A Galaxy Railways Story : Reiko
Chapitre 65 : Le Tournoi de la SDF - partie 5
4902 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 31/08/2024 09:56
Chap 65 : Le Tournoi de la SDF - partie 5
- T’as le vertige ?
- Non et toi ?
- Absolument pas, affirma Reiko.
L’artilleur de l’unité Sirius acquiesça, peu rassuré malgré ses rodomontades.
- Combien de mètres ?
- Moins d’une dizaine, l’informa-t-elle.
- Rappelle-moi pourquoi on ne prend pas l’escalier de secours au premier ?
- Parce qu’on est au deuxième étage et qu’on risquerait de retomber sur Kori, qui est aussi effrayante que Bruce et Lawrence réunis. Et n’oublie pas que tu as refusé de remonter dans les conduits d’aération qui mènent dehors car, je cite : “Ça pue des pieds et je me sens claustrophobe.”
- Ouais… Finalement, l'odeur de tes pieds est peut-être préférable.
- Hein ?
- Tes bottes pas lavées, là.
- Pardon ? Je les ai cirées hier !
- T’avais pété alors ?
- Mais… Mais non !
Manabu ricana en empoignant une saillie du bâtiment.
- À d’autres, dit-il en notant les rougeurs teintant les joues de son amie.
- Je… Je n’ai pas…, bégaya-t-elle en s’accrochant au cadre bancal d’une fenêtre.
- T’as pas de honte à avoir. C’est naturel. Il y a toutes sortes de gaz dans l’univers.
- Je te déteste, grogna-t-elle. Je ne suis pas une péteuse.
- Mmmh.
- Fais attention ou tu vas glisser, l’avertit-elle. Et je serai vraiment tentée de te laisser t’éclater par terre. Vraiment. Très. Tentée.
Plaqué contre la façade, le duo de têtes brûlées le plus réputé de la Space Defence Force progressait sur une proéminence de l’immeuble avec pour objectif de rejoindre l’escalier extérieur.
- Fais gaffe Nabu, le crépi part en miettes et il y a des fissures sur notre corniche. Ça peut s’effondrer à tout moment.
- On court le danger de s’aplatir au sol ou pire… Perdre cette manche et offrir la victoire à Lawrence.
- Euh, tu devrais revoir l’ordre de tes priorités, Hermione Granger.
- Her… Qui ?
- Il n’y a que moi qui connaît mes classiques terriens ? Harlock est un pirate mais il est cultivé !
- Reiko…
La voix de Manabu avait grimpé d’une octave et la pilote détecta des tremblements dans ses jambes.
- Ça va aller, le tranquilisa-t-elle avec douceur. Si Killian a réussi à escalader une foutue falaise, tu arriveras sans encombre de l’autre côté de ce promontoire.
- Je suis pas… Je suis pas sûr…
La jeune femme se rapprocha du fils de Kanna et recouvrit sa main de la sienne.
- Comme d’habitude, ensemble ?
- Ensemble.
Ils poursuivirent leur chemin sans que Reiko ne tarisse d’encouragements envers Manabu.
- On y est ! Attrape mon poignet.
Soufflant comme un boeuf, de la sueur ruisselant sur son front et entre ses phalanges, l’artilleur se hissa sur l’un des paliers de l’escalier.
Se hisser n’était toutefois pas le terme correct puisque sa collègue le tracta en ahanant.
- T’es lourd.
- Pfff… Haan… Arf…
- Inspire et expire profondément, conseilla-t-elle en lui tapotant gentiment le dos.
- Accorde-moi… Une minute.
- Ouais.
Lorsque son partenaire fut remis de ses émotions, la pilote jeta un œil à travers une vitre toute proche et ne discerna rien d’autre qu’une pièce sens dessus dessous avec des chaises disloquées et une table renversée.
- Ton sens de l’orientation est meilleur que le mien, chuchota-t-elle. On est au bon endroit ?
- Mauvaise fenêtre. À droite.
- À droite ?
Elle plissa les paupières, dépitée.
- Les volets sont clos. L’espace entre les persiennes est insuffisant mais… Je crois… Qu’il y a des gens debout… Contre le mur, non ?
