A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 63 : Le Tournoi de la SDF - partie 3

5828 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/08/2024 16:14

Chap 63 : Le Tournoi de la SDF - partie 3



- Non, pas elles…

- Aucun individu sain d’esprit n’aurait sciemment choisi d’affronter ces amazones.

- Yuuki, Reiko, on a saisi, s’agaça Bruce.

- Ils ont raison, approuva David, un brin déprimé. T’étais au courant, non ? Pourquoi tu n’as rien dit ?

- Pour éviter ce genre de commentaires, justement, avoua le Commandant en balayant du regard son équipage.


Les épaules voûtées, une grimace collective déformant leurs traits, les membres de l’unité Sirius ne décollaient pas leurs yeux des écrans de contrôle sur lesquels était apparu un train écarlate.


- Percy Shelly…

- Maggie Redford…

- Ai Matsura…

- Et surtout, avança Manabu, la reine des abeilles…

- Le Commandant Julia Reinhart, clamèrent-ils en cœur, sans tenir compte de l’exaspération qui exhalait par tous les pores de la peau de leur supérieur.

- Bon, c’est fini le concert de lamentations ? On peut se mettre au boulot ?


Face à l’absence de réaction de son peloton, il enchaîna.


- Voici le topo : nous sommes stationnés à proximité de la planète “Néo Terra”. Destiny exceptée, elle détient la plus grande gare de triage de l’univers.


Reiko inclina son siège pour mieux contempler la vidéo qui défilait au plafond de la “control room”. 

““Neo Terra”... C’est ici que se sont exilés les humains après avoir fui massivement la Terre. Aujourd’hui, cette dernière n’abrite plus que les miséreux comme je fus, n’ayant ni les moyens, ni les possibilités de quitter son orbite. Mes parents s’y trouvent encore… Ensevelis quelque part à Tôkyo sous des tonnes de gravats. La Terre… Est-ce que j’y retournerai ? Est-ce que j’en ai seulement envie ? Ce jour-là si Harlock n’était pas venu, s’il n’avait pas arpenté ces ruelles mal famées… Alors, ma très courte existence n’aurait connu que le malheur, l’indigence et l’indignité.”


- Neo Terra… Qu’as-tu de plus que ma planète natale pour mériter l’amour que les hommes te portent ? Pourquoi l’ont-ils abandonnée, elle, à ton profit ?, chuchota-t-elle, perdue dans ses pensées de vie et de mort.


Une ancienne promesse faite à un ami.

Un vaisseau surpuissant pour mettre en œuvre ladite promesse.

Un idéal : la liberté.

Phantom F. Harlock et Tôchiro Ôyama possédaient un destin transcendant les âges et le temps auquel le commun des mortels, dont faisait partie Reiko, ne pouvait qu’assister en qualité de simple spectateur.

“Tadashi Daiba est un rouage de cet engrenage. Moi, je n’y ai pas ma place. Est-ce qu’à la SDF, je pourrai… Prouver que j’ai l’étoffe nécessaire pour défendre les passagers ? Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui voyagent dans la mer étoilée à la poursuite de leurs rêves. Est-ce que je suis en mesure de veiller sur eux ?”

Bruce se racla la gorge pour attirer l’attention de ses équipiers.


- “Neo Terra” et la protection de la gare sont nos objectifs. Nous n’avons pas d’ordre de mission précis. Restez sur vos gardes, le décompte va bientôt…

“Début de l’opération dans dix, neuf, huit…”


Reiko s’installa devant sa console, déterminée.

“Ce tournoi est une excellente occasion pour montrer à la Direction, à ma section et à mon mari que je ne suis pas une catastrophe. Observer, analyser et agir. J’en suis capable. Je sais que j’en suis capable !”


*** 


- Il ne se passe…, commença Manabu.

- Absolument rien, acheva la pilote.

- C’est le vide…

- Le néant.

- On s’ennuie.

- À mourir !

- Bruce !, l’apostropha David, irrité. Ils remettent ça !

- Je vous ai demandé d’être vigilants. On ne se déconcentre pas ! 


L’horloge affichait une heure et treize minutes depuis le lancement de l’exercice.

Une heure et treize minutes d’une attente qui éprouvait les nerfs des uns et des autres.

Une heure treize.

Une heure quatorze.


- Ils nous testent, expliqua Louise.

- C’est évident, grommela Reiko.

