A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 68 : La fleur et le faucon

6060 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/09/2024 21:20

Chap 68 : La fleur et le faucon

/Attention passage - 16 ans/


- Aïe ! Tu es encore moins délicate que le Docteur Zero.

- Je te rappelle que tu as dit : “Je gère sans anesthésiant.”, Koko.

- Pour qu’on en finisse au plus vite, grogna cette dernière.

- J’ai presque terminé, sois patiente. Lorsqu’on sera de retour sur Destiny, tu bénéficieras d’une séance de médico-laser. Ça t’évitera une cicatrice.

- Je me fiche bien des cicatrices, Yûki. Elles sont un remède efficace contre l’oubli.

- Qu’as tu peur d’oublier ?

- Que j’ai la force de me battre même dans les situations les plus désespérées, répondit Reiko en se frottant les yeux.

- Je vois. 


Tandis que le médecin de bord de Big1 tirait sur le fil pour le couper, la porte s’ouvrit à la volée, dévoilant les traits tendus du Commandant de la SDF.


- Manabu m’a prévenu à l’instant. Désolé de ne pas être venu plus tôt.

- C’est superficiel, j’aurai juste du mal à bouger le coude pendant une semaine. 

- Laisse-moi regarder ça, chaton.


Bruce s’assit sur le lit et inspecta la plaie en fronçant les sourcils, contrarié.

“Pourquoi, c’est toujours ma femme qui déguste ?”


- Ce n’est rien de grave, signifia Yûki en saisissant sa mallette de premiers secours. J’y vais, je dois vérifier s’il y a d’autres patients à soigner.

- À tout à l’heure et merci, lança Reiko en agitant son poignet valide.


Le battant se referma derrière l’androïde et la pilote ne perdit pas une seconde pour se lover contre son époux. 


- Chérie, quand vas-tu arrêter de me faire de telles frayeurs ? 

- J’ai la poisse, grommela-t-elle en désignant son bras en écharpe d’un geste du menton. Mais Killian et Alison vont bien, c’est l’essentiel.

- J’aurais préféré que la grande blonde se prenne le rayon laser.

- Bruce…

- Ouais, soupira-t-il en entortillant une boucle brune autour de son index. Je n’y peux rien si je sacrifierais volontiers tout ce foutu univers pour ma famille.

- C’est un minimum, s’amusa Reiko en s’étirant.

- Exactement, dit-il en l’embrassant dans le cou. Tu as vraiment mal ?

- Non, c’est supportable. Tout le monde est indemne ?

- De notre côté, oui, mais quelques blessés légers chez les soldats d’Edelweiss, l’informa-t-il en déclipsant les pressions de sa veste

- Qu’est-ce que… ?


Le sniper arracha son large manteau et retira son pull dans le même mouvement. La jeune femme loucha alors sur le torse diaphane et scarifié de son mari.


- Je… C’est peut-être pas le moment… Même si… Même si…

- Même si, quoi ?, dit-il en soulevant le débardeur de Reiko. T’en as pas envie ?


La militaire resserra ses jambes l’une contre l’autre et, gênée, mordilla la muqueuse de sa joue.


- T’es sûr qu’il y a beaucoup de blessés ?

- Affirmatif. Yûki n’est pas prête de revenir de sitôt. 

- Bon… Dans ce cas… J’imagine que si on s’autorisait un peu de répit, on ne ferait de mal à per… Aaaah !


Le Commandant écarta sèchement les cuisses de son amante, enthousiasmé par la perspective d’une pause qu’il jugeait bien méritée. Fébrile, il lui enleva son pantalon et en profita pour se débarrasser du sien.


- Oh, je constate que tu n’es pas aussi indifférente que tu veux me le faire croire, susurra-t-il en passant la main dans l’entrejambe humide de sa chère et tendre.


Écarlate, celle-ci recula mais, acculée contre le mur de l’infirmerie, fut rapidement à court de volonté pour échapper à Bruce. Lorsque les doigts de celui-ci se promenèrent le long de son corps, s’insinuant dans les parties les plus sensibles de son anatomie, elle ne put se retenir de gémir.


- Est-ce que tu aimes ? Oui ? Alors, je continue…


***


Reiko roula sur le côté, épuisée.


- Putain… 

- C’était un plaisir, koneko. Et au vu de ce que j’ai entendu…

- Arrête…, marmonna-t-elle en cherchant ses habits éparpillés au sol. 

