A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 61 : Le Tournoi de la SDF - partie 1

6022 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/07/2024 14:10

Chap 61 : Le Tournoi de la SDF - partie 1


- T’es sûr que ça ne te dérange pas ?

- Pas le moins du monde. 


Reiko berça Sayuri, qui somnolait sur son épaule.


- Ça va durer trois ou quatre jours… Pour peu qu’on ne soit pas éliminés dès aujourd’hui. Hirumi n’a pas besoin de toi ?

- Non, je l’ai prévenue et elle est d'accord.

- Hé bien, il est certain que tu nous enlèves une épine du pied mais ça me gène… 

- Okay, merci, l’interrompit Bruce. On ne sera pas joignable mais Kanna, si. Dans le pire des cas, tu pourras appeler le vieux bandit ou l’idiot du village.

- Harlock et l’idiot… Du village ?, répéta Mamoru, interloqué.

- Wawa, expliqua la pilote.

- Wawa ?


Elle toussota pour s’éclaircir la voix.


- Warrius Zero. Tu l’as déjà rencontré lors de la remise de diplômes.

- Oh, le boss de la Flotte Indépendante Terrienne. Il est qualifié pour prendre soin des enfants ?, demanda-t-il, perplexe.

- Lui non mais Marina est de bon conseil et le Docteur Zero de l’Arcadia fait office de pédiatre. 

- Soyez sans inquiétude, je gère.

- Les médicaments sont dans le premier tiroir de la commode de la salle de bain, le carnet de santé dans l’armoire du salon, les culottes de rechange sous le lit et tu as un pack de bière sans alcool au frais.

- Ça marche, Speed. Je m’occupe de tout.


Reiko soupira et embrassa la fillette sur le front avant de la confier à son ami.


- T’es le meilleur.

- Hein ?, grogna le sniper en haussant un sourcil contrarié.

- T’es le meilleur après le papa de Yuyu et après le mien.

- Hum. Allez chaton, on y va ou on sera en retard.

- Fais comme chez toi.

- Pas trop non plus, la contredit Bruce sèchement.


Face à l’air agacé qui se peignit sur le visage de sa chère et tendre, le Commandant de l’unité Sirius décida de faire preuve de prudence et de désamorcer la bombe sans attendre.


- Je plaisante, évidemment. Mon appartement est ton appartement Kodaï, tant que tu ne touches pas à mes slips.

- Aucune chance. Vraiment, aucune.


Le couple, qui avait du mal à abandonner Sayuri, fut mis à la porte sans égard par Mamoru. Le battant claqua et les deux jeunes gens partagèrent une oeillade angoissée. Au vu de l’aura ombrageuse qui émanait de son époux, Reiko se sentit obligée de détendre l’atmosphère.


- Il a un enfant aussi. Euh… Vivant.

- Et c’est censé me rassurer ?, persifla Bruce. Je te parie qu’il se repose sur Hirumi.

- C’est quelqu’un de responsable.

- Son vaisseau est toujours en panne.

- Euh… Le rapport ?

- C’est suspect. Si son Yamato est perpétuellement au garage, ça signifie qu’il n’est pas capable d’y faire attention, pas vrai ? Et si elle met les doigts dans une prise ?

- On a des cache-prises.

- Et si elle se brûle avec les radiateurs ?

- On est en été, ils sont éteints.

- Et si elle tombe dans les escaliers ?

- On n’en a pas.

- Et si…

- Bruce !


Elle l’entraîna vers la sortie de l’immeuble, quelque peu préoccupée par un problème diamétralement différent.


- Ce tournoi annoncé par le QG avant-hier, en quoi consiste-t-il ?

- Il a lieu tous les cinq ans et son objectif est double : permettre aux pelotons de faire montre de leurs compétences en s’affrontant et renforcer la solidarité entre les agents de la SDF.

- Et qui a remporté l’édition précédente ?


Il y eut un silence durant lequel le sniper enfonça les mains au fond de ses poches.


- Murase.

- Oh.


Reiko se figura la section Vega. 

José Valdivia.

Edwin Silver.

Ryosaku Murase.

… Moritz Schneider.

Elle déglutit et, s'étouffant avec sa salive, fut prise d’une violente quinte de toux.


- Ils ont laissé un vide béant derrière eux. Chacun d’entre eux.

- Ouais.


