A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 67 : Frontière

6238 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/09/2024 18:57

Chap 67 :  Frontière


- Reiko… Ouvre les yeux, Reiko.


La pilote força sur ses paupières et une image floue se forma devant ses rétines. Celle-ci gagna en netteté et elle reconnut la crinière brune de son père.


- Tto-san ? Où sommes-nous ?, s’affola-t-elle.

- Sur la passerelle de l’Arcadia, lapin, l’informa-t-il en caressant ses cheveux et en la serrant davantage contre lui.

- Oh…


Puis, une vague de souvenirs assaillit la jeune femme et elle eut un tremblement bref mais intense. 


- Il a arraché… Arraché mon coeur.

- C’est bon, on va gérer ça, la rassura le Capitaine. Comme on l’a toujours fait.

- Sayuri… Bruce ? Où sont-ils ?, demanda-t-elle d’une voix étranglée. Est-ce qu’ils sont en sécurité ?

- Yuyu est avec Kei, j’ai vérifié. Tout va bien de ce côté là… Quant au sniper…

- Reiko !


Le Commandant de l’unité Sirius s’était engouffré sur le pont, Tadashi à sa suite. Il balaya les lieux du regard avant de s’arrêter sur son épouse.


- Chaton…


Il s’agenouilla auprès de sa belle, littéralement dévoré par l’anxiété et l’inquiétude.


- Pardon… J’aurais dû tout t’expliquer… Ne sois pas fâché, je t’en prie…

- De quoi… Tu parles ? Je… Je ne suis pas fâché, ma chérie… Je suis désolé que tu aies cru que tu ne pouvais pas te confier à…


Ses mots moururent dans sa gorge et il ne bougea pas lorsque Reiko se pelotonna dans ses bras


- J’ai été égoïste, continua-t-elle. Je craignais la suspension ou pire l’interdiction d’embarquer sur un Space Eagle. Si je t’avais tout raconté… Excuse-moi… Excuse-moi…  J’avais peur que tu ne me crois pas…

- Il n’y a rien à pardonner… Ne pleure pas, mon amour… Je t’en supplie, ne pleure pas, murmura-t-il en enfouissant son nez dans le cou de Reiko.

- Je suis tout aussi responsable, Otto-san, intervint Tadashi, le menton baissé. Je ne t’ai pas tout… Je ne t’ai pas tout dit non plus.


Harlock, qui ne supportait pas que ses enfants soient si malheureux, décida de prendre les choses en main.


- Une boisson chaude s’impose, lança-t-il. On peut même concocter un milk-shake au sirop de fraise pour ceux d’entre-nous qui ont des goûts suspects.


*** 


- C’est arrivé combien de fois ces absences ?

- Une seule fois, anata, je te le promets. 


Bruce acquiesça lentement, ébranlé par les révélations de sa femme.


- Et les cauchemars ? Vous en avez faits tous les deux ? C’est bien ça ?

- Exactement, mais mes rêves se concentraient exclusivement sur la nébuleuse, explicita Tadashi. Contrairement à Nee-san… Je n’ai pas été en contact avec Noo.

- Une nébuleuse ?, répéta le Capitaine. Et vous en avez déduit que c’était la source du pouvoir de cette entité surnaturelle ?

- C’est notre théorie, répondit à nouveau l’artilleur de l’Arcadia.

- Hum… Un amas d’étoiles et de gaz en forme de huit rougeoyant avec un œil bleu percé en son centre…

- Et une porte gigantesque de type grecque ou romaine, ajouta Tadashi.


Harlock se frotta la joue, songeur.


- Je pense savoir ce dont il s’agit mais une recherche avec la base de données de l’ordinateur nous le confirmera… D’après moi, au vu de cette description, tout porte à croire que cette nébuleuse est celle du sablier. Elle se situe aux confins du cosmos. Je n’y suis jamais allé car la route qui y mène est des plus périlleuses.


Un silence perplexe succéda à cette annonce.


- Et donc ? On exécute une frappe massive sur cette étoile ?, les interrogea le Commandant de la SDF, dont l’humeur était destructrice.

- Pas une mauvaise proposition, ça, maugréa Tadashi.

- J’ai l’impression, marmonna Reiko en râclant le fond de sa tasse avec une cuillère, j’ai l’impression que cet endroit m’attire comme un aimant.

- C’est aussi mon sentiment, renchérit son frère.

- Dans ce cas, pas question que vous y foutiez les pieds, grogna Bruce.

- Il n’a pas tort, approuva le pirate. Tant qu’on en sait pas plus sur la vraie nature de Noo, restez à distance de cette galaxie.