- Tsss, tsss… Et pense à raconter à Waremlorought que je suis doué à ce jeu là.

- Walemborought. Je sais que tu fais exprès de te tromper, bakana.

- Quand on a un nom à coucher dehors aussi…

- Tu peux parler… Monsieur Speed.

- T’as pas tellement hésité avant de le prendre ce nom… Hé !


Bruce se baissa pour esquiver un jet d’oreiller.

“Bordel, j’avais besoin de ça… Et elle aussi. Depuis que le pirate a pris Sayuri en otage, on n’avait pas été capable de relâcher la pression. C’est maintenant chose faite.”

S’il se fiait aux pommettes roses de sa compagne et au sourire béat qui flottait sur ses lèvres, l’endorphine avait rempli son rôle à la perfection. Et, lorsque celle-ci s’emmêla dans les manches de son pull, le sniper ne put contenir un petit rire moqueur.


- Attends, je t’aide.

- Er… Ci !


Une envolée de boucles brunes plus tard, Reiko réussit à enfiler chacune des pièces de son uniforme dans le bon sens.


- Ne ferme pas tout de suite ton manteau, anata, lui intima-t-elle d’un ton mutin.


Le Commandant leva la tête, surpris, la main suspendue au-dessus d’une pression.


- Parce que je désire peut-être recommencer… Enfin, je garde le haut si t’es d’accord. Avec le bandage, c’est trop le bazar.


Un rictus carnassier se dessina sur le visage de Bruce.


- T’aurais pu le dire plus tôt, mais qui suis-je pour te refuser ça ?, dit-il en ôtant ses boutons les uns derrière les autres et en jetant sa veste sur le parquet.

- J’ai pas forcément dit ici, patate. D’ailleurs, ça fait un moment qu’on est…

- Bruce ? Tu as mal quelque part ?, le questionna Yûki en pénétrant dans l’infirmerie à pas feutrés.

- Mal ?, répéta celui-ci en ramassant son vêtement. Non, j’avais plutôt chaud. Rien qui ne doive t’inquiéter.


De retour à la réalité, Reiko sauta hors du lit, abandonnant par là même ses velléités amoureuses au grand désarroi de son conjoint. 


- Alors ? La situation est sous contrôle ? Ah… Au fait, je ne vous ai même pas demandé… Connaissez-vous l’identité des types qui nous ont attaqués ?


***


- Vous voilà ! Oh, Juliette ! J’espère que vous ne souffrez pas trop par ma faute ! Je suis navré pour tout !


Le Commandant de l’unité Sirius, qui avait retrouvé son irascibilité coutumière à la vue d’Alison Walemborought, se dressa entre ce dernier et sa précieuse épouse.


- Oh, mais qui est là… Roméo en personne, prêt à en découdre ? N’est-ce pas si romantique ?, s’extasia le Seigneur de l’ouest en éventant Bruce. Oh, ce regard noir… Ouuuh, je frissonne d’excitation.

- Vous vous foutez de ma…


Reiko poussa sans ménagement son mari avant que celui-ci ne se décide à aplatir son poing sur le nez poudré de leur royal hôte.


- Pourquoi dites-vous que c’est… De votre faute ?

- Parce que ces malandrins tentaient vraisemblablement de m’éliminer. Moi qui croyais que la paix était assurée avec le fief voisin… Quelle erreur monumentale !, s’exclama-t-il sur un ton théâtral, en posant un bras sur son front et en tendant l’autre vers l’est.


La jeune femme darda une oeillade sur les hommes désarmés et assis en tailleur, alignés contre la façade principale de la gare.


- Un faucon immaculé... ?

- Tout à fait, l’emblème d’Ivan Zarnitsky, le Seigneur de l’est du royaume d'Ysphani !


***


Installés à la table d’une voiture de Big1, Reiko, Manabu, Louise et Killian jouissaient d’un repos exceptionnellement accordé par le Commandant Speed, le temps que ce dernier achève de régler, aux côtés de la Direction, les conséquences engendrées par cette échauffourée.


- Vous croyez qu’on risque de se prendre une bombe sur le coin de la tronche ?

- D’après ce que j’ai compris, ils semblent mener une guerre d’usure avec des escarmouches et des embuscades… Ce genre de choses, Yuuki, expliqua Louise.

- Et ça dure depuis des années, renchérit Killian.

- Du coup, je ne suis pas certaine que laisser les prisonniers à la charge du Seigneur Walemborought soit une excellente initiative, argua Reiko.


