A Galaxy Railways Story : Reiko
Chapitre 71 : Pas de victoire sans bataille
5658 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 08/11/2024 13:02
Chap 71 : Pas de victoire sans bataille
- Quelle énergie ! Je suis certain que les humanoïdes apprécieront des batteries de cette qualité !
“L’enfoiré, il ne daigne même plus cacher ses malversations.”
Reiko serra les dents et glissa une oeillade discrète vers Manabu, qui inclina le menton de façon presque imperceptible.
“Pourvu que nos pensées se rejoignent, sinon on est morts.”
- Et qui vous achète cette marchandise ? Promethium ?
- La souveraine de Râ-Metal n’est plus mais vous ne l’ignorez pas, n’est-ce pas ? Disons simplement que je fournis le numéro deux de l’Empire.
- Le numéro… Deux ?
“De qui parle-t-il ? La reine avait un bras droit ?”
Allison ricana tandis que l’artilleur approchait lentement une main de sa robe.
- Juliette, n’espérez pas m’arracher les vers du nez pour gagner du temps.
- Reiko.
Le Seigneur de l’ouest haussa un sourcil étonné.
- Je ne m'appelle pas Juliette.
Les doigts de Manabu s’insinuèrent dans la poche de son tablier et la pilote prit une profonde inspiration.
- C’est Reiko… Reiko Speed ! Espèce de… De… PNJ… Mal codé !
- Je vous demande pardon ?
- En vrai, faut que tu arrêtes les jeux vidéos et les mangas, tes insultes de geek sont trop pourries !, lança son équipier en dégoupillant une grenade.
- Vas-y !
Tel un joueur de baseball expérimenté, le jeune homme plia sa jambe gauche, tendit un bras en arrière et envoya le projectile de toutes ses forces sur Walemborought et ses sbires.
Alors que Merryl s’apprêtait à se jeter à terre, la militaire lui happa le poignet et l’entraîna vers les escaliers.
- Que… On va…
Une fumée irritante et épaisse s’échappa de l’opercule de l’explosif, se répandant rapidement dans les geôles, envahissant les narines, le pharynx, puis les poumons, des personnes présentes à cet étage.
Retenant tant bien que mal son souffle, Reiko saisit le col de la princesse et le rabattit sur le nez de cette dernière tout en l’obligeant à se courber et ce, quelques secondes à peine avant que des faisceaux lasers ne fusent au-dessus de leurs crânes.
- C’était… Quoi ?
- Grenade aveuglante. Manabu ?
- Je suis là, toussota celui-ci en se dégageant du nuage opaque.
- Merci d’avoir pensé comme moi.
- À ton service, partenaire.
Le trio s’était déjà engagé dans les escaliers pour fuir les lieux au plus vite.
- Ils nous collent aux fesses, fit remarquer Reiko, en sueur.
- Ouais, il est impératif qu’on se planque. Ils ont sûrement ameuté tout le château. On va avoir toute la garde à nos trousses.
- Dans les sous-sols, les catacombes, proposa Merryl, haletante. C’est un labyrinthe qui court sous la montagne.
- Il y a une issue qui donne vers l’extérieur ?, l’interrogea l’artilleur.
- Plusieurs mais toutes ne sont pas praticables.
- J’avais vu ce réseau souterrain sur la tablette du drone, mais pas les sorties…
- Pour la plupart, ce sont des anfractuosités naturelles comme des grottes dans lesquelles on doit ramper. Par ici !
La sœur de Walemborought les poussa vers un boyau déporté sur la gauche, à l’instant où la porte menant à la grande cour se dessinait en haut du colimaçon.
- Hé !
- Faites-moi confiance, je sais ce que je fais, dit-elle en empoignant une torche accrochée aux murs.
- On n’a pas trente-six mille possibilités non plus, renchérit Manabu. Je ne peux pas décrypter les schémas de la console et sauver ma peau. Elle est notre meilleure chance.
- Notre seule chance, tu veux dire, rectifia Reiko. D’accord… Maintenant qu’on a la certitude qu’Allison est une ordure de premier choix, on fiche le camp d’ici et on revient avec les SPG.
