A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 62 : [interlude] Le Tournoi de la SDF - partie 2

5432 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/08/2024 11:13

Chap 62 : [interlude] Le Tournoi de la SDF - partie 2


Raide dans son siège, Reiko patientait nerveusement tandis que Bruce la fixait avec un air désapprobateur depuis l’autre côté de son bureau.

Durant le trajet du retour, il n’avait pas décroché plus de dix mots et son attitude était si glaciale que la température à l’intérieur du wagon avait chuté de plusieurs degrés.

“Tout ça pour une petite acrobatie de rien du tout…”


- Tout ça pour une prise de risque insignifiante ? Je ne suis pas fou, je sais très bien ce que tu penses.


“Il a ouvert les hostilités. Raah, c’est qu’il me connaît le bougre. Riposte, première tentative : le prendre par les sentiments.”


- Mon amour…, susurra-t-elle avec un sourire enjôleur, ce n’est pas…

- N’essaie pas de m’amadouer avec tes yeux doux, la prévint-il sèchement. Ça ne marche pas.


Elle croisa les bras, optant pour une technique diamétralement opposée.

“Sois confiante, sois confiante… C'est la clef. Riposte seconde tentative : c’est mon métier, je gère.”


- Je maîtrisais complètement la situation !, fit-elle semblant de s’exaspérer. Mon pilotage est irréprochable et cette figure de voltige était totalement prévue. J’ai pris en compte la densité des roches, la masse du Space Eagle, l’écart entre les astéroïdes. Bien évidemment, j’ai sollicité le calculateur de bord qui m’a indiqué le pourcentage de réussite et…

- Tu ments. J’ai vérifié.


Reiko se mordilla les lèvres, ennuyée.

“C’était ma meilleure chance.”


- Alors, hum… S’il y a eu une erreur système, les datas ont pu ne pas s’enregistrer ou s’effacer et dans ce cas…

- Arrête de me baratiner. La vérité c’est que tu as voulu donner une leçon à cette fille, quitte à te mettre inutilement en danger. Vrai ou faux ?


“Ultime tentative : j’ai la gagne dans le sang.”


- Je briguais simplement la victoire pour faire honneur à Murase et…

- N’as-tu pas honte d’impliquer Ryosaku Murase dans tes affabulations ? Cette manœuvre était superflue puisque tu as eu de nombreuses occasions d’abattre ce chasseur. Vrai ou faux ?


La jeune femme s’empourpra, penaude.


- Ce n’était pas mon intention… Je…

- Vrai ou faux ?


“Bruce : un / Moi : zéro.”


- Vrai.

- Bien. C’est tout ce que je voulais entendre. Pour la peine, tu écopes d’un avertissement de classe deux. 

- De classe… Deux ?!, s’offusqua-t-elle. Mais ce n’est pas mérité ! Tu es trop sévère !

- Trop sévère ? Au vu de cette démonstration inconsciente, je m’estime plutôt juste - voir magnanime - de t’éviter une suspension de trois jours.


La militaire se leva, hors d’elle.


- Infligerais-tu un blâme aux autres pour un motif aussi futile ? Je suis certaine que…

- Oui. Toi ou les autres, comme tu dis, c’est du pareil au même.

- Tu abuses de ton pouvoir.

- Crois ce que tu veux. 

- Peut-être que je devrais solliciter une mutation !, s’écria-t-elle, furieuse.

- Je souhaite bien du courage à celui qui va récupérer une catastrophe ambulante dans ton genre, rétorqua-t-il, piqué au vif.

- Une… Quoi ?

- Tu es sourde ?


Reiko se pétrifia, choquée par cette réflexion à la fois gratuite et mesquine.


- Je suis donc si nulle que ça ?, souffla-t-elle, blessée.

- Ne me fais pas dire…

- C’est bon. Si on a terminé, je rentre.


Elle claqua la porte avant que son mari n’ait le temps d’ajouter quoi que ce soit.


- Merde, soupira-t-il en se grattant le cuir chevelu. Je me suis emporté. 