- Ne laissez aucun détail nous échapper, leur intima le sniper. Tu as terminé, Black ?

- Oui, je n’ai rien détecté d’anormal aux alentours de la Terre.

- “Neo Terra”, rectifia la fille d’Harlock, un peu sèchement.

- Oui, c’est ce que je voulais dire, répondit-il, étonné par le ton maussade employé par sa sempaï d’adoption. 


Bien qu’elle ne soit pas directement en charge du cadet, cette dernière avait tissé un lien très fort avec celui-ci depuis leurs aventures, ou plutôt mésaventures, sur Agrica. De ce fait, elle avait joint ses efforts à ceux du fils de Kanna pour parfaire l’entraînement de la recrue - temporaire - de l’unité Sirius.

Alors que les regards interrogateurs de ses coéquipiers convergeaient vers elle, la jeune femme baissa la tête, penaude.


- Désolée. Je suis tendue.


Le Commandant haussa un sourcil soucieux, avant de toussoter et de changer de sujet, signifiant ainsi que l’incident était clos.


- Dans ce cas, Killian, reprends tout à zéro. Idem pour toi, Fort Drake.

- Bien reçu !


Une autre heure s’écoula durant laquelle Bruce les obligea à analyser la gare, Neo Terra et les corps célestes environnants. 

Encore et encore.

Il semblait résolu à ne pas se faire prendre de vitesse par leurs collègues de Spica. 


- Elles ont un train d’avance si on s’en fie aux facultés d'assimilation de données du Flame Swallow, argua Louise.

- Blague de cheminot de l’espace, comme dirait Aniki, pouffa Reiko avec un rire communicatif qui se propagea à travers la “control room”.

- C’est cette opération qui a un train de retard, embraya David.

- Pour une fois que les horaires sont respectés, conclut Manabu dans l’hilarité générale.


Cependant, face à l’aura ombrageuse se dégageant de Bruce, les quatre compères ne tardèrent pas à calmer leurs ardeurs et à reprendre leur sérieux.

La pilote, à demi affalée sur son poste de travail, scrutait les différentes vues relayées par les satellites de cette Terre qu’elle jugeait comme étant une contrefaçon. Composée à 80% d’océans et de deux continents qui n’en formaient qu’un à l’origine, elle paraissait indubitablement attrayante, promesse d’un eldorado pour tous ceux qui avaient connu le dénuement chez sa “Grande sœur” de la Voie Lactée.


- Une belle escroquerie, oui…


Si l’argent investi dans l’exode massif des terriens avait été utilisé pour réparer, reconstruire et planter des forêts, le berceau de l’Humanité n'aurait peut-être pas été réduit à l’état de décharge dans lequel il se trouvait actuellement.

“Les riches vivent là maintenant tandis que les pauvres et les infirmes… Meurent dans l’indifférence de tous. Tous ? À quelques exceptions près.”, songea-t-elle en se figurant Harlock, Tôchiro et Warrius. 


- Et moi, je suis ici…, marmonna-t-elle.


“Et, comme eux, je dois faire de mon mieux dans la voie que j’ai choisie…”

À l’instar de ses partenaires, elle continua donc sa promenade dans les étoiles. Alors qu’elle switchait de satellites entre les numéros X-4563 et U-3167, une irrégularité capta son intérêt. Elle bascula sur l’image précédente et le défaut se manifesta à nouveau dans le coin gauche de l’écran.


- Hé… Killian…

- Ouais, j’ai vu. Des interférences. Une sorte de brouillage.

- Une panne ?

- J’en ai l’impression, intervint Louise. Il faut vérifier les autres.

- Et il y en a combien des “autres” ?

- Cent trente-quatre, déclara l’Officière radar après une courte recherche.

- Et à quoi ça nous servirait ?, la questionna Manabu.

- Je l’ignore, on verra.


Pressentant une menace imminente, Reiko jonglait habilement entre les caméras jusqu’à ce qu’une scène alarmante se produise devant ses yeux.

Il lui fallut toutefois plusieurs secondes pour en saisir la teneur.

Puis, lorsqu’un son se décida enfin à sortir de sa gorge, elle fit pivoter son fauteuil vers Bruce, catastrophée.


- Le sat… Le sat… Satellite X-4563…

- Quoi ?

- Il va s’écraser à la surface de la planète !


*** 


Après un instant de flottement durant lequel les mâchoires du fils de Kanna manquèrent de se démandibuler, Bruce se rua vers la console de sa femme.