- Bon plan.
- Qui sont les SPG ?
- Des types terrifiants. Eren Jäger, tu situes ? Ben ils sont pires, bien bien pires…
- Ne t’occupe pas d’elle, elle est bouffée par les animés, intervint le fils de Kanna en dérapant à une bifurcation.
- Les animés ?
Des bruits de pas retentirent dans le dos des agents de la Space Defence Force et de Merryl, ce qui eut pour effet de leur infliger un puissant coup de pied au derrière.
“La priorité est de semer ces sangsues”, songea la pilote, tendue comme un arc.
Guidé par la princesse d’Edelweiss, le petit groupe s’enfonça profondément dans les entrailles de la forteresse.
- Ils ne vont jamais nous lâcher, eux ?
- Ils sont coriaces, Nabu, mais nous…
- On l’est davantage, non ?
- Exact !
Dans une parfaite symbiose et à la grande stupeur de Merryl, ses gardes du corps pivotèrent en dégainant les armes dissimulées dans les replis de leurs robes de servantes.
Puis, sans se concerter, ils appuyèrent sur la gâchette.
Si le rayon de Manabu transperça un soldat en plein cœur, celui de Reiko ricocha contre les pierres constituant les galeries.
- Imbécile, apprends donc à tir…
L’homme n’eut ni le temps d’achever sa phrase, ni l’occasion de se servir du cosmo-gun entre ses mains, car il fut perforé par le trait rougeoyant qui avait choisi de terminer son trajet entre ses tempes.
- Ko… Ko, bégaya son collègue, interloqué par ce retournement de situation.
- C’est le résultat qui compte, se pressa-t-elle de répondre.
- Quel danger public, grommela-t-il tandis qu’ils reprenaient leur course.
- Plaît-il ?
- Non, rien. J’ai rien dit.
- Mmmh…
Les tunnels s’étendaient sur des kilomètres, se recoupant à l’infini. Reiko, qui n’était pas à son aise sous terre, ne put s’empêcher de se remémorer l’effondrement de la mine de Tabito ou la caverne de la sirène.
Même si elle n’avait pas le loisir de détailler les alentours, elle aperçut l’eau qui ruisselait sur les parois glaciales et se perdait dans un lichen grisâtre et spongieux ou au creux des poutres en bois pourries soutenant la voûte.
“Ça va s’écrouler au-dessus de nos têtes.”
- Ils sont encore là ?
La jeune femme tendit l’oreille au maxium, tentant de séparer le son de leurs pas de ceux de leurs assaillants.
- Je le crains. Et ça se rapproche.
- Là bas ?
- Ça me paraît pas mal.
Reiko s’empara du poignet de la princesse, la forçant à s’accroupir dans l’angle d’une intersection.
- Ils vont nous rattraper, s’alarma celle-ci.
- Ouais et ils ne vont pas être déçus du voyage, lui promit Manabu avec un sourire dur.
- Hum. Ils vont voir de quel bois se chauffent les champions de l’univers, déclara la pilote en citant mot pour mot les paroles de Ryosaku Murase.
- Vise devant toi.
- La ferme Nabu, le rabroua-t-elle en orientant son bras valide vers la galerie.
- Ils arrivent.
- Restez bien cachée, Altesse. On prend la suite.
Merryl Walemborought acquiesça en se recroquevillant contre un coin du mur pendant que les équipiers du peloton Sirius faisaient pleuvoir des faisceaux lasers sur l’armée du Seigneur de l’ouest.
Si, comme de coutume, Manabu était efficace puisque chacun de ses tirs faisaient mouche, ceux de sa partenaire étaient des plus hasardeux et percèrent tour à tour une toile d’araignée, une poutre et la cape d’un garde.
- Tu comptes me laisser faire tout le boulot ?
- J’utilise mes deux mains d’habitude.
- Et ça change quelque chose ?
Reiko lui renvoya un regard noir qui aurait rendu fier son sniper de mari.
- Tu veux tester ?
- Après. Là, ils sont trop nombreux.
En effet, une escouade de soldats s’était massée à un croisement localisé à une trentaine de mètres de l’équipe princière.