Le sniper, qui peinait à mettre de l’ordre dans ses idées, se gratta le cuir chevelu.


- Bon, qu’avons-nous sur Noo au juste ? Le “Néant Originel”, rien que ça, hein !

- C’est une créature qui paraît divine et dont les objectifs sont liés à la… Peur, au Chaos et à l’asservissement de l’Humanité. Elle peut manipuler les êtres humains, s’insinuer dans leur tête et les rendre fous… Enfin, si on se fie à ce qu’il s’est produit à bord de mon Eagle et sur le 414. Et autant vous dire que j’ai peu de doutes concernant l’implication de Noo dans ces affaires, argua Reiko.

- Sans oublier nos mésaventures d’aujourd’hui… Elle semble nous en vouloir personnellement, non ? Tu es sûrement celui qui est visé, Otto-san, puisque nous sommes les seuls à avoir basculé dans cette dimension parallèle sur les quarante membres d’équipage que compte le vaisseau.

- C’est une possibilité, Dashi-kun. Dominer l’univers par la terreur… Tout un programme.

- Et ces histoires de serment de sang ? De sacrifice ? Et de sceau qui devrait être brisé ? Reprenez-moi si je me trompe mais on n’a pas vu la tronche de cette pseudo divinité qui doit soi-disant nous faire perdre l’esprit, releva Bruce, perturbé.

- J’ignore ce que tout cela signifie, mais c’est ennuyeux, en effet, déclara Harlock.

- Et les humanoïdes ?, grommela Reiko. Si quelque chose va de travers dans l’espace, ils y sont mêlés d’une manière ou d’une autre. 


Le quatuor avala simultanément une gorgée des boissons que leur avait servies madame Masu.


- Récite-nous encore cette litanie, fils ?

- "À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se brise pas, l’Existence ne retourne pas au Néant."


Reiko se lova contre son mari, qui ne se fit pas prier pour attirer sa jolie épouse sur ses genoux, faisant fi du regard noir que lui renvoya son beau-père.


- Ouais, ça n’a pas de sens et, dans le fond, on s’en fout. Si ce truc nous menace, il faut l’exterminer.

- Je suis d’accord avec ça, abonda Tadashi.

- Doucement, les garçons, les tempéra le hors-la-loi. Les renseignements en notre possession sont trop limités pour charger aveuglément.

- Cette chose a tenté de se débarrasser de moi sur Ephémère. Il n’y a pas de temps à perdre. Et c’est sans compter, ce qu’il s’est passé sur… Mars.


En entendant ces mots, la militaire froissa son t-shirt entre ses doigts.


- À propos de ça…


*** 


- Chaton, tu es sérieuse ?

- Lawrence me l’a suggéré avant notre départ et il a raison… Si nos missions s’éternisent et que nous quittons Destiny trop longtemps, je crains que Noo n’essaie de s’attaquer à mon bébé… Excuse-moi… Je ne voulais pas te mettre devant le fait accompli, mais nous sommes à court d’options.


Reiko se laissa tomber dans un fauteuil et dissimula son visage entre ses mains.

Cette décision était indubitablement la plus difficile qu’elle ait dû prendre de toute sa vie.

Bien qu’elle lui déchirât le cœur, elle était nécessaire. Non… Indispensable.

“S’il lui arrivait quoi que ce soit par ma faute, je ne me le pardonnerais pas.”


- Lawrence ? Comment… ? Pourquoi ?, demanda Bruce, confus.

- Après l’épreuve de l’immeuble, il a deviné que je ne m’étais pas donnée à fond dans le but d’en finir rapidement avec cette compétition ridicule - désolée pour ça aussi. Lorsque je lui ai expliqué que je soupçonnais la présence d’un danger à l’échelle de l’univers… Il m’a suggéré de mettre Yuyu à l’abri d’un éventuel, maintenant probable, cataclysme. Il désire d’ailleurs un rapport complet pour élaborer une riposte visant à protéger le Galaxy Railways… Il ne va pas être déçu du voyage.

- Tout le monde était au courant avant moi, si je comprends bien ?, ronchonna le Commandant.

- Pas tout le monde, juste Lawrence et Manabu. Lui aussi il m’a grillé.

- Ben voyons, s’agaça Bruce en faisant les cent pas dans le petit salon qu’Harlock avait mis à leur disposition.

- Mamoru… Il faudra lui communiquer nos découvertes. Si on doit entrer en guerre… Le Yamato…

- Ouais, ne te préoccupe pas de ça pour l’instant. De toute façon, nous n'avons pas assez de preuve pour avertir la Compagnie, la Flotte indépendante terrienne ou n’importe qui d’autre… Kodaï mis à part.

