A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 76 : La planète rebut

4871 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 28 jours

Chap 76 : La planète rebut


La femme de ménage sursauta, surprise par les cris de joie émanant de la salle commune du peloton Sirius de la Space Defence Force. 

Elle pressa une main contre sa poitrine avant de soupirer et de reprendre le travail un sourire aux lèvres.


- Nabu !

- Koko ! 

- Louise-chan !

- Killian-kun !


Bruce roula des yeux, conscient que les jumeaux terribles de son unité n’avaient pas fini de lui donner des cheveux blancs (couleur qui, heureusement pour lui, se rapprochait de sa teinte naturelle). 


- Comment va Kanna ? Tout se passe bien au restaurant ?

- Merveilleusement bien. Susumu et Sayuri ont dû grandir, non ? 


La discussion partait dans tous les sens, ce mois de privation amicale ayant été lourd à supporter pour tous les agents de la SDF. 


- Vous avez trouvé un traitement pour soigner le petit ?

- Ta mère a augmenté le nombre de couverts ? Super !

- Le contremaître Roya a demandé de tes nouvelles !

- Oui, Tadashi et Kei sortent ensemble ! Grâce à Bruce, vous imaginez !

- À ton avis, ils vont se marier ?

- On devrait rendre visite aux parents de Murase…

- Tu as salué Harlock et Tadashi de notre part ? Ils ont la forme ? 

- Black, t’as été sage pendant notre suspension ? 


Le Commandant de la section Sirius sentait poindre une migraine tandis que des conversations sans queue ni tête s’entremêlaient.


- Vieux, tu es déjà sur les rotules. On parie que tu ne tiendras pas une journée sans renvoyer l’un ou l’autre de tes éléments perturbateurs ?

- Boucle la David ou c’est toi que je vais mettre à pied, croassa-t-il en attrapant néanmoins la canette de lait fraise qu’il lui tendait.


L’ingénieur eut un rictus narquois.


- T’as l’air crevé mais au moins on n’a plus l’impression que tu portes le poids de l’univers sur tes épaules.

- Disons que j’ai appris à le partager.

- Faut croire que tu t’es habitué à ta famille de hors-la-loi.

- Tu ne sais jamais à quel moment il faut t’arrêter, pas vrai ?


David se tint coi bien qu’il n’en pensât pas moins.


- Sayuri est restée sur l’Arcadia, finit par lâcher le sniper.

- C’est pour le mieux, non ?

- La séparation n’est pas évidente pour autant et le moral de Reiko est aussi fragile qu’un nourrisson.

- C’est provisoire.

- Hum…


Le regard de Bruce s’attarda sur sa femme, qui s’était transformée en véritable moulin à paroles et racontait dans les moindres détails ce mois passé sur le vaisseau pirate ainsi que ses récentes découvertes sur les objectifs de Noo. 


- Yattaran est sur le point de déchiffrer cette tablette, ce n’est plus qu’une question de jours.

- Et vous espérez qu’elle renferme quoi ? Une arme ? 


Le Commandant prit le temps d’avaler une gorgée de lait fraise avant de répondre.


- Une arme ? J’ignore s’il en existe une capable de lutter contre le Néant. Non… Ce que nous espérons, c’est que cette tablette nous fournisse le moyen de maintenir Noo entravé dans la dimension infernale dans laquelle il a été confiné par le clan de la chaîne hélicoïdale.

- Ouais, tout un programme en somme.


L’ambiance n’était pas encore retombée dans la pièce et l’Officier Navigateur ne put s’empêcher de ricaner lorsqu’il constata que Louise était accrochée à Manabu tel un naufragé à une bouée de sauvetage. 


- La section Sirius repart en chasse…, commença-t-il.


Il n’aurait pas cru si bien dire puisqu’une alarme résonna dans la salle commune.


“Peloton Sirius ! Départ immédiat !”


***


Les discussions se turent aussitôt et, telle une machinerie parfaitement huilée, tous se levèrent et se ruèrent vers la porte comme un seul homme.

Car c’est ce qu’ils étaient. 

Leurs cœurs battaient à l’unisson même après ces longues semaines d’éloignement. 