Lors de la bataille contre l’armada de Promethium, Murase et son unité de samouraïs s’était sacrifié pour ouvrir la voie vers Râ-Metal. Tels des kamikazes de l’escadron fleurs de cerisiers, ils avaient foncé sur le navire amiral, se servant de l’Iron Berger comme d’un bélier, offrant ainsi la victoire à l’Alliance tout en infligeant une défaite cuisante aux forces de l’Empire Mécanique.


- Ils me manquent.

- Je sais, chaton.

- On va leur faire honneur et décrocher les lauriers !, proclama-t-elle en levant le poing au ciel avec détermination.

- Excellente mentalité, soldat.

- On ramènera la coupe à la maison !

- Si Killian se tient à carreau, j’imagine qu’on est dans la course.


Le Commandant enlaça sa compagne, amusé par son opiniâtreté. Pour une fois, il choisit de mettre sa jalousie mal placée de côté. Moritz Schneider était mort et il y avait très peu de chances pour qu’il revienne des enfers lui dérober sa précieuse Reiko. Il ravala donc ses critiques acerbes et changea habilement de sujet.


- Si j’avais su que ça te tiendrait tant à coeur, je t’aurais épargnée cette nuit.

- Pfff. Bref, on se bat contre qui aujourd’hui ? 


*** 


Une déflagration heurta le chasseur adverse. Bien qu’en toute logique ce dernier aurait dû exploser au vol, il fut simplement immobilisé, flottant dans l’espace comme une raie manta dans l’océan.


- Impressionnant ces rayons paralysants ! 


Reiko siffla en redressant son appareil. Puis, elle dépassa le jet statufié à toute vitesse en s’autorisant une acrobatie espiègle.

Elle avisa ensuite ses radars afin de faire un point de situation. Big1 qui, à l’occasion de cette épreuve, avait endossé le rôle de défenseur se mesurait au Silver Bear, qui tenait lieu d’attaquant.

Le but de l’unité Sirius ? Protéger l’express Aldébaran et mettre hors d’état de nuire leurs ennemis du jour.

Une mission en somme basique mais qui se compliquait nettement plus lorsque les assaillants en question s’avéraient être un autre peloton rôdé aux stratégies employées par leurs collègues de la Space Defence Force. 


- Une opération délicate, certes, mais qui ne nous empêchera pas de leur coller la dérouillée du siècle. Où te caches-tu, barbie ? Si tu crois pouvoir m’échapper, tu te fourres l’index où je pense !


***


Quelques heures plus tôt sur les quais d’embarquement ferroviaires…


- Hé ! Speed ! C’est entre toi et moi !


Le sniper fit la moue, blasé.


- Si tu le dis.

- Donne-toi à fond. Donnez-vous tous à fond ! Ne faites pas honte à votre unité !


Reiko se pencha à l’oreille de Manabu.


- Il s’appelle comment déjà ?

- Euh… Nubora Watika ?

- Non ! Noboru Wakita ! Tu m’offenses jeune homme !


L’artilleur se pétrifia avec un sourire crispé, surpris par l’ouïe fine du Commandant.


- Oh, déso… Désolé.

- Vous allez vous battre contre la section la plus redoutable de la SDF ! Etes-vous prêts à prendre ce risque ?

- C’est pas Cepheus ?, chuchota la pilote. La section la plus redoutable ?


David hocha la tête


- Lawrence, c’est clair.

- Lawrence, approuva Louise. Il me file la chair de poule. Pourquoi as-tu engagé ce type comme parrain de Sayuri, Koko ? C’est du gâchis alors que tu avais le beau gosse du Yamato sous le coude.

- Le gars effrayant avec les cheveux noirs plaqués en arrière et l’uniforme blanc ?, demanda Killian. Carrément. 

- Lawrence, entérina Manabu.

- Oui, c’est évident. Ils ont raison, trancha Bruce. 


Ce dernier se renfrogna en songeant à la remarque singulière de l’Officière radar.


- Pour ce qui est du parrain aussi, grommela-t-il suffisamment discrètement pour que son épouse ne l’entende pas. Même si Kodaï n’est pas si beau gosse que ça.


Noboru Wakita adopta un air dramatique et se couvrit les yeux en tendant un bras en avant, comme si la vision de ses collègues lui était insupportable et que le son de leurs voix lui écorchait les tympans. Sa peau, tannée par le soleil, dénotait avec le doré de sa chevelure.


- Quelle aberration ! Quelle infamie !


Du coin de l'œil, Reiko aperçut trois femmes et un homme s’approcher. Bien qu’elle ne les ait vus qu’à deux ou trois reprises, elle les reconnut immédiatement. 