- Hum…


Des larmes percèrent les interstices entre les phalanges de la jeune femme et le sniper s’agenouilla face à elle en soupirant.


- Cette forteresse est pour ainsi dire inexpugnable. Ici, elle sera hors d’atteinte de Noo. Le vieux bandit a dit que Yattaran allait configurer une barrière contre les ondes mentales. Pour Sayuri, ce ne sera que des… Vacances prolongées.

- D’après toi… Je vais lui manquer ?

- Évidemment, mon amour. On lui parlera tous les soirs par holo. Ça passera vite, tu verras.

- Non…


Bruce enlaça Reiko, s’appliquant à la consoler de son mieux. 

Quoique affecté par la volonté de sa chère et tendre, il ne pouvait nier que ce choix était rationnel et justifié. 

“Nous ne serons jamais tranquilles autrement…”


- Je les connais bien, anata… Ils veilleront sur elle… Oh, c’est si dur.


Le Commandant déposa un léger baiser sur le front de sa compagne.


- Je sais… Je sais.


*** 


Si Sayuri ne fut pas impactée par l’annonce d’un séjour sans ses parents sur l’Arcadia du Capitaine Harlock, ce ne fut pas le cas de Reiko et, dans la moindre mesure, de Bruce. La mère de famille contint tant bien que mal ses sanglots pendant le décollage du vaisseau pirate, avant de s’écrouler dans les bras de son conjoint, ravagée par le chagrin. 

Les deux semaines qui suivirent furent compliquées pour le couple Speed. L’absence de leur enfant pesait sur l’ambiance de la maisonnée et l’inaction à laquelle était contrainte le sniper lui était tout bonnement insupportable. 

Après moult discussions, il avait été convenu que l’offensive contre Noo soit repoussée jusqu’à ce que Yattaran ait terminé de mener une analyse plus détaillée de la nébuleuse du sablier et de toute entité pouvant être assimilée de près ou de loin à Noo. De son côté, Harlock n’avait pas obtenu d’éléments concluants concernant les phénomènes auxquels sa fille et son gendre avaient été exposés au cours de l’année passée. Toutefois, les événements de SSX lui avaient donné du grain à moudre et sa collecte d’informations n’allait sans doute pas tarder à s’avérer fructueuse. 

Comme prévu, Reiko et Bruce avaient fait leur rapport à Mamoru Kodaï et Guy Lawrence, auquel ils avaient associé l’intégralité des sections Sirius, Cepheus et Spica. Ces dernières étaient tombées des nues sans pour autant remettre en question la parole de leurs amis.

Cependant, comme la pilote s’y attendait, les indices en leur possession étaient insuffisants pour impliquer la Compagnie. Malgré cela, Lawrence et Killian, qui avaient de nombreux contacts au Quartier Général, s’étaient engagés à faire circuler la rumeur de l’existence de Noo dans l’espoir qu’elle parvienne aux oreilles de Layla Destiny Shura. Quant au Commandant du Yamato, il avait promis de demeurer sur ses gardes et de mobiliser les ressources à sa portée pour en apprendre plus sur ce nouvel ennemi qui était apparu à la lisière de l’espace exploré.


- Reiko, avale un truc, s’il-te-plaît.

- Mmmh.

- Je t’ai cuisiné des pancakes, c’est ton plat préféré. Et si tu le souhaites on peut appeler Yuuki, je suis sûr qu’il serait ravi de venir dévaliser notre garde-manger.

- C’est une excellente idée, répondit-elle, évasive, en louchant sur son assiette, l’appétit en berne.


Une alarme aiguë s’échappa alors de leurs montres connectées. 


- On n’a pas une seconde de répit, ici, s’exaspéra Bruce en actionnant un bouton autour du cadran.


“Peloton Sirius, départ immédiat requis ! Peloton Sirius, départ immédiat requis !”


*** 


- Superviser la construction d’une gare ?

- C’est ça, ouais, David.


Reiko pianota sur sa console, distraite. 

Quinze jours s’étaient écoulés depuis leur retour sur Destiny.

Quinze jours durant lesquels la militaire avait consacré chaque minute de son temps à penser à Sayuri.

“Est-ce qu’elle mange correctement ? Est-ce qu’elle a l’ennui de la maison ? Est-ce qu’elle a pris son bain ? Pourvu qu’elle soit heureuse et en bonne santé. Cette séparation me rend malade. Je veux la voir. Je veux tellement la voir.”


- Quel est le nom de la planète ?

- Wilane.

- Wilane, répéta l’Officier navigateur, songeur. Ah ! J’ai saisi pourquoi ils envoient la SDF. 

- Pourquoi ?, demanda Manabu.

