A Galaxy Railways Story : Reiko
Chapitre 70 : Le pavillon de la liberté
5095 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 28/10/2024 13:26
Chap 70 : Le pavillon de la Liberté
Le regard de Bruce glissa vers l’horloge numérique, qui pulsait d’une douce lueur verte, sur la paroi située en face du siège central de commandement.
- Il s’est écoulé combien de temps ? Une heure ?, se demanda-t-il à haute voix.
“Bien plus qu’il ne leur en faut pour désobéir à mes ordres…”
Manabu et Reiko… Le sniper les connaissait comme s’il était la mère de l’un et le père de l’autre.
“Ils sont semblables sous de nombreux aspects. De vrais siamois… Si le premier fait preuve d’imprudence, le second compensera par un accès de témérité.”
Le Commandant n’était pas naïf. La probabilité qu’ils aient renoncé à mener une opération de sauvetage désespérée était mince, voire nulle, mais il priait tout de même pour que la voie de la sagesse l’ait emporté.
- On a le droit de rêver… Hein ?, se dit-il en se levant.
Les épaules voûtées, il quitta la “control room”. Bien que David et Louise ne lui aient pas rapporté de tentative de fugue, il n’était pas impossible que les deux catastrophes ambulantes de son unité soient parvenues à s’échapper.
Toutefois, si tel avait été le cas, un signal n’aurait pas manqué de s’afficher sur les consoles.
“Seraient-ils enfin devenus raisonnables ? Ou même mieux… Adultes ?”
- Aucune chance…
Il poussa la porte du wagon-dortoir qui lui était réservé et s’assit sur le lit, mentalement épuisé.
Bien évidemment, il comprenait l’envie d’agir de ses coéquipiers. Comment la leur reprocher ? Cependant, les risques étaient trop grands et cette mission n’était plus de leur ressort mais de celui des Space Panzer Grenader.
“Je suis d’accord que le sort de ces pauvres gens est révoltant… Que pouvons-nous faire alors que nous sommes pris dans l’étau de ces armées ?”
- Sans compter que Zarnitsky nous baratine peut-être depuis le début mais Reiko… Elle est vraiment du genre à foncer tête baissée sans se retourner. Les injustices dont elle a été victime dans son enfance… Ont complètement conditionné son comportement. J’imagine qu’il en va de même pour Manabu. Perdre coup sur coup son père et son frère… Cette impuissance qu’ils ont ressentie, ils essaient à tout prix de la surmonter en aidant d’autres personnes dans le besoin. Les psys auraient beaucoup à dire sur ce syndrome.
Bruce s’allongea sur les draps sans daigner ôter ses bottes. Puis, il pivota sur le côté et laissa son regard se promener sur la table de nuit, l’armoire, le lavabo et enfin sur la commode.
- Tiens… ?
Un papier blanc soigneusement plié avait été glissé dans l’encadrement de la photo que Mamoru Kodaï avait prise sur Mars.
Fébrile, le Commandant se mit debout et happa le morceau de feuille qui se révéla en réalité être un origami finement travaillé.
- Chaton… Qu’est-ce que tu as encore fait ?, marmonna-t-il, à demi-surpris.
Il déplia la missive et se plongea dans sa lecture, sur les nerfs.
“Anata,
Tu n’es pas étonné, n’est-ce pas ?
Je suis désolée, mais ça tu le sais déjà aussi.
Que ce soit moi ou Manabu, nous sommes incapables de nous détourner de la souffrance d’autrui.
Nous n'avons pas embrigadé le reste de notre peloton, rassure-toi. Nous sommes les seuls fautifs et nous accepterons toutes les sanctions, de quelque nature qu’elles soient.
Nous devons voir de nos propres yeux ce qu’il se passe dans ce château et nous agirons en conséquence.
D’un point de vue plus personnel, sache que je me conformerai à ta volonté.
Je t’aime.
Reiko.”
- Quel ton solennel… Chérie.
Finalement, l’impulsivité de son épouse ne lui offrait guère d’autre choix que de s’impliquer dans cette affaire.
“Est-ce un mal ? Ou un soulagement ?”
- Je ne peux pas les surveiller à toute heure du jour et de la nuit.
Il vida les lieux, le visage fermé.
Il n’était pas en colère, simplement las. Incroyablement las.
