A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 73 : Et in Arcadia ego
- Nabu… ?
Livide, le jeune homme referma la porte du bureau du Commandant de la section Sirius.
Les doigts agités de tressaillements, Reiko déglutit péniblement. Malgré le fait qu’elle soit coutumière de ces convocations, elle était encore plus stressée que d’ordinaire.
- Il m’a dit… Il m’a dit…
- Reiko Speed, c’est à toi.
Peu rassurée, cette dernière avança avec une démarche robotique en direction de la pièce occupée par son mari, qui avait le nez plongé dans la lecture d’un rapport.
- Bruce…
- Commandant Speed, pour toi aujourd’hui, l’informa-t-il sèchement.
- Je… Je…
Un sourire en coin se dessina sur le visage du sniper et la pilote se détendit imperceptiblement… Décontraction qui, malheureusement, ne s’éternisa pas.
- Lieutenant, les motifs retenus sont les suivants : refus d’obéir à une injonction de la hiérarchie…
- Je… Le train était attaqué… Nous devions riposter sous peine que Big1 ne soit endommagé… Nous ignorions tout de leurs intentions…
- Abandonnons de poste, déclara-t-il intraitable.
- Il fallait vérifier ce qu’il se passait dehors !
- Insubordination aggravée.
Elle se mordilla les lèvres, désemparée.
- Je croyais oeuvrer pour le bien… De tous ces gens…
Il toussota avant de reprendre, impitoyable.
- Je disais donc, insubordination avec facteurs aggravants : conspiration en vue d’agir sans permission adéquate, refus de se conformer à deux reprises aux ordres clairement exprimés par le supérieur sus-nommé Bruce James Speed, qui avait formellement été avisé par le Quartier Général de la marche à suivre. Le premier acte de sédition a été enregistré à quatre heures quarante-cinq du matin…
Le teint de Reiko vira de blafard à verdâtre.
- Anata ! Regarde moi ! Je…
- Est-ce que je dois écrire, “outrage à représentant du Galaxy Railways” sur la liste, déjà très longue, de toutes tes infractions ?
- Non, Commandant, répondit-elle en serrant les dents.
Bruce dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas éclater de rire face à la mine déconfite de sa jeune épouse.
- Bien, dois-je continuer mon énumération ?
- Inutile.
- Il y a une dernière chose que j’aimerais quand même ajouter.
- Laquelle ?, l’interrogea-t-elle, ulcérée.
“Je vais prendre tarif, donc autant me résigner tout de suite. Ça fait quinze jours que nous sommes rentrés… Quinze jours que j’attends que la punition s’abatte telle une épée de Damoclès sur ma tête. Mais il n’a rien voulu me dire. Il a évité le sujet… Tout ça parce qu’il guettait le moment propice pour me balancer mes erreurs en pleine figure.”
- Conduite…
- Quoi ?
- Conduite excessivement sexy qui perturbe le Commandant de cette unité de bras cassés.
Reiko, qui était une cocotte minute sous pression, sentit la tension quitter ses épaules avec une brutalité qui faillit la faire tourner de l'œil.
- Baka, jōdandesu ka ?*, grommela-t-elle.
- Chérie, tu mériterais une remontrance en bonne et due forme mais, vois-tu, il semblerait que je ne puisse pas t'en administrer une. Je me suis ramolli avec les années.
- Je…
La militaire se laissa tomber sur un siège, épuisée par l’anxiété, tandis que des larmes roulaient sur ses joues.
- Koneko ?*
- Je… Je…
Bruce qui, par-dessus tout au monde, détestait voir les yeux de sa moitié s’embuer, se leva brusquement, manquant de peu de se prendre les pieds dans son fauteuil. Il fit le tour du bureau en deux enjambées et enlaça Reiko, soucieux.
- J’ai poussé la plaisanterie trop loin, pardonne-moi. Je ne pensais pas que tu étais si angoissée. Je suis désolé.
- Je suis… Virée ?