- Putain de putain de bordel de merde. C’est quoi ce truc ?

- Il sera bientôt hors de notre portée, s’affola Louise.

- Yuuki !

- Tourelle centrale, stand by. Inclinaison à trente degrés, rectification de la visée, moins trois. Target locked.

- Feu !


Un rayon énergétique bleu pâle jaillit des canons de Big1 et fusa dans l’espace. Moins d’une minute plus tard, il heurta le satellite qui explosa en un millier de fragments métalliques acérés qui se dispersèrent dans le vide intersidéral.

Reiko se leva en vacillant, choquée.


- Il y a… Des gens sur Neo Terra. Le QG aurait vraiment prévu un exercice qui les mettrait en danger si… On échoue ?

- C’est une plaisanterie ?, s’écria Manabu, révolté.

- De très mauvais goût alors, abonda Louise.


David croisa les bras, perplexe.


- Seraient-ils tordus à ce point ? J’ai dû mal à le croire. 

- Moi, ça ne me surprend guère au vu des règles vicieuses qu’ils nous pondent à chaque certification, grogna le sniper.

- Notre mission, c’est ça ?, bégaya Killian. Empêcher la chute des satellites ?

- Les numéros dix-huit, trente-deux et cent quatre ont eux aussi quitté leurs orbites, les avertit l’Officière radar, paniquée.

- Yuuki, je prends les principaux, je te confie les secondaires.

- Bruce !

- Okay, chaton. Fais attention à toi.


La pilote sortit de la voiture en dérapant et, après une course effrénée à travers les wagons de Big1, atteignit enfin les hangars de lancement des Space Eagles. Elle se déshabilla sans cesser de courir et se débarrassa tour à tour de sa veste, de son pull, de son pantalon et de ses bottes. Elle enfila ensuite rapidement une combinaison, attrapa un casque, le vissa sur son crâne et, sans daigner chausser une autre paire de bottes, positionna un escabeau contre son appareil fétiche.

Les canons du train de combat tonnèrent à de nombreuses reprises et elle adressa une prière muette aux dieux de l’univers pour qu’ils touchent leur cible.

Une fois le cockpit déverrouillé, elle sauta à l’intérieur de l’habitacle et actionna les fonctionnalités du chasseur en mode accéléré.


- System check, stand by. Autorisation de décoller ?

“- Accordée !”

- Roger.


Le toit ouvrant se rétracta et, alors qu’elle s’apprêtait à enclencher les propulseurs à pleine puissance, la voix grave du Commandant s’éleva à nouveau dans le microphone. 


“- Retrait !”

- Quoi ?

“- Spica… A repris le contrôle du réseau satellitaire !”

- Elles ont… Non, déjà ?

“- Il semblerait qu’elles aient détecté l’anomalie bien avant nous. De ce fait, elles ont eu le temps de préparer une contre-attaque. Elles ont profité du décrochage des quatre satellites pour la mettre au point.”

- On a perdu ?, l’interrogea-t-elle, dépitée.


Bruce ne répondit pas immédiatement.


“- La fin de l’opération n’a pas été annoncée. Ce n’est pas fini. Restons alertes..”

- Oui… Je… Je ne bouge pas.


“Ces guerrières sont redoutables. On a passé deux heures à se tourner les pouces et elles… Elles avaient déjà cerné le problème… C’est impressionnant !”


- Finalement, ce n’est pas si important qui gagne… La population risque sa vie là en bas. Peu importe qui remporte la victoire. Je jure sur la tombe de mes parents que dès qu’on aura mis un pied sur Destiny, je réclamerai une audience auprès de Shura, avec ou sans l’appui de Bruce. Ils sont allés trop loin.


Cette attente silencieuse lui étant tout bonnement insupportable, elle activa son émetteur. 


- Je pars en reconnaissance. Je pourrais peut-être collecter des renseignements utiles, qui sait.

“- Vas-y mais pas d’imprudence et surtout pas de voltige potentiellement fatale.”

- T’as ma parole, promit-elle en tirant le manche devant elle.

“- Je saurai te le rappeler.”

- J’en doute pas. 


Le Space Eagle s’envola et, sitôt dans l’espace, la militaire fut happée par la splendeur de Neo Terra.

“La Terre y ressemblait probablement, il y a très longtemps… Dorénavant elle est moins que l’ombre d’elle-même et ça me brise… Ça me brise tellement le cœur.”