- On s’en fiche de pourquoi. On y va, on supervise et fin de la mission, lâcha la pilote, excédée.

- Tranquille le raptor, la réprimanda Bruce. Nos ingénieurs construisent la station à la frontière entre deux pays en tensions permanentes. Nous avons été dépêchés sur place pour éviter qu’un incident n’envenime l’ouverture de cette ligne.

- Où en sont les travaux, Commandant ?

- La grosse moitié a déjà été effectuée, Killian.

- Quelle est la durée prévisionnelle de cette opération ?, les interrogea Louise. 


Le sniper tapota sur l’accoudoir de son fauteuil, irrité. Son irascibilité habituelle avait été décuplée par la spoliation de son enfant et il luttait de toutes ses forces pour ne pas le faire payer à son entourage.

“C’est pour son bien, certes, mais je vis ça comme un échec. Croient-ils que je suis incapable de la protéger ? Pourtant je serais prêt à tout… Tout pour elles.”


- Une semaine environ. Bref, d’autres questions ? Non ? Alors on se secoue, les gars ! Nous arrivons dans deux heures, profitez-en pour checker tous les systèmes de Big1.

- Bien reçu !


*** 


- Essieu numéro quatre, okay. Boulons re-vissés, indiqua Reiko, une clef à molette nonchalamment appuyée sur son épaule.

- Passe au prochain, lui intima David. 

- D’accord, accepta-t-elle, blasée.

- Un peu d’enthousiasme, jeune fille !

- Un peu d’enthousiasme, jeune fille…, marmonna-t-elle dans sa barbe en levant les yeux au ciel.

- Je t’ai vue et, accessoirement, entendue !

- Je cherchais pas particulièrement à être discrète.

- Bruce junior, retourne au boulot et arrête de me fusiller du regard. 

- Tu m’as appelée comment, là ?


David ignora la pilote avec superbe et cette dernière n’eut pas d’autre choix que de s’exécuter en maugréant.

Elle détestait être ici alors que Sayuri se trouvait dans une galaxie lointaine… Très très lointaine.

“Si je prenais des congés sans solde ? Non… Ce serait me trahir moi-même. Parfois, l’éloignement est impératif. Et puis, j’aimerais qu’elle soit fière de moi.”


- Donc, j’ai pas le droit d’abandonner. 


Tandis que les ouvriers rattachés à la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques travaillaient sans relâche à l’édification de la gare, Bruce Speed avait divisé ses effectifs. Certains membres de son équipage s’étaient ainsi vus affectés à la révision du train de combat pendant que les autres s’occupaient de la surveillance. Reiko, qui avait le bonheur de faire partie de la première équipe avec David et Killian, s’allongea donc sous Big1, tâchant de son mieux d’imiter les gestes d’Akatsuki.

Durant une heure, elle passa chaque roue en revue et inspecta toutes les vis qu’elle était en mesure d’atteindre.

“C’est long et c’est chiant, j’en ai marre.”


- Oh ! Oh ! Oh ! Qu’est-ce qu’ils sont sérieux !

- Ah ! Aïïïe !


Reiko avait violemment sursauté, extirpée de ses sombres pensées par cette voix joyeuse, totalement incongrue en ces lieux.


- Putain, mais qui est l’abruti…


Elle fit rouler sa planche hors du train et se redressa sur un coude en grommelant.


- Vous avez rien d’autre à… Oh.


Une escouade de soldats armés jusqu’aux dents faisait face à la section Sirius. Toutefois ceux-ci se seraient difficilement fondus dans le paysage puisque leur tenues noires étaient bardées d’un blason écarlate surmonté de trois fleurs blanches.

“Pour le camouflage, tu repasseras…”

Au centre de ce bataillon atypique se tenait un homme qui suintait l’assurance et la royauté par tous ses pores. La couleur de sa chevelure était similaire à celle de Bruce à la différence près que la sienne, à l’instar de Maetel, courait jusqu’au niveau de ses chevilles.


- Debout, Reiko, lui ordonna son époux en agrippant son poignet. Reste pas plantée là.

- Je venais vérifier l’avancée de votre labeur ! Je vois que vous ne ménagez pas vos efforts ! Félicitations ! Le Galaxy Railways est toujours aussi efficace !


“Une menace ? Non, plutôt une visite de… Courtoisie ?”, se demanda-t-elle, perplexe, en effleurant la crosse de son cosmo-gun.


- Je vous… Remercie ?, gronda le sniper, dont la diplomatie n’était absolument pas le point fort.

- Il semblerait que vous vous soyez déplacés pour rien, Commandant… ?

- Speed.