- Non, bien sûr que non. Ils ont besoin de tes talents de pilote et ils ne veulent pas risquer de se mettre Zero à dos. Tu as écopé d’un renvoi d’un mois. Au final, la Compagnie a redoré son image avec toute cette histoire, donc elle n’a pas exigé de mesures sévères. Elle n'a pas souvent l'occasion de se targuer du démantèlement d’un trafic d'êtres humains… Sans compter ce qu'il allait advenir de la gare… Au moins, grâce à ce bordel, l'ouverture de la ligne vers Andromède a été ajournée…
- Et Mana… Mana…
- Yuuki aussi, chaton. Il va en profiter pour visiter Kanna sur Tabito. Il était soulagé, rien de plus. Non… Ne pleure pas… Je crois qu’il faut vraiment que tu te reposes. J’ai été très pris ces dernières semaines et je ne m’en suis pas aperçu… Excuse-moi… Mon amour… Ça va, c’est bon. Prends un mouchoir. J’ai déjà contacté Harlock. Il sera là d’ici quelques heures. Tu vas retrouver Sayuri.
- Mon bébé…, sanglota-t-elle, à bout de nerf. Otto-san ?
- Oui, cette fripouille a réfléchi moins d’une demi-seconde avant de changer le cap de son vieux rafiot. Il est beaucoup trop heureux de vous avoir toutes les deux à bord… Sans moi, ricana-t-il.
Reiko s’efforçait de décrypter ce que tentait de lui expliquer Bruce. Suspension… Sayuri… Arcadia… Elle digérait difficilement cette montagne d’informations. Toutefois, la lumière se fit progressivement dans son esprit alors que le portrait de sa petite fille s’y ancrait.
- Sayu-chan…
- Ouais, on va la revoir. Enfin… Toi uniquement. Si je l’entraperçois ne serait-ce qu’un instant, je ne repartirai pas sur Destiny. Et impossible de solliciter des congés, nous sommes à flux tendu. Des cadets seront affectés en remplacement à vos postes de travail. David ne pourra pas gérer seul tout ce merdier.
- Je te veux… Vers moi…
Le cœur de Bruce se contracta dans sa poitrine.
- Moi aussi… Tu n’imagines pas à quel point. Mais nous n’avons pas le choix. Pas cette fois. Sois forte, d’accord ?, dit-il en l’embrassant sur le front.
- Je le… Je le serai. Trente jours…
- Tu verras, ce sera rapide…
Ils demeurèrent lovés l’un contre l’autre durant de longues minutes, incapables de bouger, respirant à peine.
Personne n’aurait su dire qui de Bruce ou de Reiko était le plus terrorisé à l’idée de vivre éloigné de son âme sœur pendant si longtemps.
Cependant, il n’y avait rien que le couple ne puisse faire pour échapper à cette séparation.
Si ce n’est se munir d’une vertu qu’ils ne possédaient ni l’un ni l’autre…
La patience.
***
Reiko avait bouclé un sac en moins d’un quart d’heure, pressée de serrer Sayuri contre elle. Le sniper, qui avait été mandé par le Commandant Suprême, n’aurait finalement pas l’opportunité d’assister au départ de l’Arcadia et avait été contraint d’abandonner sa compagne plus tôt que prévu.
Celle-ci patientait d’ailleurs avec pléthore de voyageurs sur un quai ensoleillé duquel elle avait une vue dégagée sur le ciel et les aires de stationnement des vaisseaux spatiaux.
Elle ferma les yeux et se concentra sur le sifflement des trains, le crissement des essieux et le ronronnement des moteurs. Une poignée de mots et de fragments de discussions s’insinua également dans ses oreilles.
Destiny était une fourmilière au sein de laquelle elle se sentait bien.
A sa place.
Malgré les allusions répétées de ses équipiers, elle n’avait aucune envie de la quitter.
- Ko… Reiko…
Les paupières collées par la sueur, cette dernière mit quelques instants avant de réintégrer la réalité.
Trois silhouettes floues se dressaient alors au-dessus d’elle, qu’elle ne reconnut pas immédiatement.
- Dame Reiko, nous n’avons pas pu vous remercier comme il se doit.