*** 


“Est-ce que j’ai ma place ici ?”

Reiko déambulait dans le dédale de couloirs du Quartier Général, morose. Elle avait épousé un homme franc, certes, et avec lui elle savait toujours à quoi s’en tenir.

En revanche, aujourd’hui, la pilule était difficile à avaler.


- Une catastrophe ambulante, hein ? Pourquoi un soldat de ton envergure s’est-il encombré de ça ?


“Est-ce que j’ai ma place ici ?”

Elle n’avait même pas envie de pleurer ou de se lamenter.

Le vide.

C’était tout ce qu’elle éprouvait.

La rancœur, l’aigreur et l’animosité… Toutes ces émotions s’étaient entremêlées pour former une boule qui pesait sur son estomac.


- Méthode Harlock. Soignons le mal par le mal.


Elle déboucha devant le patio contigu au bâtiment principal dans lequel deux personnes profitaient du soleil de fin d’après-midi, nonchalamment assises sur un banc. 


- Un verre ça vous dit ?, les interrogea-t-elle.


*** 


- Elle est sûrement à la maison…


Bruce avait fouillé le Quartier Général de fond en comble à la recherche de Reiko, sans succès.

“Et en plus, je ne lui ai pas parlé de la greluche de Mizar…”

Quant aux paroles maladroites qu’il avait eues, il s’en mordait cruellement les doigts. 

“Imbécile ! Elle s’était enfin ressaisie et voilà que je sape le peu de confiance qu’elle avait durement acquis.”

La punition ne lui paraissait cependant pas excessive et constituait un rappel nécessaire aux règles élémentaires de la prudence. Néanmoins, il ne pouvait s’empêcher de se creuser les méninges.

“Ai-je raison pour autant ? Ma conduite n’est-elle pas dictée par l’inquiétude que je ressens pour elle en permanence ?”


- Quitter le peloton Sirius… Est-ce réellement ce que tu désires, chaton ?


Si telle était sa volonté, il ne s’y opposerait pas. Non pas que la liberté, contrairement à Harlock, soit un idéal qu’il chérissait tout particulièrement, mais il lui était impossible d’être heureux si sa compagne ne l’était pas. Bien qu’il se soit battu corps et âme pour la garder auprès de lui, il ne refuserait pas son changement d’affectation si elle en exprimait le souhait.

“Même si ça me mettrait sacrément de travers…”

Il déverrouilla le break familial et inséra la clef dans le neiman. La voiture bondit sur la chaussée et, moins de cinq minutes plus tard, le sniper se garait au pied d’un immeuble moderne au crépi d’une blancheur éclatante. Il coupa le contact et enjamba les marches des escaliers deux à deux.

Fébrile, il frappa brutalement à la porte de l’appartement, qui grinça sous l’effet des coups. Des bruits de pas retentirent de l’autre côté du panneau, suivis d’un chuintement métallique, et le battant s’entrouvrit.

Le visage endormi de Mamoru apparut dans l’interstice.


- Speed ? Déjà de retour ? Désolé, je m’étais assoupi.


Tel un ouragan, Bruce pénétra dans l’entrée et balaya le séjour du regard.


- Elle n’est pas là ?

- Qui ? Sayuri ? Elle fait la sieste.

- Non, Reiko.


Le Commandant du Yamato se frotta le menton, perplexe.


- Non. Vous n’étiez pas ensemble… ?

- Longue histoire. Je vais la ramener. Je reviens vite.


Alors que Bruce avait fait volte face et s’apprêtait à dévaler les escaliers, il fut arrêté dans son élan par la poigne de son invité.


- Attends une seconde. T’as l’air de quelqu’un qui a besoin de respirer. Allez, viens. J’ai pas bu toutes les bières sans alcool. D’une part parce que c’est mauvais et d’autre part parce que j’étais trop occupé à tester tes slips.

- Mes… Hein ?, bégaya-t-il en s’immobilisant.


*** 


- Koko… Tu devrais ralentir le rythme.

- Si tu étais sur l’Arcadia, Nabu, ce conseil serait passible de mort.