“Je ne suis visiblement pas en mesure de les canaliser. Peut-être ne suis-je pas le Commandant qui convient pour cette section. Comment Bulge aurait-il géré ça ?”
- Sûrement mieux. En tout cas pas pire. En même temps, c’est pas si compliqué.
Il pénétra dans un wagon de transition, contenant la majeure partie de l’arsenal des agents de la SDF.
- “D’un point de vue personnel ?”. Qu’est-ce qu’elle croit cette idiote ? Elle n’a toujours pas compris…
Il ouvrit la porte d’un casier qui heurta le mur avec un fracas métallique. Puis, il attrapa le fusil qui se trouvait à l’intérieur et le chargea avec l’habitude que seule confère l’expérience.
- … Que moi…
Il jeta l’arme en travers de son dos et sortit sans éteindre la lumière.
- Je brûlerais tout ce foutu univers pour elle ?
Le vantail de la neuvième voiture de Big1 vola en arrière lorsque Bruce lui décocha un coup de talon brutal.
- Louise, David ! Ramenez vos fesses ici ! Et allez me chercher KIllian fissa !
***
- T’es d’attaque ?
- Noue l’écharpe. Serre-la bien.
- Dis, il y a un gros trauma quand même. C’est gonflé autour de ton poignet gauche… On ne devrait pas faire demi-tour ?
- Non. Il me reste un bras et des jambes, ça suffit pour marcher et tenir un pistolet.
- Déjà qu’avec tes deux mains t’es un danger alors si tu ne vises plus qu’avec la droite…
- Hé !
- Je parie que tu t’es fracturée un os par-dessus le marché.
- Si t’as raison, on ne peut rien y faire et, de toute façon, c’est trop tard pour se poser ce genre de questions.
- Reiko…
- Nabu !
- Okay, j’ai pigé. Killian est-il fiable ?
- Je n’ai aucun doute le concernant.
- Bien… Tu t’es remise ?
- Je suis prête.
Reiko et Manabu quittèrent l’obscurité de la venelle dans laquelle ils s’étaient embusqués. Les rues étaient vides mais cette désertification n’avait rien de paisible. Non, au contraire… De chaque pierre, de chaque fenêtre, suintait une angoisse glaçante, exacerbée par les rondes régulières des soldats dans la cité.
- Ce fils de pute terrorise le peuple qu’il est censé protéger.
- Koko, c’est moi ou la vulgarité est devenue une seconde nature chez toi ? Même Bruce n’est pas si violent dans ses paroles.
- On va dire qu’il m’a appris à extérioriser mes sentiments. Et j’ai mal là, en plus. Sans compter que mes règles sont sur le point…
- Tes… ? Bref… Allez, avançons en toute discrétion. Je parle surtout pour toi.
- Han ? Qu’est-ce que tu sous-entends ?
L’artilleur étouffa un rire nerveux et s’élança dans le dédale de ruelles, la pilote sur ses pas. Ils firent de multiples détours afin d’éviter les mercenaires à la solde de Walemborought et parvinrent assez rapidement sur le chemin menant au pied de la forteresse. La piste serpentait en lacet jusqu’au sommet où une grande porte était solidement gardée.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
Reiko eut un petit sourire.
- On passe un appel à un ami.
***
- Tout le monde est là ?, s’époumona Bruce.
- Killian est… C’est bon, le voici, répondit Louise.
Une cloche retentit au loin, confirmant à l’unité Sirius qu’il était cinq heures du matin.
“Comment en est-on arrivés là ?”
La question tournait en boucle dans le cerveau du sniper.
L’enchaînement d’événements avait été tel qu’il ne put s’empêcher de se sentir dépassé par la situation.
Si la matinée de la veille fut relativement calme, dédiée à la surveillance du chantier de la gare, l'offensive de l’après-midi avait fait voler en éclats la sérénité apparente des lieux. Puis, le Commandant s’était sévèrement mordu les doigts lorsqu’il s’était aperçu que son plan pour tenir Reiko éloignée d’Allison avait eu pour conséquence son enlèvement. Avec le support de Walemborought, une équipe de sauvetage avait cependant été promptement montée sur pied et le soulagement qu’il avait éprouvé lors des retrouvailles fut bref mais intense, à la hauteur de l’anxiété qui l’animait à présent alors que sa femme avait choisi de suivre son instinct plutôt que ses ordres.
