A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 74 : La Terre

5370 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 6 mois

Chap 74 : La Terre


- Nee-san.

- Hum.

- Tu peux rester ici si tu préfères. 

- Non, répondit-elle fermement. J’ai dit à papa que je viendrais, donc je viens.

- On ne t’en voudrait pas…

- Si.


Tadashi haussa un sourcil perplexe.


- Moi. Je ne me pardonnerais pas cette lâcheté.

- Tu es trop dure avec toi-même.

- Il paraît. 


L’artilleur de l’Arcadia darda un long regard soucieux sur sa sœur bien-aimée, qui était encore plus blafarde que Bruce et ce n’était pas rien puisque, s’il se fiait à leur dernière rencontre, celui-ci aurait pu aisément effrayer toute une armada de fantômes. 


- Si tu es sûre de toi…

- Je le suis.


Le volet de sécurité s’ouvrit au ralenti dans un crissement mécanique.

Reiko retint son souffle, anxieuse à l’idée de fouler à nouveau son sol natal. 

Peu avant que le ciel terrien ne se dévoile, Harlock rejoignit ses enfants, notant que Tadashi avait glissé sa main dans celle de sa fille adoptive, souhaitant visiblement lui transmettre la moindre parcelle de son courage. 


- Koko, Dashi.

- Tto-san, l’accueillèrent-ils dans un ensemble parfait.

- Ça faisait longtemps, pas vrai ? Une sortie rien que tous les trois.

- Ouais…

 

Il s’avança dans la lumière, dissimulant les deux jeunes gens derrière le rempart de sa cape noire, signifiant ainsi qu’il se dresserait toujours entre eux et le danger.


- La Terre…


Le cœur de Reiko battait la chamade et il lui fallut plusieurs minutes pour se décider à se mouvoir.

Et ce qu’elle vit l'accabla à tel point qu’elle faillit en tomber à la renverse. 


- Megalopolis… La capitale… Elle est vraiment…


Tadashi hocha la tête, comprenant immédiatement ce que la pilote tentait désespérément de formuler.


- Saccagée ? 

- Oui… C’est ça, saccagée. En ruines… Il y a encore… Des personnes qui habitent là dedans ?, s’étouffa Reiko.


Des cieux gris surplombaient la ville et des nuages de pollution empêchaient les rayons du soleil d’atteindre une végétation rachitique et desséchée.

La plupart des immeubles s’étaient déjà écroulés ou menaçaient de s’effondrer d’un moment à l’autre.


- Nous sommes en banlieue. Le centre est probablement… Différent, n’est-ce-pas, Harlock ?, s’enquit la voix hésitante de Tadashi.

- D’après Warrius, le gouvernement mixte humain et humanoïde s’est attelé à reconstruire Mégalopolis. Toutefois, les travaux progressent lentement. Depuis la chute de Promethium, beaucoup de choses ont changé. Les déviances constatées sur Andromède n’ont cependant pas cours ici. Pas à ma connaissance.

- Les… Hommes ne sont plus aussi opprimés… Qu’autrefois ?

- Oui, poussin. Il semblerait que cela ait cessé pour de bon. Et, pour répondre à ta question, il n’y a sûrement plus âme qui vive en ces lieux. Des logements provisoires ont été aménagés pour pallier au plus urgent.

- C’est… Bien ?

- C’est plus que bien, argua doucement le Capitaine. La Flotte Indépendante Terrienne a créé de nombreux orphelinats. Personne n’aura plus à subir… 

- Une nuit dans la rue ? 

- Oui, chérie. Zero y veillera, sois en certaine.

- Il ne plaisante pas avec ça.


Le hors-la-loi ébouriffa les cheveux de Reiko. 


- C’est un indécrottable naïf mais il est têtu, on ne peut pas lui enlever ça.

- Je ne l’ai pas croisé depuis un bail…

- J’ai le sentiment que tu le reverras plus tôt que tu ne l’imagines. 