- Pas plus de vingt.
- Et nous on est deux ou plutôt je suis tout seul.
- Je… Je vais faire de mon mieux, répondit la pilote en serrant le poing, consciente de ses lacunes.
- Ne t’inquiète pas… Je… Je sais que tu es blessée.
Malgré l’assurance dont il faisait montre, le duo de l’unité Sirius n’en menait pas large. Les recharges de leurs cosmo-guns n’étaient pas extensibles et la rupture énergétique les guettait à vue d'œil. Même si la militaire s’efforçait de concentrer son attention, les lignes dansaient devant ses rétines, se dupliquant à l’excès.
“La fatigue… Elle met à mal ma vision… C’est ce que je ressens au quotidien mais en pire.”
- Manabu.
- Non.
- Manabu !
- Tu rêves, on ne produira pas la “station des humanoïdes, partie deux”. Cette fois, je ne t’abandonne pas derrière moi.
- Et Merryl ? Si on tombe, elle sera la prochaine.
- On ne tombera pas. Tu l’as dit, ils ne sont que vingt.
- Plus maintenant. Regarde.
L’information concernant leur présence dans les catacombes s’était répandue parmi les soudards de la milice d’Allison Walemborought et ce n’était qu’une question de minutes avant que Reiko et Manabu ne soient débordés.
- Dans ce cas, allez-y toutes les deux.
- Non ! Kanna… Kanna attend ton retour !
- Et Sayuri ? Elle ne t’attend pas, peut-être ?
- Je…
Merryl se glissa entre eux, son visage de porcelaine déformé par l’angoisse.
- Fuyez ensemble, ce n’est pas votre combat. Laissez-moi vos armes. Je les retiens.
- Non !, s’exclamèrent de concert les agents de la SDF.
Faisant fi du vacarme et des cris de guerre provenant de l’autre côté du tunnel, Reiko inspecta le pistolet entre ses doigts.
- Dix coups. Et toi ?
- Cinq.
- On échange, ordonna-t-elle en lui lançant son cosmo-gun. T’es meilleur que moi à ce jeu là.
L’artilleur hocha la tête et riva le canon sur les soldats de l’ouest qui se réorganisaient pour une ultime attaque.
- À ton signal, se résigna Reiko.
Un trait lumineux fendit soudain la foule, pile entre le binôme.
“On est pris en tenaille.”, s’affola la jeune femme en se détournant, complètement dépassée par la situation. “On ne va pas s’en sortir.”
Une silhouette jaillit alors à sa hauteur avec célérité, lui masquant provisoirement la vue et elle hoqueta, en état de choc avancé.
Un uniforme bleu nuit.
Des prunelles translucides.
Une crinière polaire.
- Bruce ?
***
Les yeux de Reiko papillonnèrent et elle observa, abasourdie, le reste de son peloton se poster auprès d’elle et de Manabu.
Killian, Louise et David.
- Mais vous… Comment…
Sans ménagement, le Commandant de l’unité Sirius la repoussa derrière lui et elle s’affala vers Merryl, à l’abri des rayons létaux.
- Allumez-moi ces salopards, intima Bruce en pointant les sbires d’Allison.
- À tes ordres !
Killian se faufila vers son aînée. Ses épaules étaient raidies par le stress et des cernes violacées assombrissaient ses pommettes.
- Comment vous nous avez trouvés ?
- C’est une coïncidence. On s’est servis du drone pour dénicher une autre entrée. C’était pas évident mais on a longé la falaise sur une piste étroite et on a atterri dans ces galeries souterraines. Et puis, on a entendu du grabuge.
- Le… Drone ? Mais alors…
- Ouais, moi aussi j’assumerai les conséquences de mes actes, ajouta-t-il en jetant un regard au sniper qui avait entrepris de descendre méticuleusement leurs ennemis avec un fusil laser.
- Ta carrière…
- Ça en valait la peine. Vous aviez l’air à bout de ressources, non ?
- Reiko !
- Ou… Oui ?