L’Officière radar avala une gorgée du café concocté par l’artilleur.


- Pourquoi ça ? Il a certifié qu’il les renverrait dans leur pays dès qu’un traité de paix en bonne et due forme serait signé. 

- Tu ne trouves pas bizarre qu’il ne soit pas déjà signé, ce traité ?

- Tu te fais des nœuds au cerveau pour rien, Sempaï.


La pilote gratta son bandage, songeuse.


- Mmmh, tu as sans doute raison. Je réfléchis trop. Malgré son excentricité notoire, Allison essaie d’apaiser les tensions de son mieux.

- Allison ?, releva Manabu.

- Oh, ça va… Comme il est sympa, j’ai tendance à oublier qu’on n’est pas issus de la même classe sociale.

- C’est clair, lui il est plutôt au sommet.

- Et moi, plutôt en bas, je te remercie de cette remarque perspicace, Killian.

- C’est pas ce que…

- Non, c’est pas tout à fait juste. Depuis que tu as épousé Bruce, qui a été promu, tu t’es élevée dans la société.

- Mon père adoptif est un hors-la-loi alors, à ton avis, à quel point je m’en contrefous, Nabu ?

- Ta mère adoptive est une honnête restauratrice, ça équilibre.

- Hum…


Les compères de la section Sirius vidèrent leur verre, en soufflant.


- Dommage que vous ne puissiez pas participer à la fête au château de l’ouest.

- Il faut bien quelqu’un pour surveiller Big1, Louise, répondit Manabu, résigné.

- Comme Walemborought s’intéresse d’un peu trop près à mon cas, si on s’en fie à l’échelle de la tolérance de Speed, je suis aussi de corvée. De toute façon, c’est pas du tout mon truc, ces réceptions.

- Pas de chance pour vous, les jeunes !, clama David en faisant irruption dans le wagon.

- Tiens, manquait plus que toi, ronchonna Reiko.

- Je venais chercher notre princesse et Black. Nous sommes sur le départ ! Au fait, vous deux, Bruce veut vous donner les dernières consignes pour la soirée.

- On arrive, soupira la pilote.

- Quand j’ai mentionné “une princesse”, tu sais que je ne m’adressais pas à toi, n’est-ce-pas ?

- Sans déconner.


Le quatuor nettoya diligemment la table et se dirigea vers la sortie.


- Oh, je n’ai pas prévu de robe de cocktail ! Tu en as peut-être emmené une, Reiko-chan ?

- Arrête de rire, David, grommela la concernée.

- T’aurais de meilleures chances avec Manabu, rétorqua l’ingénieur.

- Vivement que vous partiez en fait, gronda la militaire en claquant le vantail derrière elle. Ça nous fera des vacances.


***


- On n’a pas le droit de mettre le nez dehors ? Sérieux ?, s’exaspéra Reiko.

- Il n’a pas dit un truc du style : “C’est un ordre. Celui qui me désobéit je le suspends pour les six prochains mois.” ?

- Ouais, c’était sensiblement l’idée générale, comme d’habitude.


La pilote étala ses jambes sur une console et étira son unique bras valide.


- Il t’a vraiment interdit de soirée parce qu’il n’apprécie pas que tu discutes avec Messire Walemborought ?

- Mmmh, toi et Mamoru mis à part, il se méfie de toute la gente masculine. C’est tragique…

- Oh, je fais partie des élus !

- J’avais pas vu les choses ainsi, mais oui, si on veut… Ou alors, il ne te considère absolument pas comme une menace, Nabu.

- C’est tout de suite moins valorisant. 

- T’es un frère pour moi, c’est encore mieux, non ?, dit-elle en lui assénant une tape dans le dos.

- Je suis sûr que Mamoru Nii-san aurait adoré avoir une sœur lui aussi. 

- Je suis désolée, je ne voulais pas…, s’excusa-t-elle en rougissant.

- Ne te tracasse pas, ça me fait plaisir de parler de lui. J’en ai pas souvent l'opportunité. 


Reiko fit pivoter son siège, le cœur lourd. 

“Je sais ce que c’est, le sentiment de manque.”

Il ne se passait pas une journée sans qu’elle ne songe à sa mère biologique ou aux enfants des rues qu’elle avait pris sous son aile.

“Ils sont à la fois mes précieux souvenirs et mon fardeau, comme Mamoru est celui de Manabu.”