La pilote eut une moue intriguée mais ne répliqua pas.


- Le laboratoire se situe à quelques encablures de notre position, les rappela à l’ordre Tadashi.

- Fort bien, déclara Harlock. Allons-y. Tu es prête, lapin ?


Elle acquiesça.


- Je le suis.


*** 


- Dashi…


Reiko se porta à la hauteur de son frère, inquiète.


- Hum ?

- Être là, ce n’est pas trop difficile pour toi également ?


L’artilleur de l’Arcadia haussa les épaules, une expression indéchiffrable sur le visage. 


- Ce n’est pas ici que mon père a été assassiné, c’était dans son laboratoire de Tokyo.

- Et le coupable… 

- Comme tu le sais, il court toujours. Robot, humain… Extraterrestre. Je n’ai jamais su de qui il s’agissait. 


Harlock posa un main qui se voulait rassurante sur le bras de son fils.


- Pour toi aussi la Terre est une épreuve… 

- Je suis un homme. Je peux affronter ça sans ciller.

- J’en suis persuadé, répondit le Capitaine avec un sourire.

- Moi… De même, intervint Reiko.

- Vous n’êtes pas mes enfants pour rien, lança-t-il, non sans fierté.


Après un instant de flottement, la militaire reprit la parole.


- Lorsque tu as rejoint l’Arcadia, tu avais quel âge, aniki ? Onze ans ?

- Douze. Et toi, huit, si je me souviens bien.

- Tu as une bonne mémoire. Je suis arrivée tout juste un an après toi si mes calculs sont corrects.

- C’est ça… Pour me compliquer la vie, dit-il, amusé. Me piquer mon lit et mes céréales.


Elle leva les yeux au ciel.


- T’as pas tellement cherché à me repousser.

- Comment aurais-je pu… Vu ce que t’avais traversé… T’étais aussi sauvage qu’un louveteau.

- Mmmh…

- Moi je n’ai pas eu cette malchance. Quand le Professeur Daiba a été tué, Harlock m’a offert un nouveau foyer… Et j’y ai gagné une sœur.

- Et moi donc…


Tout pirate qu’il était, le hors-la-loi lutta pour retenir une larme.


- Nous y sommes.


***


Le laboratoire, au grand soulagement du trio, n’avait pas complètement été rayé de la carte par les bombardements humanoïdes de la Guerre Intergalactique. D’allure fongique avec un chapeau composé d’une multitude de panneaux bleus luisants, il se dressait, ultime forme végétale, au milieu d’une prairie dévastée.

Une partie du toit avait été arrachée laissant à penser qu’un rayon laser, ou de façon moins probable une comète, avait entaillé la structure. 


- Il aurait pu être vandalisé ?, les questionna Reiko.

- Non, la sécurité a été élaborée par un as en la matière. Il y a peu de chances que les machiners aient réussi à la contourner. 

- Ou qu’ils aient simplement essayé, nota Harlock.

- Étant donné qu’ils considèrent les humains comme des insectes, ils n’avaient aucune raison de s’intéresser à leurs recherches scientifiques. 


Tadashi serra les dents.


- Nee-san dit vrai.


Les trois compères s’arrêtèrent face au pied du champignon géant.


- Le métal est déformé, comme si quelqu’un avait tenté de forcer l’entrée.


Le pirate tendit son cosmo-gun en avant et tira dans le vantail qui vola en arrière. 


- La voie est libre !


Ils s’engouffrèrent à l’intérieur du bâtiment et grimpèrent silencieusement l’escalier en colimaçon qui les mena jusqu’à une seconde porte. 


- Cette fois, inutile d’user d’un pistolet, la solidité de cet alliage est équivalente à celle de la carlingue de l’Arcadia. Maintenant, voyons si mon père a été aussi prévoyant que nous le croyons.


Tadashi approcha son nez du détecteur biométrique afin que celui-ci soit en mesure de scanner son globe oculaire.


