A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 64 : Le Tournoi de la SDF - partie 4

6232 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/08/2024 11:25

Chap 64 : Le Tournoi de la SDF - partie 4 


- Je peux ?

- Hum.


David tira une chaise et s’assit en face d’un Bruce pour le moins maussade.


- Je t’ai pris ça au distributeur, déclara-t-il en déposant une canette devant le nez du Commandant de la section Sirius.

- T’étais pas obligé.

- Ça me fait plaisir.

- Merci.


L’ingénieur pencha la tête sur le côté, intrigué. Que le sniper soit de mauvaise humeur était chose fréquente, mais qu’il s’isole à la cafétéria sans Reiko dans un rayon de dix mètres autour de lui, l’était moins. 


- Elle est avec Kodaï, répondit-il en lisant aisément dans l’esprit de son partenaire. Son train décolle d’ici une heure.

- Il n’était pas censé surveiller Sayuri jusqu’à la fin du tournoi ?

- Susumu est tombé malade. La vie l’a doté d’une faible constitution. Hirumi est inquiète car les médecins préconisent une hospitalisation.

- Oh, je suis désolé de l’apprendre.

- Ouais.


Bruce décapsula le lait à la fraise et le porta à sa bouche, morose.


- Est-ce que c’est le départ de Mamoru qui te contrarie à ce point ?

- Tu déconnes ? Bon débarras.


L’Officier navigateur pouffa et avala une gorgée de bière amère.


- C’est ta belle qui te tourmente alors ?


Le regard meurtrier que lui renvoya son supérieur fit office de confirmation - ou d’avertissement.


- Qu’est-ce qu’elle a fait encore ? C’est son pilotage hors-norme qui te met dans cet état ? Crache le morceau mon petit, tonton David est là pour t’écouter.

- Boucle la, soupira le Commandant en levant les yeux au ciel.


Après quelques minutes durant lesquelles les deux amis dégustèrent leur boisson en silence, Bruce se racla la gorge.

- Depuis l’épreuve de Neo Terra, elle n’est pas dans son assiette. 

- Pas étonnant après tout ce qu’il s’est passé ces derniers temps…

- Tu fais allusion à Mars et à la disparition de Yuyu ?

- Entre autres… Mais aussi au blâme que tu lui filé - pour ainsi dire gratuitement -, à la dispute et à la cuite qui ont suivi, à ce qu’il s’est produit sur Agrica, sans omettre le stress engendré par cette compétition et l’affaire de l’hologramme qui a sans doute remué de sales souvenirs.


Bruce  fronça les sourcils, préoccupé.


- Cette pénalité était justifiée, soit dit en passant, car elle fait toujours trop de zèle. Pour le reste… Je suis dans le flou le plus total. Même si elle encaisse tout sans se plaindre, je n’ai pas l’impression que… Que son asthénie et sa baisse de moral résultent de tout ce bazar ambiant. Elle s’est pardonnée son manque de vigilance au festival du printemps et elle ne semble pas m’en vouloir pour la sanction… Ou pour Riina. Y’a un truc qui m’échappe et je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Quelque chose qu’elle ne parvient pas à m’avouer. Comme si elle craignait ma réaction. Est-ce que c’est lié aux événements survenus sur Agrica ? À Neo Terra ? Raah !


Il rejeta son siège en arrière en poussant un râle d’agacement.


- Le mal du pays ? Ou plutôt du vaisseau pirate ?, suggéra l’ingénieur.

- Possible. J’en sais foutre rien vu qu’elle ne me parle pas de ce qui la trouble. Ses cauchemars, qui s’étaient apaisés après sa discussion avec Lawrence, sont revenus. Encore. J’ignore si c’est la conséquence de ses insomnies mais elle est constamment sur ses gardes comme si des ennemis allaient surgir de notre armoire ou de sous le tapis. Enfin bref, je dors pas, Sayu dort pas et Reiko non plus.

- Ce qui explique cette tronche de déterré.

- Tu t’es vu récemment dans un miroir ? Parce que je te garantis que comparé à toi, je suis carrément séduisant.

- C’est pas la modestie qui t’étouffe, se gaussa David.

- J’ai juste conscience de mes avantages, blaireau.

- Riina aussi en a conscience, railla-t-il.

- Tu veux mourir ? Parce que ça peut s’arranger.

- Je décline la proposition.

- Je suis disponible si tu changes d’avis.


David fouilla sa veste et en extraya un jeu de cartes usé.