Les sœurs, Riina, Alice et Laura Schmidt et le plus jeune, Kita Shinji.

Elle lorgna en direction de l’aînée de la fratrie, une grande blonde aux jambes démesurées et aux prunelles noisette.

“Cette fille… C’est celle de l’inauguration de la gare de Râ-Metal… Celle qui tournait autour de Bruce. Celle qui avait… Celle qui avait osé poser ses doigts sur lui sans vergogne.” 

Le regard de Riina parcourut le peloton Sirius et, lorsqu’il s'arrêta sur Reiko, ses iris se parèrent d’un mépris à peine dissimulé.

Un rictus nerveux étira les lèvres de la pilote.

Non, décidément, elle n’aimait pas cette pimbêche arrogante qui ne cachait aucunement ses desseins envers son mari.

“Elle a besoin d’une leçon d’anthologie”, décréta-t-elle avec une hargne inhabituelle.


- Faites de votre mieux et nous ferons de même, lança Alice avec douceur.


La cadette paraissait être la plus réfléchie. Son teint pâle et ses cheveux polaires coupés courts lui conféraient un style atypique et une aura mystérieuse qui fit frissonner Reiko.


- Nous en avons l’intention, répondit Manabu. Rendez-vous là-haut.

- Koko !, s’écria Laura en lui prenant les mains. Je suis trop contente de te revoir, ça fait si longtemps !

- Je ne t’épargnerai pas, avertit-elle son ex-partenaire de la team Apodis.


Elle ébouriffa toutefois les mèches auburn de la benjamine contredisant ainsi la teneur de ses propos.


- J’y compte bien. Et je me ferai une joie de mettre une raclée à Karim dès que nous vous aurons éliminés.

- Ne sois pas trop confiante, gamine.

- Fini de papoter, s’impatienta Bruce. Je veux tout le monde sur le pont et plus vite que ça.

- C’était un plaisir, comme toujours, susurra Riina en inclinant gracieusement la nuque. À bientôt, Commandant Speed.


Tandis qu’elle s’éloignait, sa queue de cheval fouettant les airs, Reiko porta deux doigts à sa bouche et émit un long sifflement aigu. Le cerveau en ébullition et le cœur tambourinant à plein régime, elle gardait difficilement son calme.

“Toute cette mièvrerie… Elle me met hors de moi. C’est incontrôlable.”


- J’espère que tu piloteras tout à l’heure, Riina.

- Ah ? Et pourquoi ça ?, la questionna-t-elle avec une naïveté feinte.

- Parce que je vais t’écraser comme la petite mouche mesquine que tu sembles être.


À l’instar des agents de la SDF présents, l’artilleuse se figea.


- Chaton, la prévint Bruce. Ne dépasse pas les bornes.

- J’avais terminé. On se verra dans l’espace.


Elle marqua un silence avant de reprendre.


- Sauf si je te file les jetons. Ce que je comprendrais parfaitement.

- Comment… Comment oses-tu…, bégaya Riina en tremblant de colère.

- Bon, bon, bon !, intervint Noboru Wakita. Allons nous-en, l’épreuve va débuter.


Il entraîna ses recrues vers le Silver Bear afin d’éviter l’effusion de sang imminente entre les deux rivales.


- Tu nous expliques, Koko ?, l’interrogea Louise, perplexe.

- Vous n’avez pas entendu les ordres ?, gronda le sniper. Pourquoi êtes-vous encore ici ? Bougez-vous !

- Compris !, s’exclamèrent simultanément les membres de la section Sirius en se ruant vers Big1.


*** 


- Elle a une dent contre ce chasseur, s’étonna Manabu.

- On dirait bien, reconnut Louise.

- Si on était en combat réel, il aurait du souci à se faire. Ma sempaï aurait tôt fait de le démonter.

- Je suis de ton avis, Killian, renchérit l’Officière radar.


Bruce retroussa le nez, exaspéré par la conversation de ses subordonnés.


- On a saisi l’idée les morveux. Focus. Si on se fait évincer au premier tour, je serai obligé de vous faire trimer deux fois plus. 

- Roger !


La paix requise par le Commandant dura approximativement une minute, avant que la curiosité collective ne reprenne le dessus.


- Vous pensez qu’il s’agit de cette fille ? Celle qui pilote le jet engagé par notre baron rouge national ?, demanda David.

- Évidemment, abonda Louise.

- Sans aucun doute, appuya Manabu.