“Elle est irrécupérable… Une véritable bombe à retardement… Que je croyais avoir réussie à désamorcer mais qui, après toutes ces années, me réserve encore bien des surprises, et pas que des bonnes.”
- On lève le camp ! Notre objectif : infiltrer le château d’Edelweiss. On met la main sur les deux imbéciles et on dégage. Les SPG sont prévenus et des renforts sont en route. Ils prendront le relais et feront le jour sur cette histoire d’esclavagisme.
- Et Big1 ?, l’interrogea l’Officière radar.
- Sous la responsabilité de Yûki. Allez, au boulot. Je vous garantis que Manabu et Reiko ne sont pas près d’oublier la punition que je vais leur infliger.
Penauds, Louise et David détournèrent le regard. Le Commandant ne les avait pas spécialement sermonnés à propos de leur manque de vigilance mais ils n’ignoraient pas que ce n’était que partie remise.
Killian, quant à lui, essayait de se fondre dans le décor, tentant tant bien que mal de demeurer insoupçonnable, ce qui s’avérait délicat avec sa tablette dissimulée dans les replis de sa veste.
- Vous croyez vraiment que Walemborought est coupable de tels crimes ?
- J’en sais rien et c’est pas mon problème.
- Mais…
L’aura assassine de Bruce contraignit le cadet au silence et le groupe se mit en marche d’un seul et même mouvement.
“Chaton, tu m’en fais voir de toutes les couleurs…”
***
- Tu y arrives, oui ou non ?
- Hé ! Si tu me donnais une minute et que tu arrêtais de piétiner, ça irait beaucoup plus vite.
- Raaah !, grogna Reiko, impatiente. Si seulement Killian pouvait communiquer avec nous à distance…
- En plus de perturber l’électricité, les irradiations provenant du noyau de la planète parasitent les liaisons. On a déjà de la chance que l’énergie magnétique utilisée par les drones soit similaire à celle qui alimente les cosmo-guns, sinon on aurait dû progresser à l’aveuglette.
Manabu acheva d’activer le récepteur de la console de poche que leur avait fournie Killian et un voyant se mit à clignoter doucement au centre du cadran.
- C’est nous ?
- Mais non, banane, c’est le robot.
- Oh.
- Tu as de sacrées lacunes concernant la technologie du Galaxy Railways.
- Hé je pilote, moi, chacun son rôle, se rebiffa-t-elle, piquée au vif.
- Rassure-moi, tu sais comment fonctionne ton viseur au moins ? En fait, ça expliquerait pas mal de choses…
- Tu veux mourir ? Non, parce qu’on peut s’arranger morveux.
- Si t’es susceptible, la pirate du dimanche.
- Tais-toi et dis-moi ce que tu vois sur l’écran.
- Contradictoire mais d’accord.
L’artilleur inspecta les symboles s’affichant sur le boîtier numérique en fronçant les sourcils. Puis, après un temps qui parut infini à son équipière, il leva le nez en soupirant.
- Résultat ?, demanda la jeune femme, anxieuse.
- Si je me fie aux données retransmises par le drone, la bonne nouvelle c’est qu’il n’y a qu’une dizaine d’étages de la plus haute tour au sous-sol.
- Une idée de l’endroit où seraient détenus… ?
- Le sous-sol est vaste… Ça pourrait être là, mais sans certitude. Et le robot est peut-être buggé, ou bien Killian en a perdu le contrôle, car il semble instable. Regarde ces courbes tordues, il ne scanne pas correctement les lieux.
- Tu crois qu’il s’est fait prendre par Bruce ?
- Possible ou alors il a dû quitter son poste et a basculé le drone en mode “automatique”, pour le maintenir en stand by.
- Arg… J’espère qu’on ne lui a pas attiré d’ennuis.
- Ouais…
Les deux amis se tinrent cois pendant quelques secondes.
- Il y a d’autres entrées ? Plus discrètes…
Le fils de Kanna replongea dans son analyse méticuleuse de la forteresse.
- J’en ai pas l’impression… S’il y en a, elles sont probablement inaccessi…
- Hé, vous là bas ! Qu’est-ce que vous fichez là ? Personne n’est censé être dehors après le couvre-feu !