- Patronne ! C’est bizarre de te voir sans ton uniforme.
- Ravie de constater que vous vous êtes remise de votre blessure.
La militaire se leva précipitamment, ses mâchoires manquant de se décrocher.
Vêtus à la mode wilanienne, c'est-à-dire avec des capes et des tuniques ornementées, Ivan, Malik et Merryl la dévisageaient avec amusement.
- Qu’est-ce que vous faites ici ?
L’adolescent la salua avec le signe de ralliement de la Space Defence Force, la pulpe de ses phalanges appuyée contre ses tempes.
- On s’inquiétait que tu aies des ennuis par notre faute.
- Mmmh… Rien de grave, répondit-elle en se grattant le cuir chevelu.
- Le Commandant Speed nous a prévenus pour le renvoi, nous sommes confus, s’excusa le Seigneur de l’est.
- C’est ce qui se produit quand on désobéit aux ordres de la hiérarchie… Manabu et moi l’avons fait en toute connaissance de cause.
Reiko pointa un café tout proche.
- Je vous offre à boire ?
- Hors de question.
Ivan Zarnitsky dégaina une escarcelle de son sac en bandoulière.
- J’ai de la monnaie d’ici, les éblus, permettez-moi de vous inviter.
Un fin sourire étira les lèvres de la jeune femme.
- C’est pas de refus.
***
- Je vois… Vous êtes venus pour ça, ça ne m’étonne pas de vous trois. Et donc, vous n’avez pas souhaité succéder à votre frère, Merryl ?
- En aucun cas. Une République démocratique… Un avenir sans nuage… La liberté. Voilà le présent que je désirais offrir à Edelweiss. Après le trafic inhumain qui a fait souffrir le peuple de Wilane, cette décision sonnait comme une évidence.
- C’est très… Honorable de votre part, admis Reiko. Qu’allez-vous faire maintenant ?
- Vous voulez dire, mis à part plaider notre cause pour la poursuite des travaux de la gare auprès de votre Commandant Suprême ?
- Exact.
L’ancienne princesse de l’ouest brossa machinalement sa chevelure avec un air mystérieux.
- Comme vous.
- Hein ? S’engager à la SDF ?
- Non, épouser l’homme que j’aime, confessa-t-elle en mêlant ses doigts à ceux d’Ivan Zarnitsky.
- Oh… Toutes mes… Euh… Félicitations.
Le couple lui renvoya un regard radieux, que les plaies violacées sur le visage du souverain ne parvinrent pas à assombrir.
- Vous voilà donc reine dorénavant.
- Juste en titre. Je compte plutôt me consacrer à la profession d’institutrice.
- Quels changements… Et toi… Malik ?
- Je vais retourner dans mon village et, une fois adulte, j’en deviendrai le chef. Je veillerai à ce que chaque enfant soit libre de choisir sa voie. Sur notre terre ou une autre…
Reiko ébouriffa les boucles de l’adolescent, incroyablement fière de lui.
- Mon père approuverait sans aucun doute cette carrière. Je suis très heureuse pour vous trois.
- Ton père ?, la questionna Malik.
Un vrombissement emplit alors l’atmosphère, couvrant le bruit des conversations. La pilote posa une main contre son front tandis que son cœur bondissait dans sa poitrine.
- Quand on parle du loup…
***
Lorsque l’Arcadia surgit derrière les cumulonimbus surplombant Destiny, Reiko donna rapidement son congé à ses amis. Ceux-ci avaient de toute manière du pain sur la planche puisque la réunion au sommet n’allait pas tarder à débuter. Réunion durant laquelle la délégation wilanienne allait négocier la reprise de la construction des infrastructures laissées à l’abandon depuis le départ de la Space Defence Force et des Space Panzer Grenader.
Reiko avait ensuite avalé au pas de course les quelques centaines de mètres qui la séparaient des aires de débarquement des vaisseaux spatiaux.