- C’est elle, c’est sûr, valida le cadet.


Bruce souffla bruyamment par les narines, excédé non seulement par le comportement de son équipage, mais surtout par la scène qui s’était déroulée un peu plus tôt dans la journée. Il n’était pas dupe du jeu de séduction déployé par l’artilleuse de Mizar. Il y a quelques années de cela il y aurait d’ailleurs peut-être succombé. Non, il était même certain qu’il aurait sauté sur l’occasion pour passer une nuit en bonne compagnie.

Avant. 

Depuis lors, il était l’époux de Reiko et le père de Sayuri. Il ne souhaitait rien de plus.

Aucune autre femme aussi charmeuse et aguichante soit-elle. Pour preuve, il ne parvenait pas à retenir le prénom de cette bimbo à la chevelure blonde comme les blés.

“Hina ? Mira ? Bref… Comment lui reprocher d’être jalouse alors que je suis mille fois pire qu’elle ?”

Quand ces exercices prendraient fin, il le dirait à Reiko. Il se fichait bien de toutes les autres qui lui paraissaient si insipides et si ternes. 

Pourquoi cueillir un pissenlit lorsque l’on possède déjà la plus raffinée des roses ?


- On a matière à faire nous aussi, les recadra le sniper. Yuuki, pourquoi te faut-il autant de temps pour détruire leur bouclier ?

- Ils sont plus coriaces qu’ils n’en ont l’air.

- David, assure-toi que Big1 encaisse leurs attaques. Aldébaran doit demeurer intact.

- D’accord ! 

- Visons les points stratégiques. Killian, tu t’en charges. La chaudière, la loco, le moteur… Peu importe tant que ça les immobilise. Concentrons l’offensive. Je compte sur vous. Ne laissons pas ce prétentieux de Wakita rafler la victoire.

- Vu comme elle se débrouille, Koko est partie pour les vaincre sans notre aide, nota David.

- Remuez-vous. Je vous rappelle que c’est elle le support aérien, pas l’inverse.

- Bien reçu !


***


- Tu fais moins la maligne, blondie, hein ?


Reiko, qui avait oublié l’enjeu du tournoi, avait pris pour cible le jet subsistant du peloton Mizar. Puisqu’elle avait mis Alice au tapis, il ne restait plus que Riina dont elle avait repéré la signature thermique dès le début de la bataille.

Elle avait eu quatre opportunités, dont deux belles fenêtres de tir, qu’elle avait volontairement ignorées.

À l’image d’un chat jouant avec une souris, elle voulait prolonger son plaisir.

Acculer sa proie, la pousser dans ses moindres retranchements, la regarder se débattre pour garder la tête hors de l’eau, lui faire croire qu’elle était sortie d’affaire, la rattraper pour enfin lui asséner un coup fatal.

Elle n’était pas du genre sadique mais, pour cette chipie, elle faisait volontiers une exception.


“- Qu’est-ce que tu fous ?”, aboya Bruce dans le haut-parleur. “Cesse de t’amuser et descends le !”

- Oui, Commandant.

“- Maintenant. Et après, occupe-toi de leur barrière magnétique aux coordonnées que Louise t’a transférées.”

- Okay.

 

La jeune femme modifia son cap avec flegme.


- Alors Riina, c’est tout ce que t’as dans le ventre ?


Optant pour une manœuvre désespérée, celle-ci la prit à revers avec une acrobatie que Reiko aurait pu apprécier si elle n’avait pas été aussi remontée.


- Pas mal, maugréa-t-elle en grinçant des dents.


L’aînée des sœurs Schmidt s’était positionnée derrière le Space Eagle floqué du blason de l’unité Sirius et avait ouvert le feu. 

Notre héroïne dû redoubler d’adresse pour éviter les faisceaux tétanisants.

Mais ce n’était pas suffisant pour la mettre en difficulté.

Reiko Speed n’était pas une tacticienne brillante, une professionnelle de la mécanique ou un leader né. Ses performances au cosmo-gun étaient médiocres et, si elle se distinguait au corps à corps, son endurance laissait encore à désirer. 

Elle n’avait rien de spécial comparée à Bruce, Lawrence ou Manabu.

Mais, elle était une bonne pilote… Excellente même, pouvant se targuer de rivaliser avec les vétérans de la Space Defence Force. Son frère adoptif, Tadashi Daiba, avait su déceler son potentiel et l’avait fait fructifier et mûrir pendant plus de quinze ans. 