Le Commandant de la section Sirius contorsionna sa nuque et détailla son épouse. Celle-ci lui évoquait une biche aux abois. Du sang entachait l’écharpe qui immobilisait son bras et l’épuisement se lisait sur ses traits. Sa robe brune était écorchée et, au vu des tremblements qui agitaient ses jambes, elle ne paraissait plus en état de se battre. Toutefois, elle était relativement indemne, ce qui soulagea partiellement son anxiété.
“Putain, qu’est-ce que je vais faire d’elle ?”
Il avisa ensuite la jeune fille qui se tenait en retrait et nota immédiatement sa ressemblance avec le tyran qui régnait sur ce pays.
- Qui est-ce ?
- Je suis Merryl, la sœur d’Allison.
- Elle est de notre côté, s’empressa de préciser la pilote.
- Hum. T’es capable de marcher ?
- Bien… Bien sûr !
- D’accord. Manabu, tu restes avec moi. David, tu te charges des autres. Prenez de l’avance, on va enrayer leur progression et vous rejoindre.
- N… Non…, balbutia Reiko.
Les lèvres de Bruce se retroussèrent et, impitoyable, il reprit la parole.
- Vous en avez assez fait. La SDF, ce n’est pas l’Arcadia. Si t’es pas foutue d’obéir à ton supérieur hiérarchique, tu n’as rien à y faire, vu ?, dit-il en tirant sur un garde qui avait eu le culot de le mettre en joue.
- Je…
- Vu ?
- Oui, accepta-t-elle en ravalant ses larmes.
- David, tu as le commandement. Quittez cet enfer par tous les moyens.
- Bien reçu. Allez vous tous, debout.
Tous s’exécutèrent sans piper mot, y compris la princesse. L’aura du Commandant était écrasante et, malgré son désir brûlant de sauver Ivan, elle savait qu’elle n’avait pas d’autre choix que de suivre le peloton Sirius de la Space Defence Force. Elle avait trahi son frère et s’il parvenait à la débusquer, il la tuerait sans hésitation en guise de paiement pour cet affront.
Pour l’instant, elle avait besoin d’une assurance vie.
Une assurance vie arborant un blason avec un chien noir sur fond écarlate.
- Ana… Anata…, bégaya néanmoins Reiko en boitillant vers lui.
Celui-ci ne daigna pas se retourner, l’ignorant délibérément.
- On parlera plus tard. Sois prudente.
- Je… Je t’ai…
- Koko, bouge-toi, tonitrua David en l’entraînant dans son sillage. On n’a pas de temps à perdre.
- Bruce !
Encouragée par ses coéquipiers, elle s’éloigna en emportant avec elle l’image de son mari en train d’intervertir son fusil avec le cosmo-gun pendu à sa ceinture.
“C’est comme ce jour-là.”
Le sniper n’en était pas non plus à son coup d’essai. Lorsque les bombes à diffusion ondulatoire faisaient un carnage parmi les infrastructures du Galaxy Railways, il avait également retenu les humanoïdes pendant qu’Edwin Silver et Reiko partaient à la recherche des explosifs dissimulés dans la station Cassiopée. Il s’en était tiré, certes, mais de justesse.
- Je t’aime aussi, chaton, murmura-t-il en ajustant sa visée.
***
“J’ai l’impression d’être piégée dans une boucle temporelle. Les mêmes situations se répètent encore et encore et, en dépit des années qui se sont écoulées, je suis toujours aussi impuissante. Toujours aussi démunie. Je suis comme un pokemon qui n’évolue pas.”
La SDF, ce n’est pas l’Arcadia. Si t’es pas foutue d’obéir à ton supérieur hiérarchique, tu n’as rien à y faire, vu ?
Ce n’est pas la première fois qu’il me le dit. Déjà tout à l’heure il insinuait que je m’étais trompée de pavillon… Est-ce que j’ai un problème ? Ou plutôt… Est-ce moi le problème ?”
- Killian ! Où va-t-on ?
Le cadet consulta sa console durant une fraction de seconde avant de répondre à David qui avait pris la tête de leur groupe.
- Droite, gauche et…
- Rayons en approche ! Accroupissez-vous !