Elle piétinait avec impatience sur l’asphalte alors que le nom de sa fille virevoltait dans sa tête. Quand la passerelle se déploya enfin, elle fusa en avant sans attendre que la silhouette d’Harlock n’apparaisse dans l’encadrement du hangar.
Le pirate n’eut d’ailleurs ni la possibilité d’émettre un son ni même l’occasion de réaliser ce qui se passait lorsqu’un tourbillon de cheveux bruns se rua vers lui, lui arrachant la fillette qu’il tenait par la main.
- C’est moi… Mon bébé… Yu… Yuyu…
Celle-ci, tout d’abord interdite et quelque peu effrayée, ne pipa mot avant de comprendre qu’il s’agissait bien de sa mère en chair et en os.
Sa mère… La personne qui lui était la plus chère au monde et qui lui manquait tant depuis un mois.
- Okaasan… Ga… Hoshi…*
- Koneko-chan ni aitakatta*, répondit la pilote en inondant de larmes le t-shirt de la petite.
Harlock fit signe à Tadashi, qui se tenait en retrait, de le rejoindre pour permettre à la mère et à la fille de savourer leurs retrouvailles en toute intimité. D’autant plus qu’il avait remarqué l’homme essoufflé et plié en deux qui avait visiblement traversé l’intégralité du Quartier Général en courant afin d’arriver avant le décollage de l’Arcadia.
- Hé… Grand-père…, ânonna celui-ci.
Le hors-la-loi enjamba le pont et rejoignit son gendre sur la terre ferme.
- Speed. Comment ça va ? Tu n’as jamais été aussi pressé de me voir.
Tadashi s’approcha également. Il était suffisamment près pour apercevoir les cernes bleutées s’étirant sous les yeux de Bruce, qui dardait un regard noir sur l’ennemi public numéro un de l’univers.
- T’as une sale mine.
- Ça s'appelle “avoir des responsabilités", Daiba.
Le Capitaine haussa un sourcil préoccupé. Le Commandant du peloton Sirius n’était clairement pas au meilleur de sa forme et il semblait ployer sous le poids de la charge qui lui incombait.
- As-tu pu te dépêtrer des ennuis causés par mon poussin ?
- Ouais. On va dire ça. Votre poussin ne m’a pas octroyé beaucoup de répit ces derniers temps.
- Ils n’ont pas apprécié son coup d’éclat, n’est-ce pas ?, continua Harlock, très fier de sa progéniture.
- Sa carrière, tout comme la mienne, ne tient plus qu’à un fil, avoua le sniper à contrecœur.
Le père de Reiko croisa les bras, contrarié par cette information.
- Mais elle l’ignore, c’est ça ?, demanda l’artilleur de l’Arcadia.
- Mon unité, mon problème. Inutile qu’elle en sache davantage, elle est assez déprimée comme ça… Sayuri, Noo… Et ce qu’il s’est produit sur Wilane. C’était trop. Il lui faut du repos. De gré ou de force.
- Ils vont vous renvoyer ?
- Ils vont probablement essayer, Tadashi. Il n’y a guère que la menace d’une intervention de Warrius Zero qui les retient de faire quoi que ce soit. Ça et le soutien de Tôdo.
- Hum. Et toi, tu tiens le coup ?
- Autant que faire se peut, vieux bandit.
- Je sais que tu n’en as pas besoin mais je suis là.
Bruce eut un sourire moqueur.
- Comme vous dites, je suis un grand garçon et je n’ai besoin ni de votre aide ni de votre compassion mais…
Il prit une profonde inspiration avant de poursuivre.
- Merci pour Sayuri.
- Tu viens la voir ?
- Non.
La réponse, ferme et définitive, ne tolérait aucune contradiction.
- Je ne veux pas la perturber plus que nécessaire. Nous maintenons le plan comme prévu.
- D’accord, à ta guise.
Tadashi se gratta le menton, conscient que son beau-frère se démenait contre vents et marées pour assurer avenir et sécurité à sa famille.
- Fais attention à toi, j’ai pas envie de récupérer Nee-san à la petite cuillère si tu nous fais un burn-out.
- Aucun risque. Je suis pas du genre à céder sous la pression.
