieur luttait de toutes ses forces pour maintenir le cap sur cette piste inégale.
- Maintenant !, l’admonesta Bruce, les nerfs en pelote. Maintenant !
La glace se brisa avec fracas et le sniper crut leur dernière heure arrivée et, s’il en jugeait par les hurlements de ses équipières qui saturèrent la radio, elles le crurent aussi.
Néanmoins, grâce au sang-froid de David, à la vivacité d’esprit de Killian, à la dextérité de Reiko, à la ténacité de Louise, mais surtout grâce à l’intervention de la section Mizar, le train s’envola.
Le Commandant de l’unité Sirius s’affala dans son fauteuil, hors d’haleine.
Alors que Big1 prenait de la hauteur et filait à toute allure à travers la troposphère, l’écran principal du plafond de la “control room” s’illumina.
- Content de nous voir ?
- Walika…
Un sourire satisfait sur les lèvres, Noboru Wakita les fixait avec un amusement non dissimulé. Ses cheveux flavescents surmontés d’un béret vert léchaient son visage basané tandis que son regard turquoise incisif scrutait Bruce.
- Heureux que vous soyez sains et saufs ! Sur ce coup, vous nous en devez une, pas vrai les cracks de la SDF ?
***
Reiko posa son appareil en se contraignant à respirer à intervalles réguliers.
Le soulagement qu’elle avait ressenti après le sauvetage de son peloton avait laissé place à une forme d’irascibilité sourde qui se diffusait dans ses veines.
Une ire qui avait les traits d’une grande blonde aux iris pourpre.
- Riina, gronda-t-elle. Riina. Riina. Riina.
D’ordinaire l’aura imposante, charismatique et quelque peu menaçante de Bruce, n’attirait pas spécialement la gente féminine (voire la repoussait carrément).
Pourtant, cette femme faisait exception à la règle et parassait avoir un point faible pour son époux.
- Elle l’a tripoté avec ses sales pattes manucurées.
La militaire savait que le sniper n’avait aucune vue ou amitié particulière envers l’artilleuse de la section Mizar. Toutefois, elle ne parvenait pas à se départir de la haine qu’elle lui vouait.
Jalousie et possessivité se mêlaient à un sentiment d’insécurité, lié au manque de confiance en elle-même, qu’elle avait traîné comme un boulet durant des années.
- Ne rien faire de stupide. Louise a raison. Je dois me contrôler.
Elle coupa les moteurs et déploya l’échelle mobile par-dessus bord. Puis, sans plus tarder, elle se précipita vers le wagon de commandement, ne prêtant guère attention aux passagers de l’express Atlas qui se remettaient difficilement de leurs émotions dans la voiture cafétéria.
- Bruce !
Elle pénétra dans la “control room”, le souffle court.
Faisant fi du règlement de la SDF proscrivant les gestes affectueux entre les membres d’une même unité, elle entrelaça ses doigts avec ceux de son mari.
- On va bien.
Il eut un sourire en coin.
- Je vais bien.
Elle hocha la tête frénétiquement.
- Je reprends… Mon poste.
La main du Commandant effleura le bas du dos de sa femme un peu plus longtemps que nécessaire puis retomba, inerte, contre l’accoudoir.
- Manabu, Reiko, racontez-nous ce que vous avez vu avant le déchaînement de l’apocalypse zombie.
***
- T’es sûre que tu ne le connais pas ?
- Killian, je vous ai déjà dit qu’il m’évoquait vaguement quelque chose mais impossible de m’en rappeler plus clairement, expliqua Reiko, agacée, alors qu’elle se penchait pour inspecter le wagon de queue de Big1.
- T’as explosé la porte. Est-ce que t’aurais perdu en précision, sempaï ?
La pilote se retourna, un tic nerveux agitant la commissure de ses lèvres.
- J’aurais bien voulu t’y voir avec tous ces cadavres dans le viseur.
- Des excuses, toujours des…
Face au regard noir que lui renvoya Reiko, le jeune homme n’insista pas.
- Tu es susceptible aujourd’hui…, lui fit-il néanmoins prudemment remarquer.
- Ouais, désolé pour ça. C’était pas sympa de décharger ma colère sur toi.
Il s’adossa contre la carlingue noircie sans se rendre compte que les cendres teintaient son uniforme mauve impeccable, assorti à sa chevelure bleu-gris.