Ils débouchèrent sur le quai de Big1 et freinèrent des quatre fers quand ils se retrouvèrent face à leur dernier membre d’équipage. 


- Qu’est-ce que vous foutez ? On dirait que c’est la première fois que vous voyez un train ! Tout le monde à son poste de combat !

- Oui, Commandant !


Reiko enjamba le marche-pied alors que l’adrénaline ravivait la flamme de ses convictions. 

Bien que l’absence de sa fille lui fît ressentir un vide intersidéral et pesant, elle savait maintenant qu’elle avait sa place en tant que pilote au sein de cette unité.

Et cela lui donnait la force de continuer à avancer en dépit de la peine et de l’anxiété.

Elle sauta sur son siège sans toucher les accoudoirs et démarra sa console.


- Pression de la chaudière interne, okay !

- Valves en position.

- Radars calibrés !

- Armement opérationnel !

- Space Eagles, stand by !

- Circuit principal connecté.

- System all-green !


Bruce fit quelques pas au centre de la “control room”.


- Big1, en avant, dit-il simplement.


Les moteurs ronronnèrent, le train prit de l’élan et s’envola enfin dans l’espace. Un silence presque religieux avait envahi la voiture et tous attendaient le briefing de leur Commandant avec une impatience palpable.


- Les gars, l’express Atlas en direction du petit nuage de Magellan a rencontré un incident technique qui l’a contraint à atterrir en catastrophe sur un satellite inhabité du huitième système solaire. Il a d’ailleurs un nom à la mords-moi le nœud… 

- K-15-O458, l’informa David après une rapide recherche sur ses écrans.

- On l’appelle aussi “planète rebut”, précisa Killian.


Reiko fronça les sourcils. Ce sobriquet lui évoquait de mauvais souvenirs. Harlock l’avait déjà mentionné à plusieurs reprises, notamment lorsqu’elle était enfant. 

Sans crier garde, des images jaillirent alors dans son esprit et des spasmes agitèrent ses doigts.


- Je connais cet endroit… C’est… Un… Un cimetière à ciel ouvert… Un immense charnier… Où les corps sont déversés par milliers depuis des aéronefs de transports. 

- Des corps… Humains ?, s’étouffa Manabu.

- Oui… Les enveloppes charnelles des hommes et des femmes qui ont choisi de devenir des humanoïdes… Une fois mécanisés, ils se fichent bien de ce qui arrive à leur cadavre. Harlock me disait que les machiners préférait se débarrasser des dépouilles sur des astres “poubelles”, plutôt que de gaspiller de la main d'œuvre pour les enterrer ou les brûler.

- Mais… Si des millions de morts s’empilent les uns sur les autres… L’atmosphère doit être viciée… Le sol instable… Comment le train a-t-il pu se poser ?, l’interrogea Louise.

- Il fait si froid que tout gèle instantanément. Un peu comme sur Frozen… Les tempêtes de neige en moins, expliqua la pilote. Pluton, dans la Voie Lactée, sert aussi de réserve de corps. Conservés dans la glace, ils demeurent intacts. L’enveloppe originelle de Promethium repose là-bas. 


Un climat anxiogène se propagea dans le wagon de commandement.


- Reiko, si c’est trop compliqué pour toi reste ici. 

- Non, Bruce. Tout va bien, j’ai dépassé ça. 


Il lui adressa un regard dubitatif mais se garda de toute remarque. 


- Y a-t-il des passagers à bord ? Ont-ils été blessés pendant la procédure d’atterrissage d’urgence ?, s’inquiéta l’Officière radar.

- Le contrôleur et neuf voyageurs. A priori, ils sont indemnes, les renseigna le sniper.

- La routine en somme, résuma David en s’étirant. 


Reiko tapota sur son clavier, distraite.

Depuis la guerre contre Râ-Metal, elle était parvenue à surmonter les sentiments de colère et de rancune qu’elle éprouvait à l’égard des robots. Toutefois, la vision d’épouvante de ces macchabées s’annonçait difficile à supporter.


- Koko, chuchota Manabu. T’es sûre que… ?

- Oui, je ne vais pas vriller, t’en fais pas. Je ne suis plus aussi tributaire de mes émotions qu’auparavant.