- Si tu en as besoin, je suis là pour t’écouter. Je tuerais pour t’entendre raconter toutes les bêtises que vous avez faites lorsque vous étiez petits.

- Si tu veux tout savoir, un jour, on a failli se faire écraser par Big1.

- Tu m’en diras tant ! Kanna se faisait sûrement des cheveux blancs quotidiennement…


Durant l’heure qui suivit, Manabu se remémora les chaudes journées estivales sur Tabito durant lesquelles il alternait les livraisons pour le restaurant familial et les parties de baseball enflammées avec son frère. À demi-mots, il lui évoqua également la présence rassurante, mais trop rare, de son père, le héros du Galaxy Railways : Wataru Yuuki.


- Ton enfance était si heureuse. Je t’envie, lâcha la pilote, rêveuse.

- Pardon, je ne devrais pas me plaindre… Surtout au vu des épreuves que tu as traversées…

- Tu as perdu deux des proches qui comptaient le plus au monde à tes yeux. Crois bien que tu as tous les droits de ressentir et d’exprimer cette douleur. Ne laisse personne te persuader du contraire. Et puis… Il est absurde de faire une compétition de la souffrance. Harlock m’a offert un toit et un foyer. Par rapport aux autres, je m’en suis bien tirée.

- Le prénom que tu as donné à ta fille… C’est un hommage, non… ?

- Ouais, une gamine avec qui j’ai vécu autrefois.


“... Et dont la vie s’est achevée lors d’un bombardement. Enterrée sous des tonnes de gravats… Après ça, tout ce qui restait d’elle… C’était un membre déchiqueté et une bague que m’ont volée ces enflures d’humanoïdes.”


- On ne se tire pas vers le haut ce soir…

- T’as pas tort, Koko. Je vais faire couler du café, à moins que tu ne préfères…


Une alarme résonna dans l’habitacle faisant sursauter le binôme.


- Putain, qu’est-ce que c’est que ça, encore ?

- Ici !, l’interpella l’artilleur en désignant un écran. Nos détecteurs de mouvements se sont enclenchés. Quelqu’un s’est approché du train.

- Quelqu’un ? Ce n’est pas tout à fait exact… Regarde.


En effet, l'œil acéré de Reiko ne s’était pas fourvoyé. Plusieurs silhouettes encapuchonnées longeaient les huitième et neuvième voitures de Big1.


- Une tentative de sabotage du pays de l’est ?

- Possible.

- Hé tu fais quoi, Koko ?


La jeune femme avait dégainé son cosmo-gun, vérifiant qu’il était chargé au maximum de ses capacités.


- Tu penses que je vais demeurer les bras croisés pendant qu’ils trafiquent notre train ? Imagine un peu qu’ils posent des explosifs. T’aimerais qu’on dise que les agents de la SDF se sont terrés dans leur locomotive car ils avaient la trouille d’agir sans la permission de leur Commandant ?


Manabu grimaça sans pour autant cesser de fixer les écrans sur lesquels les intrus n’étaient plus visibles.


- Tu me connais. Évidemment que je ne vais pas attendre qu’ils nous tombent dessus. Mais, avant de faire quoi que ce soit, on avertit Bruce, histoire qu’il rapplique avec des renforts.

- Hum, depuis quand tu es devenu raisonnable ?

- Je l’ai toujours été.

- Euuuh…


L’artilleur ignora le sourire narquois de son amie et se dirigea vers la console habituellement attribuée à Louise.


- Yuuki pour Speed. Tu me reçois ?


Des grésillements s’échappèrent des haut-parleurs.


- C’est normal ça ?

- Non c’est pas normal, l’informa Manabu.

- On est d’accord que ces émetteurs qui ne fonctionnent jamais, c’est un running gag ?

- Yuuki pour Speed ? Tu me reçois ?

- Modifie la fréquence. Bascule sur la générale.

- Je suis déjà dessus.

- Bon… Ils ont probablement recours à des brouilleurs pour nous empêcher de communiquer avec notre unité. Je ne les ai plus sur les caméras. On gaspille du temps, là !


Le fils de Kanna ôta son cosmo-gun du holster, résolu.


- T’es blessée, tu devrais rester ici. Je m’occupe d’eux.

- Je suis droitière, ça ira pour shooter, affirma-t-elle. Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement, Nabu.

- Bruce va me massacrer…, maugréa-t-il. 

- Je prononcerai une jolie oraison funèbre à tes funérailles. Très émouvante.