- Speed, très bien, je m’en souviendrai. Comme vous le constatez, nous sommes en paix avec le pays voisin. Je crains que vous ne perdiez votre temps. J’imagine que le rôle d’inspecteur des travaux finis n’a rien de divertissant, pas vrai ?


La pilote remua les narines, intriguée par ce personnage exubérant drapé dans un large manteau carmin qui lui évoquait un kimono.

“Et ces prunelles rouges… On ne voit qu’elles avec ce teint de porcelaine…”


- Nous obéissons aux ordres de la Compagnie, rétorqua Bruce avec un agacement non dissimulé.

- Quel joie de disposer d’un chien de garde si bien éduqué, roucoula-t-il en dégainant un éventail en dentelle immaculé.

- Mais qui c’est celui-là ?, chuchota Manabu à l’oreille de Reiko. 

- Un type important ?, répondit-elle sur le même ton.

- Oh, je manque à toutes mes obligations, fit mine de s’offusquer le nouveau venu. Je ne me suis pas présenté ! Quelle faute de goût impardonnable !


“Il nous a entendus ?”, s’interrogea la jeune femme, méfiante. “Il est moins indolent que l’on pourrait le croire de prime abord.”


- Je suis le Seigneur de l’humble fief d’Edelweiss situé à l’ouest de cette gare. Alison… Walemborought !, s’exclama-t-il en ouvrant les bras avec grandiloquence.


***


- Il se la pète, non ? 

- Le mot est faible, Nabu-kun. 

- Tu trouves vraiment qu’il ressemble à un euh… Seigneur ?

- Faut pas se fier aux apparences. Il est sûrement plus redoutable qu’il n’en a l’air.


Accoudés à la balustrade du wagon de queue de Big1, le duo le moins emblématique et/ou efficient de la Space Defence Force, lorgnait vers le dirigeant d’Edelweiss avec une moue dubitative.


- On file un coup de pouce à Bruce ?, proposa Manabu.

- C’est lui le Commandant, c’est à lui de gérer “ça”, dit Reiko en formant un cercle avec son index qui englobait Alison Walemborought.

- Ce mec… Il est…

- Tout droit sorti d’un livre ou d’un film.

- Ou de l’un de tes mangas.

- Un mauvais alors. 

- C’est toi qui t’y connaît, Koko.


Une heure s’était écoulée depuis que l’armée de l’ouest avait investi les lieux. Le sniper, qui n’appréciait guère qu’une force militaire étrangère tourne autour de la gare, avait sommé leur hôte d’en renvoyer les trois quarts, faisant peu de cas de son rang et de sa noblesse.

“Nous sommes ici dans une zone neutre et nous en assurons la sécurité, vos sbires n’y ont pas leur place.”

Un lourd silence avait succédé à cette déclaration et, bien que Reiko craignît que la situation ne dégénère lorsque les gardes empoignèrent leur fusil d’assaut, il n’en fut rien. Walemborought avait balayé la tension ambiante d’un revers d’éventail, un sourire charmeur aux lèvres.

“Bien sûr, c’est évident, pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt ? Allez, du vent vous autres et plus vite que ça ! Tout est sous contrôle grâce à la SDF !”.

Ponctuant ses paroles d’un rire expansif, le jeune homme était parti s’installer à l’ombre d’un saule, embarquant avec lui un Bruce à deux doigts d’exploser. 


- Il sera d’une humeur exécrable ce soir…

- Quelle idée de te marier avec lui, aussi.

- Il a de nombreuses qualités…, minauda la pilote. Mais tu es trop inexpérimenté pour de pareilles discussions. Reviens me voir quand tu auras des poils au menton. 

- Que… Quoi ?


L’artilleur s’empourpra et ne pipa mot, ce qui amusa énormément sa partenaire.

“Tellement de pureté et de naïveté, ce n’est pas permis !”


- Hé, Koko, l’interpella-t-il en désignant une colline toute proche, ce ne serait pas…


Aux aguets, Reiko se dressa sur la pointe des pieds. Une sueur froide dégoulina le long de son dos lorsqu’elle repéra des éclats bleutés réverbérés par les rayons du soleil.


- À couvert !, hurlèrent les deux acolytes dans un ensemble parfait.


*** 


Après un moment de flottement durant lequel le temps parut suspendu dans les airs, l’enfer déferla sur l’unité Sirius et les soudards d’Edelweiss.

Comme un seul homme, Manabu et Reiko se plaquèrent derrière Big1, quelques secondes avant que le feu nourri ne heurte la carlingue du train. 


- T’as eu de l’instinct sur ce coup, le félicita la pilote en risquant un œil en dehors de leur abri. 