- On n’est pas… Okay, laisse tomber. Mange au moins des crackers. 


Reiko plaqua violemment son gobelet sur le comptoir avant de faire signe au barman de le remplir à nouveau.


- Tu espères te saouler avec des mojitos hors de prix ?, la questionna Louise. 

- Prends des cacahuètes, insista Manabu.

- Non.

- Mange les cacahuètes.

- Non.

- Une seule cacahuète.

- T’as pas bientôt fini avec tes cacahuètes ?, s’énerva la pilote en lui lançant la coupelle comme s’il s’agissait d’un frisbee.

- Hé ! Espèce de sauvage !

- Bien fait, ronchonna-t-elle.


Les trois compères portèrent simultanément un verre à leurs lèvres.


- Il a mis sa menace à exécution ?, demanda Louise.

- Je vois que vous êtes déjà au courant, grommela Reiko.

- Il a pété un câble dans la “control room”, l’informa l’artilleur.

- Ouais, tout ça pour une minuscule manœuvre qui n’était même pas si dangereuse. Résultat : un “classe deux” trop injuste.

- Peut-être pas si dangereuse mais carrément inutile. Pourquoi t’as fait du zèle ?


La jeune femme touilla les feuilles de menthe avec les glaçons, songeuse. Si la tête brûlée de la section Sirius l’avait remarqué, il est certain que Bruce se doutait que l’objectif sous-jacent de cette traque de haut vol n’était rien d’autre qu’une crise de jalousie déplacée.


- C’est à cause de Riina ?, s’entêta Manabu. Qu’est ce qu’elle a fait pour mériter ton antipathie ?

- Vous ne lâchez jamais le morceau !

- À propos de morceau, t’as toujours pas pris de cacahuè…

- C’est parce qu’elle l’a dragué. Voilà, vous êtes contents ?


Ses amis la dévisagèrent avec effarement.


- Elle a dragué… Qui ?

- À ton avis Louise-chan ?

- Quand ?

- L’inauguration de la gare de Râ-Metal.

- Oh.


Un lourd silence s’installa, que Manabu rompit avec hésitation.


- Et que s’est-il passé ?

- Cette connasse a tenté un rapprochement tactile mais il l’a éconduite, bien évidemment.

- Bien évidemment, répétèrent-ils en cœur avec précipitation.

- Gardez ça pour vous, j’ai pas spécialement envie que ça s’ébruite.

- Hum. Au vu de ces antécédents, il aurait pu t’éviter l’avertissement, bougonna Manabu.

- D’après lui, c’est sa façon de me traiter comme les autres. M’enfin, c’était exagéré, non ?

- Oui, appuya l’artilleur avec force.

- Non, le contredit l’Officière radar.


Face à l'œillade peu amène que lui renvoyèrent ses acolytes, Louise se sentit obligée de se justifier.


- En combat réel ta prise de risques aurait pu nous porter préjudice. Les sentiments ne doivent pas interférer avec le travail.

- Elle l’a justement fait car ce n’était pas un combat réel !, la défendit le fils de Wataru.


“Est-ce que j’ai perdu les pédales ? Ou il a abusé ? Raaah, ça me fatigue.”

Reiko ingurgita sa boisson d’une traite. Les vapeurs d’alcool obscurcissaient son jugement mais elle devait reconnaître que le raisonnement de Louise n’était pas dénué de logique. 


- Vous croyez que je suis une catastrophe ambulante ? Un boulet pour notre peloton ? Soyez honnête !, les interrogea-t-elle de but en blanc.

- Pourquoi dis-tu ça ?, se révolta Manabu. Bien sûr que non ! Qui a secouru Taka et Nita sur Agrica tout en empêchant Killian de se faire tuer ?

- C’est lui qui m’a sauvé la mise dans le champ de maïs, leur rappela-t-elle.

- Qui a protégé la princesse d’Astoria ?

- Je lui avais refilé mon cosmo-gun avant de la larguer dans les rues d’Améthyste.