Manabu colla son nez sur le verre.
- Je les aperçois aussi. Et… Les gars de Cepheus ? Ils sont déjà sortis ?
- Pourquoi tu dis ça ?, l’interrogea-t-elle.
- J’ai l’impression qu’il n’y a qu’une personne qui se déplace.
- Hum… Au vu de sa carrure, ça pourrait être Kim.
- Ou Lawrence.
- Dans tous les cas, il est seul et nous sommes deux.
- Si c’est Lawrence, on n’aura pas l’avantage pour autant.
Reiko hocha lentement la tête.
- On n’a pas d’alternative. Faut qu’on rentre.
- Comment ?
Elle ébranla l’encadrement en bois miteux et pointa une large fissure qui serpentait sur la vitre.
- On ne nous a pas fourni de véritables cosmo-gun mais je suis convaincue que mon auto-mail est en mesure de briser ça.
- Tu vas encore le bousiller.
- Yattaran m’en fabriquera un mieux, marmonna-t-elle.
- Le premier Lieutenant ? Tu as prévu de retourner bientôt sur l’Arcadia ?
- Ce n’est pas exclu.
- Bruce est au courant ?
Elle remua les narines, songeuse.
- Hum. Je vois.
- J’ai besoin de parler à mon entourage de certaines… Affaires.
- Comme quoi ?
Reiko garda le silence, les lèvres pincées.
- T’inquiète, j’ai compris. Il n’y pas qu’à Mamoru que tu peux te confier. Je n’ignore pas que tu manques de sommeil et qu’il s’est passé pas mal de trucs bizarres cette année. T’as peur que quelque chose en ait après toi ? Ou après ta famille, non ?
- Je suis aussi transparente que ça ?, soupira-t-elle en se grattant le cuir chevelu.
- Uniquement pour ceux qui te connaissent.
- T’as raison, Nabu. Y’a une entité qui me pourchasse et j’aimerais avoir l’avis d’Otto-san à ce sujet. En fait, je voudrais qu’il me donne des clefs pour la combattre ou a minima pour me défendre. Pour nous défendre.
- Bruce sait ?
- Pas tout, il penserait que je suis folle et me suspendrait sans autre forme de procès.
- T’as intérêt à me raconter cette histoire. Depuis le début.
- Quand on en aura fini avec ce tournoi de merde, c’est promis.
- Bien.
Les deux acolytes échangèrent un regard de connivence.
- Maintenant ?
***
Le poing de Reiko fracassa le verre et l’onde de douleur qui transperça sa prothèse sensitive fut terrible. Cependant, cette fois, l’alliage de titane et d’acier de Yattaran résista. La souffrance exceptée, l’auto-mail ne se cassa pas.
Moins d’une demi-seconde après que les fragments acérés se soient répandus sur le parquet poussiéreux, Manabu se catapulta dans l’appartement. Il leva le menton, résolu, avant de se figer en hoquetant de surprise.
- Des manne…
Il n’eut pas l’occasion d’achever sa phrase car il dut se jeter à terre pour éviter le tranchant de la main du Commandant de l’unité Cepheus.
Reiko, qui s’était engouffrée à sa suite, détaillait, affligée, la rangée de mannequins confectionnés grossièrement et attachés au mur de manière sommaire.
- On s’est faits… On s’est faits avoir…
Les otages n’étaient pas dans cette pièce et la militaire doutait que la Direction ait décidé de les remplacer par des épouvantails faits maison et enroulés dans de vieux draps troués et élimés.
Genoux fléchis, visage fermé, Lawrence adopta une posture de combat rapproché, que la pilote avait d’ores et déjà jugée impénétrable.
- Koko, on n’abandonne pas.
- Hors de question. On va lui faire sa fête.
- Quand t’es prête.
- Quand toi, t’es prêt !
Ils fondirent sur le Commandant comme un seul homme. Reiko étendit les jambes et effectua un grand écart presque parfait, visant les chevilles de son adversaire afin de les faucher et de le déséquilibrer. Manabu s’était quant à lui focalisé sur l’abdomen de Lawrence avec un uppercut au niveau du thorax.