- Une partie ? Ça fait longtemps.


Un fin sourire étira les lèvres du sniper.


- Si tu m’extorques ne serait-ce qu’un éblu, Reiko va m’étriper.

- Parie sur ta défaite.

- Même pas en rêve, le rembarra-t-il.


Observateur, l'Officier navigateur nota que la tension raidissant le corps du Commandant s’était amenuisée et que les épaules de ce dernier s’étaient relâchées.


- Dans ce cas, ne misons pas d’argent.

- Quoi alors ?

- Des jours de congés.

- Ben voyons !

- Faut bien que je profite un peu de ta situation. Si tu gagnes, je rédige tes rapports pendant un mois.

- Vendu.

- Je sens que la déesse de la chance est avec moi, aujourd’hui !, claironna-t-il en lançant dans les airs une pièce de monnaie dorée sur laquelle était gravé le visage d’une très belle femme.

- Que tu crois, objecta Bruce en happant ses cartes. Prépare-toi à annuler tous tes rencards car j’ai une tonne de paperasse en retard.

- Pour info, je veux des vacances d’ici trois semaines, j’ai prévu d’emmener Mélina à la plage, le prévint-il en attrapant la pièce et en la recouvrant de sa main gauche.

- Le seul endroit que tu visiteras ce sera “Archives Town”.

- On verra ça, dit-il en découvrant le profil de la reine millénaire, autrefois appelée Yayoi Yukino.


Mettant de côté ses angoisses, Bruce se laissa prendre au jeu.


- Brelan !, annonça-t-il, victorieux.

-  Hein ? Tu rigoles ?


*** 


- Si on peut faire quoi que ce soit…

- Je pense que ça ira mais je vous tiendrai au courant.

- D’accord, téléphonez-nous dès qu’il y a du nouveau.

- Compte sur moi, promit Mamoru avec un pauvre sourire.


Reiko serra son ami dans ses bras en essayant de lui transmettre toute la force et la volonté dont elle disposait. 


- Embrasse-les pour nous et, si tu as besoin de notre aide, on débarquera dans la journée, quitte à détourner Big1.

- J’espère qu’on n’en arrivera pas à de telles extrémités mais je te remercie de ta sollicitude.

- Pas de ça entre nous. Tu es mon frère au même titre que Tadashi. Et la famille c’est sacré.

- Je suis honoré que tu me considères de cette manière.


Elle asséna une tape amicale dans le dos du jeune homme et s’écarta de celui-ci.


- Je jure que je serai toujours là pour vous trois. Moi et cet imbécile de Bruce, ça va de soit. 

- J’oublierai pas, prenez soin de vous. 

- C’est à moi de te dire ça. À bientôt.


Le Commandant du Yamato pénétra dans le train en tâchant de camoufler au mieux l’anxiété qui le rongeait afin de ne pas alarmer davantage la pilote.

Toutefois, alors que l’express était sur le départ et que la porte automatique se refermait,  Mamoru bloqua le panneau coulissant avec son pied.


- Koko… J’ignore ce qui te cause autant de tracas mais partager ses soucis c’est déjà en résoudre une partie.


La militaire écarquilla les yeux avant d’acquiescer.


- Je… Je m’en souviendrai.


Un sifflement retentit et les roues du train se mirent en mouvement. Reiko s’éloigna vivement du quai et agita le poignet en guise de “au revoir”. À travers la vitre, Mamoru fit de même tandis que la locomotive décollait, entraînant ses wagons avec elle.


- Partager ses soucis ?


*** 


Les mains dans les poches, Reiko déambulait le long du quai. Songeuse, elle repassait au crible les événements des dernières semaines, tentant d’établir des liens entre ceux-ci. Au fil de ses réflexions, une certitude s’était frayée un chemin dans son esprit.

Si elle n’était pas folle, et elle avait tendance à exclure cette possibilité, il était fort probable que la Chose qui hantait ses nuits et celle qui avait provoqué cette absence lorsqu’elle pilotait le Space Eagle, soient la seule et même monstruosité.

De plus, elle était persuadée que ces manifestations occultes n'étaient pas étrangères à l’enlèvement des passagers sur Agrica. Le discours des voyageurs zombifiés faisait écho à celui de la voix de ses cauchemars. Et si elle ajoutait à cela ce qu’il s’était produit cette année sur Mars avec les battements, il était illusoire d’assimiler ça à un patchwork de coïncidences.

“Mais pourquoi en a-t-elle après moi ?”