- Quelque chose ou… Quelqu’un te contrarie ?
- Ça se pourrait…
- Le peloton Mizar ?
- Comment t’as deviné ?
Killian eut un petit rire.
- David.
- … Et sa fâcheuse manie à trop parler quand il a bu, termina-t-elle en ronchonnant. C’est pas la première fois qu’il me fait le coup. Qu’est-ce que tu sais ?
- La soirée de ré-inauguration de la gare de Râ-Metal.
- La soirée de ré-inauguration de la gare de Râ-Metal, répéta-t-elle avec dégoût..
- J’entends tes incisives grincer, la taquina-t-il.
Exaspérée, Reiko shoota dans un essieu pour tenter de redresser une barre en métal de traction. Cependant, tout ce qu’elle réussit à faire, ce fut de se tordre l’orteil droit. Elle émit un juron grossier tandis qu’elle sautillait pour éviter de toucher le sol, une onde douloureuse irradiant son pied.
- Cette espèce d’insupportable bimbo avec ses jambes trop longues et sa crinière trop dorée…
Le stagiaire ricana, amusé par l’irritabilité de la jeune femme.
- Sempaï, s’il y a bien un fait avéré dans cette unité, c’est que le Commandant ne détourne jamais vraiment les yeux de toi.
- Oui, mais…
- Et, lorsque tu te trouves hors de son champ de vision, la tension ne le quitte pas tant que t’es pas de retour indemne.
- J’en ai conscience, mais…
- Pas de “mais”. Le patron serait capable de tous nous sacrifier pour toi, alors tes inquiétudes sont si infondées que c’en est totalement hilarant.
- N’exagère pas non plus…
Killian se détacha de la voiture en soupirant.
- J’exagère pas.
- Si… Tu…
Des éclats de voix parvinrent aux oreilles des deux agents de la SDF, qui se turent aussitôt.
- Des filles ?
Reiko renifla, d’humeur acrimonieuse.
- Pas n’importe quelles filles.
Instinctivement, elle tira Killian derrière Big1, à l’abri d’éventuels regards inquisiteurs.
- Qu’est-ce que… ?
- Chut, lui intima-t-elle en plaquant un doigt devant sa bouche.
- Hé ! Sempaï !
- J’aimerais écouter ce qu’elles racontent.
Les pas se rapprochèrent tout comme les bribes de conversations.
“Riina, je pourrais reconnaître ce ton mielleux entre mille… Mais aussi Laura… Et qui d’autre ?”
- Les sœurs Schimidt, chuchota Killian, confirmant ainsi les doutes de la pilote.
Cette dernière acquiesça, les poings fermés.
- Cette mission m’aura au moins permis de le revoir, lui.
- Nana, on t’a déjà expliqué que c’était une très mauvaise idée.
Un rire arrogant répondit à ces paroles.
- Lau’, tu dis ça car cette nunuche est ton amie.
- Non, je dis ça car cet homme est hors de ta portée.
- Aucun homme n’est “hors de ma portée”.
Un troisième timbre de voix, chantant et suave, s’éleva ensuite.
- Ne s’est-il pas déjà refusé à toi ? Pourquoi tant d’acharnement ?
- Parce que je le veux, Alice. Et j’obtiens toujours ce que je veux.
C’en était trop pour Reiko.
Elle n’avait pas ramené son mari des Portes de la Mort pour qu’une effrontée de cet acabit puisse penser qu’elle avait la moindre chance avec lui.
Oui, elle allait en finir une bonne fois pour toute.
Elle n’avait pas peur de se battre, au sens propre comme au sens figuré, pour son époux.
Et ce, peu importe les conséquences qui pourraient en découler.
- Tout doux, le tigre-garou de Yokohama. Rentre les griffes !, lui enjoignit Killian avec empressement.
- Cette garce…, persifla-t-elle, furieuse. Elle va me le payer.
- Si tu fais un esclandre, je te garantis que la section Sirius aura des ennuis et sa situation est précaire. Bien plus que tu ne l’imagines, révéla-t-il avec fébrilité alors que les bruits de pas s’éloignaient.
- Je vais lui faire ravaler son impertinence à grands coups de poings dans la tronche, fulmina-t-elle.
- Et tu te ferais suspendre. Définitivement.