- Trop aimable.


La mine grave, le duo quitta la “control room”. Malgré la confiance de façade qu’elle arborait, Reiko n’était pas sereine à la perspective de faire face à ces individus aux intentions indubitablement louches.

“Je déteste être chassée. Plutôt être le prédateur que la proie.”


- Essaie de ne pas te faire perforer l’autre bras.

- Je ne promets rien, répondit la militaire, les dents serrées.


***


- Tu les vois ?

- Non… 

- En même temps, il fait nuit.

- Excellente déduction, Sherlock Yuuki.

- Arrêtez de tous m’appeler comme ça !, se récria le jeune homme, agacé.

- Oui, oui, bien reçu… Détective Nabu.

- Reiko…, la prévint-il avec une mimique faussement énervée.


Accroupis entre les banquettes, les deux agents de la Space Defence Force guettaient des signes de présence de leurs ennemis.

Sans succès.


- Ils sont partis ?, s’interrogea Manabu, perplexe.

- Ça m'étonnerait. Je pencherais sur une tentative d’embuscade pour nous attirer dehors.

- Donc, si on sort, on se jette dans la gueule du loup.

- Si t’as un meilleur plan, je suis toute ouïe. Sinon, on peut aussi attendre qu’ils explosent tranquillement notre train.


Un silence tendu suivit cet échange, durant lequel le binôme continua de scruter les alentours de la gare depuis son poste de surveillance, c'est-à-dire le huitième wagon de Big1. 


- Ensemble ?

- Inutile de demander, signifia l’artilleur en raffermissant sa prise autour de la crosse de son pistolet.


Armes aux poings, le dos voûté, ils s’avancèrent en catimini vers l’un des panneaux menant à l’extérieur.


- Maintenant ?

- Mmmh, marmonna la pilote, consciente du danger que représentait cette opération improvisée.


Elle désactiva en manuel le verrou de la porte avant de catapulter une botte dans la poignée tandis que son partenaire pointait le canon de son cosmo-gun droit devant lui.

Toutefois, l’unique créature qu’il parvint à effrayer fut un chat errant qui rampa sous un buisson à proximité.


- Personne…

- Soyons vigilants, chuchota Reiko. Ils sont sûrement tout proches et nous observent peut-être en ce moment même.

- Ouais…


Par mesure de précaution, ils verrouillèrent le vantail derrière eux et s’aventurèrent hors de leur zone de confort.

“C’est étrange… On devrait entendre quelque chose. Des bruits de pas, des respirations… Tout est trop calme.”


“- On se sépare ?”

“- Trop risqué.”, signa Manabu avec le langage gestuel de la SDF. 


Ils poursuivirent donc leurs recherches en demeurant sur leurs gardes, lorgnant sous les essieux, entre les wagons, et occasionnellement sur le chantier de la gare.

Cependant, les seuls êtres vivants qu’ils croisèrent furent des sortes de petites chauve-souris volant autour des bâtiments en construction et des mammifères nocturnes se faufilant dans la végétation éparse.

“Bordel, où est-ce qu’ils se planquent ces espèces de…”


- Koko ! Au-dessus de…


La jeune femme leva le nez et eut tout juste le temps de se décaler afin d’éviter la silhouette sombre qui bondissait dans sa direction depuis le sommet d’une voiture de Big1.

“Le toit… Le toit… On est débiles… On est des putains de débiles.”

Elle chuta dans la terre poussiéreuse et se releva presque aussitôt en ahanant. Son flanc gauche avait violemment heurté le gazon dur et sec, ce qui provoqua de terribles élancements dans son buste.

Fébrile, elle agita son cosmo-gun devant elle mais l’ombre s’était déjà fondue dans l’obscurité.


- Mana…!


Un crissement dans les graviers la fit pivoter sur les hanches et, sans qu’elle ne se l’explique, l’individu surgit à nouveau derrière elle. Elle prit une seconde pour ajuster sa visée et ouvrit le feu sur cet adversaire encapuchonné. Le rayon lumineux traversa la cape, traçant un cercle brûlant dans le tissu. 


- Je l’ai manqué ?


Du coin de l'œil, elle remarqua que son équipier avait engagé le combat avec deux hommes qui s’étaient dissimulés parmi les engins de chantier de la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques.

“Je dois l’aider… Je dois…”

Elle n’eut pas la possibilité de se questionner davantage car son assaillant revint d’emblée à la charge. 