- Et les gamins sur Emeraude ? Tu les avais guidés jusqu’à Big1 alors que t’étais grièvement amochée, souviens-toi, argua l’Officière radar.

- J’aurais pas dû désobéir aux ordres.

- Moi non plus, répondit Manabu, contrit.

- L’atterrissage sur Ephémère ! C’était du “grand Reiko".

- J’ai cassé la chaudière.

- Tu m’a sorti de l’enfer. À deux reprises. Dans cette base humanoïde et sur la planète des insectes.

- Un coup de chance. Sans oublier que, sur la station, c’était uniquement dû au bon vouloir de la reine.

- Et aussi…

- Merci, j’ai capté. C’est gentil d’essayer de me remonter le moral mais le nombre de fois où j’ai brillé est bien inférieur à celui où j’ai manqué de crever.


Louise se pencha vers son amie, préoccupée.


- Tout à l’heure, lorsque tu étais dans son bureau… Bruce t’aurait-il dit quelque chose qui te tracasse ?

- Absolument pas. Un autre barman !

- Non, tu es assez imbibée pour ce soir, l’interrompit une voix grave sur un ton peu affable.


***


- Mamoru ! Lâche moi !

- La fête est finie, Koko.


Ils émergèrent hors du bar et la brise nocturne leur lécha les joues. La pilote tenta de retirer son poignet de l’emprise du Commandant du Yamato, en vain.


- T’as laissé mon bébé toute seule, inconscient !


Le jeune homme se figea, irrité par le comportement de Reiko.


- Inconscient ? Qui est inconscient ? 

- Pardon ?

- Yuyu est à la maison. Tu veux vraiment qu’elle te voit dans cet état parce que tu as eu une petite contrariété ?

- Si tu es ici, c’est que Sayuri est livrée à elle-même ?, s’affola Reiko sans comprendre les paroles de Mamoru.

- Pour qui tu me prends ? Elle est avec Bruce. Il voulait partir à ta recherche mais finalement c’est mieux qu’il ne l’ait pas fait. S’il t’avait trouvée là… Je n’ose même pas imaginer sa réaction.

- Tu ne sais rien !, se rebiffa-t-elle. Rien du tout ! 

- Tu crois ? Allez, grimpe.

- Non ! Manabu et Louise m’attendent… Hé !


Faisant fi de ses protestations, il l’entraîna vers l’automobile, empruntée à la famille Speed pour l’occasion. Puis, il mit le contact et se dirigea résolument vers l’artère principale.


- Par tous les dieux, dans quel état tu t’es mise…

- C’est pas ton problème ça.

- Si, ça l’est, marmonna-t-il entre ses dents. Naturellement que ça l’est. Je m’inquiète pour toi.


Elle ne répondit pas, préférant bouder dans son coin.

Elle avait beau avoir grandi sur un vaisseau habité par des rebelles s’enivrant du matin au soir, elle ne supportait pas l’alcool.


- Comment as-tu découvert où j’étais ?

- On a géolocalisé ton communicateur.

- Vous avez piraté le système de la Compagnie, oui. C’est du propre ça.

- Reiko…


Le Commandant s’enfila sur le parking d’un établissement de restauration rapide.


- Qu’est-ce que tu fabriques ? C’est pas le chemin de mon appart.

- Tu vas manger et dessoûler. 

- Pourquoi ?

- Parce que t’es une mère de famille respectable et responsable.

- Je…


Après un court passage au guichet et deux menus hamburgers-frites gracieusement offerts par Kodaï, celui-ci gara la voiture sur l’une des dernières places disponibles. 


- Je suis désolée pour ça, s’excusa-t-elle. J’avais besoin de décompresser. Il s’est produit beaucoup… Beaucoup de choses cette après-midi.


Mamoru ne pipa mot, ce qui mit la puce à l’oreille de Reiko.


- T’as pas l’air surpris… Oh, il t’a déjà tout raconté, n’est-ce pas ? Pour ma punition… Et Riina ?

- En effet.

- Est-ce qu’il t’a… Est-ce qu’il t’a aussi… Aussi…


Sa phrase s’éteignit dans sa gorge.