Reiko et Manabu sursautèrent et se retournèrent brusquement, les doigts suspendus au-dessus de leur pistolet.
“Putain”, s’affola la militaire, “On était pourtant bien embusqués derrière le muret de ce jardin… Comment a-t-il pu nous repérer ? On a manqué de prudence, bordel. Quand Bruce l’apprendra… Quand Bruce… ? Rien du tout en fait. Il ne peut pas faire pire que de nous virer. Mais échouer si près du but…”
- C’est rageant, maugréa l’artilleur entre ses dents.
“Exactement.”
- Désolée, baragouina Reiko, on s’est égarés.
- Mains en l’air et plus vite que ça, ordonna le soldat, menaçant.
- Pas besoin de s’énerver, lança Manabu en tentant de calmer le jeu.
- Dépêchez les gamins, dernier avertissement.
Le regard de la pilote allait et venait entre son partenaire et le mercenaire. Tiraillée par l’hésitation, elle était incapable d’esquisser le moindre geste.
“Si j’ouvre le feu, on donne l’alerte. Si je ne fais rien, on va atterrir dans leurs geôles. On se rapprocherait de l’objectif mais s’il faut s’échapper, ça complique notre affaire.”
L’artilleur signa agilement quelques mots.
“Sauter. Bâillonner. Rapidité.”
Reiko dodelina du menton en lieu et place d’assentiment.
- N’y pensez pas. Si vous bougez, je vous fume.
“Plus mâlin que prévu le malabar.”
- Tranquille, on ne veut pas de problème, grommela Manabu.
- Ah ouais ? Allez, à plat ventre les gosses.
Alors que la jeune femme s’était enfin décidée à se ruer en avant pour assommer leur adversaire, elle fut prise de vitesse par une frèle silhouette.
À l’instar de Manabu, elle fut donc stoppée dans son élan et réduite à l’état de spectatrice hébétée. L’homme qui leur faisait face eut un bref tremblement, pencha la tête sur le côté et s’effondra, aussi inerte qu’une poupée de chiffons.
- Merde, qu’est-ce que… ?
L’individu encapuchonné s’avança dans l’obscurité et retira le tissu qui masquait son visage, dévoilant une cascade d’or pur en guise de chevelure.
La nouvelle venue riva ses prunelles rubis sur les deux agents de la Space Defence Force et, une fois l’étonnement passé, Reiko remarqua le gourdin qu’elle tenait serré entre ses phalanges.
- Vous êtes qui ?, la questionna-t-elle, méfiante.
- Une alliée, répondit leur sauveuse, laconique.
Celle-ci marqua un silence avant de reprendre la parole.
- Si nous nous attardons ici, notre sort est scellé.
Reiko plissa le nez, suspicieuse, tandis que Manabu s’agenouillait auprès du corps du soudard d’Edelweiss, s’assurant qu’il était bel et bien endormi.
- Qu’est-ce que vous proposez ?
***
Killian s’accroupit derrière un buisson, perplexe. La cité d’Edelweiss et son château, situé sur un promontoire rocheux, les dominaient de toute leur hauteur. L’épaisse muraille entourant la ville était cependant pour l’instant leur inquiétude la plus pressante.
- On fait quoi ? On contourne ?
- Il n’y a l’air d’avoir qu’un seul accès, l’informa David.
- On escalade ?
- C’est bien une idée à la con, ça, rétorqua Bruce. Pourtant Reiko et Manabu ne sont pas là.
- Oh ça va, marmonna Louise en rougissant.
- Il nous faut une solution plus radicale…
- Radicale, comment ?, demanda l’Officière radar.
- Il ne sont que deux, nota l’ingénieur.
- Ouais, ça va jouer.
Le cadet coula une œillade soupçonneuse vers ses aînés.
- Qu’est-ce que vous mijotez ?
Un sourire dur étira les lèvres du Commandant du peloton Sirius.
- Parfois, il faut prendre le problème à bras le corps.
***
Reiko et Manabu partagèrent un regard effaré.
- Vous pouvez… Rép…Répéter ?, balbutia l’artilleur.
- Je suis Merryl.
- Votre nom de… Famille ?, insista la pilote.