Le chaos, l’asservissement des humains, la peur, le sceau qui doit être brisé, un sacrifice, du sang…

“Ça n'a aucun sens.”

Qui était responsable de cette tentative de déstabilisation de l’Ordre naturel ? Les humanoïdes ? Elle était presque sûre que les corps des agresseurs du champ de maïs avaient une résonance métallique. Néanmoins, si tel était le cas, pourquoi le QG n’avait-il pas réussi à déchiffrer les gravures sur le poignard ? 

“Sauf qu’il n’ont peut-être rien à voir avec ça…”

Enfin, il y avait cet astre entouré de gaz qui lui inspirait une sensation de “déjà vu”.

“Une nébuleuse rougeoyante, percée d’un œil bleu. En aurais-je rêvé ?

Elle n’avait jamais navigué au sein de cet amas nuageux interstellaire, qui lui procurait pourtant un sentiment de malaise indéfinissable.

“Je suis face à un puzzle dont il me manque des pièces. Je ne peux pas l’achever. Pas encore. Lawrence et Mamoru ont beau me recommander d’être patiente, ce n’est pas ma spécialité.”


- Et si je me confie à Bruce… Dans le meilleur des cas, il m’interdit de voler, et dans le pire, il m’enferme à double tour dans un hôpital psychiatrique. Il est si cartésien que mes histoires de voix et d’entités maléfiques ne seront rien d'autre que des affabulations à ses yeux.


Elle s’immobilisa, le cerveau en surchauffe et le cœur palpitant.


- Et ensuite… J’ai récité une sorte de prière. Quelle était-elle ?  “Le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se brise pas, l’Existence ne retourne pas au Néant.” Un truc dans le genre… Putain mais d’où est-ce que je sors ça au juste ? Je suis larguée.


Reiko se gratta l’avant-bras avec frénésie.


- Je ne pouvais décemment pas en parler à Mamoru, il a assez de problèmes comme ça. Et je ne veux pas inquiéter inutilement mon peloton tant que je ne suis sûre de rien. Quels choix me reste-t-il ?


Elle tâtonna sa veste, à la recherche d’un petit objet rond avec une bille orangée, lumineuse, en son centre.


- Il y a bien quelqu’un… Quelqu’un qui ne me jugera pas.


Elle se massa la nuque, exténuée par ses nuits sans sommeil.


- On verra ça après le tournoi. D’ailleurs, il est nécessaire qu’il se termine.


*** 


Après une bonne demi-heure d’errance dans le dédale de coursives du Quartier Général, Reiko se décida à rejoindre la salle de pause dans laquelle ses équipiers attendaient que la prochaine épreuve soit annoncée.


- T’en as mis du temps, lui fit remarquer Bruce, paresseusement installé dans un fauteuil.

- Ouais, je me suis dégourdie les jambes, répondit-elle en éludant son regard inquisiteur.

- Comment va Susumu ?, l’interrogea Louise.

- Une énième crise d’asthme, parmi d’autres pathologies. Il a une santé si fragile qu’un simple coup de froid peut l’expédier tout droit à l’hôpital. 

- Oh, j’enverrai tous mes vœux de rétablissement au Commandant Kodaï et à son épouse.

- Je suis sûre que ça leur fera plaisir, approuva la pilote.


Elle s’assit près de Manabu, évitant sciemment le sniper avec lequel le dialogue était plus difficile que de coutume.

“Il se méfie… Il n’est pas né de la dernière pluie, il sait très bien que je lui dissimule volontairement des informations.”


- Quoi de neuf ?, demanda-t-elle à David, qui paraissait beaucoup trop content de lui.

- Je pars bientôt au soleil.

- Ah bon ?, dit-elle en coulant une œillade vers son mari. Il t’a laissé prendre des congés payés ?

- J’avais de sérieux arguments.

- Vraiment ?, insista-t-elle en entortillant une mèche de ses cheveux, soupçonneuse.

- Tout à fait.


Bruce haussa les épaules, désabusé.


- Je n’ai rien parié, si c’est ce que tu insinues.

- Pas d’argent, tout du moins, rétorqua l’ingénieur.

- T’as récidivé ?!


Le jeune homme soupira, faisant mine de se focaliser sur le rapport qu’il tenait entre ses doigts.


- Hé ! Fais pas genre de ne pas m’entendre.

- Parce que toi tu t’en prives, peut-être ?

- Oh, c’est une accusation mesquine, s’offusqua-t-elle.