- Il ne le pensait pas.

- Au contraire, renifla-t-elle. Bruce ne ment pas. Il est intègre, même si ça fait mal, même s’il doit me blesser. La vérité, il n’y a que ça qui lui importe.

- Il était en colère. Je t’assure qu’il s’en veut. 


La militaire serra sa veste entre ses phalanges, bouleversée et confuse. 

Dissimuler son affliction était incroyablement difficile.

Non, insoutenable.


- Je suis inutile…, balbutia-t-elle.

- Tu te trompes. S’il y a bien un truc que je peux affirmer à propos de lui, c’est qu’il ne se serait jamais marié avec une incapable.

- Pas une incapable… Une “catastrophe ambulante”… Je tire les autres vers le bas. Je descends le niveau de mon unité.

- Non. Il a simplement eu peur pour toi.

- Pourquoi… Pourquoi tu le défends ?, s’écria-t-elle alors que des larmes inondaient ses pommettes.

- Parce qu’il t’aime à en mourir et qu’il t’estime énormément.

- Mamoru…


Il ouvrit les bras et Reiko se réfugia contre lui. Une odeur musquée lui monta au nez et elle sanglota, autant à cause de la boisson que du chagrin.


- C’est bon, vous allez vous expliquer et régler ce malentendu.

- Je déteste cette fille… Riina… Ses longues jambes… Et sa chevelure dorée comme les blés.

- T’as pas de souci à te faire la concernant. De son point de vue, c’est une anonyme dans la foule. En plus d’ignorer son prénom, il n’a pas réussi à me la décrire précisément.

- Car elle est moche ?, demanda-t-elle. 

- Ouais, probablement… Et aussi parce que ton sniper de mari pourrait faire sauter la moitié de la galaxie pour tes beaux yeux. Maintenant, avale ce repas équilibré. Et ensuite on rentrera et vous discuterez.


*** 


- T’es prête ?

- Non.


Reiko piétinait sur le paillasson de l’appartement qu’elle partageait avec Bruce, redoutant la confrontation avec ce dernier. Un brin nauséeuse, elle posa une main sur la poignée. Son sang avait en partie éliminé l’alcool circulant dans ses veines et ses idées étaient plus claires. Suffisamment pour qu’elle remette en question son attitude durant et après la mission.


- J’y vais.

- D’accord.

- J’y vais.

- Tu l’as déjà dit.

- Oui.


Elle poussa le battant et se faufila dans l’entrée. Sayuri trottinait dans le salon et Bruce était assis contre le dossier du canapé, maussade. 


- Tu sens le rhum, lui fit-il remarquer. 

- Et qu’est-ce que ça peut faire ?, lança la pilote en rougissant.

- Okaa-san ! Okaa-san ! Yuli Yuli !


Le coeur de la jeune femme rata un battement. Sans réfléchir, elle fondit sur son enfant et le happa au vol puis, tout en évitant le regard inquisiteur de son compagnon, se glissa dans la chambre parentale en claquant la porte derrière elle.


- Elle va bien, allégua Manabu en réponse à l’interrogation muette de son ami.

- Elle a pleuré.

- Un trop plein d’émotions. Plus que la sanction, c’est Riina qui l’angoisse.

- Riina ?

- La blonde de la section Mizar.


Bruce s’étira, blasé par cette querelle qui s’enlisait dans un marécage de quiproquos et de non-dits.


- Je vais lui parler, décréta-t-il en se levant.

- Excellente initiative. Mais il y a autre chose…

- Ouais, pour ça je dois me faire pardonner. Les mots ont dépassé ma pensée. Reiko… A du potentiel. Un potentiel qu’elle commence enfin à exploiter. N’importe quelle unité se réjouirait de la compter dans ses rangs.

- Je n’en ai jamais douté.

- Hum et pour lui faire comprendre, je vais devoir passer à la casserole.

- Courage vieux. 