La nostalgie n’étant toutefois pas à l’ordre du jour, Reiko se concentra sur l’épreuve délicate qui se déroulait en ce moment. 

“La Direction a complètement vrillé… Exposer délibérément ce peuple à une mort certaine… C’est de la folie ! Tout ça pour une compétition ridicule ! Qu’il s’agisse de nantis n’y change rien. Des enfants… Des enfants innocents…”

La jeune femme démarra le calculateur infini de bord qui lui permettait de récupérer des informations sur les particules, l’énergie et les mutltiples composants du secteur. 

“Est-ce bien réel ? Cette situation… Est-ce bien réel ?”

Elle serra ses commandes à s’en faire blanchir les phalanges.

“Je ne tolère pas que l’on blesse impunément. Je ne le tolère pas !”


- Pourquoi ce n’est pas terminé ? Spica nous a vaincus. Qu’ils mettent un terme à cette mascarade ! 


Reiko zigzaguait entre les astéroïdes et les satellites, guettant le moindre signe de faiblesse des uns ou des autres.


“- Tu as repéré quelque chose ?”, la questionna Louise, anxieuse.

- Rien, les filles ont été efficaces. Est-ce que… Vous avez essayé de contacter le Quartier Général ?

“- Oui mais…”

- Hum ?

“- Ordre de mission inchangé.”

- Ils sont dingues ! 

“- Reiko !”, gronda Bruce.

- T’es d’accord avec ça ?, s’étouffa-t-elle, indignée.

“- On continue. Ils ont dû prévoir un système d’auto-destruction avant impact.”


Elle écarquilla les yeux, déconcertée par cette supposition.


- T’as… T’as raison. C’est logique. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

“- Si on perd notre sang-froid si facilement, ce serait équivalent à une défaite.”

- Oui, Commandant.

“- Parfait.”


Le Flame Swallow n’avait pas bougé d’un iota et Julia paraissait convaincue de sa manœuvre. Seul Big1 avait ouvert le feu et Reiko aurait parié sa main valide que la marraine de Sayuri avait également anticipé les agissements du peloton Sirius.


- J’imagine qu’elles doivent bien se moquer de nous… Hé mais… Hein ?


Interloquée, la pilote détailla ses cadrans dont les aiguilles tournaient dans tous les sens. Les voyants clignotaient de façon inquiétante tandis que des interférences magnétiques troublaient les écrans.


- Oh non, ça recommence !, se désola-t-elle en songeant à son passage de diplôme et à la bataille contre l’armada de Promethium.  


“Une panne ? Un coup du QG ?”, s’alarma-t-elle.


- Bru… Bruce… Est-ce que vous… Vous aussi ?

“... Tre… Ren.. Rentre… Big… Big.”

- O… Okay !, accepta-t-elle précipitamment.


Cependant, comme une catastrophe n’arrive jamais seule, Reiko fut le témoin impuissant de l’une des horreurs les plus terribles auxquelles il lui fut donné d’assister.

Une pluie létale similaire aux bombes qui avaient jadis rasé Tokyô.

Une pluie faite de métal brûlant. 

Une pluie de feu. 

Son instinct combiné à ses réflexes lui sauvèrent la vie et elle écarta vivement son appareil de la trajectoire d’un satellite une fraction de seconde avant que celui-ci n’emboutisse son aile droite.


- Nn-non, balbutia-t-elle, épouvantée.


Des images défilèrent devant ses rétines, identiques à celles qui avaient provoqué sa crise d’angoisse sur Mars.

Des images de morts, de mutilations et de désolation.

Des images de fin du monde.


- Okaa… Okaa…

“- Reiko !”


La voix de Bruce la ramena dans la réalité aussi sûrement que l’ancre des navires voguant autrefois sur les flots des océans terriens. 


- Ils vont être tués… ?


“Non. Je ne suis plus aussi démunie. Plus aussi démunie qu’auparavant. Je suis capable de les secourir. Kiyoka, Nami et Sayuri… Je n’étais pas assez forte, mais aujourd’hui c’est différent !”


- Aujourd’hui, je peux décider de ne laisser mourir personne, décréta-t-elle, résolue.