C’est cette compétence hors norme qui lui avait ouvert les portes de la SDF, lui permettant d'intégrer la très réputée section Sirius.

Elle octroya une minute de répit à Riina puis, tandis que cette dernière s’apprêtait à l’arroser, la militaire chassa sèchement sur bâbord. Comme prévu, le jet ennemi la suivit et elle enclencha les propulseurs à la vitesse maximale, jusqu’à ce qu’ils atteignent la limite critique avant l’explosion. Fusant dans l’espace intersidéral et plus particulièrement vers une ceinture d’astéroïdes, elle savait que cette technique était risquée.

Risquée mais diablement grisante !

Cependant, si ses calculs se révélaient incorrects, il n’y aurait ni cadavre à enterrer sur Destiny ni cendre à disperser dans la mer d’étoiles.

Elle pivota sur son axe de roulis et le Space Eagle effectua une rotation à quatre-vingt dix degrés pour se placer à la verticale. Moins d’une seconde plus tard, il se glissait entre deux gigantesques rochers.

La carlingue heurta la pierre dans un crissement de tôle inquiétant et Reiko serra la mâchoire à s’en blesser les gencives. Zigzaguant ensuite entre les roches flottantes, elle fila sans ralentir son allure.

Aussi rapidement qu’elle s’y était faufilée, elle quitta la nuée rocailleuse. Elle redressa l’appareil, monta en chandelle et survola les météorites tête à l’envers.

Riina, qui avait viré de bord de justesse, hoqueta de surprise en apercevant son adversaire la surplomber et la dépasser avec une célérité folle.

Après un retournement agile, la pilote de Sirius eut la satisfaction d’aviser le chasseur de Mizar dans son viseur.


- Checkmate, pétasse.


Elle tira un rayon paralysant qui percuta l’artilleuse de plein fouet avant qu’elle n’ait la possibilité de réaliser ce qui était en train de se produire.


- J’ai du sang de pirates dans les veines, tâche de t’en souvenir.


*** 


- Ça par exemple, balbutia Manabu. 

- Non seulement elle lui a infligé une déculottée monstrueuse…, constata Louise. 

- Mais en plus, elle l’a salement humiliée, termina David. 

- Impressionnant !, s’extasia Killian.


Les quatre comparses scrutèrent leur Commandant, littéralement dévorés par la curiosité.


- Pourquoi a-t-elle tenu à lui expédier dans la tronche ses talents de pilotage ?, l’interrogea l’ingénieur.

- C’est pourtant pas son style d’écraser les autres.

- Nabu n’a pas tort, à croire qu’elle avait quelque chose à prouver, compléta l’Officière radar.

- Si elle a pris autant de risques inconsidérés, c’est qu’il y a une raison sous-jacente, argua le cadet.


Bruce s’était tellement raidi dans son fauteuil qu’il avait quasiment arrêté sa circulation sanguine grâce à la volonté de son esprit.

“Lorsqu’on sera de retour au QG… Je jure par tous les dieux que je vais lui faire passer l’envie de recommencer.”

Il empoigna ses accoudoirs avec véhémence et ses traits se déformèrent sous l’effet de la colère conjuguée au stress.


- Bruce… ?


Le Commandant pointa l’écran qui s’étendait au plafond de la locomotive, ulcéré.


- J’espère que vous avez bien observé ce grand n’importe quoi attentivement. Parce que rien de tout ça n’est recommandé ou réglementaire. Sitôt qu’on aura débarqué, je vous garantis qu’elle écopera d’un avertissement pour cette ânerie.

- C’était quand même sacrément audacieux, répliqua David.

- C’était sacrément idiot, oui, rétorqua le sniper. Et je déconseille vivement si vous voulez conserver votre poste.


Il prit trois profondes inspirations avant d’activer son émetteur. Depuis que Sayuri faisait partie de sa vie, il s’astreignait à juguler son tempérament irascible. De ce fait, il ne déverserait pas de reproche à la figure de sa belle.

Enfin, pas immédiatement.


- Reiko, charge-toi du bouclier. Dès qu’il aura cédé nous prendrons le relais et tu rentreras au hangar.

“- Mais pourquoi ? Je suis totalement en mesure de poursuivre l’opération…”

- C’est un ordre, lui intima-t-il d’une voix froide et sans âme.


Il y eut un blanc et la pilote reprit la parole avec hésitation.


“- Roger.”

- Fin de transmission.


Il se tourna ensuite vers ses coéquipiers qui faisaient tous mine de s’intéresser à la bataille en cours.