Le sniper toqua contre le panneau et pénétra dans la pièce sans que sa femme ne l’y invite. Étendue sur le lit et le dos tourné, celle-ci somnolait. Sayuri était à ses côtés, allongée sur le ventre et babillant joyeusement.


- Tu ne tiens pas l’alcool, chaton, murmura-t-il en lui caressant les cheveux. 

- Je sais. Harlock ne m’a pas laissée boire avant la majorité et, de toute manière, je n’apprécie pas tellement ça.

- Chérie…, murmura-t-il en prenant place vers elle et en l’étreignant tendrement. À propos de l’avertissement…

- T’inquiète, j’ai pigé. Lors d’une bataille mon comportement aurait pu tous vous mettre en danger. Sentiments et travail ne font pas bon ménage. Il m’a fallu un peu de temps et beaucoup d’aide pour le réaliser.

- Louise ?

- Louise.


“Une épine sur trois retirée de mon pied”. 

Le Commandant du peloton Sirius n’en espérait pas tant aussi rapidement. Étant donné que la chance lui souriait, il décida d’enchaîner.


- Quant à Mina…

- Riina.

- Mmmh, je devrais même pas avoir à aborder le sujet. Les grandes blondasses arrogantes, c’est pas mon genre. Je préfère largement les petites brunes à fortes poitrines. 

- Ton genre ? Les petites brunes à fortes…?, pouffa-t-elle. Malheureusement pour moi, les grands blonds arrogants, il semblerait que ce soit le mien.

- Trop tard pour ça, dit-il en embrassant l’alliance de son épouse.


“Deuxième bombe : désamorcée. Reste plus que le gros du problème.”


- Tu n’es pas incompétente.

- C’est faux, Bruce, contesta-t-elle avec douleur. Tu n’as pas pour habitude de mentir.

- De mentir, non, mais de ne pas tourner la langue sept fois dans ma bouche, si.

- Il y a une différence ?

- Oui. 

- Hum, bougonna-t-elle dans son oreiller, tandis que Sayuri avait entrepris d’escalader son visage.

- Je peux te le prouver.

- Et comment tu ferais ça ? Le sexe est exclu.


Bruce bascula sur le dos et croisa les mains derrière son cou.

Ce qu’il allait avouer à Reiko n’allait pas lui plaire. Toutefois, cela lui ferait prendre la mesure de son potentiel.


- Quatorze.

- Quatorze ?

- C’est le nombre de requêtes qu’a reçues la Direction après ta performance en pilotage.

- Tu veux dire… Quand j’ai passé mon diplôme ?

- Oui.

- Quatorze ? T’en es certain ?, demanda-t-elle en se redressant sur un coude, choquée.

- Plutôt. Noboru Wakita de Mizar, Esther Song de Cygnus, Heimdall d’Orion… Et bien d’autres.

- Donc… Ils ne m’ont pas trouvée totalement nulle ?

- Loin de là. Ton classement n’a pas suffi pour t’en convaincre ? Onzième sur soixante-huit candidats initiaux dont quarante-six retenus. C’est plus que louable !

- J’ai bénéficié de l’aide de mes coéquipiers, lui rappela-t-elle.

- Eux aussi.


La jeune femme s’assit en tailleur, agréablement surprise par les révélations de son conjoint.


- Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

- Pourquoi ? Parce que je ne leur aurais jamais permis de t’avoir.

- Hein ? Bruce… Qu’est-ce que tu es en train d’insinuer ?


Le sniper serra les dents. Autant arracher le pansement sans tarder. De toute façon, il n’y couperait pas.


- T’es amplement qualifiée pour ce job, chaton. J’ai flippé, comme à chaque fois que tu t’enflammes. Donc oui, tu es une catastrophe, entérina-t-il alors qu’elle le fusillait du regard, mais pas dans le sens que tu crois. Tu accumules peut-être les maladresses et les erreurs, lesquelles sont surtout dues à ton manque d’expérience. Manque d’expérience que tu pallieras avec le temps.

- Bruce… Où veux-tu en venir ?

- Pendant la certification, j’ai contacté l’idiot.