- Merryl Walemborought et, comme je vous l’ai déjà dit trois fois, mon frère est Allison.
- Et… On est d’accord que vous savez qui nous sommes ?
- La Space Defence Force du Galaxy Railways. Oui. Vous venez pour vérifier si ce que vous a dit le Seigneur de l’est est vrai, n’est-ce pas ?
- Et donc ? Est-ce que ça l’est ?
- Reiko, c’est ça ? Oui, il ne vous a pas menti.
- Et… Pourquoi vous… Enfin…
La sœur de l'héritier du royaume de l’est haussa les épaules.
- Ce serait trop long à expliquer, mais sachez que nous sommes nombreux ici à réprouver les agissements de mon imbécile de frère.
“Est-ce qu’on peut lui faire confiance ?”
Merryl parut comprendre l’hésitation de la militaire et eut une mimique amusée.
- Vous avez un meilleur stratagème, peut-être ? Dans ce cas…
Reiko leva les yeux au ciel.
- On doit entrer là-dedans. Vous pouvez nous aider ?
- Je vous guiderai jusqu’aux prisonniers mais à une condition.
- Laquelle ?
- Ivan Zarnitsky. Il faut qu’il prenne la fuite au plus vite sinon Allison l’exécutera avant les premières couleurs de l’aube.
- Entendu, accepta la pilote en tendant la main. Bienvenue dans l’équipe. On fera tout notre possible pour le secourir.
“De toute manière, c’est ce qui était prévu, mais nous avons tout intérêt à conserver cette information secrète pour garantir son soutien.”
Merryl Walemborought sembla soulagée et saisit vigoureusement les doigts de son interlocutrice.
- Je compte sur vous.
***
- Radical… En effet.
Bruce se massa le poignet, content de lui-même.
- Expéditif, lança-t-il en guise de réponse à la remarque de Louise.
David étira ses bras, satisfait lui aussi du résultat de cette intervention musclée.
- On a gardé la forme.
- Parle pour toi, moi je suis toujours en forme.
- Bien sûr, Commandant. Évidemment, Commandant.
- Mets-la en veilleuse.
Le sniper examina les alentours avec diligence et attention.
- La voie est libre mais les rondes sont sûrement monnaie courante. Restons vigilants.
- Comment ont-ils déjoué la surveillance de l’armée, d’après vous ?
- Ils auraient bien été capables d’escalader cette foutue enceinte, Louise.
- Cette hauteur… ?
Bruce se pinça les narines, blasé.
- Ils n’en seraient pas à leur coup d’essai. Allez, on ne mollit pas.
***
Reiko mordit la muqueuse de ses joues mais, malgré la situation précaire dans laquelle ils se trouvaient, elle ne put s’empêcher d’éclater de rire.
- Arrêêêête ça tout de suite, s’irrita Manabu en tirant sur ses habits.
- J’y arrive… J’y arrive pas… Pardon…, s’étouffa-t-elle, littéralement pliée en deux par un fou rire irrépressible.
- Je vais t’étrangler…
- Hum… Hum…
Elle se tourna vers Merryl, alors que des larmes coulaient le long de ses pommettes.
- Vous avez un appareil photo ? Style polaroïde ? Il faut absolument que je montre ça à sa mère, pouffa-t-elle.
- Hé !
- Un pola…?
- Laissez tomber, ronchonna le jeune homme, agacé.
- Personne ne me croira sinon !
- Koko, pousse pas le bouchon…
Vêtu d’une robe de servante brune semblable à celle portée par Reiko, Manabu admirait, dépité, son reflet dans un miroir sur pied de mauvaise qualité, qui déformait sa silhouette.
- Je peux te faire une tresse ? Pour parfaire ton costume. Avec ta grande tignasse ce sera un jeu d’enfants.
- Je vais te noyer dans les douves.
- Cette maison est un refuge que mon frère ne connaît pas mais nous devrions partir immédiatement, les avertit Merryl. Les servantes qui prennent leur service ce matin ne vont pas tarder à se rendre aux portes du château. Enfilez ces capes par-dessus vos vêtements. Ainsi, nous nous fondrons dans la masse.
La militaire acquiesça en bâillant. La nuit avait été interminable et elle n’avait pas dormi. Elle se sentait beaucoup moins alerte et elle craignait de relâcher sa vigilance…
Relâchement qui s’avérerait potentiellement fatal.