- Aniki… Si ça ne fonctionne pas, il…


Un déclic résonna et le panneau pivota sur ses gonds. 


- Comment est-ce possible… ?, bégaya la pilote. 

- Il savait que j’essaierais de venir ici… Tôt ou tard…

- Tout ceci est d’excellent augure. Ça signifie que nous sommes sur la bonne piste, indiqua le hors-la-loi.


La jeune femme opina du chef.


- Oui. Allons-y.


Ils pénétrèrent dans l’immense pièce circulaire, le pirate en tête de file.

Reiko examina les alentours, étonnée.


- Tout est resté en état…

- On croirait presque qu’il pourrait nous rejoindre, sourire aux lèvres et carnet en main.

- Nii-san…, marmonna sa sœur en se rapprochant de lui.

- Ça va… 

- Commençons à fouiller…


La militaire, tout comme ses compagnons, entreprit de retourner la moindre parcelle de l’ancien laboratoire du Professeur Daiba.

Alors que Tadashi s’installait à une console pour sonder la base de données des lieux, Reiko s’attela à vider les étagères couvertes de grimoires.

La plupart étaient rédigés dans des langues qui lui étaient totalement étrangères, toutefois elle se fiait aux dessins et gravures parsemant les pages pour déterminer si l’ouvrage traitait de légendes démoniques ou d’archéologie.


- Rien de notable ici… Et toi, papa ?

- Hum… Pas pour l’instant. Dashi ?

- Toutes les datas ont été effacées, les disques durs, nettoyés. Il n’y a rien d’exploitable.

- C’est plutôt décevant, grogna Reiko.


Tandis qu’elle poursuivait ses investigations, elle heurta un bureau et l’un des cadres posés sur celui-ci s’écrasa au sol avec un bruit de miroir brisé.


- Tiens ?


La pilote se pencha, ramassa l’objet qui s’était morcelé, ôta délicatement les fragments de bois et les éclats de verre et en extraya une vieille photo jaunie par le temps.

Elle se figea lorsqu’elle découvrit les faciès des individus présents sur le cliché.

Elle identifia presque immédiatement le Professeur Daiba. Cependant, les autres personnes lui étaient parfaitement inconnues.


- Aniki… Tu devrais venir voir…


Celui-ci quitta son poste et s’avança, suivi de près par Harlock. Tous deux allongèrent le cou pour lorgner par-dessus l’épaule de Reiko.


- Mon père, murmura-t-il avec émotion.

- Oui, souffla-t-elle. Il devait avoir tout juste quarante ans.

- Qui sont ces scientifiques ?

- Tu ne les as jamais rencontrés ?

- Jamais, affirma-t-il, catégorique.


Harlock s’était pétrifié, glacé par la vision de cette photographie, donnant l’impression qu’il avait aperçu un fantôme ou un revenant.


- Qui sont-ils ? Tu les as déjà vus Tto-san ?

- Non, Koko, ça ne me dit rien, avoua-t-il en se détournant.

- Ah ? Bon… 


Cette dernière détailla davantage l’image. Une femme à la chevelure bleue portant des lunettes, élancée et mince, prenait la pose d’une manière qui mettait en valeur sa silhouette. Un homme rondouillard et chauve, visiblement trop serré dans ses vêtements, était debout à côté d’un physicien à la crinière blonde, occupé à lire une pile de notes. Et enfin…


- Vers le Professeur Daiba… 

- Lui ?, demanda l’artilleur de l’Arcadia. 

- Hum…


Des mèches brunes effleurant un col blanc, des iris ambrés perçantes, un sourire moqueur aux lèvres, le sémillant scientifique avait enroulé un bras autour du buste du père de Tadashi. 


- Plutôt bel homme, non ?

- Il a des airs à Warrius. 

- C’est vrai, abonda Reiko. 

- Ils paraissent proches. Plus que les autres.

- Des amis ?

- Plausible, mais je ne me souviens pas l'avoir vu à Tokyo.