- Finissons-en. Qu’est-ce que ça dit ?

- La capacité de leur barrière énergétique est réduite de 30%. Avec le support aérien, on devrait en venir à bout, explicita Louise.

- Continuez de les malmener. Et nous ?

- Le fait que leurs chasseurs soient hors services nous avantage mais nos déplacements sont extrêmement restreints puisque nous faisons barrage entre le Silver Bear et l’express Aldébaran. 

- Okay, David. Rapport d’avaries, Yuuki ?

- La puissance de notre bouclier est à moins 40%. Plusieurs de nos voitures ont été touchées et si on s’en fie au ratio de la simulation… En théorie nous ne sommes pas en position de force.


Comme pour appuyer ces propos, une onde de choc parcourut la “control room”.


- Braquez nos canons sur leur wagon de queue !, tonitrua Bruce.

- Koko a ouvert le feu sur le point cible au niveau de la locomotive !, les renseigna l’Officière radar.

- Parfait. Du nerf !


Il détailla les écrans, suivant du regard le Space Eagle de sa femme qui virevoltait autour du train de la section Mizar et serpentait habilement entre les faisceaux violets qui le canardaient.

“Malgré toutes ces années, elle ne réfléchit jamais avant d’agir. Que Killian se comporte ainsi passe encore, mais Reiko… Elle répète les mêmes fautes indéfiniment. Elle me fait des cheveux blancs. Je dois m’estimer heureux que ce soit ma couleur naturelle.”


***


- Mais quelle… Mais quelle… Mais quelle connasse !


Riina frappa le tableau de bord, furibonde.

Ses sœurs avaient bien tenté de la prévenir : défier Reiko sur son terrain de prédilection n’était pas une idée judicieuse. Cependant, elle n’avait rien voulu entendre. Les provocations de la pilote de l’unité Sirius avaient eu l’effet escompté et elle s’était précipitée tête la première dans le piège que cette godiche lui avait tendu.


- Raaah ! Tu me le paierais, mocheté !


Écumante de rage, elle explosa le cadran sur lequel était inscrit en lettres rouges et clignotantes “K.O”. 

L’artilleuse du peloton Mizar n’était pas habituée à ce que quelqu’un se dresse en travers de son chemin, surtout s’il s’agissait d’une autre femme. Cela, elle ne pouvait le tolérer.

Le Commandant Speed lui avait tapé dans l'œil à l’instant où ses yeux s’étaient posés sur lui. Certes, il était marié et avait une enfant en bas âge mais les divorces étant affaires courantes et elle était persuadée qu’elle l’attirerait tôt ou tard dans son lit.

Jusqu’à présent, elle n’avait eu aucune difficulté à obtenir ce qu’elle désirait.

Et cet homme, elle le convoitait. À tout prix.

Qu’importe si sa tentative de séduction s’était révélée être un échec. Elle possédait plusieurs cordes à son arc et elle les utiliserait toutes sans exception.

Oui, cette Reiko était hors compétition.


- Tu perds rien pour attendre.


Son communicateur s’illumina et, en dépit de sa mauvaise humeur, elle se résolut toutefois à l’actionner.


“- Riina, tu es out sur ce coup.”, l’informa Wakita. “Nous te récupérerons dès qu’on en aura terminé avec Sirius.”

“- Je t’avais expliqué que c’était impossible de la vaincre ! Pourquoi as-tu absolument tenu à prendre un chasseur ? Tu étais notre meilleur atout en tant qu’experte des armes du Silver ! Pourquoi personne ne m’a écoutée ?! Commandant, je vous avais dit que c’était une erreur monumentale !”, se récria Laura. 

“- Ah… Hé bien, ça semblait lui tenir à coeur, donc…”

“- Est-ce que tu nous cacherais quelque chose, Na-chan ?”, l’interrogea posément Alice.

- Laissez tomber. Fin de l’émission.


Elle coupa son microphone, lasse.


- Laura chérie… Comment réagirais-tu si tu savais que j’avais pour ambition de dérober le mari de l’une de tes amies ?


La jeune femme s’enfonça dans son siège, songeuse.


- Il finira par s’ennuyer avec une fille comme elle. Alors qu’avec moi…, ricana-t-elle, peu inquiétée par la perfidie de ses pensées.


***


- Il est fâché ? Sûr que oui. Il ne va pas me louper. Non mais il irait pas jusqu’à me coller un blâme, si ?