Cependant ni l’un ni l’autre n’atteignirent leur cible. Un coup de pied cueillit la jeune femme au milieu de la poitrine et son équipier fut propulsé contre une paroi.
- Vous n’avez que ça ?, les provoqua leur supérieur.
- Vous allez voir, gronda Reiko en se relevant, étourdie.
À son tour, elle se mit en garde et esquiva la cuisse tendue de Lawrence qui frôla dangereusement le creux de son estomac.
Elle pivota sur ses hanches et, précise, envoya un direct du droit dans la mâchoire de leur assaillant alors que l’artilleur s’acharnait à essayer de lui entraver les bras.
À son grand étonnement, l’offensive porta ses fruits et elle percuta le parrain de Sayuri de plein fouet.
- Il n’a pas bougé… D’un pouce, balbutia-t-elle, choquée.
- Tu devrais mieux choisir tes points d’attaque, rétorqua le vétéran de la SDF.
- Je devrais mieux choisir… ?
- Oui. La prochaine fois. Ne m’en veux pas pour ce qui va suivre. Pas d’exception à la règle.
Reiko n’eut pas le temps de retirer ses doigts, qui furent happés par la poigne féroce du Commandant.
- Je… Lâchez-m…, bégaya-t-elle en observant, impuissante, son poignet suspendu dans les airs.
- Tu dois évaluer la force de ton adversaire avec davantage de perspicacité.
- Atten…
Réduite à l’état de spectatrice, elle s’envola avec une vrille, qui était tout sauf gracieuse, et heurta une paroi dans un bruit mat.
Puis, à moitié assommée, elle s’écroula comme une poupée de chiffon et glissa mollement au sol. Des étoiles dansèrent alors devant ses yeux tandis que des tambours battaient entre ses tempes.
- Désolée… Mana… Manabu…, murmura-t-elle avant de s’évanouir.
Celui-ci fixa, horrifié, sa partenaire qui était allongée sur le parquet, inconsciente.
- Vous allez… Me le payer !
- Ah ?
Le jeune premier se rua vers l’armoire à glace qui lui faisait face, déterminé.
- Il ne faut pas foncer tête baissée, le prévint Lawrence, en vain.
Il bloqua aisément les assauts de l’artilleur et, estimant probablement que le combat s’éternisait, lui asséna un atémi dans les côtes ainsi qu’un coup dans les reins qui laissèrent le fils de Kanna pantelant.
- Ce n’est pas… Ce n’est pas perdu, grommela-t-il, de l’écume rouge aux lèvres.
- Vraiment ?
Le talon du Commandant s’enfonça dans le ventre de Manabu, qui bascula en arrière et s’étala de tout son long. Malgré la souffrance irradiant de chacun de ses membres, il tenta de se redresser.
- C’est fini, Yuuki.
Une onde électrisante traversa le crâne de celui-ci et il rejoignit sa collègue au pays des rêves.
Ou des cauchemars.
C’est à cet instant que la porte s’ouvrit à la volée, dévoilant les silhouettes de Kori, Kim et Pierre.
- Commandant ?
Ce dernier était agenouillé devant la mère de sa filleule, tâtant son pouls et vérifiant ses rythmes cardiaques et respiratoires.
- Est-ce qu’elle…
- Elle n’a rien mais ça n’empêchera pas Speed de nous voler dans les plumes. Occupez-vous de lui, ordonna-t-il en désignant Manabu d’un geste du menton.
Puis, il souleva Reiko dans ses bras et se dirigea vers la sortie.
“Fin de la mission. Défaite de Sirius et victoire du peloton Cepheus.”
- Libérez les deux autres. On y va. C’est terminé.
***
- Qui a fait ça ?
La voix de Bruce avait claqué, sèche.
- Je n’aime pas me répéter. Qui a fait ça ?, insista-t-il, hargneux.
- C’est moi, se dénonça Lawrence.
- Je vais te massacrer, répondit simplement le sniper en lui arrachant son épouse.
- Non, Speed, vous ne massacrerez personne, lui intima Tôdo d’un ton menaçant.
Les cils de Reiko papillonnèrent et le Commandant de la section Sirius se désintéressa de ses interlocuteurs.
- Yûki, faites venir Yûki.