- Hum… 


L’artilleur glissa une dernière oeillade soupçonneuse vers sa coéquipière et reprit le travail.


- Arrivée dans une heure par les portails H-456 et I-632. Louise, Killian et Yûki s’occuperont de l’extraction des passagers. David tu prendras Yuuki et Reiko avec toi et vous préparerez le remorquage. Tenez vous prêts.

- Compris !


*** 


- La planète rebut en visu.


Reiko se tordit la nuque pour scruter l’écran de Louise sur lequel était apparu une sphère irisée parsemée d’alvéoles bleutées.


- Une terre givrée, commenta Killian. Inhospitalière.

- Sans âme qui vive, compléta Manabu.

- C’est le cas de le dire, abonda David. Le QG a toujours la sale manie d’envoyer notre unité pour les missions où il faut avoir le cœur accroché. 

- Il faut bien quelqu’un, rétorqua la pilote.


Bruce toussota, signalant ainsi que les bavardages inutiles devaient s’arrêter et que les choses sérieuses allaient commencer. 


- Fort Drake, Black, vérifiez qu’on peut se poser sans problème devant la loco de l’Express Atlas. J’aimerais si possible éviter que la glace ne cède sous le poids de Big1 et qu’on finisse comme des mammouths congelés.

- Repérage Space Eagle ?, le questionna Reiko.

- Négatif.


Quelques minutes s’écoulèrent avant que ne s’élève la voix de Killian.


- La couche terrestre est stable et résistera à notre atterrissage.

- Bon, vous savez tous ce que vous avez à faire. Au boulot et pas d’imprudence.

- A tes ordres !


Le train de combat de la SDF entama sa descente vers la planète rebut tandis que les agents du Galaxy Railways enfilaient à la hâte leurs combinaisons immaculées adaptées aux basses températures. 

Alors que Reiko vissait un casque écarlate sur son crâne, Louise lui lança un regard en biais.


- J’oublie régulièrement que la nature a été généreuse avec toi vu que tu ne portes que ton uniforme ou des pull-overs sans forme.

- Tais-toi…, la rabroua la jeune femme en rougissant.

- Quel est ton secret ?


La pilote rabattit la visière de l’Officière radar sur son nez. 


- On est en service, tiens-toi.

- T’es pas drôle…


Le contact avec la surface fut rude et Reiko, les doigts fermement enroulés autour d’une poignée de sécurité, happa son amie pour l’empêcher de s’étaler sur le plancher de la voiture. 


- Merci… Koko.

- Y’a pas de quoi.


Une fois le train immobilisé, le peloton Sirius s’extirpa du wagon, se scindant en deux groupes.

Malgré leurs vêtements constitués d’un robuste alliage de fibres, le froid les saisit à la gorge. 


- Frozen, le retour, grommela Manabu. 

- Ouais…

- Tu crois qu’il nous a affecté à l’attelage pour nous punir de notre escapade sur Wilane ?

- C’est évident, ronchonna Reiko en s’approchant de la locomotive d’Atlas.

- Les gars…, les interpella David d’une voix blanche.


Ses deux jeunes collègues firent volte-face.


- Quoi ? 


L’ingénieur observait le sol avec effroi et son visage livide ne laissait rien présager de bon. Reiko et Manabu l’imitèrent alors en baissant lentement les yeux.


- Quelle abomination…

- Sa mère la…

- Koko !, la coupa Manabu. 

- Putain de merde…

- Koko…


Des milliers de cadavres étaient entassés sous leurs pieds, séparés par de fines strates de verglas.


- Ils s-sont… In… Intacts, balbutia l’artilleur, en état de choc.

- Ouais, vu qu’il fait a minima cent quarante degrés, c’est pas étonnant, grogna sa partenaire. 

- Ce qui est sympa avec toi, c’est que t’es jamais dans l’exagération, se moqua David, qui peinait néanmoins à retrouver des couleurs. 

- On dirait qu’ils sont endormis… 


Reiko s’accroupit et détailla les traits angéliques d’une adolescente aux longs cheveux noirs.


- Ce ne sont que des coquilles vides congelées dont les propriétaires se sont débarrassés. 