Reiko esquiva les rayons lumineux provenant des tourelles du train de Wakita et traça un huit cubain, le symbole de l’infini à l’horizontal pour les non-initiés, afin de déstabiliser leurs adversaires du jour. Puis, elle tira à nouveau sur la locomotive, fragilisant davantage le bouclier. 


- Il ne fait pas de différence entre nous. Je dirais même qu’il est encore plus dur avec moi.


La militaire enchaînait les tonneaux pour éviter les traits violacés qui la harcelaient. Bien qu’inoffensifs, ils signeraient la fin du jeu la concernant. Elle serait alors condamnée à rester inerte à l’instar d’une méduse errant dans l’océan… Ou d’une traînée à la chevelure dorée.


- Il va probablement m’atomiser et je sais pertinemment ce qu’Harlock me répondrait. Que je l’ai bien cherché… Que je mérite mon sort. Et ce serait légitime non ?


Elle admettait volontiers que la perspective de retrouver son époux l’angoissait.

“Faut que je fasse traîner les choses sinon je vais devoir l’affronter séance tenante et ça risquerait de mal tourner. Je l’ai senti dans sa voix. Faire traîner les choses, oui, mais pas trop quand même car il se douterait que je ne me donne pas à… Aaaarg !”

Elle avait néanmoins omis un paramètre dans ses savants calculs. Manabu n’avait pas à envier à Bruce ses qualités d’artilleur. Il avait appris aux côtés d’un as et le démontrait actuellement avec panache. En effet, la barrière entourant le train de Mizar avait été traversée dans toute sa longueur par un éclat irisé et l’énergie qui la constituait avait trembloté, paraissant se fissurer.


- Je t’offre le coup de grâce, Nabu… Après tout, tu as fait le gros du travail, soupira-t-elle. Moi, j’ai plus qu’à faire face à mon destin.


Les tourelles de Big1 se rivèrent sur le Silver Bear au moment où ce dernier se mettait en marche pour échapper à l’offensive du digne fils de Wataru Yuuki. 

Si Riina eût été à bord, le peloton de Wakita aurait eu toutes ses chances.

Cependant, les fanfaronnades de Reiko associées à la désertion de l’aînée des sœurs Schmidt avaient accéléré la chute de Mizar. 

La pilote écarta son jet de la ligne de mire du Chien de Garde de la Galaxie. 


- Feu.


*** 


- Feu !


Manabu enclencha la gâchette du pistolet relié à la console. Les faisceaux paralysants jaillirent hors des canons de Big1 et percutèrent le Silver Bear avec un feu d’artifice multicolore.

Le bouclier céda alors dans une pluie de fragments cristallins.


- Yuuki ! Maintenant !, hurla Bruce, grisé par le retournement de situation.

- La fuite… N’est pas une option Walika ! 


***


Sitôt que les traits transpercèrent les voitures centrales, cela sonna les prémices de la déroute de Noboru Wakita et de ses coéquipiers. Les hostilités reprirent toutefois de plus belle mais Reiko, comme elle l’avait promis à Bruce, vira de cap pour regagner les hangars à Space Eagles.


- L’heure de ma sentence est imminente, marmonna-t-elle tandis que le toit ouvrant se rétractait.


Elle atterrit en douceur et ôta son casque avant d’ébouriffer ses mèches brunes, encore plus emmêlées que d’ordinaire. 

Le cockpit se déverrouilla et elle avisa une silhouette qui patientait, adossée contre le mur.

“Putain… Putain…”

Sa pression redescendit aussi vite qu’elle était montée lorsqu’elle reconnut le cadet et futur cadre de la Space Defence Force. 


- Tu espérais voir quelqu’un d’autre ? Ou plutôt ne pas croiser quelqu’un d’autre ?

- La deuxième proposition pour être honnête.


Killian approcha l’escabeau du chasseur.


- Sur une échelle de un à dix, il m’en veut à quel point ?

- L’échelle n’est pas assez grande si tu veux mon avis.

- Je pourrais me planquer à l’infirmerie et prétexter une gastro ou un truc dans le genre, grogna-t-elle. Yûki me donnera sûrement l’asile.

- Ce type te retrouvera quoi qu’il advienne.

- J’en ai conscience. Et de tout façon mon père m’a enseigné qu’il ne fallait jamais fuir ses responsabilités. 


Alors qu’ils prenaient la direction du wagon de commandement, la nouvelle recrue de l’unité Sirius darda un regard en biais vers son mentor.