- Il a raison, abonda Harlock. Ménage toi.
- C’est bon, vous me fatiguez. Du nouveau concernant ce que vous savez ?
Les pirates partagèrent une oeillade lourde de sous-entendus.
- Ouais, à ce sujet…, commença le frère de Reiko.
***
Toujours assise sur le sol métallique de l’Arcadia, la jeune femme caressait la chevelure lisse et ébène de son enfant. Elle babillait des paroles inintelligibles mêlant japonais, langue commune et ronronnements de satisfaction auxquels Sayuri répondit par des gazouillis ravis.
- Lapin, l’interpella Harlock en s’agenouillant auprès d’elle. Il fait froid et si on allait à l’intérieur ?
- Otto-san ? Tu es là ?
Le Capitaine eut un petit rire.
- Oui, mais tout le monde passe inaperçu à côté de Sayuri.
- Elle a changé…, s’extasia ou se désola Reiko.
- Elle était à l’abri, c’est tout ce qui importe, rectifia le rebelle.
- Elle a… Appris tant de mots… Elle s’est épanouie… Loin de sa… Ma… Maman.
Des sanglots secouèrent encore les épaules de la pilote. Harlock frotta le dos de celle-ci, n’ignorant pas le poids de son sacrifice.
- Il ne s’est pas écoulé une journée sans qu’elle ne te réclame.
- Je l’ai… Abandonnée…
Le père adoptif de Reiko se mordit la lèvre inférieure.
- Ce n’est pas ce que je voulais…
- T’en fais pas, j’ai compris, se ressaisit-elle. Merci de veiller sur mon bébé. Tu as mon éternelle gratitude.
- Tu n’as pas à me remercier. Vous êtes les prunelles de mes yeux. Toutes les deux. Même ton sniper de mari, je m’y habitue enfin.
- Il n’est pas si terrible, hein ?
- Non, il ne l’est pas… Je l’ai mal jugé, j’en conviens.
- Il m’aime vraiment très fort malgré toutes mes… Erreurs.
- Évidemment qu’il t’aime, sinon je ne lui aurais jamais permis de t’épouser.
- Il… Va…
- Un mois, ce ne sera pas long…
- Pardon, c’est la toute nouvelle moi… Je pleure tout le temps.
- Moi je trouve ça plutôt rassurant que tu extériorises tes sentiments, lapin. Que tu en sois désormais capable.
Reiko accepta la main tendue par Harlock et se mit debout en happant Sayuri au vol, déterminée à la garder auprès d’elle.
- Bruce n’a pas pu venir, il a été convoqué par Tôdo. Je te prie de l’excuser. Il ne cherchait pas à t’éviter, je te le jure.
- Ce n’est pas son style d’éviter la confrontation, je ne lui en tiendrai pas rigueur.
- Sur Wilane, j’ai eu peur… J’ai eu peur qu’il ne meurt et ça je ne le… Je ne le supporterais pas.
- Tu veux mon avis, puce ?
La militaire acquiesça.
- La Mort n’a pas d’autre choix que de se tenir à distance de Bruce parce qu’il en a décidé ainsi. Ce type a une volonté de fer au moins égale à celle d’un membre de cet équipage. Il ne lâchera rien… Et surtout pas sa famille.
- Je ne veux pas être séparée de lui, papa…
- Je sais…
- Ottosan ! Ottosan !, s’exclama la fillette joyeusement, ce qui acheva une bonne fois pour toute Reiko dont l’équilibre psychologique était déjà sur le point de se briser.
“Difficile à croire qu’un autre homme m’ait remplacé dans le cœur de Koko…”
- Dashi-kun ?, l’interpella Harlock.
- Je suis là.
L’artilleur de l’Arcadia glissa un bras autour de la hanche de sa sœur et la dirigea gentiment vers l’un des salons du vaisseau, Sayuri accrochée à sa poitrine comme un koala.
Harlock attendit qu’ils ne disparaissent dans les coursives et s’avança vers l’ouverture béante donnant sur l’immense aire d’atterrissage de Destiny.