- Pragmatique, convint l’ingénieur. Nous sommes bel et bien au-dessus d’un charnier, l’odeur des corps en décomposition en moins. 

- L’immortalité, marmonna la jeune femme, qu’a-t-elle de si attrayant ?

- Vaut-il mieux une vie remplie ou une vie infinie ? T’en penses quoi, Manabu ?, l’interrogea l’Officier navigateur. 


Celui-ci réfléchit quelques instants.


- En ce qui me concerne, je souhaite consacrer mon existence à me battre pour mes convictions. Pour protéger les voyageurs du Galaxy Railways. Je n’abandonnerai pas… Quel que soit le temps qui m’est imparti.

- Bien dit, Nabu, approuva la pilote en débloquant le mécanisme de remorquage de Big1. On croirait entendre mon père.


Ses compagnons se penchèrent pour l’aider à arrimer les deux galaxy express. 


- J’ajouterais même que bien misérable est l’homme incapable de choisir le lieu et l’heure de sa mort, conclut Reiko.


***


- Attention !


Sans qu’ils n’aient eu besoin de se concerter, David agrippa les épaules de l’artilleur et Reiko son poignet, pour le tirer en arrière une fraction de seconde avant que ses phalanges ne se soient écrasées par l’attelage.


- Manabu ! Qu’est-ce que tu fous, bon dieu !, s’énerva la pilote.

- Concentre-toi, le morigéna L’Officier Navigateur.

- Je suis… Désolé… Ces cadavres… Ils me… Perturbent… Leurs orbites… Elles me… Elles me fixent…


La militaire, habituée aux horreurs perpétrées par les humanoïdes ainsi qu’à la vue de dépouilles beaucoup plus dégradées, n’était pas aussi touchée que son coéquipier.

Son regard s’adoucit tandis qu’elle entrelaçait ses doigts avec ceux de Manabu. 


- Je sais… Mais ce ne sont pas les défunts qu’il faut craindre, ce sont les vivants. Dis-toi que ce n’est que des os et de la chair. Un tas de viande froide. Rien de plus.

- Pas sûr que ça m’aide, Koko.


Une voix impérieuse retentit derrière eux.


- Vous avez terminé ?

- Oui. L’arrimage est sécurisé, l’informa l’ingénieur de Big1.


Les yeux de Bruce se posèrent sur les mains jointes des siamois de son peloton. 

Il soupira et reprit la parole.


- Bien. La première équipe a évacué les passagers. Cependant… Killian a détecté quelque chose d’étrange sur ses écrans. Réunion dans la “control room”. Immédiatement. 


***


- Une signature thermique ? 


Louise acquiesça à la question de la pilote. 


- Ce qui veut dire qu’il y a quelqu’un de vivant ? Quelqu’un qui respire… Sur ce caillou givré ?!, s’écria Manabu.

- Oui, c’est exact, répondit Killian. Humain, animal… Ou autre. Tant que nous n’aurons pas enquêté, nous n’en aurons pas la certitude. 


Reiko lança un regard interrogatif à son époux.


- Okay, vas-y mais pas toute seule. Yuuki, tu pars avec elle. Après ce qu’il s’est passé sur Wilane, je ne devrais pas vous faire confiance, alors ne gaspillez pas cette seconde chance, compris ? 

- Oui, Commandant !


Cette fois-ci, c’était au tour de la fille d’Harlock de s’inquiéter pour son ami, mais celui-ci secoua la tête, signifiant ainsi qu’il était en mesure de l’accompagner tout en gardant les idées claires.


- On ne te décevra pas, lui promit-elle. J’affrète un Eagle. 

- J’exige un rapport en temps réel, vu ?

- Tu l’auras.


Le binôme quitta le wagon de commandement et se dirigea, les mâchoires serrées et le corps tendu par l’anticipation, vers les hangars des chasseurs. 

Manabu bloqua l’escabeau contre la carlingue de l’appareil de la jeune femme et cette dernière enjamba les marches deux à deux.

Elle déverrouilla rapidement le cockpit et se glissa sur le siège avant. 


- Space Eagle, stand by.

- Radar, calibré. 

- Armement opérationnel.

- System all green ! 