“Fais chier…”

Comme elle n’avait guère amélioré ses capacités au tir, elle choisit d’utiliser ses atouts en propulsant un talon au milieu de son abdomen. Néanmoins, contre toute attente, il esquiva aisément cette offensive.

“Ils n’ont pas d’arme… Pourquoi sommes-nous les seuls à tirer ? C’est bizarre… C’est pas norm…”

Si la pilote pensait dominer le duel en passant au corps à corps, quelle ne fut pas sa surprise quand elle se rendit compte que le guerrier qu’elle affrontait était d’un tout autre acabit ! Rapidement débordée, la souplesse en berne à cause de son bras abîmé, elle comprit qu’elle devait effectuer un repli d’urgence avant que la situation ne lui échappe. Et, bien qu’elle devinât un visage pâle et émacié sous les plis de la capuche, elle ne fut pas en mesure de capter le regard de son adversaire. De plus, ce dernier ne lui accordait que peu de répit, enchaînant atémi et coups de pieds circulaires visant à faucher ses chevilles.

Manabu avait quant à lui épuisé les réserves de munitions énergétiques de son pistolet et se préparait à se défendre avec ses poings.

Reiko, craignant qu’il ne lui arrive malheur puisqu’il était en infériorité numérique, tenta le tout pour le tout afin de mettre un terme à cette échauffourée. Elle se rua donc vers son assaillant, déterminée à lui asséner un uppercut dans le menton.

Si elle crut pouvoir y parvenir, il n’en fut rien. 

Avec une célérité surhumaine, celui-ci s’était effacé sur le côté. Déstabilisée, elle bascula en avant, entraînée par son élan.

“Mon dos est à découvert… Non… C’est pas bon… C’est pas…”

Elle n’eut pas l’opportunité de se ressaisir car le tranchant de la main de son ennemi s’abattit immédiatement sur sa nuque. Des étoiles dansèrent alors devant ses cornées et ses pupilles se voilèrent.

“C’est fini… Et je ne l’ai même pas effleuré…”


- Bruce… Pardon…, ânonna-t-elle en s’effondrant.


Toutefois, elle ne toucha pas le sol puisque le combattant aux vêtements sombres la happa pour empêcher qu’elle ne s’aplatisse face contre terre.


- Vous êtes qui… ?, bégaya-t-elle en luttant pour ne pas céder à l’inconscience.

- Je suis désolé pour ça, répondit une voix grave.


Quelques instants avant de s’évanouir, Reiko entraperçut des iris émeraude aussi perçants que ceux d’un serpent.


- Ne vous inquiétez point, demoiselle, je ne vous ferai aucun mal.


Le guerrier ôta sa capuche, dévoilant le faciès blafard d’un homme d’une trentaine d’années, aux traits cernés et à la mine fatiguée. Une chevelure de jais ondulée léchait ses épaules, se confondant avec la noirceur de ses habits. 

Il ôta sa cape et en recouvrit sa prisonnière avec douceur.


- Et l’autre ?

- C’est fait. Il était plutôt fin tireur mais à deux contre un, son sort était scellé, le renseigna le soudard en hissant Manabu sur son dos. 

- Bien, on rentre avant d’attirer l’attention, ordonna le meneur. Je ne veux pas qu’elle attrape froid par ma faute.


*** 


- Hé Koko, t’es réveillée ?


La pilote grogna en s’enroulant dans l’édredon moelleux. Elle se sentait bien, détendue. Une légère douleur pulsait à l’arrière de son cou, exact reflet de celle qui irradiait à travers son bras en écharpe. Ses oedèmes avaient été recouverts d’une mixture fraîche, qui fleurait agréablement la menthe poivrée, et se résorbaient à vue d'œil. En bref, elle n’était pas pressée d’émerger, appréciant le contact et la propreté des draps en coton.


- Encore cinq minutes, anata.

- C’est moi, Manabu.

- Na… Bu ? Qu’est ce que tu fais dans ma chambre ?

- C’est bien le problème, on n’est pas dans ta chambre. 

- Hein ?


Elle se redressa sur son coude valide, léthargique.


- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Vois par toi-même, lui intima-t-il en désignant la pièce d’un geste circulaire.


Celle-ci, meublée avec goût, possédait une belle hauteur sous plafond et un sol constitué d’épaisses dalles en pierre. Une armoire en bois massif côtoyait une coiffeuse, un bureau et deux lits, dont celui dans lequel Reiko était installée, tandis qu’une baignoire d’angle faisait même office de salle de bain. Une large fenêtre d’allure gothique, composée en partie de vitraux, permettait à la lumière de la lune d’illuminer les lieux.