Comme un seul homme, ils se conformèrent aux consignes de l’Officier Navigateur de Big1. Par sécurité, Louise avait agrippé Merryl par la capuche pour la contraindre à se calquer sur le mouvement général.
- Ils avaient prévu d’attaquer par l’arrière, maugréa Reiko.
- Évidemment, c’est de mon frère dont il est question. Il est du genre à tout anticiper.
- On ne peut pas attendre ici, trancha David en tirant sur les soudards qui s’étaient embusqués sur leur droite. C’est trop risqué.
- Mais la sortie est par là bas…, protesta Louise.
- On n’a qu’à forcer le passage.
- Bien sûr Koko. Avec un gamin et deux filles désarmées dont une blessée ? Moi excepté, l’unique personne en mesure de se battre efficacement ici c’est Louise.
- Hé !, se renfrogna Killian. Qui c’est que tu traites de gamin ?
- Il y a un tunnel en face de nous, intervint Merryl.
- On sera exposés…, s’inquiéta l’Officière radar.
- C’est ça ou rebrousser chemin, expliqua la pilote. Si par miracle on réussit à traverser sans dommage collatéral, ils prendront Nabu et Bruce à revers. Cette solution n’en est donc pas une.
Killian observa la tablette numérique avec attention.
- Si on fait demi-tour…
Un brouhaha assourdissant mêlant martèlements et hurlements monta des entrailles des catacombes.
- Ils attaquent !
“Puisqu’on ne se décidait pas, ils viennent à notre rencontre.”
- Préparons-nous à les recevoir comme il se doit, affirma Reiko en fermant son poing valide.
“Pirate ou membre de la Space Defence Force… Peu importe qui je suis, je n’abandonne pas.”
- Non, retournons sur nos pas. Nous venons de dépasser une galerie. Attirons les loin de Bruce et de Manabu, suggéra le cadet, fébrile.
- Okay, remuez-vous !, les pressa David en les poussant devant lui.
Les faisceaux lasers pleuvaient autour des agents de la SDF et leur riposte n’était pas suffisamment audacieuse pour freiner l’ennemi.
Merryl et Killian, suivis de Louise et de Reiko, puis de David qui clôturait la marche, s’enfuirent en empruntant le boyau exigu découvert par le benjamin de la section.
Si l’équipe menée par l’ingénieur progressait laborieusement, il en était de même pour l’armée de Walemborought, ralentie par l’étroitesse des lieux et par l’humidité qui rendait le sol glissant.
C’est alors que, sans crier garde, la pilote trébucha sur une pierre aiguisée et s’étala de tout son long.
- Humf, aïe !
- Reiko !
Le souffle coupé par le choc de la chute, une onde électrique irradiant l’intégralité de son flanc gauche, la jeune femme entendit son nom de très loin, sans pour autant être capable de répondre. Elle s’était mordue la langue et tentait, sans succès, de juguler la douleur qui troublait sa vision.
Le souterrain étant situé en pente, elle bascula en arrière, heurta les genoux de l’Officier Navigateur de Big1, qui tomba à son tour, et acheva sa course une dizaine de mètres plus bas contre les pieds d’un soldat de l’ouest.
Une fois la surprise passée, celui-ci se pencha en avant, un sourire torve sur les lèvres.
- Hé bien ma jolie… Je sais que j’ai un charme renversant mais quand même !
Il la souleva par le col, vraisemblablement satisfait de sa prise. Son haleine acide infiltra les narines de Reiko qui bloqua sa respiration pour contenir la nausée qu’elle sentait poindre.
La peau burinée par le soleil, des cheveux bruns taillés en brosse, une barbe de trois jours lui mangeant le menton, sans oublier les médailles recouvrant son plastron, l’homme avait tout l’air d’être le chef de cette escouade.
- Oh, c’est qu’elle n’est pas si vilaine la demoiselle.
- Lâchez… Lâchez-moi, ânonna cette dernière, étourdie.
- Tss, je pourrais faire une offre pour une esclave de ton acabit. Capturez les autres !, cracha-t-il. Je m’occupe de celle-là.
- Je vous emmer…
- Laisse la tranquille, baltringue !