- C’était chaud. Où sont les autres ?

- Bruce a traîné Alison et Killian vers un bosquet de sapins. Louise et David sont retranchés dans la gare et les soldats ont engagé les hostilités de… D’un peu partout. Yûki est probablement à l’intérieur de Big1.

- Qu’est-ce qu’on fait ? On les prend à revers ? 

- Compliqué de rallier la butte au vu de notre position… On va se faire tirer comme des lapins.

- C’est quoi ces pays de fous ?

- Hum… On se demande, oui.


Reiko dégaina son cosmo-gun en réfléchissant à toute vitesse.


- Louise et David sont hors d’atteinte mais Bruce ne tiendra pas longtemps derrière ces arbres si j’en juge à la puissance de feu des gars en face.

- Ils sont combien ? Une dizaine ? 

- Difficile à estimer. Bon… Nabu.


La jeune femme se releva, les dents serrées. 


- Je vais l’aider. Il ne pourra pas protéger ces deux benêts et limiter la casse. Tu me couvres ?

- Je suis le plus gradé, c’est à moi d’y aller.

- Non, c’est à moi de le faire. Mon foyer, mes responsabilités. Toi, rejoins Louise et David, c’est préférable et tout aussi dangereux, ne t’en fais pas.

- Okay, fais attention quand même. Prêt quand tu l’es.


Elle hocha lentement la tête, les mains moites.


- Quelle journée, soupira-t-elle en s’essuyant le front.


*** 


- Ohé ! T’es avec nous, Black ?

- Monsieur… ?


Bruce fronça les sourcils, préoccupé. Le choc et la soudaineté de l’attaque avaient assommé le stagiaire. Recroquevillé entre les racines d’un épicéa massif, celui-ci peinait à retrouver ses esprits et ne lui était de ce fait d’aucun secours.

Quant au Seigneur de l’ouest dont il ne parvenait pas à retenir le nom… 


- Pas d’inquiétude jeune Kaylan, la SDF va nous sortir de ce mauvais pas !, tenta-t-il de le réconforter en lui tapotant le sommet du crâne. N’est-ce pas, Speed ?


“Il est d’un calme olympien déconcertant.”


- Ouais, on s’en charge.

- Quel soulagement !


Alison Walemborought se baissa pour esquiver un rayon laser, entraînant Killian dans son sillage, pendant que Bruce entamait une riposte digne du sniper qu’il était.

“Ils sont loin, j’aurai dû mal à les descendre mais au moins mon équipage est hors…”


- Bordel ! Reste où tu es !


“C’est pas vrai… Tadashi ou elle, c’est du pareil au même…”

En effet, à l’image de son frère sur la station des humanoïdes il y a de cela quelques années, Reiko, suivie par Manabu, fonçait à travers l’esplanade en évitant les faisceaux brûlants. 


- Chaton ! Non !

- Chaton ?, répéta Alison, curieux.


À mi-chemin, le binôme se sépara et la militaire plongea dans le bosquet tandis que l’artilleur effectuait une roulade qui le propulsa directement au pied de Louise Fort Drake. 

Bruce tendit les bras et happa son épouse avant qu’elle ne s’écrase dans les ronces. Un trait verdâtre effleura les boucles brunes de cette dernière à l’instant où la poigne de son mari se refermait autour de sa nuque. 

Le dos du Commandant percuta si violemment le sol qu’il en eut le souffle coupé et le couple s’aplatit dans la terre poussiéreuse.


- Anata ! Killian ! Vous allez bien ? Vous êtes blessés ?, les questionna-t-elle précipitamment, en s’asseyant à califourchon au-dessus de son époux.

- C’est une tradition les “charges de pirates écervelés” dans ta famille ?, grogna-t-il, mécontent. L’inconscience, ça s’hérite de père en fille ? Tu veux que je meure d’un arrêt cardiaque ? Non mais vraiment, tu penses à quoi, triple idiote ?

- Nabu assurait mes arrières, expliqua-t-elle en s’écartant de lui et en s’approchant du cadet dont les yeux étaient exorbités.

- Oh ! Vous êtes mariés ? C’est tellement adorable !

- Mêlez-vous de vos affaires, Watembarrow, le rembarra sèchement Bruce.

- Vous êtes indemne, monsieur ?, s’enquit Reiko. C’est Walemborought, chéri, fais un effort.

- Je vais on ne peut mieux. Votre histoire est-elle romantique ? Je suis certain qu’elle l’est. Je me délecterais d’écouter son récit !, s’écria le dirigeant en attrapant les doigts de la pilote.


Reiko se gratta le menton.


- Il a sauté dans un ravin glacé pour me sauver, est-ce que c’est… Romantique ?