- Je…
- Si tu t’en prends à son intégrité physique sur Destiny ou dans n’importe quel endroit sous la juridiction de la Compagnie, c’est du suicide pour ta carrière. Je te le certifie.
Furibonde, elle propulsa un pied contre la porte à demi-arrachée de Big1 et poussa un cri de douleur aigu lorsque son orteil blessé entra en contact avec le métal dur et froid.
- Bordel de merde !
- Sempaï…
Elle appuya son front sur une vitre fissurée, tentant de juguler la rage qui sourdait dans son corps.
- Tu n’as pas tort, Black, lâcha-t-elle après plusieurs minutes de silence. En tant qu’aînée, je devrais te montrer l’exemple mais je suis bien incapable de dominer mes émotions.
Ne désirant pas céder à ses pulsions destructrices, Reiko s’efforçait de respirer calmement.
Pour le moment, elle renonçait à une explication musclée. Toutefois, elle ne comptait pas en rester là.
“N’importe quel endroit sous la juridiction de la SDF, hein ? Elle ne perd rien pour attendre celle-là.”
- Elle ne t’arrive pas à la cheville, si tu veux mon avis.
La militaire eut un pauvre sourire.
- C’est gentil de ta part.
Après une expiration sonore, elle se redressa lentement.
Bien que ses traits soient encore marqués par l’agacement, sa colère était provisoirement maîtrisée.
- Allons-y. Nous devons appeler Harlock sans tarder. Les autres sont probablement déjà en salle de repos.
Killian hocha la tête et s’étira en bâillant avant de noter la tâche noire qui avait imprégné le tissu de sa veste.
- Oh non ! T’aurais quand même pu me dire que j’avais sali mon nouvel uniforme ! Il sort tout juste du pressing !
Reiko ne se donna pas la peine de répondre car une phrase prononcée un peu plus tôt par son équipier lui revint brusquement en mémoire.
- Que sous-entendais tu par “sa situation est précaire” ?, l’interrogea-t-elle en faisant volte-face, la mine sombre.
***
- Ils vont débarquer d’ici demain… T’es contente, non ?
- Oui. Sayuri me manque.
- À moi aussi.
La pilote fourra une canette rose ornée de fraises entre les mains de son compagnon.
- Tto-san et Dashi partagent mon opinion, on doit vérifier ce qu’il en est.
Une grimace dubitative déforma le visage de Bruce et, une fois n’est pas coutume, il ne décapsula pas sa boisson.
- C’est vraisemblablement un piège. On n’a aucune raison de se fier aux allégations de ton spectre.
- Contrairement à ce que vous avez tous l’air de penser, c’est pas “mon spectre”, protesta-t-elle.
Elle s’assit sur les genoux de son époux, profitant que la salle de repos s’était vidée de ses occupants. Par réflexe, celui-ci raffermit son étreinte autour de la taille de Reiko, visiblement ennuyé par la tournure qu’avaient prise les événements.
- Il a pourtant l’air d’en savoir long sur toi.
- Ouais, c’est ce qui m’embête. Quand il a parlé, mon coeur… S’est serré. Ça m'a fait mal… Comme si… Comme si… Tout ça réveillait des souvenirs… Enfouis… Profondément.
- Koneko, murmura-t-il, soucieux, en embrassant la nuque de sa belle. C’est peut-être ce que Noo veut te faire ressentir ou te faire croire. N’y accorde pas trop d’importance, okay ?
Elle acquiesça, désorientée.
- Cette entité s’insinue dans notre cerveau comme un rat dans des égouts putrides. Elle joue avec notre psychisme et perturbe nos sens. Elle a sûrement monté ce cirque de toute pièce pour semer la confusion dans ton esprit.
- Bruce…
Elle promena ses doigts à travers la chevelure polaire du Commandant, encore sous le coup de sa “presque” rencontre avec Riina.
- Chérie, il y a quelque chose que tu ne me dis pas ? Tu semblais irritée tout à l’heure. C’est KIllian ? À moi aussi il tape sur le système.
- Non, c’est un brave garçon. Je suis juste crevée.