- Anata… Je veux dire, Commandant, on est prêts. Requiers autorisation de décollage.

- Accordée. 


Le moteur vrombit et Reiko enclencha les propulseurs. Puis, elle tira le manche directionnel contre elle.


- “Welcome home !” Accroche-toi, ça va déménager. 

- Doucem… Oooooh !


Le jet fusa à pleine vitesse dans l'atmosphère glacée. 


- Combien avant l’arrivée sur site ? 

- Si tu continues à piloter comme un kamikaze ? Dix minutes.

- On y sera en cinq.

- Att… Aaaaah !


L’artilleur eut un hoquet de surprise. 


- Koko… Ce ne sont pas de vraies montagnes… Ce sont… Ce sont…


La pilote ne se donna pas la peine de regarder.

Elle savait précisément ce à quoi son partenaire faisait allusion.


- Focus sur moi. Pas sur eux.

- Des… Montagnes de… Morts… 

- Rien d’autre que de la viande froide. 


Elle jeta un œil dans ses miroirs de bord et eut un pincement de cœur en apercevant le visage blafard de son frère adoptif.


- Nabu…

- C’est bon, ça va. Je gère. 


Elle accéléra, poussant son chasseur à ses limites. 


- Cible en contrebas… Coordonnées enregistrées. Bruce, on y est.

“- Bien reçu.”


Reiko amorça la descente et le train d’atterrissage entra délicatement en contact avec une plaine gelée, semblable à un ancien lac, si ce n’est la centaine de dépouilles reposant dans ses eaux.


- On y est. Pas trop remué ?

- Tais-toi…


Les deux jeunes gens déployèrent l’échelle mobile et mirent pied à terre.


- Si tu as envie de vomir, préviens-moi.

- J’ai pas envie de vomir, lui assura-t-il en levant les yeux au ciel. Comment ça se fait que tu sois aussi calme ?

- J’ai déjà vu pire…  Et puis, comme je te l’ai dit…

- Oui, un tas de viande froide. J’ai capté.

 

Ils marchèrent en direction d’immenses aiguilles torturées, leurs pas ralentis par l’engourdissement. 


- Au fait, tu crois qu’ils sont devenus quoi ?

- Qui Nabu ?

- Les voyageurs de l’express 414. Ceux qui ont été… Hypnotisés par Noo. 


Elle songea à leurs mésaventures sur Agrica et au détournement du train qui n’avait laissé que deux rescapés du lavage de cerveau du démon : Taka et sa sœur, Nita. 

“Ces gamins ont une volonté suffisamment puissante pour s’opposer à celle du Chaos… S’ils ont réussi à résister à son emprise… Nous n’avons pas le droit de baisser les bras.” 


- Je pense qu’ils se sont transformés en sorte d’adorateurs sataniques. À faire des sacrifices dans une grotte, des trucs dans le genre.

- A-t-on un moyen de les sauver ? 

- En scellant à nouveau Noo… Qui sait. 

- Et, à ton avis, on va trouver quoi ici ? C’est impossible que quelqu’un puisse survivre dans de pareilles conditions.

- Pourtant, le signal est encore actif, constata Reiko après vérification sur sa tablette.

- C’est pas croyable… Si on enlevait nos casques, nos poumons gèleraient dans la seconde.


Elle se mordilla la muqueuse de la joue, taciturne.


- Inutile de se perdre en suppositions et en spéculations, on verra lorsqu’on y sera. 

- Quand tu fais cette tête, on dirait vraiment Bruce. Il déteint sur toi.


Elle eut un sourire dur.


- Si tu veux mon avis, ce n’est pas un mal.


***


- C’est pas… C’est pas…

- Oh si, confirma Reiko, ça l’est…

- Ici ?

- Et pourquoi pas ? 

- Mais c’est une planète-rebut…

- Elle n’a pas toujours été ainsi, Nabu-kun. Il y a des milliers d’années, elle était probablement habitée… 


Les deux acolytes se tenaient au centre d’un cercle de pierres, similaire à celui de Stonehenge sur Terre. 


- La signature thermique proviendrait de ces menhirs ? 

- Pas de doute. Si on se fie à nos appareils, on est en plein dessus, expliqua Reiko. 