Une jambe fusa au-dessus du crâne de la pilote et percuta de plein fouet l’abdomen du garde. Celui-ci perdit l’équilibre et s’écroula sur ses subordonnés avec un râle de colère.
- Relève-toi, sempaï !
- Killian ?
Le cadet harponna sa supérieure par le col pour l’aider à se redresser.
- Tu peux avancer ?
- Ouais. Et les soldats ?
- Rattrapés par la gravité.
Un regard derrière son épaule confirma à Reiko que l’effet domino s’était scrupuleusement appliqué aux troupes qui les poursuivaient. Les cris de souffrances se mélangeaient au fracas des armes et des membres se cognant contre les parois.
- T’es entière, Koko ? l’interrogea David en se mouvant difficilement jusqu’à elle.
- Oui, grâce à Killian. Merci à toi, dit-elle en l’étreignant brièvement.
- Ils vont revenir à l’assaut, faut qu’on se dépêche, les exhorta l’Officier Navigateur.
- C’est… Euh normal, tu l’as déjà fait pour moi, balbutia le jeune homme en s’empourprant.
- Je suis très fière de toi, conclut la militaire en se remettant en route, faisant fi de la douleur qui lacérait son corps.
- Vraiment ?
Elle acquiesça, soulagée de ne pas avoir eu à rejoindre Ivan dans les cachots.
“J’aurais pu devenir la propriété de ce sale type, ce qui est encore moins enviable que de mourir dans une cage.”
- Où va-t-on atterrir ?, se demanda Louise à haute voix.
- Ma tablette est à court de batterie.
- Et je ne connais pas ce passage, compléta Merryl.
- On verra bien quand on y sera, soupira Reiko en s’essuyant le front avec un coin de son tablier.
***
- Le sous-sol ? Vous êtes sûre Dame Merryl ?, insista David.
- Retour au point de départ, se désola la pilote.
- Au moins, on a pu les semer, c’est déjà ça, se réjouit l’Officière radar.
- Pas pour longtemps, je le crains, grogna Killian.
- D’après moi, cette situation est à notre avantage, car c’est probablement le dernier endroit où ils nous chercherons.
- La princesse dit vrai, approuva Reiko. Ce n’est pas fini. Et si on jouait le tout pour le tout et qu’on récupérait Ivan Zarnitsky ? Il est en danger de mort, c’est évident. On ne peut pas se détourner de son sort.
Merryl hocha vigoureusement la tête, enthousiasmée par cette perspective. Après tout, elle était prête à tous les sacrifices pour sauver le Seigneur de l’est.
- Hors de question, refusa l’ingénieur. Il est sûrement sous bonne garde. Ce serait du suicide. Nous sommes en infériorité numérique et sous-armés. Sans compter que les ordres de Bruce étaient limpides : se tirer d’ici.
- Même si on décide de ne pas le délivrer, s’échapper de ce bourbier me paraît relativement compromis, leur fit remarquer Louise.
- Il y a peut-être un moyen.
***
- C’est ça… Ou plutôt “eux” votre… Moyen ?
- Exactement, entérina Merryl Walemborought. C’est vous-même qui avez dit que nous n’étions pas assez nombreux.
- Certes, répondit l’Officier Navigateur en se grattant le cuir chevelu, mais j’ai aussi précisé “sous armés”.
- C’est un début !, les interrompit Reiko, résolue. Et moi, c’est pour eux que je suis venue ici initialement.
- Tous les soldats nous traquent dans les catacombes, chuchota Killian. Ils ne sont que trois à garder cet entrepôt, c’est une occasion inespérée.
- Nous ne pourrons pas tous les protéger.
- Qui a dit que nous devions les protéger, Louise ?, rétorqua Reiko.
- Hein ? C’est logique, non ?
Guidé par la sœur d’Allison, l’équipage de Big1 était rapidement parvenu dans l’aile du sous-sol dans laquelle était stockée la “marchandise” du Seigneur de l’ouest.
Les esclaves.
Avec tout ce qui s’était produit, la pilote avait failli oublier qu’ils étaient là eux-aussi.