Aussi immobile qu’une statue, Bruce fixait le navire pirate.
Le Capitaine porta deux doigts à ses tempes sans que le Commandant du peloton Sirius ne bouge d’un pouce.
Puis, alors que le volet de sécurité se refermait, l'œil du hors-la-loi fut attiré par un éclat argenté et linéaire qui s’était dessiné sur la joue de son gendre.
- Il commence à pleuvoir, dit-il en se détournant.
***
- On lui en parle ?
- Non, intima Harlock. Pas tout de suite. Octroyons-lui le repos dont elle a besoin. Bruce a été très clair. On lui épargne tout stress pendant au moins quinze jours. Nous ferons cap sur la Terre quand elle sera remise de ses émotions.
- Le temps nous est compté, Tto’-san. Ce démon ne nous accordera aucun répit.
- Je n’ai pas l’habitude que l’on me dicte ma conduite.
- Mmmh… Moi non plus… Mais cette situation exceptionnelle implique des mesures exceptionnelles.
Harlock détailla sa fille qui jouait à la dinette avec Sayuri.
- Le bouclier anti-ondes mentales a bien été activé ?
- Ce matin, oui. Yattaran a travaillé toute la nuit pour qu’il soit prêt avant que Koko ne monte à bord.
- Parfait, ainsi nous n’aurons pas de visite inopinée.
- Tôchiro a renforcé la barrière électro-magnétique autour de l’Arcadia pour s’en assurer. Il ne laissera personne venir troubler son séjour parmi nous.
- Mon ami adore Reiko tout autant que moi, cela ne m’étonne donc pas de lui.
- Jiji ! Dashi !
La jeune femme se tourna vers son père et son frère en leur faisant signe de les rejoindre.
- Un peu de thé invisible ?
Les rebelles échangèrent un sourire de connivence.
- Avec un nuage de lait, merci, répondit Tadashi.
***
- Tu n’as pas perdu la main.
- J’ai manié ces machines durant quinze ans, ça ne s’oublie pas facilement. Par contre, je suis toujours aussi nulle pour les réparer. Tôchiro a bien essayé de m’enseigner ce qu’il savait…
- Dashi était un meilleur élève que toi.
- Exactement, Kei.
Sayuri sur ses genoux mâchouillant une sucette sans sucre confectionnée par madame Masu, Reiko terminait la mise à jour de l’une des consoles de la passerelle. Elle avait vite retrouvé ses marques et se sentait “comme à la maison”. Son bonheur était presque absolu si ce n’est que l’aura sombre et réconfortante de son mari n’arpentait pas l’Arcadia à ses côtés.
“Que fais-tu en ce moment, anata ?”
- T’as fini ?, l’interrogea Tadashi.
- Hum, c’était pas compliqué.
- T’étais pas obligée de faire ça.
- Je ne suis pas du genre à regarder les autres galérer.
L’artilleur leva les yeux au ciel.
- T’as une minute ?
- Oui, évidemment, accepta-t-elle, surprise par cette requête.
- Je réquisitionne Yuyu, comme ça vous serez tranquille pour papoter, lança Kei en récupérant Sayuri des bras de sa maman.
Tadashi guida sa sœur dans les entrailles de la forteresse d’Harlock et, à mesure que leurs pas les entraînaient en avant, la pilote crut deviner leur destination.
- Tu es déjà allée lui dire bonjour ?
- Oui, le lendemain de mon arrivée mais la réserve d’alcool de papa était vide…
- Ouais, ces derniers jours il reste de longues heures enfermé là dedans, à discuter avec Tôchiro.
- Plus que d’ordinaire ? Pourquoi… ?
Le jeune homme garda le silence.
- Qu’est-ce que… ?
Ils débouchèrent dans la salle de l’ordinateur central dans laquelle Harlock et Yattaran patientaient déjà.
Reiko les observa tour à tour, étonnée par cette réunion impromptue.
- Aniki… Otto-san, qu’y-a-t-il ?
- Nous avons mis cap sur la Terre, lui expliqua Harlock.