La jeune femme lui tendit le cliché.


- Tu souhaites sûrement le récupérer ?

- Non, sans façon. Je ne préfère pas remettre le nez dans le passé, lança-t-il en s’éloignant.


Alors qu’elle s’apprêtait à reposer la photo sur le bureau, elle se ravisa.

“Je suis sûre qu’il le regrettera plus tard… Je vais la garder… Au cas où…”

Elle la glissa dans la poche arrière de son jean sans que son geste ne soit remarqué par quiconque.

“Il vaut mieux que je la conserve pour le moment…”


- Nous n’avons rien appris d’intéressant…

- Pas si vite, Dashi, le coupa Harlock en désignant un croquis à demi-déchiré recouvrant un pan de mur.

- Qu’est-ce que c’est ?, les questionna Reiko. Oh, ça ressemble à la porte de la Nébuleuse du Sablier…

- Oui mais regarde plus attentivement, insista le rebelle.

- Cette planète en arrière-plan… La Terre ?

- Exactement, ce qui implique…, poursuivit le Capitaine.


Tadashi eut un rictus triomphant.


- Que notre intuition première était la bonne. Nous trouverons des réponses dans les ruines de la face cachée de la lune.


*** 


Le chasseur de l’Arcadia s’approcha de l’astre lunaire, au niveau de la face qui demeurait invisible aux terriens.


- Nous y sommes. D’après mes analyses les vestiges devraient se situer…


Reiko pointa un amas pierreux depuis son hublot.


- Là, Nii-san ?

- Ouais, précisément, dit-il en déposant la tablette sur le siège libre à sa droite.

- Difficile de croire qu’une civilisation se soit installée là…

- Pourtant c’est le cas, l’éclaira le Capitaine. Un peuple à la technologie développée qui a vraisemblablement disparu avant la naissance de l’Humanité telle que nous la connaissons.

- Fantastique…


La navette atterrit à une centaine de mètres d’un temple à demi-écroulé.

La pilote, pour une raison qu’elle ne parvenait pas à s’expliquer, éprouvait de l’anxiété à l’idée de s’aventurer parmi ces stigmates de l’Histoire.


- Poussin ?

- J’ai la sensation qu’il y a quelque chose de mauvais qui couve ici…

- Moi aussi, affirma Tadashi. Quelque chose qui nous guette dans les ténèbres.

- Noo ?


Les deux jeunes gens secouèrent la tête.


- Pas en personne en tout cas, argua la militaire.

- Mais il n’est pas tout à fait absent non plus.


Harlock se frotta la joue, dubitatif.


- C’est bien vague ce que vous me contez là.


Le frère et la soeur partagèrent une oeillade équivoque.


- Désolé Tto-san, on ne peut pas définir ce pressentiment plus clairement, s’excusa l’artilleur.

- Nous verrons ce qu’il en est. Allons-y. Je passe devant.


Le trio s’enfila dans les décombres. Colonnes, morceaux de murs, fresques, gravures… Il était aisé d’imaginer que cet endroit abritât un jour une ville somptueuse.

Un grondement monta alors des entrailles de la lune et le hors-la-loi se rapprocha de ses enfants, décidé à les protéger contre quiconque se montrerait. 

Y compris l’incarnation de la Peur elle-même. 


- Papa…, s’affola Reiko.

- Ne bouge pas.


Cette plainte épouvantable, aux sonorités gutturales, gagna en force faisant vibrer sols et vestiges. 

Ce son pour le moins indescriptible, la pilote l’assimila à celui d’un démon nichant dans les tréfonds des enfers les plus obscurs. 

Une tempête sifflant dans les arbres, un animal qui se tord de douleur, des hurlements terrifiés… Tout cela en même temps et bien plus encore. 


- C’est ça… C’est ça…, murmura Tadashi.

- Un… Serviteur de Noo ?, supposa Reiko.

- Un serviteur ?, répéta le pirate. 