Et, surtout, elle avait bien failli manquer à sa promesse de les extraire de cette condition misérable.
“Les sentiments sont le pire fléau pouvant compromettre une opération. Pardon, Bruce, je n’ai jamais pu m’en défaire. Une vie vaut toutes les gares du monde.”
Quoi qu’il en soit, pour l’instant, le peloton Sirius s’était posté à une intersection et guettait le couloir permettant d’accéder à la prison gigantesque, qui faisait plutôt penser à un vaste hangar de stockage à animaux.
- Non, ce n’est pas logique. Ce n’est pas de protection dont il s’agit.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
Reiko se pinça le nez en essayant vainement de lutter contre la mentalité de survivante que lui avait inculquée la rue à grands coups de marteaux dans la cervelle.
- David, on a besoin d’eux pour sortir de cette fichue forteresse. Bruce serait d’accord, j’en suis sûre.
- Écoutez ma sempaï, elle a raison. Et puis… Le Commandant et Manabu ne vont pas pouvoir résister indéfiniment là en bas. Les SPG ne sont pas encore arrivés et il leur faut des renforts au plus vite.
- Je n’aime pas l’idée de laisser des gens derrière nous, renchérit Louise. Qui qu’ils soient.
- Vous me fatiguez tous, vous en avez conscience ?
- Bon, t’as un plan ou on fait ça à ma manière ?, s’impatienta Reiko.
***
- Oh oh, vous devez être assoiffés après une nuit de labeur à monter la garde.
- Qu’est-ce que tu fabriques ici, fillette ?, l’apostropha l’un des soldats, en refermant ses phalanges autour de la crosse de son fusil.
- Je vous amène de quoi vous restaurer, expliqua Louise en désignant un panier en osier recouvert d’un tissu à carreaux gris.
- Vraiment ? Pourquoi ?
L’Officière radar papillona des cils, faussement gênée.
- Une jeune femme en âge de se marier se doit de tout mettre en oeuvre pour se trouver un époux avant que sa beauté ne se fane.
- Oh, nous sommes à ton goût ?, se rengorgea le deuxième garde, visiblement flatté de s’attirer les faveurs de la gente féminine.
- Qui pourrait rester indifférent face à la prestance des hommes en uniforme ?, pouffa-t-elle en lissant sa tenue.
Depuis l’autre côté du corridor, la section Sirius observait leur meilleur atout redoubler d’énergie pour endormir la vigilance des soudards qui surveillaient les geôles.
La tactique de David était simple : Louise, habillée de la robe de servante de Reiko, avait pour objectif de se rapprocher des trois individus armés et, si elle le pouvait, en neutraliser un ou plusieurs, avant que son unité n’intervienne.
- Tu n’es pas au courant qu’il y a du grabuge dans le château ? C’est dangereux pour une fille de se promener toute seule, argua le troisième soldat, méfiant.
- Je ne suis pas seule puisque vous êtes ici, oh oh oh. Vous avez faim ? J’ai tout le nécessaire pour vous rassasier dans ma besace.
Le panier, qui avait sans doute été égaré par des serviteurs fuyant les lieux, avait été déniché par Killian afin de parfaire le déguisement de Louise.
Cette dernière, qui avait tout d’abord décliné la requête de ses amis, avait finalement accepté d’endosser le rôle de la servante ingénue puisque c’était une chance inouïe de libérer les esclaves capturés par Walemborought.
En effet, la stratégie de Reiko (foncer dans le tas et advienne que pourra), avait été, à sa grande déception, rejetée à l’unanimité. De plus, elle s’était également portée volontaire pour remplir le rôle de l’appât mais ses aptitudes à jouer les séductrices avaient largement été mises en cause par ses camarades.
“À part cet ours de Bruce, personne ne pourrait tomber dans le panneau”, s’était gaussé David.
- Tes vêtements sont ensanglantés, il s’est passé quelque chose ?, lui demanda le même homme.
- Je me suis coupée, qu’est-ce que je suis maladroite ! Hihihi.