- Où on est ?

- Tu ne te souviens de rien ? Pourtant, c’est moi qui ai pris un vilain coup sur le casque, bougonna l’artilleur en pointant son crâne.


La jeune femme remua les narines, perturbée.


- On… On était de garde sur Big1 et… Oh.


Les souvenirs affluèrent à son cerveau, le submergeant d’informations toutes plus préoccupantes les unes que les autres.


- Tu n’es pas grièvement blessé, Nabu ?

- Non, on m’a juste assommé. J’ai repris connaissance récemment.


Elle souffla par le nez, partiellement soulagée.


- J’ai perdu mon duel, hein ? Ce type est vraiment très fort en baston. Comment a-t-il pu m’infliger une dérouillée de cette envergure?, l'interrogea-t-elle, désabusée.

- C’est vraiment ça qui te vient à l’esprit en premier ?

- Non, en effet. Bruce va sûrement me clouer à quai pour les cinq prochaines décennies.

- Voilà enfin une remarque pertinente… Dans l’optique où on sort d’ici en vie, bien sûr.


Reiko caressa son bandage, qui avait été habilement appliqué par-dessus un onguent anti-inflammatoire à visée probablement antalgique. 


- S’ils avaient voulu nous tuer, ils ne se seraient pas donné la peine de me soigner avec autant d’égards.

- Ils ont aussi pansé mont front, mais ils peuvent toujours changer d’avis.

- Hum… Je n’ai presque plus mal et je suis même capable de bouger mon poignet. 

- Ravi pour toi, maugréa Manabu.

- Oh, j’essaie de positiver.


Plusieurs coups retentirent contre la porte et les deux amis échangèrent une oeillade soucieuse. Reiko rejeta les draps en dehors du lit pendant que son collègue bondissait sur ses pieds, prêt à se battre.

Trois hommes pénétrèrent alors dans la pièce et la pilote hoqueta lorsqu’elle reconnut le regard émeraude qui les fixait avec intensité. 


- Vous !, s’étouffa-t-elle.

- Excusez-moi d’avoir eu recours à des méthodes aussi sauvages mais il s’agissait d’un cas d'extrême urgence.


Manabu, qui s’apprêtait à sauter sur le trio, fut stoppé net par la poigne agrippée à sa veste.


- Vu l’écart de niveau, non le fossé, nous séparant, vous auriez pu m’amocher davantage et vous ne l’avez pas fait. Pourquoi ? 

- Loin de moi l’idée de vous blesser. Après la mise en scène de Walemborought, vous n’auriez jamais accepté de me rencontrer, je n’avais pas le choix.

- Mise en scène ?


Reiko pencha la tête sur le côté, commençant à saisir à qui elle avait affaire.


- Vous êtes Ivan Zarnitsky du royaume d'Ysphani, pas vrai ? Et nous sommes ici dans votre demeure.


Le concerné acquiesça.


- Vous êtes perspicace.

- Zarnitsky ? Le responsable de l’attaque de cet après-midi ?, s’offusqua l’artilleur.


Le Seigneur de l’est soupira, aussi ennuyé que dépité.


- Acceptez-vous que nous conversions autour d’un thé ?


La militaire se leva. Son instinct était son meilleur allié depuis de nombreuses années et il ne détectait aucune menace provenant de ce groupe. Étrangement, Zarnitsky lui inspirait confiance malgré cet enlèvement intempestif et brutal. 

“S’il nous voulait du mal, nous serions enchaînés dans un cachot, pas logés dans une chambre d’hôtel luxueuse.”


- J’ai faim. Et toi ?

- Mais Koko…

- On n’a rien de mieux à faire que de les écouter. Tu ne me laisseras pas y aller seule, si ?


***


“Il ne ressemble pas du tout à Allison, on peut même dire qu’il est son parfait opposé.”

Reiko loucha sur la tasse de chocolat chaud qui lui avait été servie accompagnée d’un dessert aux fraises.


- Ce n’est pas empoisonné, lui assura Ivan Zarnitsky.

- Je n’en doute pas, sinon je ne vois pas pourquoi vous vous seriez embêté à me soigner. 

- Votre nuque ne vous fait pas trop souffrir ?, s’enquit-il, visiblement tracassé.