- Je vais… Bien, dit-elle en s’éveillant laborieusement.
- Chaton ? Tu as mal quelque part ?
- Des… Courbatures.
- On rentre. Maintenant.
- Pardon… Notre stratégie était nulle. Nabu, est-ce que… Ça va ?
Celui-ci s’avança en titubant.
- Il ne m’a pas épargné mais je suis robuste, argua-t-il en se massant la nuque.
- Je peux marcher, anata.
- Non, pas tant que le médecin ne t’a pas auscultée.
Il tourna délibérément le dos à Lawrence et à Tôdo.
- Black, je compte sur toi pour surveiller Yuuki et t’assurer qu’il ne tombe pas dans les pommes. Louise, David, rien de cassé ?
Le duo venait d’émerger de l’immeuble en se couvrant les yeux afin de se protéger de la luminosité.
- On était enfermés durant toute la durée de l’épreuve. Et Koko ?, le questionna l’ingénieur.
- On verra ce qu’en dit Yûki. Si elle a la moindre séquelle je fais flamber l’Hiryu et le QG avec, tonna-t-il.
- Tu es toujours excessif, mon amour. On a déclenché les… Hostilités et il s’est juste défendu. T’as du paracétamol ?
Leur Commandant en tête de file, le peloton Sirius prit la direction du Quartier Général, les épaules voûtées et la mine sombre.
- On ne sera pas obligés de participer à la prochaine session, relativisa Louise.
Les mâchoires de Bruce se contractèrent si violemment qu’il manqua de se déchausser les dents.
- Maigre consolation, répliqua David en dardant un œil sur ses amis.
***
- Bruce…
- Quoi ?
- Je ne vais pas m’effondrer.
- T’as une belle bosse, je ne peux pas écarter le risque d’un traumatisme crânien.
- Anata…
- Yûki ?, l’apostropha-t-il en ignorant sa femme.
- On va la garder en observation quelques heures, jusqu’à ce que les résultats de l’IRM, du scanner et des… Une, deux, trois… Huit radios que tu nous as demandées me parviennent.
- Non, moi j’y vais.
Reiko esquissa un mouvement pour s’extraire du lit médicalisé mais fut aussitôt stoppée dans son élan par la poigne de son mari.
- Il faudra me passer sur le corps, chérie.
- Après, si tu veux… Là je suis trop crevée.
- T’es bornée ma parole !
- Au moins autant que toi.
Elle s’assit en tailleur, renonçant à une lutte qu’elle savait inégale.
- Où étaient détenus les otages ?
- Sous les toits.
- Je le savais, maugréa-t-elle. Des humains, pas des holos ?
- D’autres agents de la SDF en civils. L’unité Orion selon David.
- Hum… J’en étais persuadée.
Reiko se frotta les yeux, exténuée.
- Je suis désolée qu’on ait été vaincus.
- C’est bon, je me contrefous de cette compétition. Je suis soulagé que ce soit fini. Par contre… Que tu aies été blessée de la sorte, je ne le tolère pas.
- J’ai rien comparé à Manabu
- C’est déjà trop, s’énerva-t-il, la colère déformant ses traits.
- J’ai attaqué, il s’est défendu. Ce sont les règles du jeu.
- Dire que ce type est le parrain de notre fille, ça me rend malade.
- Ne te fourvoie pas, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, marmonna-t-elle.
Il y eut un moment de flottement durant lequel Bruce contempla sa chère et tendre.
“Je veux qu’elle soit en sécurité. À chaque seconde de chaque jour. C’est devenu ma raison d’être, la raison pour laquelle je respire. Depuis le festival du printemps sur Mars, je suis convaincu qu’il se trame de funestes machinations et je refuse que ma famille soit impliquée dans ce merdier. Elle en a conscience, j’en suis sûr, et cela expliquerait ses cauchemars et son moral en berne.”
- Si tu souhaitais quitter la Space Defence Force, je te suivrais. Sans hésitation, lâcha-t-il de but en blanc.
- Hein ?
La porte se dégonda brusquement sans que le Commandant de la section Sirius n’ait l’opportunité d’approfondir ses propos. Une silhouette massive pénétra alors dans l’infirmerie et le sniper faillit se décrocher les mandibules.