La vantail en pierre de l’ancien sanctuaire vola alors en avant, dévoilant la créature la plus abominable qu’il ait été donné de contempler à la jeune femme, pire ecore que la sirène au faciès anthropomorphe. 


- Qu’est-ce que c’est que cette horr…


Harlock ne lui laissa pas la possibilité d’achever sa phrase et la jeta derrière lui, déterminé à endosser le rôle de bouclier humain.


- Dashi !


Parfaitement synchronisés, le père et le fils pointèrent leurs cosmo-guns devant eux et tirèrent à de nombreuses reprises sur le monstre qui essayait de s’extraire du temple. Couvert d’une boue putride et dégoulinante, il était entravé par des liens solides. 

Les faisceaux lasers perforèrent sa carcasse suintante sans pour autant le blesser. Il émit un cri rauque, comparable à celui d’un nouveau né, étouffé par la graisse qui coulait entre ses dents.


- Que la roue du destin nous protège, lâcha Reiko, horrifiée.

- Bordel… Nee-san… Quel immonde…


La tête du démon se modela pour prendre l’apparence du visage de Tadashi.

Harlock, mâchoires serrées, s’avança, tendit son gravity saber et transperça le crâne de la chose d’un trait brûlant. 

Puis, aussi vite qu’elle avait surgi, elle fut happée en arrière par une puissance extraordinaire. Un éclair éblouissant d’une blancheur immaculée jaillit alors de la porte, qui se referma dans un bruit sourd. 

La visière de leurs casques ne parvenant pas à totalement absorber cette lumière aveuglante, des tâches colorées dansèrent devant les cornées de nos protagonistes. 


- Bon dieu…, pesta le rebelle. À quoi avait-on à faire au juste ? 


Le sang de Reiko s’était glacé et les mots moururent dans sa gorge avant qu’elle ne réussisse à les prononcer. 


- Et ça alors… ?, demanda l’artilleur.


Une créature longiligne, vêtue d’une robe irisée, dépourvue de cheveux, semblant sortie de nulle part ou peut-être des ruines du sanctuaire, se déplaça vers le petit groupe.


- Je suis la gardienne de ces lieux, s’annonça-t-elle. Et celui que vous venez d’affronter fut autrefois mon mari.


Ces paroles firent aussitôt naître un froid parmi la famille de pirates.

Tadashi toussota et rompit le silence.


- Est-ce que… Votre mari… Est sous l’emprise… De cette entité maléfique qui se fait appeler Noo ?

- Comme les passagers zombifiés du Galaxy Express 414 ?, intervint Reiko.

- Il est devenu leur serviteur, en effet, il y a de cela plusieurs milliers d’années. 

- Qui… Qui êtes-vous ?


La femme aux iris d’un violet si pur qu’il évoquait des améthystes les détailla avec insistance.


- Je suis la gardienne des lieux. 

- Euh…, balbutia la militaire, j’avais compris mais… Pourquoi êtes-vous ici, si… Seule ? Alors que votre peuple…

- Je suis la mémoire des miens. Nous avons été anéantis par Noo car Noo contrôle tout ce qui respire.


Le Capitaine de l’Arcadia fronça les sourcils.


- Comment ça ? Contre qui devons-nous réellement nous battre ? Quelle est la nature de notre ennemi ?

- Il s’agit ni plus ni moins que du Chaos Initial. Le Néant. Mais cela, vous le savez déjà, non ?


Reiko et Tadashi échangèrent un regard complice.


- “À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se brise pas, l’Existence ne retourne pas au Néant…”, récitèrent-ils en cœur la litanie que l’un avait entendu dans ses rêves et l’autre lors du Tournoi de la SDF.

- La prière de la vie ? Vous n’êtes donc pas livrés à vous-mêmes dans cette épreuve…

- Une aide extérieure ? Que voulez-vous dire ? Aurions-nous des alliés que nous méconnaîtrions ?, s’enquit Harlock.