Elle fit craquer sa nuque tout en observant la maisonnette dans laquelle Merryl les avait conduits. Sobrement aménagée, peu éclairée, avec une épaisse couche de poussière qui recouvrait les meubles, elle n’était vraisemblablement pas habitée au quotidien. Leur hôte avait néanmoins allumé une lampe à huile, similaire à celles utilisées dans le royaume d'Ysphani, qui diffusait une lueur orangée tamisée, conférant un aspect douillet au salon.
- On n’a plus besoin de ça, déclara le fils de Kanna en rangeant la console portable dans la poche de son tablier. De toute façon le drone est immobilisé.
- On a un guide, c’est tout ce qui importe, répliqua Reiko en faisant jouer le cosmo-gun dans sa main droite.
- Vous êtes blessée ?
- C’est trois fois rien et je suis en mesure de retirer mon écharpe.
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais elle jugea qu’il n’était pas nécessaire que ses partenaires se préoccupent de sa condition physique.
“Et rebrousser chemin n’est plus une option.”
- Prions pour qu’ils n’inspectent pas nos visages de trop près, soupira Reiko.
- On sera fixés bien assez tôt, intervint Manabu.
Merryl darda un œil à travers une étroite fenêtre en ogive au verre presque opaque.
- Il est l’heure.
***
- Baisse le menton, intima Reiko. Allez…
- C’est bon, ça va, je fais ce que je peux.
- Fais ressortir la femme qui est en toi.
- Ferme la ou je te noie vraiment dans ces fichues douves.
- Chut !, ordonna Merryl. On va se faire repérer.
Les deux équipiers se conformèrent aux injonctions de la sœur d’Allison et tentèrent tant bien que mal de se mêler aux servantes en robes brunes.
Lorsqu’ils frôlèrent les hommes affectés à la surveillance, ils retinrent leur souffle mais, contre toute attente, personne ne les questionna ou ne les interpella.
“Leur copain planqué dans les ronces n’a pas encore été découvert, c’est déjà ça. Enfin, on l’a quand même bien bâillonné et encordé et, sans aide extérieure, il ne risque pas de bouger de sitôt.”
Le château de la capitale d’Edelweiss était majestueux, doté de quatre tours d’une blancheur immaculée. Une fois à l’intérieur de celui-ci, ils franchirent trois murs d’enceintes successifs avant de parvenir dans une immense cour. Malgré la splendeur des lieux, l’atmosphère était pesante, imprégnée d’une crainte et d’une angoisse quasiment palpables. L’endroit était presque désert, traversé par de rares serviteurs qui rasaient les murailles.
“Ça pue la peur.”
- On est entrés dans la gueule du loup !, se félicita Reiko. Où va-t-on, maintenant ?
- Le deuxième sous-sol, répondit Merryl sur le même ton. C’est là bas que sont détenus les prisonniers et… Ivan.
La pilote se porta à la hauteur de la princesse, intriguée.
- Ivan… Hein ? Vous êtes proches ? Amis ? Ou quelque chose comme ça ?
- C’est… C’est simplement… Qu’on partage les mêmes idéaux.
- Oh… Je comprends… Les mêmes idéaux, c’est tout ?
- Je… Je suis… Ah ! Voici notre sortie, les escaliers sur la droite.
Les compères du jour se dirigèrent d’un pas qui se voulait confiant et assuré vers une extension du château. Puis, sans être inquiétés par les hommes d’Allison, ils pénétrèrent dans les entrailles de la forteresse.
Ils descendirent ensuite dans les étages inférieurs en empruntant un escalier en colimaçon, éclairé par des torches accrochées aux parois.
À l’instant où ils débouchèrent au sous-sol et que Reiko se rengorgeait de leur infiltration réussie, ils tombèrent nez à nez avec un soudard qui s’apprêtait à regagner le patio.
- Qu’est-ce que vous fabriquez ici ?
- Nous venons débarrasser les eaux usées, répondit Merryl avec aplomb.
“Ils vont la démasquer, c’est certain.”
Toutefois, que ce soit grâce au foulard qui retenait sa chevelure ou au sens de l’observation biaisé du garde, la ruse fonctionna.
- Vous êtes en avance.