- T’as un culot monstrueux de te pointer ici, enfoiré !, s’insurgea Bruce.
- Hé ! Ça suffit !, s’offusqua Reiko.
- Il t’a frappée, cracha-t-il en retroussant ses manches, prêt à se battre sans sommation.
- Il a retenu ses coups, bakana. T’as pas remarqué les ecchymoses sur la peau de Nabu ? Ma bosse est bénigne en comparaison, alors redescends de tes grands chevaux, s’il-te-plaît !
Les poings du jeune homme s’ouvrirent et se fermèrent à plusieurs reprises et la pilote n’aurait pas été étonnée que de la fumée sorte de ses narines.
- Je vais… Prendre l’air !
- Fais donc ça.
Le battant claqua derrière lui et Lawrence se retrouva seul avec son ancienne recrue.
- Installez-vous, l’invita-t-elle en désignant le tabouret qu’avait occupé son époux.
Il s’exécuta sans mot dire. Reiko devina toutefois aisément que ses yeux la passaient au crible, aussi - voir plus - efficacement que les radars du Flame Swallow.
- Douloureux ?
- Non. Sauf votre respect, vous ne vous êtes pas donnés à fond.
- Toi non plus.
La militaire détourna le regard, gênée.
“Il m’a cramée. Je pensais pourtant avoir été subtile. Même Manabu n’y a vu que du feu. J’ai ralenti le rythme, enchaîné les offensives hasardeuses mais pas trop… Je ne suis pas aussi maligne que je le crois.”
- Je me trompe ?, insista-t-il.
- Non, vous ne vous trompez pas.
- Pourquoi ? Ça ne te ressemble pas.
“Parce qu’il faut que j’enquête sur une entité surnaturelle qui a décidé de m’anéantir, de m’enlever pour me sucer le sang ou que sais-je. Et, dans le pire des cas, je crains qu’elle ne s’en prenne à ceux que j’aime ou aux humains qui ont investi l’espace pour potentiellement les zombifier. Comment dire que ce tournoi, je m’en tape complètement.”
- Je suis fatiguée, je dors mal.
- La vérité ?
Elle soupira.
“Cet homme est beaucoup trop perspicace. Inutile de lui mentir, il lit en moi comme dans un livre ouvert.”
- J’ai d’autres chats à fouetter.
- En lien avec le Galaxy Railways ?
- Oui, mais pas que.
Elle posa son menton entre ses genoux, songeuse.
- Je ne peux pas vous en parler, pardonnez-moi.
- Est-ce que Sayuri est en danger ?
- J’espère que non, mais je n’en suis pas certaine. Je dois aussi en aviser mon père et, si mes théories s’avèrent exactes, j’aurai probablement besoin d’aide. Et, avant que vous ne me posiez la question, je n’en ai pas encore discuté avec Bruce. Je le ferai en temps voulu, lorsque j’aurai obtenu des preuves qui confirmeront mes soupçons, même si j’ignore comment m’y prendre.
Lawrence croisa les bras, le visage indéchiffrable.
- J’attendrai puisque je respecte ta volonté de creuser tes recherches. Cependant, à ton retour, tu me feras un rapport détaillé. C’est entendu ? Si la sûreté des passagers est compromise, nous devons préparer une riposte.
- J’ai peur que cette menace ne se limite pas à la Compagnie. Soyez attentif à tout événement inhabituel…
- Comme quoi ?
- UX-4785, Ephémère et Agrica. Des trucs dans le genre.
- Hum. Je m’y attelerai, promit-il en se levant. Quant à toi, tâche de profiter de ces instants avec tes proches pour te reposer. Et peut-être devrais-tu commencer à envisager…
- Quoi ?
- De mettre Sayuri à l’abri. En guise de précaution.
Reiko tressaillit, effrayée par la perspective que la Chose puisse s’attaquer à ce qu’elle avait de plus précieux dans cet univers.
- Oui. J’y réfléchirai.
Le Commandant acquiesça et se dirigea vers la porte.
- Je prie pour que ton voyage soit fructueux.
***
- Quand ?
- Dès que tu me donneras l’autorisation de décoller.