- La… Terre ?
La voix de de la militaire mourut dans sa gorge.
Elle n’était pas revenue sur sa planète natale depuis que le pirate l’avait sortie du caniveau dans lequel elle agonisait.
Elle avait alors huit ans.
Aujourd’hui, elle entrevoyait son trente-deuxième anniversaire après cinq années de labeur au sein de la Space Defence Force.
Et elle n’avait toujours pas envie de poser ne serait-ce qu’un seul orteil sur le sol terrien.
- Qu’est-ce qu’il y a dans ces ruines qui vaille la peine de faire tout ce chemin ?
- Des ruines justement, déclara Tadashi.
- Hein ?
Harlock extraya quelques verres de sa cachette secrète… Enfin, pas si secrète que ça puisque la pilote avait découvert son emplacement il y a plusieurs années et vendu la mèche à son frère.
Le Capitaine s’occupa du service pendant que Yattaran prenait le relais.
- Dashi et moi-même avons mené des recherches relatives à Noo et la Nébuleuse du Sablier et les résultats… Se sont avérés riches d’enseignements.
- C’est-à-dire ?
Le Lieutenant en second enclencha une manette et une projection holographique jaillit au milieu de la pièce.
- Si la nature de l’entité qui se fait appeler Noo demeure incertaine, nous avons concentré nos études sur ces vestiges que vous nous avez décrits. Ceux que vous voyez dans vos cauchemars. Grâce à d’anciennes archives dématérialisées des civilisations qui peuplaient autrefois l’univers ainsi qu’à la participation active de notre artilleur ici présent, nous avons pu déterminer des localisations similaires à travers les galaxies connues.
- Des localisations similaires ?, les questionna Reiko.
- Des ruines semblables à celles de la porte de la Nébuleuse du Sablier, précisa Harlock.
- Oh… Et donc…
Des centaines de points lumineux clignotèrent de part et d’autre de la carte en 3D.
- Tant que ça…, balbutia la jeune femme.
- Oui, il existe en tout et pour tout dix-neuf mille quatre cent vingt-et-un sites répertoriés à ce jour et, après une analyse minutieuse, nous en avons déduit…
- Que l’épicentre était la Terre ?
- Tout juste, Koko, abonda Tadashi. La face cachée de la lune recèle d’ailleurs un temple à la datation inconnue qu’il serait intéressant d’explorer.
- Qu’est-ce qu’elle a de si spécial cette planète ?, cracha Reiko. Pourquoi tout revient systématiquement à elle ? Elle n’est source que de souffrance et de malheur.
- Poussin…
- Je déteste cet endroit. Est-ce pour ça que vous voulez y aller ? Pour découvrir ce qu’est ce démon ?
- Oui… Et aussi parce que je me suis souvenu que mon père a longtemps travaillé sur ces vieilles pierres. Qu’elles soient d’origine terrestre ou extraterrestre. Son laboratoire de la banlieue de Megalopolis, et plus particulièrement sa bibliothèque virtuelle, sont peut-être encore intacts. Nous espérons dénicher des indices nous permettant d’en apprendre davantage sur ce mystérieux ennemi.
- Lapin, je présumais que tu souhaitais en être, ai-je eu tort ?
Reiko secoua négativement la tête.
- Non… Je veux savoir pourquoi ce truc en a après moi… Et Tadashi. Je veux savoir qui est sa véritable cible.
- Tu penses encore que nous ne sommes qu’un moyen pour que Noo atteigne papa ?
- Possible.
La pilote siffla son verre de vin d’une traite.
- Et si cette monstruosité est de mèche avec les humanoïdes, il faut qu’on en ait le cœur net. Avec les événements survenus sur Wilane, nous avons la certitude qu’ils sont de retour dans le circuit. Ils se servent d’humains comme matière énergétique… Ces sales…
Harlock eut un ricanement dédaigneux.
- Nous leur avons d’ailleurs rendu une petite visite de courtoisie et leurs installations vont rester à l’arrêt quelque temps.