“- Reiko ! Je n’ai pas autorisé…”

- Il faut agir, Bruce, répliqua-t-elle posément. Des humains vont y passer, ce n’est pas un jeu. On ne peut pas se baser sur des spéculations car si tout ceci n’est pas une comédie…


Elle poussa la manette directionnelle en avant et le chasseur piqua vers l’exosphère de la planète bleue. Constatant vaguement que les perturbations électro-magnétiques s’étaient dissipées à l’instant où la section Spica avait été dépossédée du contrôle du réseau, elle brûla les étapes pour atteindre une vitesse vertigineuse.


“- Si ça devient critique, retour au bercail fissa, c’est clair ? David, évites-en au maximum, Yuuki descends moi ces saloperies et que quelqu’un me bascule sur la putain de fréquence du Flame Swallow !”

“- Canal de communication ouvert.”, répondit Louise. 

“- Reinhart !”, beugla-t-il dans l’émetteur, ce qui déclencha des sifflements dans les oreilles de Reiko. 

“- Je ne comprends pas… Nous avions la situation en main… Il semblerait qu’on ait piraté notre pare-feu.”

“- Ces machins n’ont pas de système d’auto-destruction ?”, insista le sniper. “Le QG en a forcément prévu un !” 

“- Nous… Nous travaillons dessus !”

“- Ben travaillez plus vite !”

“- Si tu crois que c’est aussi aisé, je t’en prie, montre-nous tes talents !”

“- Elle se fout de qui l’analyste ? C’est ton métier, pas le mien que je sache ! Louise, tu vas aider Reiko ! Je prends les pulsars.Yûki tu la remplaces !”

“- Roger !”


La militaire enfonça le bouton surplombant le manche navigationnel et des faisceaux énergétiques surgirent hors de ses canons. 

Sa première cible éclata dans un fracas tonitruant.

“Je ne laisse mourir personne.”

Très rapidement suivie de la deuxième. 

“Je ne laisse mourir personne.”

Et d’une troisième. 

“Personne !”

Elle effectua un retournement périlleux pour exterminer une boule d’acier en fusion qui pénétrait dans la thermosphère de Neo Terra. 

À quelques encablures de sa position, Big1 jouait de ses tourelles et éliminait les satellites par dizaines.

“Ils sont nombreux, beaucoup trop nombreux !”

Comme un écho à ses pensées, un objet volant entouré d’un halo enflammé la doubla par babord à une allure folle.


- Non !

“- Reiko, maintiens toi sur le flanc tribord du train.”

- Impossible ! Louise, relaie moi ici !, brailla-t-elle dans le microphone.


La jeune femme se lança à la poursuite du satellite aussi promptement que les aptitudes limitées de son jet le lui permettaient. Il lui fallait faire appel à tout son savoir-faire et à ses compétences de pilote pour se faufiler entre les gouttes de cette averse incandescente. 

Esquiver, viser et tirer. Sans relâche. Sans réfléchir.

Parce qu’aucun enfant ne devrait subir les affres de la guerre.

Parce qu’elle était en colère contre les politiciens corrompus de la Terre, contre les actionnaires du Galaxy Railways et, avant tout, contre elle-même.

“Trop lente à réagir et si facilement déstabilisée par le combo souvenirs-doutes.”


- Je vais t’avoir… Je vais t’avoir !


Elle riva ses pupilles dans le viseur ancestral datant de la Seconde Guerre Mondiale, cadeau du créateur de l’Arcadia.

Le sol, constitué d’un patchwork de cultures, grossissait quant à lui de manière préoccupante mais, entièrement dévouée à son objectif, elle ne s’en souciait guère.

“Pour une manœuvre aussi délicate, je ne peux compter que sur mon instinct. C’est quand la technologie nous fait défaut que se révèlent les véritables talents d’une femme. Pas vrai, Tochi ?”

Elle se concentra, plissa les paupières et appuya sur la gâchette.

Des traits lumineux jaillirent de ses tourelles et formèrent un arc gracieux dans les airs pour se ficher dans la coque en titane.


- Je l’ai… Je l’ai eu…, souffla-t-elle, soulagée.

“- Reiko, redresse ! Redresse !”, s’affola Bruce dans le communicateur. 

- Ou… Oui !


Elle s’exécuta alors qu’elle était proche de la surface. Vraiment très proche.

Si proche qu’elle apercevait le toit des buildings d’une ville moderne.

C’est alors qu’elle remarqua un détail étrange.

Inhabituel.


- L’atmosphère est… Floue ? Qu’est-ce que ça signifie ?