L’assistante maternelle de la crèche leur fit signe d’avancer et le couple Speed emboîta le pas aux autres parents.
Bruce fit mine de tergiverser avant de reprendre la parole.
- Qu’est-ce que tu me caches ? Pourquoi cette envie si urgente de rendre visite à ton paternel et à ton frère ?
- Je suis un peu déprimée ces dernières semaines et ma famille me manque.
“David aurait-il vu juste ? Ou y’aurait-il une cause sous-jacente liée à… Toute cette merde ?”
Cependant, face au regard suppliant de sa belle, il n’eut pas le courage de lui refuser cette pause bien méritée.
- Tu emmènerais Sayuri avec toi ?, l’interrogea-t-il.
- Si… Si tu es d’accord.
- Je suis d’accord puisque je viens.
- Vrai… Vraiment ?, s’étonna la militaire.
- Oui, j’ai aussi besoin de souffler.
- Et tu penses que sur l’Arcadia… ?
- Ils ont des piaules pour roupiller, non ?
- Euuh… Oui
- C’est réglé, alors.
- Ne te sens pas obligé.
- C’est pas le cas.
- Okay… Et quand est-ce que… ?
- Vendredi prochain. Ça te convient ?
- Merci, répondit-elle, soulagée.
L’employée de la crèche, une femme d’une quarantaine d’années à la chevelure rousse, leur désigna Sayuri qui rampait joyeusement en direction de ses parents.
Reiko s’agenouilla et happa la fillette pour la presser contre sa poitrine. Celle-ci émit un gazouillement jovial qui ravit sa maman.
- Ohasan !
- Mon bébé, ronronna-t-elle. Tu as passé une bonne journée ? Han, c’est un joli collier de… Nouilles ! Oh, je dois le mettre autour de mon cou ? Ah oui, ça me va bien !
- Merveilleux, railla le sniper en ébouriffant les cheveux de son enfant.
- Je te le prête ?, proposa la pilote.
- Sans façon, ricana-t-il en soulevant la petite. Allez, retour au bercail avec un bain chaud collectif.
- Et des pizzas ?
- Ouais, j’imagine qu’on peut se le permettre.
- Super !, s’emballa Reiko, un brin ragaillardie.
Le Commandant du peloton Sirius eut un sourire en coin.
“Elle paraît enchantée à l’idée de retrouver son doberman de frère et son pitbull de père. Tant mieux.”
- En avant, mauvaise troupe !
***
- Ojiji ‘Lock ! Ojiji ‘Lock !
- Oui, bientôt Yuyu.
Aussi impatiente que sa fille, Reiko piétinait sur l’aire de stationnement des aéronefs spatiaux jusqu'à ce qu’un bruit de moteur familier se fasse entendre. Elle força ensuite sur ses pupilles pour tenter de discerner la silhouette de l’Arcadia à travers les nuages.
- Il est là Yu-chan ! C’est papi !
- Ojiji’ Lock !
- Oui ! Oui ! Ojii-san Harlock !
Reiko attrapa alors Sayuri tandis que le vaisseau des rebelles masquait brièvement le soleil.
- C’est l’heure, mon cœur. On va bien s’amuser, hein ?
- Acadia !
- Oui, l’Arcadia ! C’était la maison d’Okaa-san quand elle était un peu plus grande que toi !
- Big1 vaut largement ce vieux rafiot, ronchonna Bruce.
La jeune femme lui renvoya une oeillade dubitative et moqueuse, qui ne fit que renforcer son humeur massacrante.
Contrairement à ce qu’il lui avait dit, il n’était pas transporté de joie par la perspective de gaspiller ses jours de congés à bord de l’Arcadia.
Néanmoins, ces vacances paraissaient vitales pour la santé mentale de sa bien aimée et il s’y était résigné de bonne grâce.
Et puis, après l’incident survenu sur Mars, le pirate lui avait juré de se renseigner sur la nature des événements ayant ébranlé la SDF. Peut-être aurait-il des informations utiles à lui transmettre afin qu’il puisse prémunir son foyer de la tempête qui noircissait l’horizon.
“Je suis presque sûr que Reiko veut s’entretenir avec lui à propos d’Agrica et du détournement du 414. Ce que je ne saisis pas c’est pourquoi elle ne se confie pas à moi. De quoi a-t-elle peur, enfin ?”