Bruce n’eut pas l’occasion de riposter car il fut interrompu dans son élan par le vantail coulissant qui s’ouvrit dans un chuintement feutré, dévoilant une silhouette imposante, munie d’une large casquette et d’un long manteau bleu marine.


- Commandant Tôdo ?


***


Suspicieuse, Reiko se rapprocha de David.


- Je ne connais pas cet endroit. Il y a des hangars de simulations par ici ? Tout est délabré.

- Je ne savais qu’il existait des quartiers à l’abandon sur Destiny.

- Je vois…


La pilote se mordilla la muqueuse de la joue sans cesser d’observer les alentours.

Elle n’aimait pas ce lieu. Les odeurs qu’il dégageait. Les visages anxieux qu’elle devinait derrière les persiennes mi-closes. Les venelles crasseuses dans lesquelles se terraient des animaux errants affamés.


- Le revers de la médaille, grogna-t-elle. La richesse va de paire avec la pauvreté, ainsi va le monde. Je pensais pourtant qu’ici ce serait différent. Avec le trafic généré par la gare, la présence des milliers d’employés travaillant au QG… Le commerce, les hôtels, l’industrie me semblaient florissants.

- De nombreuses personnes atterrissent sur Destiny sans avoir les moyens, ou le courage, de reprendre leur voyage.


La jeune femme serra les poings, en colère.


- C’est toujours pareil. Toujours pareil.


Marchant quelques pas devant le binôme, Bruce enfonça ses mains au fond de ses poches.

Lui non plus ne venait jamais dans le district nord de la ville. Cependant, contrairement à ses compagnons, il n’ignorait rien des conditions insalubres dans lesquelles vivaient ses habitants.


- Chaton, tu ne peux pas porter toute la misère de l’univers, affirma-t-il néanmoins.

- Certains le font.

- En sont-ils plus heureux ?


Reiko rejeta la tête en arrière pour contempler le ciel ombrageux de cette fin d’après-midi.


- Ils ne le font pas pour être heureux.


Le sniper ne répliqua pas.

Bien sûr, il avait choisi une vie de rédemption en tant que chien de garde du Galaxy Railways mais, à la différence d’Harlock ou de Warrius, il ne désirait pas charger toute la souffrance du monde sur ses épaules.

Prendre soin de sa famille accaparait déjà tout son temps libre et était loin d’être reposant.


- Nous y sommes.


Le peloton Sirius leva les yeux et découvrit un immeuble en ruines aux fenêtres cassées, aux volets démis et au crépi en miettes.


- Il n’y a plus de budget à la SDF ou quoi ?, se moqua l’Officier navigateur. 

- C’est ici que se déroulera la prochaine manche, les renseigna Tôdo sans se départir de son sérieux légendaire.

- Vraiment ?, souffla Louise, choquée.

- En quel honneur ?, le questionna Bruce.


Tôdo désigna le bâtiment, un léger sourire flottant sur ses lèvres.


- Des otages sont détenus dans une pièce, dont l’emplacement est tenu secret, par l’une de nos sections. Votre mission est simple. Secourir les victimes et mettre leurs assaillants en déroute. Votre unité attaque et l’autre défend.


Un silence interloqué succéda à cette révélation.


- Enfin, pas l’intégralité de votre unité.

- Je vous demande pardon… ?, grommela le Commandant Speed en plissant les paupières.

- Vos adversaires ne sont qu’au nombre de quatre. Vous êtes six en comptant Black. Afin de respecter la parité et Killian étant un cadet, j’exclus d’office sa participation. Celle de Bruce également. Un Capitaine se doit de faire confiance à son équipage, tu seras donc spectateur sur ce coup là. Yuuki, Fort Drake, Young et Sakuramachi, je vous souhaite bonne chance.

- Je ne suis pas d’accord, se rebiffa-t-il sur un ton menaçant. Il n’est pas…

- Je crains que tu n’aies guère le choix, le coupa sèchement son supérieur.

- Vous n’êtes qu’un…


Reiko enroula délicatement ses doigts autour de ceux de son conjoint.


- Nous ferons tous de notre mieux, pas vrai les gars ?

- Évidemment, s’exclama Manabu en frappant son poing au creux de la paume de sa main gauche.


David croisa les bras derrière son cou, détendu.


- Et qui sont nos concurrents du jour ?


*** 


- Des pistolets-tasers ?

- Le but, ce n’est pas d’éliminer définitivement nos collègues, Koko. 

- Je me doute mais les décharges doivent être douloureuses.