- Pourquoi est-ce qu’elle t’a mise autant en rogne ?


Reiko rejeta sa nuque en arrière, irritée.


- Elle a eu des gestes et des mots déplacés.

- Envers qui ? Toi ?


La jeune femme ne répondit pas, occupée à se remémorer la soirée sur Râ-Metal.


- Elle a dragué le patron ?


Killian eut un sourire goguenard à l’instant où son amie se figeait.


- J’ai tapé dans le mille, hein ?

- Pas tes oignons.

- Elle a du culot, c’est le moins que l’on puisse dire. Je comprends mieux l’humiliation que tu lui as fait subir. “Je suis Reiko Speed. Mon paternel, c’est l’ennemi numéro un de l’univers. Si tu ne gardes pas les mains dans tes poches, je les trancherai et me ferai un pendentif avec les phalanges. Quant à tes yeux, je les arracherai et je jouerai aux billes avec.”, lança-t-il en fronçant les sourcils.

- Hilarant. T’as fini ?, s’exaspéra-t-elle, quelques secondes avant que le vantail de la “control room” ne coulisse dans un chuintement feutré.

- Moi oui, mais lui…


Bruce jeta une œillade par-dessus son épaule, qui fit déglutir bruyamment son épouse.

“On règlera ça sur Destiny. Tu ne t’en sortiras pas si facilement.”, dirent ses prunelles.


- Va t’asseoir, dirent ses lèvres.


***


- Commandant !


Noboru Wakita tendit le bras avec détermination.


- On ne lâche rien les gars. Ils ont eu notre bouclier mais ça ne signifie pas pour autant qu’ils vont nous couler.

- C’est bien parti quand même, râla Laura. Les voitures cinq et quatre sont endommagées. La chaudière est en perte de puissance de 40% et nous ne sommes plus que trois puisque notre plan pour les affaiblir avec nos chasseurs qui - soit dit en passant - était d’une nullité absolue, est tombé à l’eau comme prévu !

- Riina semblait pourtant sûre de sa supériorité, fit remarquer Kita.

- Elle l’a sous-estimée. Moi je l’ai vue en action et je savais que c’était couru d’avance. Cette fille a grandi à bord d’un vaisseau spatial. Elle pilotait avant de marcher !


Une déflagration ébranla brutalement le train.


- Leur artilleur est doué, nota Wakita. C’est intéressant.

- Qu’est-ce qu’on fait ?


Le Commandant serra les dents.


- Envoyez toute l’énergie restante dans les moteurs. On va attaquer l’express Aldébaran. Ils doivent le protéger et sont donc limités dans leurs manœuvres. Obligeons les à œuvrer sur plusieurs fronts à la fois. Kita, tu es chargé de la navigation. Laura, tu anticipes leurs mouvements. Quant à moi je tire et…


Une alarme retentit dans le wagon et, après un instant de flottement, Wakita s’assit dans son fauteuil avec un léger sourire.


- Comman…


“Seuil critique de dégâts franchi. Échec de la mission. Peloton Mizar éliminé.”


- Tu avais raison, Lau. Nous aurions dû nous y prendre différemment pour lutter contre ces rouleaux compresseurs.


Il s’accouda contre sa console, nullement perturbé par cette défaite.


- Tôdo n’avait pas menti à leur sujet.


***


- Bravo, Yuuki-kun !, s’exclama Louise avec enthousiasme.

- T’es pas si mauvais en fait, le félicita le stagiaire.

- J’étais pas tout seul… Koko m’a aidé et Killian a trouvé les faiblesses de leur barrière magnétique. Et si David n’avait pas esquivé tous ces rayons…


Reiko fit pivoter son siège, secoua violemment la tête et croisa les poignets. Elle préférait se faire oublier pour le moment au vu de la réaction virulente de Bruce. Néanmoins, ce dernier, qui avait flairé l’entourloupe, se tourna sèchement vers sa femme, morose.

Bien sûr qu’il était fier d’elle. Peu d’hommes pouvaient se vanter d’avoir épousé une personne si magnifique et si douée.

Cependant, il en avait assez de se sentir impuissant face à ses prises de risques malavisées.

“Je devrais me réjouir qu’elle ne soit plus aussi déprimée mais j’ai toujours cette désagréable impression qu’elle noie son anxiété dans le travail. Pense-t-elle qu’en s’approchant du soleil, quitte à se brûler les ailes, elle atteindra une sorte de vérité ?”

La vérité à propos des événements récents, certes, mais était-ce là tout ?


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