“- Koko ! Il y en a d’autres, je n’ai pas pu tous les stopper !”, l’avertit l’Officière radar.

- Je m’en charge. Aujourd’hui, je suis Gandalf et ces trucs ce sont des balrogs.

“- De quoi ?”, l’interrogea Louise, ébahie.

- Ça signifie qu’ils ne passeront pas.

“- Une référence de vieux.”, s’exaspéra Killian.

- Ferme la, Black.


Sur ces mots, elle redoubla d’adresse pour empêcher les boules de feu de s’écraser sur Neo Terra. Tel un feu follet, elle virevoltait entre les nuages, les interceptant tour à tour.

Combien en avait-elle touchées ? Quarante ? Cinquante ? Elle n’en savait rien.

Et elle commençait à fatiguer.


“- Reiko ! Sur tribord !”

- Encore un…


Elle modifia son cap et, une nouvelle fois, prit en chasse le corps céleste meurtrier. Cependant, elle n’était plus aussi diligente qu’au début de la bataille et ses voltiges devenaient hasardeuses et hésitantes.


- Putain ! Allez !


Elle shoota un satellite à bâbord, ce qui lui fit perdre une précieuse minute. Une sueur froide ruissela le long de son dos quand elle réalisa qu’elle ne réussirait peut-être pas à le détruire avant qu’il ne percute le sol.


- Big1 ! Je n’y arriverai pas ! Que quelqu’un…


“Est-ce que… À cette distance… Est-ce que je peux tenter un tir ?”

Elle contracta les mâchoires, déterminée. 

“Ça vaut la peine d’essayer.”


“- Désengage ou tu vas te crasher, idiote !”, hurla le sniper.

- Je… Je suis…


Reiko n’eut pas l’occasion d’exprimer son avis car l’obscurité envahit son habitacle.

Son habitacle ? Quel habitacle ?

Elle était debout dans la nuit, flottant dans un vide infini composé de particules de ténèbres pures.

Ce vide, elle le savait au plus profond de son âme, possédait un nombre incalculable de noms.

L’abîme.

Le néant.

Le Chaos.


- Où suis-je ?, demanda-t-elle pourtant.

- Dans ma dimension.

- C’est vous…, lâcha-t-elle, peu surprise. Où sont mes amis ?


Elle n’eut aucune réponse.


- Où est mon mari ? J’étais dans mon Space Eagle… Il fallait… Il fallait que je protège ces gens, tâcha-t-elle difficilement de se remémorer.

- Les humains ne sont qu’une poussière dans mon règne. Tout juste bons à être asservis en tant qu’esclaves.

- Les humains… Les humains sont libres. Ils sont libres.

- Amusant, ricana la voix.


Quelle était cette sensation ?

Un froid terrible l’avait saisie jusqu’aux os, une température polaire qui n’avait rien à envier aux contrées les plus glaciales de Frosted.

Une chose immonde rampa alors dans le noir. Une chose si épouvantable qu’elle eut l’impression que sa respiration s’était enrayée, menaçant de s’arrêter définitivement à tout moment.

Ce qu’elle entendait lui évoquait le son que produirait une colonie d’un millier de mille-pattes géants et cette perspective était si effroyable qu’elle aurait volontiers fusionné avec les résidus de noirceur alentours.


- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous me voulez ?

- Tu n’es plus en sécurité dans tes rêves, misérable femelle. Où est donc passée ta combativité ? Vous êtes tous pareils. Vous ne pouvez résister à la peur ! Et, lorsque le temps sera venu, tu briseras le sceau et je reviendrai. C’est inéluctable. Ainsi est écrit le destin.


Pétrifiée par la terreur, la jeune femme ne parvenait pas à aligner deux idées cohérentes.


- Qui ? Qui reviendra ?

- Pourquoi demander ce que tu sais déjà ? Tu la ressens, n’est-ce pas ?


“Je veux m’enfuir, je veux m’enfuir… Ici, c’est dangereux. Si je ne pars pas immédiatement… Je ne pourrai plus jamais rentrer à la maison.”


- Tu la ressens…


“Si je prie très fort… Alors…”

Prenant naissance au creux de son organisme, cette évidence se fraya un chemin à travers son ventre, remonta par sa trachée et sa gorge pour finir par franchir ses lèvres.