- Pas autant qu’un rayon laser, intervint Manabu.


Réunis dans le hall de l’immeuble, ou plutôt dans ce qu’il en restait, les quatre comparses tentaient d’établir une stratégie pour parvenir à leurs fins.


- Si vous étiez un terroriste, où cacheriez-vous des otages ?, les interrogea Louise.

- Un lieu facile à protéger ?, avança l’artilleur.

- Là où personne ne songerait à les chercher ?, compléta Reiko. 

- Un endroit d’où il est possible de s’enfuir si ça tourne mal, conclut David.

- Ces réponses sont toutes correctes, déclara l’Officière radar, mais ça ne nous aide pas beaucoup.

- Au contraire, la contredit la pilote. Une place invulnérable, inhabituelle, avec une porte de sortie. Pourquoi pas les combles si elles sont pourvues d’un soupirail ? Ça fournit une échappatoire vers les toits.

- Trop évident…, argua Louise.

- Les étages intermédiaires ?

- Le risque d’être pris en étau est quasi certain. 

- Près d’un escalier de secours ?

- Pour offrir une entrée aux renforts ?

- Le sous-sol ?

- Un pied dans la tombe.


Reiko posa les poings sur ses hanches, exaspérée.


- Vous avez de meilleures idées ?

- Connaissant les phénomènes qui nous attendent toutes griffes dehors, tout est envisageable, expliqua l’ingénieur. 

- On se sépare ?, proposa Manabu. Pour maximiser nos chances.

- C’est ce que j’allais vous suggérer. On maintient le contact avec nos émetteurs, puisqu’ils nous en ont donnés. Louise avec moi et vous deux ensemble. Malgré vos agissements irréfléchis et décisions parfois discutables, vous formez une team efficace. Et je ne peux décemment pas laisser ce pervers avec notre princesse.

- Prin… Princesse ?, répéta l’Officière radar, ravie d’être considérée de la sorte.

- Hé !, protesta l’artilleur en s’empourprant. C’est de moi que tu parles ? Je suis un gentleman !

- Il n’a pas tort, espèce de petit vicieux. Allez, viens. On va explorer le haut pendant qu’ils s’occuperont du rez-de-chaussée et des parkings souterrains s’il y’en a.

- Reiko !

- Mais oui, mais oui. Crois-moi, travailler avec son crush, c’est pas une sinécure, dit-elle en l’empoignant par le col et en l’entraînant en direction de la cage d’escaliers.

- Je… Ce n’est pas…

- Navrée, Nabu. Aujourd’hui, à défaut de côtoyer la princesse, tu as le bouffon du roi.


*** 


Sur leurs gardes, Reiko et Manabu grimpèrent prudemment les marches menant au premier palier. Ils atteignirent sans problème la porte coupe-feu et se placèrent chacun de part et d’autre de celle-ci. 

Puis, armes au poing et parfaitement synchronisés, ils enfoncèrent le battant. Ils inspectèrent rapidement les alentours sans détecter la présence d’un membre de l’unité adverse. 


“- On continue”, signa la pilote.

“- Reçu, toi à droite et moi à gauche.”


Ils se dispersèrent sans échanger un mot. La militaire se faufila ensuite dans un corridor étroit, éclairé par la lueur verdâtre des panneaux “issue de secours”. S’efforçant de progresser sans un bruit, examinant le moindre recoin, elle tâchait de mettre en pratique tout ce qu’elle avait appris au cours de ces années en tant que cadette, puis diplômée, de la Space Defence Force. 

“Je ne suis pas du genre à abandonner mais j’aimerais que cette comédie s’arrête.”

Elle avait des soucis plus importants sur le feu et gagner cette compétition n’en faisait clairement pas partie.

“Ils pourraient se dissimuler dans n’importe quel appartement.”

Le bâtiment possédait deux étages, en excluant les caves ou le grenier.

“Ça va nous prendre un temps infini.”

Toutes les portes étaient verrouillées et, alors qu’elle se focalisait sur ces dernières, elle faillit ne pas remarquer l’ombre qui s’approchait au fond du couloir.

Le canon du cosmo-gun réfracta la lumière des néons et, moins d’une seconde avant que l'arc électrique ne la touche, Reiko s'aplatit au sol et roula dans un renfoncement du mur en actionnant son micro courte portée.


- Manabu, je…

“- J’ai entendu, j’arrive !”

- Fais attention !


Elle risqua un œil hors de son abri pour essayer d’identifier l’individu qui la canardait.