- Je dois transmettre mes connaissances à ces deux jeunes demoiselles, expliqua-t-elle avec un sourire timide.
- Bien, allez-y, mais ne traînez pas, cracha-t-il en scrutant Manabu avec insistance.
- Entendu…
Sans demander leur reste, ils s’éloignèrent en direction des oubliettes, s’enfonçant davantage au cœur du château.
- C’est un vrai labyrinthe !, s’étonna l’artilleur.
- Vous savez où vous allez ?
- J’ai grandi ici, les informa Merryl.
- Okay, dépêchons-nous, les pressa Reiko. Notre chance ne va peut-être pas durer.
- Ouais, j’espère quand même que si, grommela Manabu.
- On est encore loin des cachots, Altesse ?
- Ils sont juste en bas, après cette volée de marches.
- Au fait, t’as un plan pour les extraire en plein jour ?
- J’ai pas autant réfléchi, Nabu.
- Si tu veux mon avis, on aurait dû peaufiner notre stratégie. Ce genre de détail… C’est pas négligeable.
- Nous ne sommes ni Narsus ni Armin… On improvisera.
- Tu lis trop de mangas, Koko.
Merryl s’engagea dans ce nouvel escalier, fébrile.
“Pourquoi est-elle si résolue à le retrouver ? Qui est-il pour elle ?”
La princesse poussa vivement le panneau et, avant que Reiko n’ait le temps de l’apostropher, elle se précipita dans le corridor, contorsionnant sa nuque à droite et à gauche à la recherche du captif de haut rang.
- Hé ! Pas si vite !, se récria Manabu.
- Attendez-nous !
Elle se figea devant une grille.
- I.. Ivan !
- Merryl ?
Reiko et Manabu s’approchèrent et, en effet, il s’agissait bien du Seigneur Zarnitsky, enchaîné, pieds et poings liés. Celui-ci boitilla difficilement jusqu’à eux, visiblement éprouvé par ce court séjour dans les geôles. Ses cheveux noirs étaient hirsutes, ses vêtements déchirés et un coquard noircissait son œil droit.
“Ils l’ont passé à tabac… Pratique de lâche, ça.”, songea la militaire.
- Comment... ?
- La SDF va vous sortir de là, lui promit Merryl.
- Enfin, elle va essayer, rectifia la pilote. Nous ne sommes que deux et comme qui dirait…
- Des hors-la-loi ?, compléta son collègue.
- Oui voilà, quelque chose dans ce goût là. Bon, comment ouvre-t-on ce truc ?
L’artilleur dégaina le cosmo-gun qui était caché dans les replis de sa robe.
- Aux grands maux, les grands remèdes. Je ne te propose pas de tirer, tu risquerais de tous nous tuer, Koko.
- Je commencerais par toi sans nul doute, maugréa-t-elle.
- Je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir cru, dit le Seigneur de l’est.
- On est venus vérifier, en fait.
- Ce qui est déjà fantastique…
Alors que Manabu tendait le bras pour réduire la serrure en bouillie de métal en fusion, une voix mielleuse retentit depuis l’autre bout du couloir.
- Me voilà déçu, mais peu surpris de votre venue… Ma très chère sœur !
Reiko se retourna avec un mouvement saccadé, découvrant la dizaine de soldats qui avait pointé leurs armes sur eux.
- Oh, toujours un coup d’avance ? Bruce ne s’était pas trompé…
- Trahi par ma propre famille ! Et par ma bien-aimée Juliette ! Quelle infamie, n’est-ce pas ?, argua Allison avec un air dramatique en éventant son visage de porcelaine.
- La véritable Juliette n’est pas celle que l’on imagine…, murmura Manabu.
Nullement décontenancé, le Seigneur de l’ouest rejeta sa chevelure en arrière.
“Une issue de secours ou nous sommes foutus.”, s’alarmèrent conjointement les agents de la Space Defence Force.
- La SDF ne devrait pas se mêler de ce qui ne la regarde pas.
- Vous n’avez aucune idée du travail de la SDF, Walemborought, le rembarra Reiko.
- Oh, je vois…
Allison fit un pas en avant avec un sourire malicieux.
- Quelle énergie ! Je suis certain que les humanoïdes apprécieront des batteries de cette qualité !