Manabu enfonça le bouton de son micro.


- Bruce, on est tombés sur quelque chose. Un fragment du sceau. Des vestiges…

- Le Cercle de l’Existence, dit-elle en tapant dans ses mains, presque par réflexe. D’après toi, je ressemble à Edward Elric là ? 

- Qui c’est ça ?

- Inculte.

“- Des traces de présence de vie ?”, les interrogea le Commandant de l’unité Sirius.

- Non. Rien du tout. Juste des cailloux et un froid à réveiller les morts.

- Koko, c’est pas marrant… Oh merde… Et ça c’est quoi ?


Les agents de la Space Defence Force bondirent en arrière, tels des danseuses étoiles parfaitement synchronisées. Puis, ils dégainèrent leurs armes, à l’affût. 


“- Qu’est-ce qu’il se passe ?”, brailla Bruce dans le haut-parleur. “Reiko !”

- Une lumière verte…

- … Scintille sur un autel au milieu des dolmens.

- Un… Un… Un Spectre !, bégaya Manabu.

- Un ectoplasme ?, marmonna la pilote.

“- Mais qu’est-ce que vous me chantez là ? Foutez le camp !”


La lueur gagna en clarté, éclairant bientôt les alentours, diffusant des ombres mouvantes verdâtres sur les ruines. 


- Ça sent mauvais et je ne parle pas de toi, Nabu.

- Hé ! C’est pas le moment pour…


Le jeune homme ne termina pas sa phrase puisque l’onde lumineuse prit forme humaine.


- Cours, ordonna-t-elle à son partenaire. 

- Je t’ai longtemps attendue…


Reiko et Manabu stoppèrent leur fuite et firent volte face.


- La bouillie verte a dit…

- On dirait plutôt une vraie personne maintenant, Koko… 


La militaire plissa les paupières, intriguée par la silhouette indubitablement masculine. 

Contre tout bon sens, elle s’approcha, sur ses gardes. 


“- Où êtes-vous ? Retournez au Space Eagle ! Exécution !”, tonitrua le sniper.

- Une minute… Bruce… J’ai l’impression…

- Ne va pas vers cette chose !, s’alarma l’artilleur. 

- Qui êtes-vous ?, le questionna-t-elle. Votre voix… Je l’ai déjà entendue…  Quelque part… Mais je ne me souviens pas… Quand était-ce ?


L’ectoplasme eut un léger sourire.

Reiko, qui ne détectait aucune menace émanant de lui, s’avança encore de quelques pas. Elle détailla alors ses traits. Une chevelure ondulée lui effleurant les épaules, une mine rieuse, un grand manteau clair… Pourquoi le fantôme lui paraissait-il familier ? Où l’avait-elle déjà vu ? Elle n’en savait rien. Elle avait beau essayer de se le rappeler, rien ne lui venait à l’esprit. 


“- Putain, Reiko, dégagez de là, c’est un…”


Elle éteignit son émetteur. 


- Qui êtes-vous ?, répéta-t-elle.

- Je ne te veux aucun mal.

- Je… Sais.


Un nouveau sourire. 

Chaleureux.

Rassurant.

Une sensation étrange et douloureuse tordit le ventre de la pilote.

“Quel est… Ce sentiment ? Pourquoi est-ce que j’ai si mal ?”


- Dites-moi… Qui…

- Reiko. Je n’ai pas beaucoup de temps. Fais lui faire parvenir les plans. Il est le seul à pouvoir le construire.

- Quels plans ? De quoi s’agit-il ?

- Destiny est la clef. Embarquez à bord jusqu’au terminus.

- Pardon ? Je ne comprends pas !

- L’ami de ton père saura vous aider. Toutefois… Le sacrifice sera nécessaire. Le serment de sang doit être honoré. Je suis désolé, je ne peux pas t’éviter ce fardeau. Garde Sayuri en sécurité. Ne laisse pas le Néant la capturer.

- Je… Je…


Des larmes inondèrent inexplicablement les joues de la jeune femme.


- Comment vous appelez-vous ?

- Mon nom, tu le découvriras bien assez tôt. Mais n’oublie pas…


Un dernier sourire étira les lèvres du spectre.


- Que je suis fier de toi.