- C’est Kori. Tu la prends à revers ?

“- Au vu de l’agencement des pièces, ça me paraît compliqué.”

- Okay. S’ils nous bloquent cet accès, ce n’est sûrement pas un hasard. Lawrence ne fait jamais rien au hasard.

“- Et s’il tente de nous induire en erreur ?”

- On ne peut pas écarter cette option.


Reiko glissa son cosmo-gun sur la paroi et appuya sur la gâchette.

Bien que ce ne soit pas son point fort, elle savait qu’au vu de l’angle et de sa position, elle n’avait aucune chance de l’effleurer. 


- Koko !

- Nabu.


Le jeune homme était plaqué contre un mur, quelques mètres derrière sa partenaire.


- On ne passera pas, l’informa-t-elle.

- J’en ai conscience. Prévenons les autres. 


Fébrile, Manabu activa son communicateur.


- Louise, David, la section Cepheus nous a tendu une embuscade au premier. Et de votre côté ?


Ils patientèrent plusieurs minutes durant lesquelles les tirs de Kori ne se tarirent pas. 


- Un court-circuit ?, se questionna la pilote.

- Ils seraient hors de portée ?

- Pourquoi ? Même si notre matériel n’est pas des plus performants… Je ne saisis pas ce qui pourrait les empêcher de nous joindre…


Des crépitements retentirent mais aucun son ne franchit les haut-parleurs. 


- Franchement, je suis fatiguée de ces pannes constantes. Ce n’était déjà pas drôle au début. Maintenant, c’est carrément horripilant.

- Et s’ils leur sont tombés dessus ?

- Dans ce cas, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. 

- Une suggestion pour nous sortir de ce pétrin ?


Reiko détailla la coursive et ses yeux s’arrêtèrent sur une petite trappe qui surplombait son ami.


- Peut-être bien mais tu ne vas pas apprécier.


*** 


- Par ici !


David poussa Louise dans un corridor sur sa droite tout en évitant laborieusement les traits blancs chargés en électricité. 

Kim et Pierre à leurs trousses, ils avaient échappé de peu à l’élimination tandis qu’ils parcouraient le sous-sol qui, même s’il n’était pas doté de parking, comprenait deux paliers avec de nombreuses caves et boxes de stockage.


- Tu sais où on va gros malin ?

- J’ai pas spécialement eu l’occasion d’y réfléchir !


Entraîné par son élan, l’ingénieur pénétra dans un local exigu dépourvu de vitrages, l’Officière radar à sa suite. Lorsqu’il réalisa sa bévue, il voulut faire demi-tour mais se pétrifia en apercevant deux agents du peloton Cepheus qui le fixaient avec un air goguenard. À l’image de son équipière, il pointa son arme en avant mais n’eut pas l’opportunité de l’utiliser.


- Toutes nos excuses, c’est fini pour vous, lança Kim en ajustant ses lunettes carrées et en claquant le vantail.

- Les parois sont épaisses, vous aurez du mal à appeler du renfort, donc on ne va pas vous taser, les avertit Pierre, dont la voix étouffée leur parvenait difficilement depuis l’autre côté du panneau métallique.

- N… Non !, s’affola Louise en tambourinant contre celui-ci avec rage.

- Putain, ils nous ont bien eus… J’ai foncé tout droit dans leur piège. 


Le poing de la jeune femme s’abaissa et elle posa son front sur la porte, découragée.


- Ils sont livrés à eux-mêmes…

- Hum, maugréa David, énervé de s’être fait berner aussi aisément.

- D’après toi, ils peuvent quand même réussir ?

- Ils sont faits d’acier. La seule personne en mesure de les arrêter n’est pas dans cet immeuble, donc soyons confiants.


Louise retroussa ses narines, perplexe.


- La seule personne ? Tu penses à qui ?

- À ton avis ?


L’Officier navigateur s’assit en tailleur en appuyant nonchalamment son menton dans la paume de sa main.


- Il n’y a que Bruce qui puisse se faire obéir de ces entêtés.


Il ferma les paupières avec lassitude.


- Et encore.


*** 


- T’avais raison.

- Quoi ?

- Ben cette idée… Elle ne me plaît pas !

- Parce que t’en avais une meilleure, monsieur Yuuki ? Au moins Kori ne nous a pas remarqués.

- Alors non, mais…

- Mais rien du tout, cesse donc de te plaindre et rampe en silence ou on va se faire repérer !

- Facile à dire, j’ai les épaules larges !