- Warrius ? Pour quelle raison ?

- Je lui ai expliqué la situation et nous avons convenu d’un… Arrangement.


Une sueur froide coula entre les épaules de la militaire, suivie d’un frisson de mauvais augure.


- Et ?

- Notre plan était de fermer l'accès du Galaxy Railways à la Voie Lactée si le QG te mutait dans une autre unité.


Il y eut un blanc durant lequel Sayuri bava sur le pull de sa mère.


- Tu… Déconnes ?, finit-elle par lâcher, soufflée.

- Non.

- T’avais promis de ne pas interférer. Après la fête, tu m’as juré que tu n’en ferais rien.

- Tu vois, il m’arrive de mentir. Pour ce qui est des épreuves, tu as réussi par toi-même. Concernant l’affectation, je plaide coupable.


La pilote s’entailla le poignet avec ses ongles, encore plus perdue que lorsque Mamoru l’avait récupérée au bar.


- Im-bé-cile !, s’égosilla-t-elle en lui propulsant un traversin dans la tête.


Pris au dépourvu, l’imbécile en question n’eut pas le réflexe de se protéger.


- Niveau craquage, ça surpasse largement mes acrobaties !

- Probable, confessa-t-il en se massant le nez.

- Et ça a fonctionné ?

- Puisque t’as gardé ton uniforme bleu, à ton avis ?

- Putain, cette mesure est extrême, même pour toi. T’es complètement dingue.

- De toi ? On me le dit souvent.


Elle se gratta le genou, déroutée par ces informations inattendues.


- Ton père est fou, Yuyu. Il aurait pu se faire virer. 

- Warrius aurait bouclé le secteur avant.

- Bruce James Speed… C’est du grand… N’importe quoi !

- T’es fâchée ?

- Oui… Non… Je ne sais pas. Je suis anesthésiée par le rhum.

- Tu désires toujours cette mutation ? 

- Idiot.


Elle voulut s’allonger mais son estomac émit un borborygme équivoque. Bruce, qui avait immédiatement compris de quoi il en retournait, s’écarta pour libérer le passage jusqu’à la salle de bain attenante. Reiko se précipita à l’intérieur de cette dernière et vomit dans la cuvette des toilettes l’intégralité de la dizaine de mojitos qu'elle avait ingurgitée plus tôt dans la soirée.

Le Commandant déposa ensuite délicatement sa fille au sol et s’approcha de sa chère et tendre.


- Je suis… En colère… Contre toi… Et Wawa !

- D’accord, je te tiens les cheveux ?

- S’il-te-plaît, beuuuarg.

- Mais t'as mangé quoi au juste ? Des frites ? 


***


- Bois de l’eau et prends ça.

- C’est quoi ?

- Paracétamol, énonça Mamoru en souriant. T’auras moins mal au crâne demain matin.


Bruce réchauffa un petit pot en scrutant sa femme qui comatait, le front appuyé sur la table.


- T’as menacé Tôdo, grogna-t-elle. Espèce de taré.

- Oh, tu lui as dit ?

- Parce que t’étais au courant, toi ?

- J’étais assis à côté d’eux lors de la remise de diplômes.

- Et en plus ils s’en sont vantés, fabuleux. T’aurais quand même pu me mettre au parfum, traître.

- Je tiens à la vie.


Le Commandant du Yamato sifflota tout en remuant le médicament effervescent dans le verre. 


- La Direction n’en restera pas là, anata*. Les administrateurs n’apprécient guère le chantage, le prévint-elle.

- Ouais, on verra, argua Bruce avec indolence.

- Pffffrt.

- L’amour nous fait déplacer des montagnes, souligna Mamoru.


Reiko avala le cachet en grimaçant. 

Elle savait que son époux était capable de tout pour parvenir à ses fins. Cependant, embarquer Warrius dans cette machination suspecte dépassait tout ce qu’elle aurait pu imaginer. 

“Il n’a peur de rien, c’en est presque effrayant. Killian et Mamoru n’ont pas tort. Il ne recule devant aucune difficulté lorsqu’il est déterminé.”