- Non, je ne sens plus rien.

- Moi, j’ai une migraine à s’éclater le crâne contre les murs mais merci de demander, ronchonna Manabu. 

- Je vous fais porter une médication sur le champ.

- Non, ne vous dérangez pas, ça ira…


Le salon dans lequel était attablé le trio avait été décoré avec raffinement. D’immenses tentures bleues marines ornées de faucons blancs habillaient les parois et des lampes à huile avaient savamment été disséminées pour éclairer les lieux. Reiko apprécia tout particulièrement les fauteuils rembourrés qui avaient été mis à leur disposition.


- Revenons à nos moutons, lança Manabu. Comment…

- … Ça se fait que vous êtes si doué pour la bagarre ? Personne ne m’avait gratifié d’une telle correction depuis un bon bout de temps.

- Reiko ! 

- Ben quoi ?


Un léger sourire étira les lèvres du Seigneur de l’Est.


- Vous me flattez mais, à votre décharge, vous êtes partiellement infirme. 

- Non, même en pleine possession de mes moyens, je ne vous aurais pas touché. Vous êtes beaucoup trop rapide. Vous pratiquez quel type d’art martial ?

- Reiko !

- D’accord, d’accord. On en parlera après.

- Reiko…

- Ou pas du tout, s’exaspéra-t-elle en levant les bras au ciel. Voilà, t’es content chef Yuuki ?


L’artilleur se renfrogna, peu enclin à se disputer avec sa partenaire. 


- Je vous dois des explications, il me semble.

- C’est le moins que l’on puisse dire, rétorqua Manabu.


Ivan Zarnitsky fronça les sourcils en arborant un air sinistre. 


- J’imagine que, de prime abord, Allison vous paraît être un personnage aussi plaisant qu’avenant ?

- Ou agaçant, ça dépend du point de vue, répondit le fils de Kanna.


Affamée, la pilote croqua dans son gâteau.


- Vous n’étiez pas l’instigateur de l’escarmouche de tout à l’heure, n’est-ce pas ?, intervint-elle de but en blanc, la bouche pleine.

- Comment avez-vous deviné ?, s’étonna-t-il.

- C’est plutôt évident étant donné la manière dont vous nous avez traités et, si je me fie à vos propos et aux tuniques portées par vos soldats, qui sont à la fois similaires et différentes de celles des mercenaires qui nous ont tendu une embuscade… J’en déduis que nous avons été victimes d’un coup monté, non ? La vraie question c’est… Pourquoi ? 

- Voyez-vous, l’attitude de Walemborought n’est qu’une image qu’il renvoie pour amadouer son auditoire. La vérité est bien plus glaçante. 


La jeune femme grimaça.


- Glaçante à quel point ? 


Ténébreux, le Seigneur de l’est repoussa sa chaise et traversa la pièce pour s’adosser à l’encadrement de la fenêtre.


- Je ne vous demande pas de me croire sur parole. Il vous faudra vérifier mes dires j’en ai bien conscience. Toutefois, je vous prie d’y prêter une oreille attentive.


Les agents de la Space Defence Force acquiescèrent vigoureusement.


- Comme vous l’avez compris, Allison a manigancé cette attaque pour m’incriminer afin de couvrir ses exactions ignominieuses.

- Du genre condamnées par le Galaxy Railways ?, l’interrogea Manabu.

- Du genre condamnées par l’univers tout entier.


L’artilleur grinça des dents.


- Venons-en au fait, qu’est-ce que vous insinuez ?

- Un trafic d’une ampleur insoupçonnée se tient derrière les hautes murailles de son château. Poursuivre ses malversations en toute impunité et en profitant de la création de cette ligne, dont il souhaite s’approprier le bénéfice en m’écartant… Voilà l’objectif d’Allison. Tout ça dans le but d'accroître l’importance de son trafic.

- À quoi faites-vous allusion ? À de la drogue ?


Le poing d’Ivan Zarnitsky percuta le mur et la colère déforma ses traits.


- Si ce n’était que ça, je fermerais les yeux. Non, ce dont il est question c’est…

- Une traite d’êtres humains ?, balbutia Reiko, choquée.

- Oui, une véritable abomination. Connaissez-vous l’existence de la planète Grande Andromède ?


“Toujours cette maudite galaxie.”, songea la militaire alors qu’une sueur froide ruisselait le long de son dos.


- Racontez-nous, ordonna simplement Manabu.

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