Il n’eut pas l’occasion d’approfondir le sujet puisque le vaisseau avait atterri et que la passerelle de celui-ci se déployait sur l’asphalte.
Cape et cheveux au vent, l’ennemi public numéro un de l’univers, le héros des peuples libres toutes galaxies confondues, les accueillit en portant deux doigts à ses tempes.
Et, dans son ombre, Bruce eut l’impression d’être face à sa réplique parfaite, la jeunesse en prime.
“Daiba… Je ne l’ai pas croisé depuis un bail.”
Les nouveaux venus n’eurent pas le loisir de descendre les quelques mètres les séparant du bitume que Reiko se jeta sur eux avec un enthousiasme débordant.
- Otto-san ! A-NI-KI !
- Poussin !
- Koko.
Harlock, dont les traits étaient la plupart du temps énigmatiques, se dérida lorsque sa fille se pendit à son cou.
- Moi aussi je suis content de vous voir.
- Jiji ! OJIJI !, s’écria Sayuri.
- Et moi ?, demanda Tadashi en se penchant au-dessus de l’enfant.
- Tashi ! Tashi !
- Ah ! Tu te souviens de ton tonton préféré, pas vrai princesse ? Fais moi un gros câlin !
Reiko, dont le nez était enfoui dans le pull fleurant les vapeurs d’alcool et de cuir usé de son père, abandonna volontiers la petite à son frère, qui la fit tournoyer dans les airs.
- Hé, je suis là, lança Bruce en les rejoignant.
- Lapin, je te trouve un peu pâle, est-ce que tu manges suffisamment ? Madame Masu pourrait te concocter ce poulet frit que tu apprécies tant.
- Je suis juste harassée, c’est rien. Une semaine parmi vous et je reviendrai en forme sur Destiny.
- Le Doc peut t’examiner.
- Papa… Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi, j’ai assez d’une mère poule sur Destiny.
- Okay, je vois que tout le monde fait comme si je n’étais pas là. C’est génial, intervint le sniper.
- Encore heureux qu’il prenne soin de toi, Koko. Sinon, il aura affaire à moi.
- Otto-san ! Je te rappelle qu’on est mariés et que je suis majeure et vaccinée.
- Bon, je monte sur le pont saluer les autres, soupira le Commandant de la section Sirius en s’éloignant. Et j’adore la comparaison avec ce volatile. Très valorisant.
- Tu fais déjà la tronche, Speed ?, le nargua Tadashi.
- La ferme, Daiba.
- T’es sûr que tu veux embarquer ?
- Aniki !
- Dashi-kun !
- Je plaisante !, s’exclama le concerné en levant les bras au ciel. Ne tirez pas, je me rends !
“Ce séjour va être long. Très long.”, se désespéra Bruce en pénétrant dans le vaisseau à pas lents.
- Koko, tu es ici chez toi, reste aussi longtemps que tu le voudras, affirma Harlock.
Tandis qu’il prononçait ces mots, le regard du Capitaine allait et venait entre son gendre et sa fille. Observateur, il devina au premier coup d'œil que de nombreux non-dits obscurcissaient la relation des époux Speed.
“Grand dieu, ils sont incapables de communiquer alors qu’ils partagent le même objectif : protéger leur famille.”
- Ne nous attardons pas, j’aimerais rejoindre SSX avant demain, leur intima-t-il.
Sayuri perchée sur ses épaules, Tadashi ouvrit la marche.
- Puis-je vous escorter, gente demoiselle ?, demanda Harlock en tendant le bras à Reiko.
- J’accepte votre proposition, très cher.
À mesure que le petit groupe progressait dans les couloirs de l’Arcadia, une chape de sérénité enveloppa la pilote.
“Je suis à la maison. Je suis en sécurité. La voix, le démon de mes cauchemars… Ils ne peuvent pas m’atteindre dans cette forteresse tout de fer et d’acier.”
- Tto-san, et si on allait… Boire un verre avec un vieil ami ?
Un fin sourire étira les lèvres du hors-la-loi.
- Je pense que ça lui fera très plaisir.