- Non ! Ne partez pas !, s’affola-t-elle alors que la lumière verte vacillait, s’évaporant lentement. 


Un sifflet connu retentit soudain dans l’atmosphère, tirant Manabu et Reiko de leur transe.


- On va avoir des problèmes, l’avertit le fils de Kanna. T’aurais pas dû lui raccrocher au nez. 


*** 


Lorsqu’il discerna les traces humides sur les pommettes de son épouse, la colère du Commandant de la section Sirius fut immédiatement douchée.


-  Bordel, Manabu, qu’est-ce qu’il s’est encore passé ? Pourquoi avez-vous coupé la radio ? 

- Tu vas pas le croire…


Le sniper souffla par les narines.


- Essaie toujours… Mais d’abord…


Bruce attrapa une couverture dans le casier de l’une des voitures et la drappa sur les épaules de sa femme, qui restait mutique et tremblante depuis sa rencontre avec le fantôme. 


- Koneko… Tu m’entends ?, demanda-t-il, tracassé.


Elle acquiesça.


- Est-ce que tu souhaites m’en parler ? 


Elle secoua la tête négativement, ses cheveux bouclés voletant autour de son visage. 


- Okay, plus tard. Pour l’instant, assieds-toi dans le wagon cafétéria. Je te prépare un chocolat chaud.


Il la guida vers un canapé moelleux et alluma la machine à expresso.


 - Je vais donner le signal de départ et je reviens. Ne bouge pas, lui intima-t-il d’une voix stricte mais douce tout en l’embrassant sur le front.


Elle appuya sa nuque contre le dossier du canapé et rejeta sa chevelure en arrière.

Une fois seule, elle s’appliqua à respirer profondément. 

“Inspire… Expire… Encore…”

Elle tentait de réguler les battements de son cœur en se focalisant sur le sifflement de la cafetière.

N’oublie pas… Que je suis fier de toi.”

Cette phrase la frappa tel un uppercut.


- Pourquoi est-ce que… Je suis aussi… Bouleversée… Ça ne me ressemble pas… Ces mots… C’est comme si… Je les avais attendus toute ma vie… Cet homme, qui était-ce ? Pourquoi est-ce que mon estomac est si serré ?


La pilote s’enroula douillettement dans le plaid, en quête d’un peu de réconfort.

Des pensées contradictoires tourbillonnaient dans son cerveau provoquant un brouhaha assourdissant. Elle peinait à mettre de l’ordre dans ce capharnaüm où la logique et l’évidence n’étaient plus maîtresses des lieux.


- Est-ce qu’il faisait allusion à Tôchiro ? Otto-san a de nombreux amis… Cependant, le terminus de Destiny… C’est bien…


Elle ferma ses paupières, épuisée.


- Sayuri… Est en danger. Je l’avais pressenti et Lawrence aussi, mais…  Elle est saine et sauve sur l’Arcadia. Noo ne pourra pas l’atteindre là-bas. C’est une forteresse volante avec un puissant bouclier anti onde mental.


Ses doigts se crispèrent sur les accoudoirs du sofa. Elle ne remarqua pas que ses ongles s’enfonçaient dans la mousse, entaillant le tissu.


- J’ai la désagréable intuition que ce revenant vient de m'offrir un billet pour un aller direct aux enfers… 


Elle se frotta les yeux et se tapota les joues pour s’éclaircir les idées. Un ronronnement familier envahit alors l’habitacle, suivi par le crissement des essieux du train. 

Big1 s’était finalement mis en marche.


- Prévenir Harlock… Faut que je commence par là… Papa, Dashi… Et ensuite Bruce… 


Elle n’eut pas le loisir d’affiner ses plans car une secousse la propulsa à terre.

Une plainte aiguë monta des entrailles de l’express, visiblement contrarié par ce freinage forcé. 

La jeune femme se releva maladroitement et se dirigea vers les vitres de la voiture pour voir ce qui avait entravé le train.

Puis, elle se pétrifia et hoqueta de terreur quand elle aperçut ce qui avait arrêté Big1 en plein décollage. 


- Les enfers…, balbutia-t-elle horrifiée. Ils sont venus… Jusqu’à nous.

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