- Crevée, t’es sûre ?, s’enquit-il en lui caressant explicitement la cuisse. Sinon, allonge-toi et détends-toi. Je m’occupe de tout…
- Je… Je…
Voyant que sa femme n’était pas receptive à ses avances, il pencha la tête sur le côté, intrigué. Puis, il haussa un sourcil perplexe en remarquant la barre inquiète qui creusait le front de cette dernière.
- Qu’est-ce que tu ne caches ? Crache le morceau et plus vite que ça, s’impatienta-t-il, faussement énervé. Et si c’est parce que tu as éteint ta radio - et je sais que tu l’as fait, je ne suis pas fou - je n’ai pas l’intention de te faire la morale. Pas pour l’instant.
- Désolée et… Non… C’est pas ça…
- Quoi alors ?
Elle ne répondit pas immédiatement, prenant d’abord le temps de mettre de l’ordre dans ses idées.
- Tu dois me promettre de ne pas le reprocher à Killian.
- Black ? Quel rapport avec lui ?
- Promets, anata.
Bruce souffla par les narines, contrarié.
- Promis, grogna-t-il à contrecœur.
- Avec mon incursion sur Wilane… Dans la forteresse d’Allison… J’ai créé des problèmes à notre peloton… Est-ce qu’il a vraiment failli être dissous à cause de moi ?
- Je vais le tuer.
La langue de la jeune femme claqua et elle souleva le menton de son amant avec la pulpe de son index.
- T’as promis juré.
- Il était censé la boucler, articula-t-il en détachant chaque syllabe avant de river ses prunelles glacées dans celles, ambrées, de Reiko.
Celle-ci garda le silence, anxieuse d’entendre les explications du sniper au sujet de l'opprobre qu’elle avait jeté sur sa propre unité.
- Le QG n’était pas ravi-ravi que tu aies désobéi à ses directives, c’est un fait, mais c’était surtout un prétexte bidon pour nous mettre enfin au placard et nous remplacer, finit-il par avouer avec prudence.
- Au placard ? Nous… Remplacer ?, s’indigna-t-elle. Après tout ce qu’on a fait ? Après tout ce qu’on continue à faire ? On a démantelé un putain de trafic d’êtres humains ! On a sauvé leurs fesses à plus d’une reprise ! Pourquoi Layla Destiny Shura…
- C’est là que tu te trompes. Ce n’est pas de Shura dont il est question mais des actionnaires de la Compagnie. La perte d’argent entraînée par la non-construction de la ligne reliant Grande Andromède au reste du Galaxy Railways a été accueillie d’un mauvais œil. Et la faute a incombé à notre section. Il n’y a guère que la menace de la l’interdiction d’accéder à la Voie Lactée par Zero qui les retient de ne pas nous virer fissa.
- Mais… Les humanoïdes nous utilisent comme matière énergétique pour renforcer leurs corps mécanisés ! Même la Direction ne peut pas fermer les yeux sur de pareils méfaits !
- Elle le peut et le fera si son satané pognon est en jeu.
Bruce s’enfonça davantage dans le canapé et glissa une main sous le pull de sa compagne.
- On bosse pour une société commerciale, reprit-il. Ne l’oublie jamais. Ici, les beaux idéaux de ton père n’ont pas cours.
Elle ne répliqua, la vérité la heurtant aussi violemment qu’un vaisseau Mazone harponné par Harlock.
- Pourquoi est-ce qu’on s’obstine à la protéger si son âme est aussi gangrenée par la corruption ?
Un sourire moqueur étira les lèvres du sniper.
- Je te l’ai dit avant la bataille de Râ-Metal, non ? Je suis sûr que tu t’en rappelles.
Elle ne prit même pas la peine de réfléchir.
Évidemment qu’elle s’en rappelait.
Elle savait exactement où il voulait en venir.
- On se bat… Pour tous ces gens qui voyagent à bord de nos trains, remplis d’espoirs et de rêves. Ces personnes, nous ne les trahirons pas car elles comptent sur nous, récita-t-elle avec une ferveur renouvelée.
Ces mots s’étaient gravés en lettres de feu dans son esprit et avaient donné un sens à son existence quand Promethium saignait à blanc les infrastructures du Galaxy Railways et que la situation paraissait désespérée.
- Ouais, c’est pour eux qu’on risque nos vies tous les jours.
- On n’a pas le droit d’abandonner, alors ?
Bruce eut un ricanement farouche.
- Carrément pas.
*Zut !
**Sois prudent.