- À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que le cercle de l’Existence ne se rompt pas, l’Existence ne retourne pas au Néant… À partir du Vide, apparaît le Néant et le Néant crée l’Existence. Tant que…, psalmodia-t-elle, comme si sa vie en dépendait.


Ce qu’elle ne savait pas, à cet instant, c’est que cette prémonition était on ne peut plus véridique.


- … La peur.


Frénétiquement, elle tapa dans ses mains en s’efforçant de suivre un rythme régulier. Une certitude, dont elle ignorait l’origine, la convainquit que cela mettrait en déroute cet ennemi invisible qui la terrorisait au moins autant, si ce n’est davantage, que Promethium.


- Ces subterfuges seront bientôt inutiles… Ils n’empêcheront pas le sacrifice, railla la créature.

- Continue… Continue ma fille.


Obéissant à cette injonction provenant des tréfonds de son esprit, elle poursuivit ses prières.

Puis, une force phénoménale la tira en arrière et la happa hors de cette sphère mortelle. Tandis qu’elle s’élevait dans les airs, elle aperçut une mer étoilée au loin sous ses pieds.

Et au milieu de celle-ci… Une nébuleuse rougeoyante percée d’un œil turquoise. 

“Quel est cet endroit ? Je l’ai déjà vu…”

Ses paupières papillonnèrent et elle se retrouva à nouveau à bord de son appareil.


- Par… Par tous les dieux… Qu’est-ce que c’était ?, bégaya-t-elle, choquée, en reprenant le contrôle du chasseur avec toutes les peines du monde. Je dois… Je dois exploser ce…


Avant qu’elle ne puisse achever sa phrase et à l’instar de ses semblables, le satellite vola en éclats, répandant une multitude de fragments tranchants dans les airs.


- Hein ? Mais… Hein ? Je ne comprends pas…


Autour d’elle avait lieu un feu d’artifices sans précédent qui la laissa pantoise et décontenancée.


“- Ici le Commandant Reinhart, nous avons activé le système d’auto-destruction.”

“- Pas trop tôt.”, maugréa Bruce. “Tous les Eagles, retour sur Big1 et sans discuter.”


Quelques secondes après cette annonce, une voix émana des haut-parleurs du jet.

“Fin de la mission. Défaite de Spica à cinquante-trois contre quatre-vingt-six pour Sirius.”


- Hein ?


*** 


Le Space Eagle atterrit en douceur dans le wagon-hangar. Sans attendre que le moteur s’arrête de tourner, Reiko sauta du cockpit et atterrit douloureusement en position accroupie. Sans daigner reprendre son souffle, elle se rua hors de la voiture et se dirigea à la hâte vers la “control room”.

Lorsqu’elle pénétra à l’intérieur de cette dernière, il y régnait un silence pesant.


- Alors ? Vous l’avez vu ? Vous l’avez entendu ?


Bruce fit volte face avec des mouvements saccadés. 


- Ouais. On a gagné.

- Quoi ? Oui, enfin non, je ne parlais pas de ça… Je…

- Koko, l’apostropha Louise d’une voix morne.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Des…


Elle déglutit de travers et manqua de s’étouffer.


- Des personnes ont été tuées sur Neo Terra ?, les questionna-t-elle avec angoisse.

- Non… Non, parce que… Parce que… 

- Tout ça c'était du vent !, s’indigna Manabu en se levant et en frappant brutalement sa console.

- Pardon ? Je ne capte pas…


Le sniper se frotta les tempes, soudain très las.


- Ce qu’ils essaient de te dire c’est que cette planète est une illusion. Un hologramme géant si tu préfères. 


Reiko se laissa tomber en tailleur au sol, la respiration partiellement coupée.


- Tu te fiches de moi ?

- Notre ordinateur central, tout comme celui du Flame Swallow, a été piraté par le QG pour nous faire croire que nous étions face à un véritable astre. Nous nous sommes fait abuser. Julia a découvert le pot aux roses quand son unité a enclenché l’auto-destruction des derniers satellites.

- Putain… Donc, il n’y avait pas âme qui vive là dessous ?

- Exact.

- Oh… Oh. 


Arborant un sourire mi-figue mi-raisin, David s’étira en bâillant.


- Ouais et on a remporté cette bataille.

- T’appelles ça une victoire, toi ?, intervint l’artilleur.

- Comment ça se fait ?, les interrogea la pilote, totalement aux fraises. À quoi correspondaient les chiffres qu’ils ont énoncés ?