Des étincelles jaillirent des prunelles du Seigneur du pays de l’ouest.


- Racontez-moi tout ! Comment a-t-il sollicité votre main ?

- Dans la neige, un jour de Noël.


Alison s’éventa avec une intensité accrue, complètement emballé par la perspective d’entendre une romance sous fond d’actions et de complots. 


- Et est-ce que…

- C’est bon !, intervint Bruce. On a d’autres problèmes sur le feu, là.

- Mmh. Désolée. Hé Killian, ressaisis-toi, ça va bien se passer.

- Ouais, pardon…, répondit celui-ci en s’ébrouant.

- Commandant, c’est quoi ta stratégie ?, l’interrogea-t-elle, prête à en découdre.


Le sniper s’agenouilla entre sa compagne et Walemborought, se demandant sur ce qu’il avait bien pu faire à l’univers pour mériter de vivre une telle galère.


- Je ne tolérerai ni protestation ni décision impulsive, c’est clair ?


Le trio acquiesça vigoureusement.


- Voilà le plan…


***


- Comment dois-je vous appeler ? Votre Altesse ? Votre Majesté ? Messire ? Pardonnez-moi mais j’ignore de quelle manière m’adresser à vous.

- Ma foi, pour vous Alison conviendra parfaitement ! En tant qu’amateur d’histoires d’amours épiques, je me sens proche de vous !, argua le Seigneur en rejetant sa chevelure dorée en arrière.

- Qu’est-ce qui vous fait dire que mon histoire est épique ?

- Demoiselle, on peut me tromper sur beaucoup de choses mais je suis capable de lire un coeur. Et celui de Speed est si épris du vôtre qu’il faudrait être aveugle pour ne pas deviner qu’un récit d’une envergure extraordinaire s’y dissimule, pas vrai ?

- Vous avez sans doute raison, messire. Excusez-moi, si je vous appelais Alison, l’homme qui me sert de chevalier servant ne vous paraîtrait pas aussi sympathique.

- Soit, très chère.


Bruce se rapprocha du duo, irrité par la familiarité de Walemborought.


- Tu es au clair de ta mission ?

- Oui, je veillerai sur eux mais toi, promets-moi d’être prudent.

- Je le serai. J’ai vu pire quand j’étais mercenaire. Je vais mettre un terme à ce merdier. 

- Je sais.

 

La pluie de rayons lasers n’avait pas cessé et la protection offerte par les arbres n’étant pas éternelle, le Commandant donna le signal du départ.


- Chaton, tu me feras le plaisir de demeurer à l’écart, vu ?

- Compris.

- Je te confie Black.

- Je ne te ferai pas défaut.

- Bien. N’oublie pas que je t’aime, conclut-il en l’embrassant sur le front.

- Ooh !, s’extasia Walemborought.


Le sniper darda un regard noir sur ce dernier et s’éloigna en longeant le bosquet.


- C’est à nous, annonça la pilote. Bruce fait diversion, je passe devant, Killian et ensuite messire Alison. D’accord ? Notre objectif est la locomotive de Big1. On se barricade, on utilise les pulsars et on déloge nos assaillants du sommet de la colline. 

- Et l’autre groupe termine le boulot ?, la questionna le cadet.

- Facile, non ? À mon signal ! 


*** 


Bien évidemment, Reiko n’était pas rassurée à l’idée que la personne qu’elle chérissait tant serve d’appât. Cependant, elle avait conscience que leurs options n’étaient pas nombreuses et qu’il était primordial de mettre Killian et Alison à l’abri.

C’est pourquoi, dès que Bruce surgit hors de sa cachette, attirant par ce fait l’ire de leurs adversaires, elle entraîna ses acolytes à l’exact opposé en les exhortant à se hâter.


- Allez, allez, on se bouge ! 


Les trois comparses avalèrent au pas de course la trentaine de mètres les séparant des voitures de Big1, zigzaguant pour éviter les faisceaux létaux. 

Constatant que leur maître était à découvert, la dizaine d’hommes subsistant de l’armée de l’ouest redoubla de dextérité et de zèle pour couvrir sa retraite.

Grâce à leur intervention, le trio parvint sans encombre devant la porte de la locomotive, qui s’ouvrit avant que Reiko n’ait l’occasion d’actionner la poignée, dévoilant le visage inquiet de Yûki.


- Montez !


La militaire s’effaça sur le côté et poussa Killian pour qu’il s’abrite au plus vite. Une fois Walemborought à l’intérieur, et alors qu’elle s’apprêtait à grimper à son tour sur le marchepied, un trait incisif perfora son biceps. Elle fut projetée sur la carlingue et s’affaissa au sol en gémissant.