- Qu’est-ce que Maetel en dit ? Et Tetsuro ?
Après la chute de Râ Andromeda Promethium, Reiko n’avait revu ni l’un ni l’autre de ses compagnons d’infortune et près de trois ans s’étaient écoulés depuis la révélation de la mission qui avait été assignée à Maetel par la souveraine de l’Empire Mécanique.
Durant de nombreuses décennies, cette dernière avait fourni des adolescents à sa mère, que celle-ci s’était empressée de transmuter en vis et en écrous afin de rendre sa place forte inexpugnable.
Toutefois, la voyageuse du Galaxy Express 999 jouait un double voire triple jeu. Ces martyrs n’avaient pas seulement pour but d’ériger une forteresse imprenable destinée à Promethium.
Ils étaient avant tout l’instrument de sa destruction.
Par une réaction électro-magnétique en chaîne provoquée par des explosifs, les âmes de ces jeunes garçons devaient entrer en résonance, entraînant par ce biais celles des milliers d’individus massacrés sur l’autel de la mécanisation et retenus captifs en ces murs, sonnant ainsi le glas du règne de la reine millénaire.
Néanmoins, ce que Reiko ne pouvait pardonner, c’était le fait que Tetsuro fut un jour promis à devenir le prochain candidat au sacrifice sur la liste de Maetel. Qu’elle se soit ravisée n’avait, à ses yeux, aucune forme d’importance… D’autant plus que sa rancune ne se limitait pas au sort de son ami.
La voyageuse du 999 s’était bien gardée d’informer ses alliés de son rôle dans cette histoire, de la nature du métal des bombes à diffusion ondulatoire et de l'identité des terroristes s’en prenant au Galaxy Railways.
- Elle enquêtera de son côté concernant ce “numéro deux”, qui a repris le flambeau de Promethium. Leopard n’a quant à lui signalé aucun mouvement suspect sur Râ-Metal, qui a achevé sa reconstruction depuis peu.
- Est-ce qu’elle t’a expliqué pourquoi elle avait agi de cette manière ?
- Non puce et tu sais très bien qu’elle ne le fera pas. Elle a ses propres raisons.
- C’est trop facile, s’insurgea Reiko. Et Leopard… Il était au courant lui aussi…
- Il était pieds et poings liés.
- Tu es trop complaisant, Otto-san. Ce sont des traîtres, rien d’autre.
- Koko…
Yattaran toussota pour s’éclaircir la voix.
- Humanoïdes… Noo… Le puzzle se précise mais il nous manque des éléments pour le compléter. Une excursion sur Terre ne sera pas inutile.
- Si c’est nécessaire… Faisons ainsi, soupira la jeune femme qui éprouva subitement le besoin de s’isoler.
- Nous y serons après-demain. Prenez tous du repos d’ici là, conclut Harlock.
- À tes ordres.
Le Lieutenant en second, Tadashi sur ses talons, vida les lieux, laissant le père et la fille en tête à tête.
- Je ne peux pas oublier, papa.
“Qu’il s’agisse de mon passé ou des manigances de Maetel.”
- Personne ne te le demande.
- Très bien, parce que je n’en ai pas l’intention. Les actes et leurs conséquences, pas vrai ? Cette femme devra porter ce fardeau toute sa vie et je n’ai aucune envie de l’alléger ou de comprendre pourquoi elle n’a pas choisi d’affronter son tyran de génitrice autrement qu’en exploitant des enfants comme de la chair à canon.
Le pirate ne répliqua pas, conscient que Reiko n’était pas prête à écouter ses arguments.
- La Terre, hein ? Après vingt-quatre ans, j’imagine que je peux y aller sans m’effondrer.
- Je serai là pour t’aider, lapin.
Elle riva son regard vers le centre de l’hologramme.
- Est-ce qu’elle est toujours aussi bleue ? Ou alors…
Reiko eut un sourire dur.
- Le sang versé a-t-il remplacé l’azur des océans ?
****
* Idiot, tu te moques de moi ?
* Chaton
* Veux maman.
* Tu m’as manqué, chaton.