- Notre score. Toi, Louise, Bruce et Manabu avez descendu quatre-vingt-six satellites. Le coup de poker des filles de Spica ne leur permettent pas d’égaliser. Notre méthode était la meilleure.

- Alors ça, je n’en suis pas persuadée, articula laborieusement la jeune femme en s’allongeant sur le métal dur.

- En situation réelle, ton pilotage était limite, lui rappela Bruce sur un ton glacial.

- Accorde moi deux minutes de répit avant de m’engueuler s’il-te-plaît, le supplia-t-elle, abattue, en se couvrant les yeux.

- Ça ne va pas ?

- Si. Je suis crevée, c’est tout.


“Est-ce que je suis folle ? Personne d’autre n’a été téléporté dans ces enfers ? Je suis vraiment la seule à avoir été témoin de la manifestation de cette entité surnaturelle ? Elle hantait déjà mes nuits et voilà qu’elle me tourmente même la journée… Je me demande si je ne suis pas en train de perdre la tête. Heureusement qu’aucun enfant n’a été blessé durant cette foutue épreuve. Je préfère largement la duperie à la mort de milliers d’innocents.”


- Chaton.


Bruce s’était agenouillé aux côtés de son épouse et avait posé une main fraîche sur son front.


- T’es brûlante. T’as de la fièvre. Yûki, peux-tu… ?

- Viens, Koko, tu as mauvaise mine, je t’emmène à l’infirmerie. 


Un frisson d’inquiétude traversa le corps du Commandant quand il constata que sa chère et tendre acceptait l’ordre sans broncher.

“Les magouilles des actionnaires l’ont rendue malade ou alors…”

En visionnant ses souvenirs en accéléré, il se figura le visage de Reiko lorsqu’elle était entrée dans le wagon de commandement. 

“Elle paraissait traumatisée… Est-ce que les démons de sa vie sur Terre seraient revenus à la charge ?”


- Je verrai ça avec elle… Plus tard, marmonna-t-il dans sa barbe.


Il s’affaissa dans son siège, exténué par la tournure qu’avaient prise les événements.


- Cap sur Destiny, cette mascarade n’a que trop duré. 


*** 


- Chérie… Réveille-toi.

- Hum…


Reiko émergea d’un sommeil sans rêve peu réparateur. Sitôt sa joue nichée contre un oreiller, elle s’était endormie, à la grande surprise de Yûki qui s’était empressée de prévenir Bruce de ce comportement pour le moins inhabituel. 

Celui-ci s’était fait violence et avait patienté le temps que Big1 s’immobilise sur la voie 001 qui lui était réservée. 

Puis, il avait abandonné ses coéquipiers pour foncer vers l’infirmerie dans laquelle il avait trouvé la pilote enfouie sous une montagne de couettes.


- Sa température a baissé, l’informa Yûki.

- Très bien. Tu la gardes en observation ou… ?

- Non, ce ne sera pas nécessaire.


Le Commandant opina du chef et caressa les cheveux de Reiko jusqu’à ce qu’elle s’éveille complètement.


- Mon amour, si c’est le tournoi qui t’éprouve à ce point… 

- Non… Non… C’est pas ça.

- Quoi alors ?


Elle se mordit les lèvres. 

“Il ne me croira jamais… Il mettra ce délire sur le compte de la fièvre et, dans le pire des cas, m’interdira de voler.”


- Un coup de froid.

- Mmmh ?, grommela-t-il, dubitatif. 

- Oui.


Bruce, qui n’était pas dupe de ce mensonge, n’insista pas.

“J’aimerais que tu me fasses confiance, chaton. Je ne ferai rien qui aille à l’encontre de tes intérêts.”


- Je te porte ou tu peux marcher ?

- Je… Je suis capable de marcher !, répondit-elle précipitamment en se redressant.

- D’accord, soupira-t-il. On y va tranquillement. 


Il passa un bras autour de la taille de Reiko et la guida vers la sortie. L’esprit embrumé, cette dernière ne parvenait pas à se débarrasser d’un sentiment qui la paralysait jusque dans le tréfonds de son âme. 

Cette émotion, quelle était-elle au juste ?

“La plus affreuse d’entre-toute… Celle que j’aurais aimé laissée derrière moi après mon adoption par l’équipage de l’Arcadia.”


- La peur, croassa-t-elle sur une fréquence sonore presque inaudible.

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