“Finissons-en avec cette mascarade, nous n’avons pas le loisir de gaspiller de précieuses minutes.”, songea Reiko, irritée d’être reléguée à l’arrière. “Et Killian n’a pas tort, Bruce et Manabu… Ils ne sont que deux pour affronter des dizaines de sbires d’Allison. Ce sont des agents aguerris et compétents mais ils ne peuvent pas faire de miracle non plus.”
Louise se trémoussa en secouant ses cheveux, ponctuant cette prestation par un rire mielleux.
- C’est ça que vous appelez de la séduction ?, ronchonna la pilote, perplexe.
- Comment tu t’y es prise avec Bruce au juste ?, se moqua l’ingénieur.
- Une chose est certaine, je n’avais pas l’air aussi ridicule.
L’Officière radar était maintenant à moins de trois mètres de ses cibles et, si l’une d’elle semblait envoûtée, ce n’était clairement pas le cas des deux autres.
- J’ai du pain frais et du lait. Servez-vous !
- Je ne t’ai jamais vue travailler dans le château, décline donc ton identité.
Louise se figea et pencha la tête, agacée. Sa couverture était mise à mal et, de toute façon, elle était à court de ressource pour amadouer les militaires.
- Ton nom, insista-t-il.
- Allons Jean, ne soit pas si rude avec la demoiselle.
Soudain, le panier en osier vola vers le dénommé Jean, qui n’eut pas le réflexe de l’esquiver. Il heurta brutalement le mur avec un cri étouffé, tandis que Louise dégainait son cosmo-gun.
- Qu’est-ce que ça peut te faire, gros lard ? Est-ce que ce sont des manières de parler à une lady ?
A peine ces mots prononcés, l’unité Sirius se rua dans le couloir pour aider la jeune femme. Celle-ci avait déjà ouvert le feu et désarmé un Jean à moitié assommé après avoir dégusté le petit déjeuner tout spécialement concocté à son intention.
Les autres soudards s’étaient toutefois ressaisis et un rayon laser fusa vers l’Officière radar, qui plongea en avant pour l’éviter.
David et Killian se précipitèrent alors sur le soldat le plus proche et les trois hommes roulèrent pêle-mêle au sol.
Le dernier garde, qui ne savait plus où donner de la tête, ne put se soustraire à l’uppercut de Reiko, qui le cueillit en pleine poitrine. Les phalanges autour de son arme se délièrent ensuite et celle-ci chuta sur le carrelage pierreux. Pendant que son adversaire luttait pour reprendre son souffle, la pilote asséna un coup de genou dans les parties sensibles de son anatomie masculine et il s’effondra, inconscient.
De son côté, Louise tenait Jean en joue et Manabu achevait de ceinturer leur troisième acolyte.
- Pas mal pour des cheminots de l’espace, hein ?, se félicita Reiko en massant son poing endolori.
***
Les portes battantes s’ouvrirent à la volée et les humains présents dans l’entrepôt se serrèrent les uns contre les autres, effrayés par le sombre avenir qui les attendait.
Ils étaient une petite centaine, faméliques, sales et échevelés, à patienter dans la nuit qu’Allison vienne les chercher pour les vendre au plus offrant.
Cependant, à la place du souverain de ce royaume infernal, ils découvrirent une femme au bras en écharpe, couverte d’égratignures, à la chevelure brune en désordre évoquant celle d’un lion des anciennes savanes.
Elle s’avança, accompagnée d'une troupe disparate vêtue d’étranges uniformes bleus bardés d’un blason représentant un chien noir.
- Il n’y a ni victoire sans bataille, ni liberté sans sacrifice, annonça-t-elle comme une sentence.
Reiko posa un genou à terre, une lueur terrible brillant au fond de ses prunelles ambrées.
- Vous êtes les seuls maîtres de votre destin et personne ne le prendra en main pour vous.
La pilote tendit les doigts vers un jeune garçon qui se tenait devant sa mère, prêt à tout pour la défendre.
- On vous a traités comme du bétail. On vous a enchaînés. On vous a privés de votre humanité. Alors… Laisserez-vous ce tyran vous piétiner ?
Elle eut un sourire carnassier.
- Ou allez-vous récupérer ce qui vous appartient ?