- Par pitié, tais-toi… Les mojitos et l’alcool en général, c’est terminé pour moi. 

- Excellente résolution. Ce que j’ai vu tout à l’heure dans la salle de bain, je ne le souhaite à personne. Le fast food après une cuite, c’était vraiment une idée foireuse, Kodaï.

- Je suis désolé, concéda celui-ci, absolument pas désolé du tout. Votre victoire mise à part, avez-vous eu des nouvelles du 414. Ça fait combien ? Quinze jours depuis Agrica ?

- Et t’es toujours là, railla le sniper. 

- Bruce…, gronda la pilote.

- Et on est super contents que tu sois parmi nous, cela va de soit.

- Ça me touche, Speed. Je sens que ça vient du cœur.


Reiko s’adossa dans son siège tout en renversant sa nuque en arrière.


- Lawrence est tenu au silence tant que l’enquête n’est pas close.

- Et moi j’ai appris que les passagers sont encore aux abonnés absents. La planète a été fouillée de fond en comble et ils se sont, pour ainsi dire, “volatilisés”.

- Comment le sais-tu ?, demanda la mère de famille.

- Je fais partie du cercle très restreint et privilégié des Commandants de la SDF.


Bruce installa Sayuri dans sa chaise haute et lui fourra une cuillère de purée à la carotte dans la bouche.


- Tu te souviens du couteau que tu avais arraché à la créature du champ de maïs ?

- Euh, oui ?

- Les inscriptions donnent du fil à retordre à nos analystes. Ils n’ont pu identifier ni la langue ni le peuple auquel appartient cette lame.

- Étrange, s’étonna Mamoru. Si besoin est, je peux interroger la data base du Yamato.

- Cette attaque, qui a été re-qualifiée “d’enlèvement massif”, a été classée “secret défense”.

- La théorie de l’hypnose à grande échelle…

- Oui chaton, ils ont l’air de croire qu’il s’agissait d’ondes mentales dotées d’une puissance inédite et prodigieuse.

- Ondes qui n’auraient pas impacté la totalité des voyageurs ou tout du moins à des degrés différents. Sans compter le discours incohérent de ceux qui ont été infectés et qui contient sûrement des indices sur l’identité de ces “terroristes”.

- Le QG se penche là-dessus aussi, notamment grâce à ton rapport.


La jeune femme acquiesça.


- La métaphore du “chaos” semble être leur leitmotiv et ils paraissent bien renseignés sur nos mouvements. Ils avaient même l’air de vouloir… Me capturer vivante. J’ignore pourquoi mais tout porte à croire que les humanoïdes sont responsables de ce merdier. Lorsque je me battais contre eux… Ce que j’ai entendu… Je suis persuadée que leur corps est constitué d’un alliage de métal souple et rigide.

- Ne te fais pas de nœud au cerveau, les réponses arriveront bien assez tôt, déclara Kodaï.

- C’est également l’opinion de Lawrence mais moi j’aimerais savoir à quel ennemi nous avons affaire. Quelle sorte de secte, d’organisation ou pire encore, qui cherche à instaurer un climat de terreur…

- Ma chérie… Ce n’est pas “Elle”. Maetel l’a tuée, définitivement.


La militaire piqua du nez, perturbée.

Elle… Promethium pour ne pas la nommer. Cette harpie qui ne meurt jamais réellement.”

Le Commandant du Yamato versa du thé fumant dans trois tasses aux motifs fleuris.


- Chaque chose en son temps. Pour l’instant, vous avez une compétition à remporter.

- Hum…, marmonna Reiko.

- Après la fessée que vous avez infligée à Mizar, qui sont vos futures victimes ?


Bruce eut un rire narquois.


- Le prochain duel a lieu dans deux jours.

- Yalote ! Yalote !, s’exclama Sayuri en tendant les mains vers la cuillère dégoulinante d’une mixture orange vif.

- Et cette fois nous affronterons des As dans leur catégorie. Les choses sérieuses vont enfin commencer.


*anata : chéri



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