- Plus larges que ton cerveau, oui.

- On a assez d’un “Bruce-brute-de-décoffrage”, tu ne crois pas ? 

- Chut, fais moins de bruit !


La pilote s’immobilisa au-dessus d’une trappe grillagée dominant un couloir du deuxième étage.


- Quelqu’un arrive !, chuchota-t-elle.


Manabu, qui avait compris le message, se stoppa à cinq centimètres des orteils de pieds de Reiko, qui approcha son nez de la grille pour déterminer l’origine de ce vacarme.


- Kim et… Pierre ?


L’Officier navigateur, un grand brun aux lunettes carrées, était aussi froid et calculateur que pouvait l’être Bruce. Son collègue, en charge des radars et des communications, était un blondinet aux cheveux blonds mi-longs, moins grand et moins charpenté, qui le talonnait de près. 


- Je préfère que ça se passe comme ça, lâcha Pierre. Les soldats de Sirius sont de braves types. Leur mentalité est différente de la nôtre mais tout aussi respectable.

- Ouais, Reiko a même brièvement été des nôtres. Je l’apprécie cette gamine. Elle a tenu le coup alors que son mec était dans le coma, que Bulge avait été tué et que son unité avait été dissoute.

- Mmmh. La requête du Commandant a été déclinée même si ça lui aurait plu qu’elle nous rejoigne. Et il est exigeant. Il a sans doute décelé du potentiel chez cette fille.

- Cette épreuve ne me plaît pas plus qu’à toi, Pierre.

- Leur tirer dessus… C’est peut-être inoffensif mais ça reste douloureux.

- Le Galaxy Railways est administré par des sadiques.

-.Pas faux. Enfin bref, les pièger dans une cave… Ce plan était efficace.

- Le Commandant est toujours efficace.


Ils marchèrent en poursuivant leur discussion, qui s’était avérée des plus enrichissantes pour le binôme de la section Sirius.


- Nabu…

- Oui, j’ai entendu.

- Il n’y a que toi et moi à présent.

- Les autres… On essaie de les libérer ?

- On est trop éloignés de leur position. Il est préférable de continuer.

- Fais chier…

- Ils vont bien. Faisons leur honneur et donnons notre maximum. 

- D’accord. On descend ? Si on les suit, on trouvera…

- L’endroit où ils retiennent les otages ? Faisons ça.


La jeune femme entreprit d’arracher la grille, qui révéla une ouverture suffisamment spacieuse pour qu’elle se ménage un passage. Pour elle mais aussi pour les larges épaules de Manabu. Puis, elle sauta au sol avec toute la grâce dont elle disposait.

C’est-à-dire très peu.


- Woh, on dirait un croisement entre un éléphant et un panda.

- Tais-toi et active, on va les perdre.

- À vos ordres, madame l’épouse du Commandant, railla-t-il en atterrissant agilement auprès d’elle.


*** 


- Une bière, s’il-vous-plaît.


Face au regard noir que darda sur lui le Commandant, Killian modifia ses plans.


- Un diabolo… Fraise ?

- On n’a que du lait, soupira la serveuse, une quinquagénaire ridée avec un air blasé.

- C’est… Parfait.


Le bar miteux dans lequel s’étaient réfugiés les deux agents de la SDF se situait à proximité du bâtiment actuellement pris d’assaut par le quatuor de l’unité Sirius.

Le cadet, qui n’était pas habitué aux tête-à-tête avec son supérieur, n’en menait pas large. Supérieur qui était d’ailleurs contrarié d’avoir été sciemment écarté de cette manche et dont les pores suintaient de frustration. Comme de coutume, il n’était pas serein lorsque sa chère et tendre n’était pas dans sa ligne de mire.


- Le QG… Il magouille en permanence pour m’évincer, grogna-t-il, ulcéré.


Killian hoqueta, surpris par cette confidence inattendue. Quand il s’en aperçut, Bruce tiqua, réalisant qu’il s’adressait à un futur cadre des Chemins de Fer Intergalactiques. Celui-ci se gratta le menton, songeur.


- Il y a eu des malversations…

- Hein ?

- À la Direction, je veux dire.


Bruce se pencha en avant, intrigué.


- Raconte.

- Cette information est tout à fait officieuse mais… L’influence de Layla Destiny Shura s’estompe progressivement au profit de celle des actionnaires de la Compagnie.

- Pour quelles raisons ?