- La chaîne hélicoïdale…


L'extraterrestre, qui lisait l’incompréhension sur le visage des ses interlocuteurs, décida d’éclairer leur lanterne.


- Votre adversaire représente le Chaos, apparu en une fraction de seconde dix exposant moins quarante-trois secondes après la naissance de l’univers.

- La singularité initiale… Lorsque le cosmos était plus petit qu’une particule élémentaire. Un point d’une densité infini à l’époque où la matière n’obéissait pas aux lois de la physique. Cependant cette période est si dense qu’elle a la même importance que des milliards d’années d’histoire.


Reiko écarquilla les yeux, confuse à l’écoute de l’explication de son frère.


- Tadikoi ?


Celui-ci souffla par les naseaux, exaspéré par le manque de culture générale de sa sœur.


- Oui, c’est bien cela jeune humain. Ce macrocosme primitif s’apparentait alors aux enfers. Noo régnait sur l’espace, le temps et toutes choses. Le monde se tordait sous la douleur et les ténèbres. Une seule émotion dominait en maître : la peur. 

- Tiens, ça me paraît familier, grommela la pilote.

- De cette nuit, naquit la première trace d’ordre. La chaîne hélicoïdale.

- La chaîne ?, répéta Tadashi, perplexe.

- Un clan asservi par Noo. Toutefois, ces esclaves se révoltèrent avec pour arme la corde de l’espace et la flèche du temps. L’esprit du Néant, attaché à la corde, a été scellé aux confins de l’univers exploré tandis que son corps vide a été annihilé par la flèche et dispersé parmi les étoiles. 


Harlock se gratta le menton, songeur.


- Le corps… Du démon ?

- Oui, c’est cela. Néanmoins, à l’instant où son enveloppe charnelle explosa, Noo la maudit.

- Et qu’est-il advenu de ces… Fragments corporels ?

- Ils se répandirent à travers les galaxies. L’un d’entre eux est d’ailleurs tout proche de vous dit-elle en désignant le globe terrestre.


L’artilleur de l’Arcadia hoqueta à mesure qu’une invraisemblable vérité se frayait un chemin dans son cerveau.


- Vous insinuez que la Terre est un morceau de la chair de Noo ?

- On nage en plein délire, vous en avez conscience ? les interpella Reiko.

- Et l’esprit de Noo, continua le pirate, imperturbable, a été emprisonné à la lisière du monde connu, c’est à dire…

- La Nébuleuse du Sablier, conclut l’alien. De l’autre côté de la porte de Yedar. La même porte que, j’imagine, vous apercevez dans les rêves et hallucinations que Noo a fait naître dans votre cortex cérébral.


Un lourd silence succéda à ses révélations.


- L’univers tel qu’il existe aujourd’hui est né après que cette entité ait été enfermée ?

- Cette déduction est exacte.

- Donc, poursuivit Tadashi, si je saisis correctement votre raisonnement, cela signifie que la Terre est une partie de l’enveloppe de Noo. Dans ce cas, l’Humanité…


Reiko secoua la tête, catastrophée à l’idée que le jeune homme formule ses propres craintes à voix haute.


- … Est sa progéniture.

- Ce qui explique le fait qu’il puisse prendre possession de notre âme aussi aisément, comme ce qu’il s’est produit sur le 414…, abonda Harlock. Noo a manipulé leur conscience. Les rêves, les hallucinations… Tout ça est possible car nous sommes reliés au Chaos par…

- L’ADN, termina Tadashi. Le signe de notre assujettissement. “À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se brise pas, l’Existence ne retourne pas au Néant…”. 


Reiko s’assit sur une pierre, abasourdie que ses ancêtres soient le fruit de l'engeance du Chaos.