Le médecin de bord se rua à son chevet et l’aida vaille que vaille à se relever.


- Dépêchons !

- Ou… Ouais, ânonna-t-elle.


Les deux femmes esquivèrent de justesse une salve de rayons lasers et réussir enfin à se faufiler dans le train. Killian claqua le vantail derrière ses partenaires, qui s’affalèrent contre une paroi, essoufflées.


- C’était moins une, marmonna Reiko.

- C’était grandiose !, s’exclama le Seigneur des terres de l’ouest.

- Je dois te soigner, s’alarma Yûki.

- Après, ordonna-t-elle en écartant son amie. Les autres ne sont pas encore tirés d’affaire. Tout le monde dans la control room, qu’on en finisse. On a des ordres à exécuter et le patron n'apprécie pas l’insubordination.

- Mais…


Des gouttes de sang heurtèrent l’acier sans que Reiko n’y prête attention.


- On verra ça plus tard. Je ne vais pas mourir d’une hémorragie dans l’immédiat. Grouillons-nous avant qu’un drame ne se produise.


***


Sans perdre de seconde supplémentaire, les agents de la Space Defence Force s’installèrent diligemment à leur poste de combat.


- Messire, prenez ce siège.

- C’est celui du Commandant ?

- Hum. Ne touchez à rien.


La pilote enclencha plusieurs fonctionnalités et les écrans du wagon s’illuminèrent tous simultanément.


- On priorise l’armement, le reste n’a aucune importance.

- Réserve d’énergie au maximum, les informa Yûki.

- Activation du bouclier, lança Killian.

- Armement, system check… Stand by !


Reiko interchangea sa console avec celle de Manabu, qui était plus adaptée au travail d’artilleur que la sienne.


- Ils sont en bien piètre position dehors, fit remarquer Walemborought.

- Sont-ils tous sains et saufs ?

- J’en ai l’impression, Killian, répondit Yûki. Bruce a pu rejoindre les autres. 

- Je mobilise la tourelle principale, ça devrait suffir à mettre la pagaille.


“Quel soulagement… Ils n’ont pas l’air blessés. Comme d’habitude, je suis la plus balourde d’entre nous.”

Comme le lui avait appris Tôchiro, Reiko ajusta les réglages de visée. Ceux de Big1 étant moins alambiqués que ceux de l’Arcadia, cela ne lui posa pas particulièrement de problème.

Enfin, la butte se retrouva dans sa ligne de mire.


- Puissance de feu réduite à 25%. Angle : -5°.

- Énergie entièrement redirigée vers les canons, déclama le médecin de bord.

- Sécurité déverrouillée, je prends les commandes, déclara Reiko à l’instant où une trappe se dépliait en lieu et place de son clavier.


Un pistolet relié à l’ordinateur apparut alors. La jeune femme plissa les paupières et une ride de concentration barra ses tempes tandis qu’elle empoignait la crosse. Par acquis de conscience, elle s’assura une dernière fois que l’ensemble des paramètres avait été vérifié. 

“Pas d’erreur. Pas quand j’ai des gens sous ma responsabilité.”

Une ultime inspiration et elle appuya sur la gâchette.

Un faisceau d’énergie pure jaillit des trois canons de la tourelle et frappa le rebord de la colline, provoquant une retraite précipitée des troupes embusquées là. Celles-ci furent ensuite rapidement cueillies par la coalition de la SDF et des soldats de l’ouest.

Acculés entre les tirs de Big1 et ceux des alliés, les manteaux bleus n’eurent d’autre choix que de capituler.


- Fabuleux !, s’enthousiasma le Seigneur en agitant son éventail dans tous les sens.

- On l’a échappé belle, oui, ronchonna Reiko en massant ses phalanges crispées.


Résolue, Yûki se leva et se dirigea vers la pilote, au pied de laquelle se formait une petite flaque d’hémoglobine. 


- Ton bras. On va à l’infirmerie.

- Mais… Je dois…

- Maintenant, insista-t-elle sans ciller.

- Elle a raison, s’alarma Alison Walemborought. Je refuse que votre romance ait une issue tragique, aujourd’hui Juliette !

- Sempaï, sois raisonnable, renchérit Killian.

- Okay, ça va… Si vous vous y mettez tous aussi, accepta-t-elle en se frottant négligemment le nez.


Elle prit le chemin de l’infirmerie en glissant une œillade vers l’écran central sur lequel l’alliance du jour, Bruce à sa tête, achevait de maîtriser les attaquants.

“Ce blason sur leurs équipements… Est-ce qu’il représente… Un faucon ?”

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