- Depuis la fin de la guerre opposant les forces libres à celles de l’Empire Mécanique, elle a tenté de prendre ses distances avec le peuple des humanoïdes. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais… Les rescapés qui ont rejeté la cohabitation pacifique avec les êtres biologiques de la Terre ou de Râ-Metal ont migré vers la planète “Nouvelle Andromède”.

- Nouvelle Andromède ?

- Râ-Metal le retour, les brimades envers les humains en moins. Pour l’instant, le gouvernement des machiners n’a montré aucune animosité envers les populations organiques. Cependant, le Commandant Suprême a catégoriquement refusé qu’une gare soit installée sur cette planète.

- Sans doute pour ne pas reproduire les fautes du passé.

- C’est mon hypothèse, oui. Ce décret subversif est toutefois vigoureusement contesté et son autorité en pâtit. 


La serveuse déposa négligemment deux bouteilles de lait sur la table, récupéra son paiement, et retourna derrière le bar en soufflant ostensiblement. Une fois sûr qu’elle ne les écoutait pas, le sniper reprit la parole.


- Pourtant, au vu des dommages causés à la Compagnie par les bombes à diffusion ondulatoire et par les batailles contre l’armée mécanisée… Cette décision est la plus sensée qu’elle pouvait prendre. Bien que j’ignore ce qu’il en est réellement, l’implication du QG dans les affaires des robots est entourée d’un flou certain. Entre complaisance et collaboration, la frontière est mince. Mais si, à tout hasard, le désir de Shura de se tenir à l’écart de l’Empire était antérieur à l’attaque des stations de triage… Ça expliquerait bien des choses.

- Ce sont des questions qui méritent… Qu’on y réfléchisse. Ah ! J’ai oublié de vous dire que les revendications de ses détracteurs sont basées sur le principe de neutralité du Galaxy Railways. Si vous voulez mon avis, le problème c’est plutôt la perte d’argent engendrée par la non-création de cette ligne et de cette gare.

- Ton raisonnement est juste, Black. 


Bruce vida son verre d’une traite.


- Je peux te demander un service ?

- Oui ?

- Garde ces précieux renseignements pour toi. Reiko est assez perturbée pour le moment. J’aimerais qu’elle évite de fourrer son nez là-dedans.

- À vos ordres !, promit-il avec le salut militaire de rigueur.


Le Commandant eut un petit sourire de connivence.


- Continue d’ouvrir l'œil… Et les oreilles, okay ? En toute discrétion.

- Je ne vous décevrai pas.


*** 


- Nabu…

- Ouais.

- Ils sont sûrement détenus dans l’un de ces studios.

- Vu qu’ils sont entrés à l’intérieur, ça me paraît logique. Comment on s’y prend ?


Reiko s’adossa contre une paroi poussiéreuse couverte de moisissures.


- Je t’avoue que j’en sais rien. Défoncer la porte me semble être une option dangereuse. En situation réelle, on risquerait de blesser les otages. Et, si ça se trouve, il y en a des vrais… Des “otages”. Des acteurs en chair et en os. Prudence est mère de sûreté. Je ne miserai pas sur la possibilité qu’il s’agisse d’hologrammes. Et puisque les conduits d’aération n’ont pas d’accès direct aux logements…

- Hum.


Pensif, Manabu ne répondit pas immédiatement.


- Si on se fie à la répartition des pièces. On se situe côté ouest, non ?

- Euh, peut-être. En quoi c’est important ?, l’interrogea son interlocutrice, perplexe.

- Quand on était dehors, j’ai vu qu’il y avait un escalier de secours. Il serpente assurément en dessous des fenêtres de l’appartement cible.

- Ce serait une erreur de débutant de la part de Lawrence, non ?

- Ou tout l’inverse. Il y a une expression… Plus c’est gros, plus ça passe ?


La militaire eut un rire moqueur.


- Tout dépend du contexte, Yuuki-kun.

- Aaah, tu as l’esprit mal placé.

- Et toi tu es vraiment trop naïf. 


Reiko tapota un vieux radiateur glacé, excitée par la perspective décrite par son coéquipier.


- Ça vaut le coup d’essayer. Oui… Plus c’est gros, plus ça passe.


Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres.


- Loin de moi l’idée de plagier le Commandant Murase mais si on leur montrait qui sont les champions de l’univers ?

- Let’s go !


L’artilleur tendit la main avec fougue et la pilote l’empoigna avec l’exacte même volonté.


- Pour l’honneur du peloton Sirius.

- Et celui de nos camarades tombés au champ d’honneur !

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