- “La malédiction de Noo”, c’est cela que vous décrivez. Toute forme de vie est son esclave. La malédiction de Noo atteint les descendants de la chaîne hélicoïdale. De ce fait, tous les êtres vivants possédant ce que vous appelez “ADN”, mais qui est en réalité une extrait de la corde de l’espace qui retient le Néant scellé, peuvent être dominés par celui-ci. À leur apogée, toutes les civilisations sont confrontées à cette malédiction et condamnées à tomber en ruines. Si vous doutez de cela… Regardez autour de vous.

- Je vous l’annonce, je sature complètement, marmonna Reiko.

- Cette entité, bien que chassée et tenue à l’écart, est pourtant capable d’intervenir dans notre dimension…, fit remarquer Tadashi.

- Oui, car le sceau qui l’entrave s’affaiblit. 


La pilote se passa une main sur le visage, épuisée.


- Tiens, nous y sommes… Le sceau… Le zombie du train et la voix de Noo m’en ont déjà parlé, notamment quand j’ai perdu les pédales pendant le Tournoi.

- Il s’agit d’un ensemble de protections que les descendants de la chaîne hélicoïdale ont érigé au travers des galaxies.

- Comme des temples ?, suggéra la militaire.

- Oui. Ceux-ci ont pour but de maintenir le sceau initial de Yedar : “Le Cercle de l’Existence”. Malheureusement, ils ont progressivement été anéantis par les humains dans leur soif de conquête galactique, fragilisant davantage les chaînes du Néant.

- La corde de l’espace, traduisit Harlock.


La femme acquiesça.


- C’en est une de “protection”, pas vrai ?, l’interrogea Reiko en pointant le sanctuaire duquel le monstre était sorti. Vous n’êtes pas seulement la mémoire des vôtres. Vous gardez cet endroit. Vous veillez à ce qu’il ne soit pas détruit.


Les prunelles améthystes de l’alien se rivèrent sur cette dernière.


- Ainsi je peux rester aux côtés de cette créature qui fut autrefois mon mari.

- Savez-vous pourquoi Noo en a-t-il après mes enfants ?

- Tto-san, le démon a aussi mentionné des sacrifices… Et un serment de sang… À plusieurs reprises.


L’extraterrestre se détourna, donnant l’impression qu’elle portait une infinie misère sur ses épaules.


- J’ignore tout de cela et la raison pour laquelle le Chaos vous a pris pour cible. Cependant, il y a fort longtemps, un homme m’a confié ceci et m’a demandé de le remettre au pirate à tête de mort lorsqu’il viendrait se perdre en ces ruines.

- Un… Homme ? Qui était-il ?

- Il n’a pas jugé utile de décliner son identité.


Un fragment mural, une sorte de tablette gravée de symboles antiques, se matérialisa entre les phalanges de la gardienne.


- Qu’est-ce que c’est ?, la questionna Harlock.

- Je ne détiens pas cette réponse non plus. Le reste, il vous faudra le découvrir par vous-même.


Le rebelle s’inclina respectueusement en saisissant l’objet entre ses doigts.


- Comptez sur nous. La liberté n’induit pas l’égoïsme et je mettrai un terme aux intrigues de Noo.


Alors que son père et son frère saluaient la dernière représentante du peuple de la lune, Reiko se racla la gorge.


- Ce que j’ai récité pour me protéger des attaques psychiques… Cette “prière de la vie”, c’était un… Moyen de défense fourni par le clan de la chaîne, n’est-ce pas ?

- Oui. Il semble qu’il vous ait désigné comme ses dignes champions.

- Je vois… Merci de ces précisions.


Les cils de la jeune femme papillonèrent tandis que leur interlocutrice s’évanouissait lentement dans une pluie de paillettes argentées qui traversa le vantail du temple, comme portée par une douce brise estivale.

Le trio se retrouva seul, ébranlé par ces informations.


- Otto-san, commença Reiko en se frottant les paupières. Est-ce que tout ça est bien réel ?

- Je le crains, puce. Nous n’avons jamais affronté un danger de cette ampleur.

- Est-ce qu’on a ne serait-ce que l’ombre d’une chance ? 


Un sourire dur étira les lèvres d’Harlock.


- La volonté des humains est une puissance sans commune mesure. Et je n’ai pas pour habitude de céder, que ce soit face à une reine millénaire ou à une entité immortelle.


Il ébouriffa les cheveux de ses enfants, conscient de l’anxiété générée par cette rencontre.


- Bon, la journée n’a pas été de tout repos… Rentrons. J’ai demandé à madame Masu de préparer un encas pour notre retour.


***


Assis en tailleur au pied de la roue faisant office de gouvernail de l’Arcadia, Tadashi et Reiko lorgnaient sur une pile de gaufres alors que l’appétit leur faisant défaut, contrairement à Sayuri qui s’en donnait à cœur joie. 

Yattaran et Harlock étaient quant à eux plongés dans un débrief des événements et révélations récents de l’après-midi, auquel les deux jeunes gens se gardaient bien de participer.

Le Lieutenant en second du vaisseau pirate s’était immédiatement approprié la tablette, l’examinant sous toutes les coutures, déterminé à la disséquer jusqu’à dévoiler toute l’étendue de ses secrets.


- Et vous ne savez pas qui l’a confiée à la civilisation de la lune ? Vraiment ?


Le Capitaine darda un regard sur son fils.


- J’ai bien ma petite idée…

- Ce serait tout à fait le style du professeur Daiba de disséminer des indices sur le chemin de la Vérité.

- En tous les cas, je vais entrer en contact avec nos alliés. Ils doivent être mis au courant de la situation actuelle dans laquelle se trouve l’Humanité. Mamoru Kodaï… Warrius Zero… Guy Lawrence et Julia Reinhart…

- Bruce, grogna la pilote.

- Speed également, ça coule de source.


Yattaran glissa une oeillade prudente vers Reiko.


- Et elle aussi. Si les humanoïdes sont de mèche avec Noo, elle possède probablement des renseignements qui nous seraient utiles concernant Grande Andromède et le numéro deux de l’Empire.

- S’il le faut, se résigna la jeune femme, peu enthousiaste à la perspective que Maetel soit impliquée dans ce conflit.


Le hors-la-loi croisa les bras, contrarié.


- Mangez, ça va refroidir, les admonesta-t-il.

- On t’a déjà dit Tto-san…

- … Qu’on n’a pas faim. Genre pas du tout.

- Vous adoriez pourtant les goûters quand vous étiez plus petits !

- Justement, on a vachement grandi depuis, s’exaspéra Tadashi.

- Moi j’aime toujours les goûters mais là, honnêtement, j’ai l’estomac noué.

- C’est pas grave, Koko. Yu’ est en train d’engloutir notre part de toute façon.

- Oui… C'est pas faux, concéda Reiko en essuyant le menton dégoulinant de confiture de sa fille avec une serviette.

- Okaa-san ! Conture !

- Hum… C’est délicieux, hein Sayu ? 


Harlock observa la mine défaite de ses enfants avant de faire un signe de la tête à Yattaran. Celui-ci parut comprendre le message et s’éloigna sans quitter des yeux sa précieuse tablette en pierre.


- D’ailleurs, je crois que demain, ça fera un mois, non ?


Reiko leva le nez, une énergie nouvelle fusant dans son échine. 


- Oh… Oui ! Je n’avais pas réalisé… Est-ce que…

- J’ai déjà mis le cap sur Destiny, lapin. Je ne voudrais pas priver notre cheminot de l’espace préféré de l’anniversaire de notre Yuyu adorée. Deux ans, ça ne se fête pas tous les jours.


Elle opina vigoureusement, ragaillardie, oubliant momentanément le poids de la menace de Noo et l’engloutissement possible de toutes créatures vivantes si jamais le Néant parvenait à se libérer du sceau le maintenant prisonnier de l’autre côté de la porte de Yedar.


- Bruce…

- Oui. Il attend sûrement votre venue avec impatience.


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